Paris-Saclay, une Silicon Valley à la française ?

Publié le 14/03/2017
Auteur(s) : Laurent Carroué, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, directeur de Recherche à l’IFG - université Paris VIII
Décidée par l’État de longue date, la création d’un pôle de recherche de grande ampleur au sud-ouest de l’agglomération parisienne reflète bien l’insertion des systèmes productifs français dans la mondialisation. L’étude de ce projet de cluster de rang mondial illustre des choix stratégiques qui sont aussi géopolitiques, dans un contexte de spécialisation économique croissante des territoires.

Bibliographie | citer cet article

>>> Du même auteur, sur la Silicon Valley en Californie, lire : « La Silicon Valley, un territoire productif au cœur de l’innovation mondiale  et un levier de la puissance étatsunienne », 2019.

À une vingtaine de kilomètres au sud de Paris, sur le plateau de Saclay qui est à cheval sur les départements de l’Essonne et des Yvelines, l’État a décidé en 2008 de créer de manière volontariste, en s’appuyant sur un potentiel déjà considérable, un grand pôle universitaire et scientifique de rang mondial : Paris-Saclay. S’inspirant officiellement de modèles anglo-saxons emblématiques, ce nouveau cluster a pour ambition affirmée de devenir une « Silicon Valley » ou un « Cambridge à la française ».

Présenté comme un moteur d’innovation et un levier de développement économique, il vise à renforcer la compétitivité de la France dans l’économie de la connaissance dans un contexte mondial de plus en plus concurrentiel. Dans le cadre de cette étude, le projet intitulé Paris-Saclay correspond au périmètre d’intervention de l’Établissement Public d’Aménagement (ÉPA) Paris-Saclay qui s’étend sur deux départements, l’Essonne (91) et les Yvelines (78), trois communautés d’agglomération (Communauté Paris-Saclay, Versailles Grand-Parc et Saint-Quentin-en-Yvelines) et 27 communes qui couvrent au total une superficie de 229 km².

Pour les géographes, universitaires ou enseignants du secondaire, cette opération majeure est un objet d’étude particulièrement intéressant aux échelles locale, régionale, nationale, européenne et mondiale.

  • En effet, comme projet universitaire, scientifique et technologique, il s’inscrit directement dans les grandes mutations contemporaines des systèmes productifs que connaît le territoire national depuis plusieurs décennies. Il témoigne en particulier des extraordinaires atouts dont dispose le pays pour relever et répondre aux grands défis d’avenir. Car comme le soulignent les travaux de chercheurs comme Pierre Veltz, notre monde est et demeure « hyperindustriel » et s’organise pour ses fonctions les plus stratégiques en « grappes », en « campus », en « cluster » et en « écosystèmes territoriaux » autour de la promotion du savoir, de l’innovation et de la propriété industrielle.
  • Comme projet économique et social, il traduit et accélère le processus de métropolisation qui organise très largement la hiérarchie urbaine et les grands équilibres territoriaux à l’échelle nationale. Il pose la question des articulations à trouver et promouvoir entre pôles d’excellence métropolitains et solidarité territoriale.
  • Comme opération majeure d’aménagement du territoire, il participe de la refonte urbaine, sociale et fonctionnelle de l’ensemble de l’espace francilien en en renforçant sensiblement les logiques de spécialisations hiérarchiques intra-métropolitaines.
  • Comme objet géopolitique, il souligne que toute grande opération volontariste d’aménagement portée par l’État éclaire sous un jour particulier le fonctionnement des institutions de la Ve République et constitue un enjeu de pouvoir et de rivalités de pouvoirs sur les territoires, en particulier aux échelles régionale, départementale et locale.
  • Comme objet didactique et pédagogique, il peut être enfin mobilisé comme étude de cas avec les élèves dans le cadre de la mise en œuvre des programmes de lycée et de collège (étude d’un territoire de proximité, mutation des systèmes productifs, aménagement du territoire et mutations urbaines, métropolisation, mondialisation…). De plus l’utilisation des données de l’Insee permet concrètement de travailler en détail sur une commune ou un groupe de communes dans le cadre d’une approche fine des territoires du quotidien.

 

saclay schéma d'élève

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Schémas ci-dessus : Zoé Ripert, Hugo Brossard, Paulin Boyer et Maël Marquet (en haut) et Mathurin Pain, Jean-Baptiste Trimoreau, Solenn Gaignard et Judith Viau (en bas), élèves de 3e de M. Godard 2016-2017 au collège Paul Éluard de Gennes (Maine-et-Loire).

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Paris-Saclay : une « Silicon Valley à la française » ?

saclay schéma corrigé

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1. Paris-Saclay : de la « cité scientifique » à un cluster de rang mondial

Loin de tomber du ciel, la spécialisation du territoire de Paris-Saclay dans les fonctions de formation, recherche et innovation s’affirme très progressivement dès l’entre-deux-guerres avant de prendre son plein essor durant les « Trente Glorieuses » sous l’impulsion des politiques publiques. 

1.1. Le rôle d’impulsion du complexe militaro-industriel dans les décennies 1950/1970

Entre 1947 et 1956, on assiste en effet à la création des sites du CNRS à Gif-sur-Yvette, du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) à Saclay, énergie nucléaire militaire puis civile, 5 400 salariés aujourd’hui), du Centre d’essai des propulseurs (CEPr) de la Direction Générale des Armements (DGA) à Saclay, de l’ONERA (recherche aérospatiale publique) à Palaiseau, de l’INRA (agriculture) à Jouy-en-Josas et Versailles, d’antennes universitaires à Orsay ou de l’INSTN (sciences et techniques du nucléaire). Les grands programmes gaullistes, en particulier militaires, jouent alors un rôle structurant comme en témoigne, par exemple, la création de l’Inria (informatique et automatismes) en 1967 à Rocquencourt afin d’accompagner plus spécifiquement le lancement du « Plan calcul ».

Au sortir de cette période, ce territoire devient donc un des maillons essentiels de l’essor du complexe militaro-industriel français qui a largement structuré dès l’après-guerre, et structure encore largement aujourd’hui, les stratégies et les territoires de l’innovation. Ainsi, environ la moitié de l’effort de recherche en Île-de-France est militaire dans les années 1980 ; entre un tiers et 40 % aujourd’hui, sans doute plus en intégrant à ce calcul les technologies duales civil/militaire et l’élargissement du concept de défense à celui de sécurité (cf. lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité…). La qualité du potentiel scientifique, technologique et industriel accumulé explique que les exportations françaises d’armements ont atteint en 2016 un nouveau record (plus de 20 milliards d'euros) et font de la France le 4e exportateur mondial.

Loin d’être un cas unique, le rôle majeur du facteur militaire dans l’essor des territoires de l’innovation se retrouve aussi dans bien d’autres pays, en premier lieu les États-Unis, le Royaume-Uni, l'URSS puis la Russie, ou la Chine actuelle. Le plus étonnant est qu’il soit souvent passé sous silence, voire ignoré, alors que, paradoxalement, la science, l’innovation et la technologie furent et demeurent un vecteur central de la puissance et de son affirmation mondiale ou continentale.

1.2. La création progressive d’un territoire de l’innovation : la « cité scientifique »

Dans le cadre de la grande réorganisation de l’agglomération parisienne mise en œuvre par le pouvoir gaulliste (réforme départementale, création des villes-nouvelles et lancement du RER, politique de décentralisation industrielle…), les équipes de Paul Delouvier développent le concept de « cité scientifique » dans les années 1960, qui débouche d’ailleurs dans les années 1980/1990 sur la mode des « technopoles » alors très étudiées par de nombreux géographes.

C’est dans ce contexte que certaines grandes écoles, à l’étroit dans Paris-centre, implantent de vastes campus sur le modèle nord-américain qui sert déjà de référence sémantique et conceptuelle : HEC s’implante à Jouy-en-Josas dont le campus est inauguré par le général de Gaulle en 1964, l’École Supérieure d’Optique (SupOptique) quitte le XVe arrondissement pour Orsay en 1967 (puis Palaiseau en 2006) tout comme Supelec quitte Malakoff pour Gif-sur-Yvette dans le quartier du Moulon en 1975 alors que l’École Polytechnique – École sous la tutelle du Ministère de la défense – arrive à Palaiseau en 1976. Cet espace demeure d’ailleurs très attractif comme l’indique encore en 2012 l’arrivée de l’ENSTA (École Nationale Supérieure des Techniques Avancées), sous la tutelle de la Direction Générale de l’Armement (DGA), qui quitte le 15e arrondissement pour s’implanter à Palaiseau juste à côté de l’École polytechnique.

Progressivement, ce territoire a aussi bénéficié de l’implantation de très grands équipements scientifiques de recherche fondamentale et appliquée (Synchrotron SOLEIL, laser à ultra haute puissance CILEX…) qui vont y structurer une partie de la vie scientifique.

Pour autant, paradoxalement, la concentration de ce potentiel exceptionnel sur un espace restreint s’est très largement faite au coup par coup sans réelle logique d’ensemble, ni stratégie cohérente. Se contentant de juxtaposer des entités bien individualisées à forte identité, la logique de voisinage permise par la proximité géographique s’est avérée assez décevante car elle n’a pas débouché, ou si peu, sur un ensemble intégré des plus efficients. Comment alors dépasser cette logique de « proximité fragmentée » ? 

1.3. La relance des années 2010 : vers la création volontariste d’un « cluster » scientifique mondial 

En remobilisant la logique volontariste des « Trente Glorieuses », l’État, sous la Présidence de N. Sarkozy, se fixe pour ambition entre juin 2007 et novembre 2008 de créer sur le plateau de Saclay et dans ses environs un « pôle scientifique et technologique – ou cluster – de rang mondial » sous l’intitulé de Paris-Saclay.

Cette référence sémantique au « cluster » renvoie à tous les travaux réalisés en géographie et en économie spatiale sur les articulations existantes entre développement local et systèmes productifs territorialisés (cf. districts industriels, SPL – systèmes productifs locaux, technopole/technopôle, pôles de compétitivité…).

Comme dans les années 1960, ce projet est aujourd’hui étroitement articulé à la fois à de profondes réformes de structures (cf. transformation en profondeur du système universitaire français) et à une très large refonte du cadre politique, administratif et institutionnel francilien (cf. Loi sur le Grand Paris de 2009, création de Paris Métropole…).

Les financements publics mobilisés, payés par l’emprunt donc la dette, sont tout à fait considérables puisqu’ils portent sur 5,3 milliards d'euros, dont 700 millions d'euros pour le volet scientifique, 2,6 milliards d'euros pour l’immobilier universitaire et 2 milliards d'euros pour les transports.

La création de ce cluster de rang mondial repose sur deux grands piliers

— Premièrement, on décide de renforcer très fortement le pôle scientifique et universitaire déjà existant (École Polytechnique, Supélec, HEC, laboratoires du CNRS, CEA, Université d’Orsay…) en accélérant la venue de nouvelles entités. L’objectif affirmé est que le territoire de Paris-Saclay polarise non plus 10 % à 15 % (soit environ 30 000 chercheurs et assistants) mais à moyen terme 20 % de la recherche publique française.

Cette croissance est cependant en partie en trompe-l’œil puisqu’elle repose fondamentalement sur de nombreux transferts géographiques au sein même de l’espace francilien, en particulier au détriment de Paris. À la rentrée 2017, l’École Centrale-Paris a quitté Châtenay-Malabry, où elle était installée depuis 1969, tout en fusionnant avec Supelec. D’ici 2019 au fur et à mesure de l’achèvement des grands chantiers immobiliers, quatre nouvelles unités doivent s’installer : l’ENS Paris-Saclay, ex-ENS Cachan, qui quitte Cachan où elle était implantée depuis 1956 ; Agro-Paris-Tech, créée en 2007 par la fusion de trois anciennes Grandes Écoles qui occupaient des sites à Paris (Ve et XIVe arrondissement), Thiverval-Grignon et Massy ; et, enfin, Télécom ParisTech et l’Institut Mines-Télécom qui doivent quitter le XIIIe arrondissement.

— Deuxièmement, on décide en 2011 de fédérer le tout dans un très vaste ensemble institutionnel : la nouvelle « Université Paris-Saclay ». Elle est ainsi appelée à rivaliser avec les plus grandes universités mondiales, au moins dans un premier temps sur le papier, dans le cadre par exemple du « classement de Shanghai ». Est ainsi créée en 2015 la COMUE, une « communauté d’universités et d’établissements » qui oblige des acteurs voisins mais qui s’ignoraient largement à se parler et à travailler ensemble. La création de l’Université Paris-Saclay se traduit donc par le regroupant de 20 établissements : 13 établissements d’enseignement supérieur et de recherche et 6 organismes nationaux de recherche (CNRS, CEA, IHES, INRA, INRIA, ONERA). Ceci représente 89 512 personnes, dont 10 676 enseignants-chercheurs et plus de 68 000 étudiants, dont à terme près de 54 000 sur le site de Saclay, dont 5 500 doctorants. Ces personnels travaillent dans tous les domaines de pointe (agriculture, transports, énergie, numérique, aéronautique, infrastructures, physique, mathématiques, climat, chimie verte, santé, biotechnologies, big data…).

L’objectif est donc de constituer un gigantesque ensemble devant favoriser la mise en place d’enseignements communs, l’échange d’étudiants et la multiplication des collaborations scientifiques. C’est ainsi, par exemple, que sont créés des centres pluridisciplinaires autour de thématiques transversales communes comme l’Institut des neurosciences, l’Institut de biologie fondamentale moléculaire et cellulaire ou le Centre de nanosciences et de nanotechnologies. À Orsay, 21 millions d’euros de travaux vont ainsi être consacrés aux laboratoires de Physique des deux infinis et des origines, ou P210, associant le CEA, le CNRS et les universités Paris-Diderot et Paris-Sud. À Saint-Aubin, les travaux sont réalisés pour accueillir l’arrivée de l’un des lasers les plus puissants du monde cofinancé par les Fonds européens (Apollon performance) et le CNRS. Le projet d’ICE (Infrastructures pour les sciences du climat et de l’environnement) va y rassembler sur un même site plus de 300 chercheurs travaillant sur les évolutions du climat et venant du CEA, du CNRS et de l’UVSQ (Université Versailles-St Quentin). Enfin, afin de favoriser les transferts de technologies entre secteur public et secteur privé est créée la SATT (Société d’accélération du transfert de technologies Paris-Saclay).

Mais comme l’indiquent les polémiques apparues dans la presse ou surtout le sévère rapport de la Cour des comptes du printemps 2017, ces choix se heurtent à de nombreuses difficultés (gigantisme de la structure, lourdeurs de gestion, problèmes de gouvernance, différences considérable de cultures entre grandes écoles et universités…) d’un côté, des résistances en particulier de la part de certaines écoles d’ingénieurs, dont l’École Polytechnique, qui souhaitent garder leur marque et un très large degré d’autonomie, de l’autre.

Au-delà des débats légitimes sur les enjeux et les objectifs d’un tel projet ou les rythmes de sa mise en œuvre, se retrouve posée, comme dans les années 1960/1970, une question éminemment géographique. Comment passer d’une pure logique de proximité spatiale juxtaposant un potentiel considérable mais émietté et peu cohérent à la construction d’un véritable territoire de l’innovation travaillant en synergie grâce aux renforcements des liens fonctionnels entre les différents acteurs et à la définition d’une gouvernance commune ?

 
Encadré 1. Les conditions de réussite du projet de « cluster »

Sans qu’un modèle unique de « cluster » puisse être défini, un tel projet suppose la réunion des caractéristiques suivantes : proximité d’une métropole de rang mondial ; présence d’une université de recherche intensive ; concentration d’établissements d’enseignements supérieurs et de centres de recherche publics et privés ; mise en réseau des chercheurs et des compétences ; écosystème favorable à l’innovation, à l’entreprenariat et au développement économique ; facilités de communication ; lieux de vie attractifs et bien desservis par les transports.

Source : Rapport de la Cour des comptes, 2017, p. 404.

 
 
L'implantation des établissements de recherche et d'enseignement supérieur sur le site de Saclay

schéma saclay cour des comptes

Source : Cour des comptes, 2016

 

2. L’établissement d’aménagement Paris-Saclay : une grande opération d’aménagement et d’urbanisme impulsée par l’État

La création volontariste de ce cluster de rang mondial se traduit directement dans l’espace par le lancement d’une grande opération d’aménagement et d’urbanisme. Pour la définir, l’impulser et la mettre en œuvre, la puissance publique, c’est-à-dire ici l’État, se dote d’un établissement d’aménagement dont les compétences sont très larges et qui dérogent au droit commun.

2.1. La création de l’Établissement Public d’Aménagement Paris-Saclay

Le projet de cluster Paris-Saclay s’accompagne de la création d’un établissement public d’aménagement, l’ÉPA Paris-Saclay (ÉPAPS), qui est présidé depuis mars 2016 par la Présidente du Conseil régional d’Île-de-France. Il est chargé d’impulser et de coordonner le développement immobilier et urbain du projet à la suite d’un CIACT (Comité interministériel d’aménagement et de compétitivité des territoires) tenu en mars 2006. Il a aussi pour mission de favoriser le développement économique du territoire (création d’incubateurs, de pépinières et d’hôtel d’entreprises…).

Ce projet s’inscrit lui-même dans un cadre beaucoup plus large qui voit l’État multiplier depuis quinze à vingt ans les grandes opérations d’aménagement de l’espace francilien (Seine-Amont, Seine-Aval, Plaine de France…). Inscrivant son action dans la longue durée, c’est à dire deux à trois décennies, l’ÉPA Paris-Saclay est doté en mai 2009 d’importants moyens financiers dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA). Il dispose ainsi en 2017 d’un budget de 89 millions d’euros, essentiellement assuré par la vente des droits à construire. 

 
Localisation de l’ÉPA Paris Saclay en Île-de-France 

Carte : Saclay en Ile de France : préfecture d'IDFsource : Préfecture de l’Île-de-France, 2014

 

2.2. La création d’un campus appartenant aux dix premiers campus mondiaux

Le projet de Campus Paris-Saclay prévoit au total la construction de 1,7 million de m² de surfaces sur 562 hectares. La création de ce campus polynucléaire s’appuie à la fois sur les grands chantiers lancés pour accueillir les nouveaux établissements publics qui arrivent progressivement, sur la construction de nouveaux projets mutualisés (infrastructures sportives, nouvelles bibliothèques, onze restaurants universitaires…) et, enfin, sur la construction de logements et d’infrastructures de transport.

Dans le logement, l’objectif est d’accueillir et de loger sur place une population stable à travers la construction de plus de 5 200 logements familiaux et 5 900 lits étudiants. Concernant les transports, qui constituent aujourd’hui un véritable goulet d’étranglement du fait de leur déficience, la nouvelle ligne de métro automatique 18 Orly–Massy–Versailles de 35 km devrait être opérationnelle en 2024 dans le cadre du programme « Grand Paris Express » conduit par la Société du Grand Paris alors que la ligne du RER B Sud bénéficie de 500 millions d’euros pour sa rénovation. Enfin, trois zones d’aménagement concerté (ZAC) vont voir le jour autour de Polytechnique, Supelec et Versailles-Satory.

Ce processus d’urbanisation va bien sûr en retour accélérer la montée des prix immobiliers et la pression urbaine sur un espace encore en large partie agricole mais confronté depuis plusieurs décennies à l’étalement urbain. Dans ce cadre, une zone de protection naturelle agricole et forestière de 4 115 hectares est sanctuarisée par un décret de décembre 2013 alors que l’État négocie avec les collectivités territoriales concernées des contrats de développement territorial (CDT).

2.3. L’aménagement : une opération géopolitique lourde et complexe

Pour autant, le projet Paris-Saclay se heurte à de nombreuses difficultés. Il mobilise ou fait appel à une multiplicité d’acteurs publics, en particulier les collectivités territoriales (communes, intercommunalités, départements, région Île-de-France), et privés dont les compétences, les périmètres d’action, les moyens et, souvent, les intérêts sont différents, voire parfois contradictoires.

L’espace de compétence de l’établissement public d’aménagement, l’ÉPA Paris-Saclay (ÉPAPS) se décline donc à trois échelles différentes mais emboitées pour des raisons historiques : premièrement la grande opération Campus qui se déploie prioritairement sur le pôle de Saclay et ses annexes immédiats, deuxièmement le périmètre de l’OIN (Opération d’intérêt national, voir encadré 2) qui représente environ la moitié de son territoire et, enfin, troisièmement son espace propre d’intervention sensiblement plus large à celui du OIN. En effet, entre novembre 2005 et mars 2009, le gouvernement a lancé la création d’un OIN qui couvre 7 700 ha à cheval sur les deux départements et qui concerne trois communautés d’agglomération, ces intercommunalités regroupant 27 communes.

 
L'imbrication des périmètres de l'OIN, de l'ÉPAPS et du campus de Paris-Saclay

Carte imbrication des périmètres OIN, EPAPS, campus de Paris-Saclay

Source : Cour des comptes, 2016

 

Cette situation institutionnelle et administrative explique la difficulté qu’a rencontré l’ÉPAPS à définir une stratégie d’ensemble face à ces enjeux de gouvernance qui pose des questions de géopolitique locale toutes à fait spécifiques. C’est d’ailleurs pourquoi le rapport de la Cour des comptes souligne les carences de pilotage global que rencontre aujourd’hui le projet puisqu’aucune structure de décision ne réunit de manière opérationnelle l’ensemble des parties prenantes (État, fondation, COMUE, ÉPAPS, collectivités territoriales, acteurs économiques) alors que l’ÉPAPS peine à jouer pleinement son rôle. 

 

 

 

Encadré 2. Les Opérations d’intérêt national (OIN)

Une opération d’intérêt national (OIN) est une opération d’urbanisme à laquelle s’applique un régime juridique particulier en raison de son intérêt majeur. L’État conserve dans ces zones la maîtrise de la politique d’urbanisme. Dans un OIN, c’est l’État et non la commune qui délivre les autorisations d’occupation des sols et en particulier les permis de construire. De même, c’est le préfet, et non la commune, qui décide de la création d’une zone d’aménagement concertée (ZAC) à l’intérieur d’un OIN. La liste des OIN est fixée par décret. On trouve en Île-de-France 7 OIN : La Défense-Seine Arche, Plaine de France entre le Bourget et Roissy, Marne la Vallée, Sénart, Orly-Rungis-Seine Amont, Paris-Saclay et Mantois-Seine Aval

Source : d’après le Rapport de la Cour des comptes, 2017, p. 412. 

 

3. Paris-Saclay : un fort dynamisme démographique et social d’un espace riche

Pour comprendre au mieux l’enjeu que représente le projet Paris-Saclay, il convient de le recontextualiser dans son territoire d’insertion. L’intérêt d’une étude géographique des systèmes productifs est d’articuler dans une logique systémique le dynamisme économique et productif avec la dynamique sociale et sociétale (évolutions démographiques, de la population active, des catégories socio-professionnelles…). Car les questions d’emploi, de chômage ou de travail, de spécialisation sectorielle et fonctionnelle sont au cœur des grands enjeux et des grands débats contemporains concernant les territoires, leurs dynamiques, leur degré d’attractivité, leurs niveaux de fractures et les logiques de solidarité à promouvoir.

3.1. Une augmentation de 40 % de la population en quarante ans

En quatre décennies, cet espace de la seconde couronne francilienne connaît une très sensible croissance démographique et urbaine. Il voit en effet sa population augmenter de 40 %, en passant de 313 300 à 439 000 habitants entre 1975 et 2013 (+155 000 hab.) pour regrouper aujourd’hui 3,6 % de la population francilienne. Si les principaux pôles urbains (Versailles, Massy, Montigny, Palaiseau, Trappes…) gardent un rôle majeur dans la structuration de l’ensemble, une large partie de la croissance est aujourd’hui captée par les petites communes périurbaines et rurales (cf. tableau 1). Ce fort dynamisme démographique y explique une forte urbanisation, en particulier sous forme pavillonnaire, puisque le nombre de logements y augmente de 138 % durant la même période.

 
Tableau 1. Évolution de la population communale de 1975 à 2013
Commune Dept. 1975 1990 1999 2013 différence diff. en %
Versailles 78 94 145 87 789 85 726 87 434 −6 711 −7 %
Montigny-le-Bretonneux 78 1 550 31 687 35 216 34 209 +32 659 +2107 %
Trappes 78 22 895 30 878 28 812 31 327 +8 432 +37 % %
Guyancourt 78 3 450 18 307 25 079 28 081 +24 631 +714 %
Élancourt 78 10 629 22 584 26 655 26 697 +16 068 +151 %
Magny-les-Hameaux 78 2 902 7 800 8 769 9 239 +6 337 +218,5 %
Jouy-en-Josas 78 7 221 7 687 7 946 8 475 +1 254 +17,5 %
La Verrière 78 6 219 6 187 6 053 6 083 −136 −2 %
Buc 78 3 908 5 434 5 764 5 792 +1 884 +48 %
Les Loges-en-Josas 78 1 345 1 506 1 451 1 581 +236 +17,5 %
Châteaufort 78 812 1 427 1 453 1 449 +637 +78,5 %
Toussus-le-Noble 78 174 686 659 1 185 +1 011 +581 %
Massy 91 41 344 38 574 37 712 46 649 +5 305 +13 %
Palaiseau 91 28 716 28 395 28 965 32 203 +3 487 +12 %
Les Ulis 91 20 316 27 197 25 785 25 146 +4 830 +24 %
Gif-sur-Yvette 91 12 945 19 754 21 364 21 359 +8 414 +65 %
Chilly-Mazarin 91 16 236 16 939 17 737 19 701 +3 465 +21 %
Orsay 91 13 530 14 849 16 236 16 496 +2 966 +22 %
Villebon-sur-Yvette 91 7 234 9 080 9 373 10 557 +3 323 +46 %
Bures-sur-Yvette 91 6 870 9 227 9 679 9 925 +3 055 +44,5 %
Bièvres 91 4 133 4 209 4 034 4 583 +450 +11 %
Champlan 91 2 421 2 491 2 458 2 708 +287 +12 %
Villejust 91 889 1 324 1 655 2 296 +1 407 +158 %
Vauhallan 91 1 856 1 795 2 058 1 984 +128 +7 %
Saclay 91 1 201 1 496 1 664 1 818 +617 +51,5 %
Villiers-le-Bâcle 91 225 953 1 093 1 261 +1 036 +460,5 %
Saint-Aubin 91 153 736 694 718 +565 +369 %
TOTAL   313 319 398 991 414 090 438 956 +125 637 +40 %

Source : Insee, population communale

 

Cette dynamique démographique s’accompagne d’un fort dynamisme social dont témoigne la structure socio-professionnelle tout à fait spécifique de la population active résidente. Face à la marginalité des exploitants agricoles (0,1 %) et à la sous-représentation des ouvriers (11,6 %), le poids des employés est assez important (25 %) tout comme celui des professions dites intermédiaires (26,7 %).

Mais le facteur structurel le plus considérable réside dans la nette surreprésentation des cadres et des professions intellectuelles supérieures (33 % de la population résidente) qui y sont donc la catégorie sociale en position hégémonique socialement, culturellement, économiquement et politiquement. Cette orientation résidentielle, qui se dessine dès les années 1960-1970, s’explique à la fois par la qualité du cadre de vie et par l’offre d’emplois liée aux orientations sectorielles et fonctionnelles du tissu productif. Elle participe largement des très puissantes logiques de ségrégations sociales, résidentielles et fonctionnelles qui structurent aujourd’hui l’agglomération parisienne et, plus largement, l’ensemble de l’espace francilien. 

 

Le golf de Saint-Aubin entre CNRS, CEA et Synchrotron

vue aérienne golf de Saint Aubin

Source : Google maps, 2017. Coordonnées : 48°71'6,85" N, 2°14'04,04" E

Le campus de l'École polytechnique à Palaiseau

Collections École Polytechnique / Barande, 2013, voir en très grand.
Coordonnées : 48°42'6,6? N, 2°11'53,25? E

 

3.2. Un pôle d’emploi dynamique fortement spécialisé dans les cadres et professions intellectuelles supérieures

Cette dynamique démographique et urbaine est étroitement corrélée au fort dynamisme du marché du travail d’un côté, aux considérables mutations sectorielles et fonctionnelles de l’appareil productif de l’autre. Représentant un pôle de 263 000 emplois en 2013, cet espace joue en effet un rôle considérable dans l’organisation économique et productive francilienne, non pas tant par les effectifs globaux concernés (4,3 % emploi francilien) que par la qualité fonctionnelle des emplois qui s’y trouvent (cf. tableau n° 2).

En effet, face au poids très faible des agriculteurs (0,1 %, 108 exploitations agricoles) et des artisans-commerçants (3 %), les emplois d’ouvriers y sont peu nombreux (11,2 %) et les employés d’un poids moyen (21 %) face aux professions intermédiaires (27,4 %). Mais c’est surtout le rôle majeur occupé par les cadres et professions intellectuelles supérieures (37,2 % emploi total au lieu de travail) qui caractérise le mieux l’orientation productive du territoire et sa très forte spécialisation fonctionnelle. 

 
Encadré 3. L'usage majoritaire de l'automobile

L’accès au plateau en voiture particulière, une pratique majoritaire.
La voiture est le mode le plus utilisé par les salariés pour accéder au plateau (la part modale est de l’ordre de 75—80%). On observe une congestion très importante aux heures de pointe sur les grands axes routiers quadrillant le plateau (RN118, RD36, RD306, RD128). Cette forte concentration des flux est liée au déficit d’infrastructures routières majeures dans le sud-ouest de l’Île-de-France. Les grandes charges de trafic de transit et à destination saturent les points d’entrée au plateau que constituent les échangeurs du Christ de Saclay, de Corbeville, le rond-point de Saint-Aubin et la montée sur le plateau par la RD36 à Palaiseau. Ces quatre portes d’entrée sont à réaménager afin de permettre un accès fluide au plateau.

Source : ÉPAPS

Un territoire mal desservi

Carte RER Saclay

Les deux lignes de RER C et B contournent le plateau de Saclay au centre-gauche de l'image. Source : Terre & Cité, Saclay carte ouverte.

 

Alors qu’une partie non négligeable de la population active résidente travaille à l’extérieur du périmètre de Paris-Saclay, ce territoire attire en retour un nombre important d’actifs non-résidents, en particulier les cadres et ingénieurs. L’ampleur des mobilités alternantes journalières entre lieux de résidence et lieu de travail et la relative faiblesse des réseaux de transports en commun y expliquent parfois la forte congestion des infrastructures, en particulier routières, aux heures de pointe.

 
Tableau 2. Évolution de la population communale de 1975 à 2013
  Pop. active résidente % Pop. active travaillant %
Agriculteur 62 0,1 % 86 0,1 %
Artisans commerçants 7 199 3,3 % 8 207 3 %
Cadres et prof. intel. sup.  70 911 33,2 % 97 838 37,2 %
Professions intermédiaires 57 567 26,7 % 72 176 27,4 %
Employés 53 567 25,1 % 55 109 21 %
Ouvriers 24 874 11,6 % 29 549 11,2 %
TOTAL 213 752 100 % 262 965 100 %

Source : Insee, population communale

 

Du fait de sa spécialisation, ce territoire présente les taux de chômage parmi les plus faibles d’Île-de-France et de France (4,7 à 6,5 % des actifs en 2015), tout comme les zones d’emplois de Plaisir, Houdan et Rambouillet au sud-ouest de l’agglomération, très loin donc des difficultés à la fois de la Seine-Saint-Denis et des franges périphériques en crise comme les zones d’emplois de Mantes-la-Jolie, Meaux, Provins, Montereau-Fault-Yonne…).

Du fait de ses orientations fonctionnelles et sociales, ce territoire bénéficie globalement de hauts revenus (cf. tableau 3) puisque, selon l’Insee, le niveau moyen des salaires des cadres est deux fois plus élevé en France que celui des employés. La médiane du niveau de vie des habitants de la communauté d’agglomération Versailles Grand Parc est ainsi deux fois plus élevée que celle de la Plaine Commune en Seine St-Denis, une des collectivités les plus pauvres d’Île-de-France. 70 % à 80 % des ménages sont ainsi imposés donc solvables, contre seulement 44 % à La Plaine Commune. De même, le taux de pauvreté va de seulement 6 % à Versailles Grand Parc à 12 % à Saint-Quentin-en-Yvelines, du fait de la présence dans cette dernière de villes assez pauvres comme Trappes, contre 36 % à La Plaine Commune.

 
Tableau 3. Un espace globalement riche et à forts revenus : les trois grandes intercommunalités
  CA Versailles Grand Parc  CA du Plateau
de Saclay
CA de Saint-Quentin
-en-Yvelines
CA Plaine Commune
(Seine-Saint-Denis)
Médiane du
niveau de vie
29 473 € 27 056 € 23 013 € 14 473 €
Part de ménages
fiscaux imposés
80,6 % 77,4 % 71,2 % 36,1 %
Taux de pauvreté 6,1 % 8,1 % 12,1 % 36,1 %
% Salaires, traitements, chômage 78,4 % 79,6 % 87,2 % 76,2 %
% Retraites et pensions 24 % 25,1 % 17,7 % 17,8 %
% Revenus du capital 15 % 11,9 % 7,2 % 5 %

Source : Insee, Fichier localisé social et fiscal année 2013.

 

Les données fournies par l’Insee à l’échelle communale, lorsqu’elles ne sont pas couvertes par le secret statistique (cf. cases blanches du tableau 4) permettent d’affiner cette première approche. Comme nous venons de le voir à l’échelle régionale, les processus de ségrégation sociale et résidentielle sont aussi considérables au sein même de l’espace de Paris-Saclay, qui demeure cependant globalement un des espaces les plus riches d’Île-de-France. Ainsi, le revenu moyen par unité de consommation des ménages est 2,8 fois supérieur aux Loges-en-Josas qu’à Trappes, et le revenu annuel par unité de consommation des 10 % des ménages les plus riches de Jouy-en-Josas est de 15 fois supérieur aux revenus des 10 % les plus pauvres de Trappes.

 
Tableau 4. Les revenus déclarés par unité de consommation par commune
Commune % ménages imposés Médiane en € 10 % moins riches en € 10% les + riches en € Part salaires et traitements hors chômage % Part des indemnités de chômage % Part des revenus d'activités non salariées % Part des pensions, retraite, rentes % Part autres revenus %
Les Loges-en-Josas - 40 304 - - - - - - -
Saint-Aubin - 39 498 - - - - - - -
Vauhallan - 37 026 - - - - - - -
Châteaufort - 36 240 - - - - - - -
Jouy-en-Josas 84,5 36 202 16 022 71 632 66,1 1,7 4,3 21,5 6,4
Gif-sur-Yvette 86,2 35 380 15 762 66 494 65,8 1,8 3,1 23,9 5,4
Toussus-le-Noble ? 35 354 - - - - - - -
Bièvres 84,6 34 658 15 528 71 604 67,5 2,0 5,2 19,0 6,3
Buc 85,5 34 328 15 702 65 364 66,5 1,7 3,9 22,3 5,6
Saclay 86,8 34 214 17 108 61 104 76,8 1,9 2,5 15,3 3,5
Bures-sur-Yvette 86,1 33 644 16 310 60 946 65,4 1,8 2,6 25,5 4,7
Villiers-le-Bâcle ? 33 418 - - - - - - -
Orsay 82,7 32 726 14 780 60 664 64,4 1,6 4,2 24,1 5,7
Versailles 80,3 31 782 12 926 68 710 64,2 1,8 4,2 21,9 7,9
Montigny-le-Bretonneux 82,2 29 508 12 646 50 920 78,5 2,3 1,9 14,8 2,5
Villebon-sur-Yvette 83,3 28 854 14 150 50 066 69,7 2,0 2,3 22,6 3,4
Villejust 80,9 27 988 14 432 46 498 75,9 2,3 2,3 13,2 6,3
Palaiseau 77,5 27 832 10 772 51 906 69,1 2,1 2,7 21,3 4,8
Magny-les-Hameaux 77,1 27 104 11 278 49 562 74,8 2,2 2,8 17,5 2,7
Élancourt 74,1 24 168 8 854 43 096 73,2 2,9 1,7 20,0 2,2
Guyancourt 73,2 23 910 9 208 45 256 80,9 2,7 2,0 12,6 1,8
Champlan 75,1 23 444 11 206 42 004 67,5 2,5 2,6 22,6 4,8
Massy 71,4 22 837 7 566 43 152 75,3 2,6 1,9 18,1 2,1
Chilly-Mazarin 71,2 22 424 7 788 40 360 70,7 2,9 1,9 20,8 3,7
Les Ulis 57,7 17 074 6 042 34 344 73,3 3,7 1,0 20,6 1,4
La Verrière 52,2 15 434 4 748 33 270 71,1 4,2 1,2 21,6 1,9
Trappes 48,2 14 220 4 820 29 066 74,8 5,3 1,0 17,9 1,0

Source : Insee, Fichier localisé social et fiscal année 2013

 
Carte du revenu médian en Île-de-France et détail les communes au sud-ouest de Paris
 

Carte du revenu médian en Île-de-France et zoom sur le Sud-Ouest

Sources : Insee, Direction générale des finances publiques, 2010
et Insee, Observatoire des terriotires 2013

 

Les prix fonciers et immobiliers dans le territoire de Paris-Saclay sont donc souvent élevés, voire parfois dans certaines communes très élevés. Dans une logique de marché, ils favorisent du fait de la faiblesse du parc d’habitat social un processus d’éviction des catégories sociales les moins solvables dans un espace rare, donc cher et très concurrentiel.

4. La forte spécialisation fonctionnelle du tissu productif

4.1. L’approche des emplois par fonction : une grande nouveauté conceptuelle

Parallèlement à la répartition traditionnelle de l’emploi par grandes branches économiques (agriculture, industrie, services aux entreprises, services aux particuliers…), elles-mêmes segmentées en secteurs d’activités plus fins (cf. industrie : agroalimentaire, automobile, aéronautique, électronique…), l’Insee a développé ces dernières décennies une analyse fonctionnelle des emplois.

Fondée sur le regroupement des professions exercées par les actifs ayant un emploi, cette grille d’analyse a pour objectif de faire apparaître 15 grandes fonctions transversales aux secteurs d’activités (administration publique, agriculture, conception-recherche, éducation, fabrication, gestion, prestation intellectuelles…).

Grâce aux données très fines produites par l’Insee, cette approche de l’organisation territoriale des dynamiques économiques et productives peut être déclinée aux échelles nationale, régionale, sous-régionale et locale. Ces données permettent donc d’étudier finement le système productif (échelles nationale et régionale), le tissu productif (espace sous-régional comme ici pour Paris-Saclay) et le potentiel productif (échelle locale).

 
Encadré 4. Approche méthodologique : l’approche des emplois par fonctions, une grande nouveauté conceptuelle
Traditionnellement, depuis Colin Clark (1947), la répartition de l'emploi sur le territoire est le plus souvent analysée en fonction d'un découpage sectoriel plus ou moins fin organisé par une trilogie qui correspond à l'activité principale exercée par les établissements : primaire, secondaire et tertiaire. Celle-ci, qui est élaborée entre 1930 et 1950, reflète les structures économiques et productives nées de la Seconde révolution industrielle : le primaire regroupe alors la production de matières premières (mines, agriculture, forêts) et le secondaire leur transformation par l'industrie manufacturière. Dans le système de Colin Clark, le tertiaire fonctionne comme une « poubelle » statistique et conceptuelle dans laquelle on classe par défaut tout ce qui n'est pas primaire et secondaire. Du fait des profondes mutations des systèmes productifs, il représente aujourd'hui 70 à 80 % de l'emploi et du PIB dans les pays hautement développés. Cette trilogie, encore très largement utilisée car très simple, est donc largement obsolète pour analyser et comprendre les mutations contemporaines.
 

Si le classement par grandes activités est indispensable pour analyser les dynamiques économiques et sociales des territoires, il s’avère aujourd’hui insuffisant pour bien comprendre les mutations à l’œuvre. En effet par exemple, un établissement classé dans l’automobile et considéré comme industriel peut être soit un siège social, soit un centre de recherche, soit une usine de montage ou un centre de stockage et de distribution logistique. De même, à l’inverse, le pôle de la Défense – qui est spécialisé dans l’accueil des sièges sociaux des grandes entreprises, donc dans les fonctions de gestion – voit ceux-ci ventilés entre les branches industrielles ou les services (banque, assurances…) selon le rattachement de l’entreprise à tel ou tel secteur. On peut donc considérer le pôle de La Défense comme … un grand pôle industriel, mais on conviendra facilement que cette première approche sectorielle doit être complétée par une approche fonctionnelle.

C’est pourquoi à la suite des travaux d’universitaires, en particulier de géographes (cf. F. Damette et J. Scheibling dans le cadre de l’équipe GSP-Strates de Paris I dès les années 1980) ou d’économistes spatiaux (cf. Laurent Davezies dans les années 2000), l’Insee a développé depuis plusieurs décennies une approche de l’emploi par grandes fonctions. Dans cette démarche, les territoires sont analysés avec une approche transversale aux secteurs d'activité traditionnellement utilisés, les actifs étant ainsi répartis en 15 fonctions définies à partir de la profession réellement exercée (cf. tableau 6). Certaines d'entre elles interviennent dans les différentes étapes de la production, d'autres sont plutôt tournées vers les services à la population. Les fonctions sont également transversales par rapport au statut (indépendant ou salarié, public ou privé) et peuvent associer plusieurs niveaux de qualification. Par exemple, la fonction fabrication peut ainsi réunir à la fois un ingénieur, un technicien et un ouvrier.

Dans ce contexte, l’équipe des géographes de GSP Strates a proposé d’identifier deux grandes sphères d’emplois : premièrement, la « sphère de la production », elle-même composée de la « production concrète », de la « production abstraite » et du « commerce interentreprises, des transports et de la logistique » ; deuxièmement la « sphère de la reproduction », en y distinguant la « reproduction publique » et la « reproduction privée ». Pour sa part, Laurent Davezies, dont les travaux portent sur les moteurs de la production et de la circulation de la richesse dans les territoires, a développé les concepts d’ « économie productive » et d’ « économie résidentielle » en proposant d’identifier quatre grands types de territoires selon l’origine du type dominant de revenus qui l’irrigue : « territoires à base productive », « territoires à base publique », « territoires à base sociale » et « territoires à base résidentielle ». D’après cette approche, Paris-Saclay est bien un territoire à base productive.

Ces outils et concepts se sont aujourd’hui largement diffusés et sont largement mobilisés dans les travaux sur les mutations économiques et sociales des territoires pavant la France. De nombreux travaux de l’Insee, nationaux ou régionaux et locaux, les utilisent.

 

Cette approche par fonctions est complétée par la création par l’Insee d’un nouveau concept, celui de « cadres des fonctions métropolitaines » qui sont définis comme des emplois stratégiques jouant un rôle majeur dans le rayonnement et l’attractivité d’un territoire. Cet outil permet en particulier de travailler sur le processus de « métropolisation » qui peut être défini comme la concentration dans les grandes métropoles en haut de la hiérarchie urbaine – régionale, nationale, continentale ou mondiale – des emplois et des fonctions les plus stratégiques. 

 
Encadré 5. Approche méthodologique : les cadres des fonctions métropolitaines

En cohérence avec l’analyse transversale par grandes fonctions, l’Insee a défini cinq « fonctions métropolitaines », du fait de leur forte polarisation spécifique au sein des grandes aires urbaines : conception-recherche, prestations intellectuelles, commerce inter-entreprises, gestion et culture-loisirs. Car la répartition spatiale des fonctions n'est pas homogène sur les territoires puisqu’elles s’organisent largement selon la hiérarchie urbaine, nationale et régionale. Au sein des emplois des « fonctions métropolitaines », l’Insee a ensuite développé le concept d' « emploi stratégique » en retenant les « cadres des fonctions métropolitaines » (CFM). Ces emplois « stratégiques » sont définis comme les cadres et les chefs d'entreprises de 10 salariés ou plus des cinq fonctions métropolitaines. La notion de « cadre des fonctions métropolitaines » est un nouveau concept qui remplace l’ancienne notion d' « emploi métropolitain supérieur » (EMS). La présence d'emplois « stratégiques » est utilisée dans l'approche du rayonnement ou de l'attractivité d'un territoire. Ces outils et concepts sont aujourd’hui largement utilisés dans les travaux de l’Insee. 

Source : d’après Insee

 

Si le processus de métropolisation est d’abord étudié à l’échelle des grandes aires urbaines et métropolitaines, en particulier par exemple à travers le poids et le rôle de Paris et de l’Île-de-France aux échelles de la France et de l’Europe, il peut et doit aussi être décliné à l’échelle intra-métropolitaine comme en témoigne l’exemple de Paris-Saclay.

En trente ans, le nombre de cadres des fonctions métropolitaines (CFM) y connaît une croissance considérable en passant de 18 300 à 69 100 postes (+50 700 postes, +275 %). Surtout, les CFM y passent de 12 % à 26 % de l’emploi total. Dans de nombreuses communes, ils représentent dorénavant souvent entre un quart et plus du tiers de l’emploi total. À l’échelle régionale, le territoire de Paris-Saclay est, avec Paris et les Hauts-de-Seine, un des sous-espaces franciliens qui bénéficie le plus du processus de métropolisation.

 
Tableau 5. La montée des emplois de cadres des fonctions métropolitaines (CFM) par commune dans le territoire de Paris-Saclay
  CFM* 1982 CFM* 2013 Différence 1982/2013 % emploi total 1982 % emploi total 2013
Guyancourt 332 13 017 +12 685 13 % 39 %
Massy 2 108 8 375 +6 267 10 % 29 %
Montigny-le-Bretonneux 1 044 6 908 +5 864 19 % 31 %
Versailles 2 896 6 445 +3 549 6 % 14 %
Les Ulis 1 300 4 994 +3 694 17 % 28 %
Élancourt 172 4 622 +4 450 7 % 36 %
Gif-sur-Yvette 1 944 3 660 +1 716 30 % 39 %
Palaiseau 968 3 365 +2 397 11 % 26 %
Trappes 1 424 3 059 +1 635 10 % 17 %
Orsay 2 644 2 833 +189 20 % 26 %
Buc 788 1 781 +993 18 % 27 %
Chilly-Mazarin 448 1 723 +1 275 9 % 16 %
Villebon-sur-Yvette 108 1 669 +1 561 7 % 24 %
Saclay 1 096 1 646 +550 20 % 33 %
13 autres communes 1 116 2 488 +1372 NS NS
Total 18 388 69 133 +50 745 12 % 26 %

*CMF : cadres des fonctions métropolitaines

Source : Insee 2016, Analyse fonctionnelle des emplois au lieu de travail

 

4.2. Les spécialisations du tissu productif de Paris-Saclay

L’analyse fonctionnelle détaillée des emplois situés sur les 27 communes composant le territoire de Paris-Saclay fait apparaître la forte spécificité du tissu productif du territoire concerné (cf. tableau 6) et renseigne donc sur son rôle et sa place dans la division spatiale du travail, régionale et nationale. 

 
Niveau de vie médian

Carte niveau de vie médian Île-de-France IAU

Poids des cadres

Carte poids des cadres Île-de-France IAU

 
Taux de chômage
Carte taux de chômage Île-de-France IAU
Richesse et fiscalité
Carte richesse et fiscalité Île-de-France IAU
Source : IAU IdF 2016

En effet, la sphère de la production y joue un rôle majeur avec 59 % des emplois totaux, contre 52 % pour l’Île-de-France et 50 % pour la France. Au sein de celle-ci, les fonctions de production concrète sont assez faibles (10 %), dans la moyenne francilienne mais sensiblement plus faibles qu’à l’échelle nationale du fait du faible poids de l’agriculture et de la fonction de fabrication. De même, les fonctions de commerce interindustriel et logistique y sont assez réduites car souvent peu qualifiées et fortement consommatrices d’espace. À l’opposé, les fonctions de la production abstraite y sont surreprésentées avec 36,6 % de l’emploi total, très largement donc devant la moyenne francilienne (29 %) ou nationale (20 %). Dans cet ensemble, si la fonction de gestion n’est pas négligeable (16,9 %), ce sont surtout les fonctions de conception-recherche avec 31 000 chercheurs (11,9 % des emplois à Paris-Saclay contre 4,7 % pour l’ensemble de l’Île-de-France) et les prestations intellectuelles (7,8 % des emplois) qui jouent un rôle déterminant. On retrouve là le poids considérable de l’appareil de recherche public et privé qui s’y est développé progressivement à partir des années 1960-1970 et qui va se renforcer sensiblement dans les années à venir avec les opérations lancées cette dernière décennie. Le dynamisme de la sphère de la production se traduit géographiquement par la présence de pôles majeurs d’activités (Courtaboeuf, Massy, Saint-Quentin, Vélizy-Villacoublay…).

À l’inverse, la sphère de la reproduction publique et privée (41 % emplois), pourtant de grande qualité, occupe ici une place moindre que les moyennes régionale (48 %) ou nationale (50 %) du fait de la « surreprésentation » de la sphère productive.

 
Tableau 6. Répartition des emplois par grandes fonctions productives en 2013 en Île-de-France et dans le territoire de Paris-Saclay
  Total IDF % IDF (% France) Paris Saclay % Paris Saclay Poids Paris-Saclay en IDF
Emploi total 5 677 961 100 % 100 % 262 965 100 % 4,6 %
Sphère de la production 2 970 858 52 % 50 % 156 911 59 % 5,3 %
dont fonction prod. concrète 574 963 10,1 % 17,8 % 27 288 10 % 4,7 %
Agriculture 16 350 0,3 % 2,7 % 577 0,2 % 3,5 %
Bâtiment-Travaux Publics 251 027 4,4 % 6,5 % 9 808 3,7 % 3,9 %
Fabrication 307 586 5,4 % 8,6 % 16 902 6,4 % 5,5 %
dont fonction prod. abstraite 1 669 384 29 % 20 % 96 296 36,6 % 5,8 %
Gestion 1 042 314 18,4 % 13,3 % 44 311 16,9 % 4,3 %
Conception, Recherche 267 453 4,7 % 2,7 % 31 414 11,9 % 11,7 %
Prestations Intellectuelles 359 617 6,3 % 3,8 % 20 571 7,8 % 5,7 %
dont commerce/logistique 726 511 13 % 12 % 33 327 12,7 % 4,6 %
Commerce inter-entreprises 292 921 5,2 % 3,7 % 17 121 6,5 % 5,8 %
Transports, Logistique 433 590 7,6 % 8 % 16 206 6,2 % 3,7 %
Sphère de la reproduction 2 707 104 48 % 50 % 106 053 41 % 3,9 %
dont reproduction publique 1 237 199 22 % 23 % 54 702 21 % 4,4 %
Administration publique 523 927 9,3 % 9 % 26 619 10,1 % 5,1 %
Education, Formation 270 085 4,8 % 5,1 % 13 097 5,0 % 4,8 %
Santé, Action Sociale 443 187 7,8 % 9,3 % 14 986 5,7 % 3,4 %
dont reproduction privée 1 469 905 26 % 27 % 51 351 20 % 3,5 %
Culture, Loisirs 234 574 4,1 % 2,3 % 5 267 2,0 % 2,2 %
Distribution 359 476 6,3 % 7,5 % 12 484 4,7 % 3,5 %
Entretien, Réparation 305 992 5,4 % 7,3 % 14 756 5,6 % 4,8 %
Services de Proximité 569 863 10 % 10,2 % 18 844 7,2 % 3,3 %

Source : Insee 2016, Analyse fonctionnelle des emplois au lieu de travail.

 

Dans ce contexte, il n’est pas inintéressant pour analyser les mutations contemporaines de les réinscrire dans la longue durée historique (cf. tableau 7). Ces trente dernières années, le territoire de Paris-Saclay a vu ses emplois progresser de +68 %. Cette forte croissance est due à 64 % à la sphère de la production, dont les emplois augmentent de +76 %. Si la production concrète demeure stable, la moitié de la croissance totale de l’emploi est due à la fonction de production abstraite, c’est-à-dire au renforcement considérable du potentiel de recherche et d’innovation.

 
Tableau 7. Trente ans d’évolution de la répartition des emplois par grandes fonctions productives dans le territoire de Paris-Saclay
  1982 2013 part en 1982 part en 2013 Diff. emplois 1982/2013 Diff en % part dans la croissance 1982/2013
Emploi total 156 324 262 960 100 % 100 % +106 636 +68 % 100 %
Sphère de la production 89 116 156 907 57,0 % 59,7 % +67 791 +76 % 64 %
dont fonction prod. concrète 26 948 27 288 17,2 % 10,4 % +340 +1 % 0 %
dont fonction prod. abstraite 43 220 96 296 27,6 % 36,6 % +53 076 +123 % 50 %
dont commerce/logistique 18948 33323 12,1 % 12,7 % +14 375 +76 % 13 %
Sphère de la reproduction 67 208 106 053 43,0 % 40,3 % +38 845 +58 % 36 %
dont reproduction publique 35 488 54 702 22,7 % 20,8 % +19 214 +54 % 18 %
dont reproduction privée 31720 51351 20,3 % 19,5 % +19 631 +62 % 18 %

Source : Insee 2016, Analyse fonctionnelle des emplois au lieu de travail

 
  graphiques évolution relative et absolue des emplois des grandes fonctions productives 1982-2013  

Ce territoire a donc connu en quelques décennies un processus spectaculaire de spécialisation fonctionnel. Ainsi, dans sa zone historique centrale, l’enseignement supérieur représente 40 % des emplois d’Orsay-Gif (91), le pôle de l’École Polytechnique 63 % des emplois de Palaiseau (91) et le CEA 70 % des emplois du pôle de Saint-Aubin. Pour autant, alors que certaines communes des pôles historiques dominants (Orsay, Saclay, Gif, Trappes) voient leurs positions s’éroder ou stagner (cf. tableau 8), on assiste à l’inverse à la forte montée du potentiel de recherche dans de nouvelles communes, comme Guyancourt, Massy, Élancourt, Palaiseau, Les Ulis, Montigny, qui traduit localement un processus de diffusion débouchant sur un territoire multipolaire plus équilibré, en particulier vers l’est et vers l’ouest du dispositif. 

 
Encadré 6. La densité des liens entre l’Université Paris-Saclay et le tissu industriel

L’Université Paris-Saclay bénéficie également de l’écosystème économique et industriel unique du territoire. Elle s’inscrit dans une dynamique d’innovation et de transfert de technologie. Avec l’objectif affiché de doubler le nombre de brevets déposés d’ici dix ans, elle met en œuvre de nombreux dispositifs de valorisation : chaires industrielles, filières et programmes dédiés à l’entrepreneuriat et à l’innovation, statut d’étudiant entrepreneur ainsi qu’une société d’accélération du transfert de technologies (SATT). Elle intègre également un institut de recherche technologique, l’IRT SystemX, dans le domaine de l’ingénierie numérique des systèmes. Plusieurs de ses établissements membres sont engagés aux côtés d’industriels majeurs dans trois instituts pour la transition énergétique (ITE), Paris-Saclay efficacité énergétique, l’Institut photovoltaïque d’Île-de-France et VEDECOM (institut du véhicule décarboné et communiquant, et de sa mobilité) et dans les plateformes collaboratives : centre d’intégration nano-INNOV, programme Digitéo, Institution pour le climat et l’énergie, Institut photovoltaïque d’Île-de-France, Centre de nanosciences et nanotechnologies…

Source : Université Paris-Saclay

 

En effet, à côté des grands centres de recherches publics (Laboratoire de Métrologie et d’Essai à Trappes en 1985, EDF-Laboratoires en 2015 à Palaiseau…) et universitaires sont venus progressivement s’implanter de nombreux centres de recherche d’entreprises industrielles comme Air liquide aux Loges-en-Josas en 1970, Eramet en 1974 et D2T dans les moteurs en 1995 à Trappes, Danone à Palaiseau en 2002, Kraft Foods en 2011, Safran Aircelle à Chateaufort en 2014. On y trouve aussi de nombreux bureaux d’études spécialisés dans l’innovation et les transferts de technologies comme Bertin Technologies à Montigny en 1999.

Ce territoire compte ainsi quatre des 10 plus grands établissements de recherche du pays : Renault-Technocentre à Guyancourt (n° 1 français, 9 500 salariés), Peugeot SA à Vélizy (n° 3, 5 400 salariés), Thales à Vélizy (n° 4, 3 560 salariés) et Sagem à Massy (n° 10, 2 000 salariés).

L'atrium du site Digiteo du C.E.A. de Saclay

L’atrium du site Digiteo du Commissariat à l'Énergie Atomique et aux énergies alternatives. Source : Visite guidée de Digiteo, cliché Didier Touzeau/CEA, 2014

EDF lab Paris-Saclay photographie

Bâtiments de l'EDF Lab inaugurés en 2015, image ÉPA Paris-Saclay / DronePress, Source : plaquette de présentation de l'EDF Lab. (PDF)

Un des cas les plus emblématiques de la réorganisation fonctionnelle du territoire productif francilien demeure sans doute l’exemple de l’automobile : si les sièges sociaux de Renault et Peugeot demeurent en zone centrale (Paris et Boulogne-Billancourt) et que les usines et l’emploi ouvrier de production sont localisés sur la Vallée de la Seine (Poissy, Flins…), la fonction recherche est donc polarisée sur Paris-Saclay : Peugeot s’implante à Vélizy (78) dès 1966 alors que Renault inaugure son Technocentre de Guyancourt (78) en 1998. Enfin, comme l’indiquent les implantations des sièges sociaux de Dassault Système à Vélizy et du groupe Carrefour à Massy sur deux grands « campus d’entreprise », les fonctions de gestion se renforcent aussi.

 
Tableau 8. Trente ans d’évolution de la répartition des emplois par grandes fonctions productives dans le territoire de Paris-Saclay : la montée de l'emploi de la fonction conception-recherche
  Total 1982 Total 2013 Différence
Guyancourt 144 6 391 +6 247
Massy 1 920 3 544 +1 624
Gif-sur-Yvette 2 564 2 849 +285
Élancourt 16 2 426 +2 410
Palaiseau 504 2 057 +1 553
Orsay 3 000 2 040 −960
Les Ulis 640 1 878 +1 238
Versailles 824 1 796 +972
Montigny-le-Bretonneux 516 1 674 +1 158
Saclay 1 664 1 536 −128
Trappes 1 000 1 032 +32
16 autres communes 1 676 4 191 +2 515
Total Paris-Saclay 14 468 31 414 +16 946

Source : Insee 2016, Analyse fonctionnelle des emplois au lieu de travail

 
graphique foncions conception-recherche Paris-Saclay 1982-2013

Cette concentration exceptionnelle d’activités de recherche-développement est largement organisée par des filières stratégiques comme l’aérospatiale-défense- sécurité, l’énergie, les mobilités, les technologies de l’information ou la santé. Elles y expliquent la présence de très grandes firmes – souvent transnationales, françaises et étrangères – comme Alstom, Areva, Bull, Cap Gémini, Danone, Dassault Système, Ericsson, General Electric, Hitachi, Nokia, Nexter, Oracle, Peugeot, Renault, Safran, Sanofi, Siemens, Thales ou Valéo. Souvent, elles jouent un rôle actif dans le développement du projet de Paris-Saclay.

Ce potentiel débouche sur une floraison de start-up favorisée par la stratégie d’essaimage des grandes institutions et des grands groupes présents d’un côté, et sur la création des nécessaires infrastructures d’accueil (une dizaine de ruches, incubateurs ou pépinières d’entreprises…) et structures de financement (fonds d’amorçage…) de l’autre. 

 
Encadré 7. L’importance des activités militaires, de défense et de sécurité

Depuis les années 1960, les activités de défense ont été au cœur du développement du tissu productif du territoire actuel de Paris-Saclay. Les activités militaires (électronique, aéronautique, spatial…) et de sécurité (guerre électronique, cybercriminalité…) mobilisent une cinquantaine d’acteurs publics et privés représentant plus de 30 000 salariés travaillant dans des établissements allant d’une dizaine à 3 500 salariés. L’organisation spatiale repose sur trois sous-ensembles : le pôle Massy/Orsay à l’est, le pôle de Vélizy au nord et une nébuleuse plus dispersée entre Versailles et Saint-Quentin-en-Yvelines à l’ouest. À côté des grandes institutions publiques (Onera, CEP, CEA) et des grands groupes industriels de taille internationale (EADS, Thales, Safran, Nexter, Renault, Zodiac, CRMA-Air France, Renault Trucks Défense…) se trouvent de nombreuses firmes de taille moyenne et des petites ou moyennes entreprises (PME) spécialisées, dont certaines sont des start-up issues, par essaimage, de la recherche publique ou des grandes groupes (Aeraccess, Nexess…).

Au plan fonctionnel, une analyse des dynamiques du tissu productif fait apparaître une très étroite imbrication entre les fonctions de « recherche-conception », de « production » et de « prestations intellectuelles » comme en témoigne, par exemple, l’importance - à côté des grands centres de recherche - des bureau d’études et d’ingénierie (conception et calculs de structures ; test et essais mécaniques, thermiques ou électromagnétiques ; analyse, essais et inspections techniques ; conception de bacs de test pour la rénovation des Mirages 2000D…).

L’entreprise III-V Lab (165 salariés) est emblématique de l’importance de ces articulations fonctionnelles et du rôle stratégique majeur joué par ce potentiel productif. Situé à Marcoussis (91), ce laboratoire est créé en 2004 par Alcatel et Thales, rejoints en 2010 par le Commissariat à l’énergie atomique. Les salles blanches de Marcoussis conçoivent et développent en petites séries des semiconducteurs très spécifiques et assure ainsi à l’Europe une source indépendante d’accès – face aux États-Unis ou à l’Asie (Japon, Taïwan) – à des composants électroniques stratégiques de très haut niveau pour les équipementiers de l’aérospatiale, des télécoms ou de la sécurité, comme les composants clés du radar à balayage électronique du Rafale). Puis, pour la production en plus gros volumes, les technologies sont transférées soit dans deux établissements voisins (Nozay et Villebon, 91), soit en Isère (Veurey-Iroise).

 
 
La filière aérospatiale, défense, sécurité, de Paris-Saclay

Carte militaire aérospatiale paris-saclay

Source : EPPS

 

Conclusion 

L’étude du projet de Paris-Saclay témoigne des profonds bouleversements économiques et productifs, sociaux et urbains que connaît le territoire français, et en particulier celui de l’Île-de-France, depuis plusieurs décennies sous les effets conjoints des profondes mutations des systèmes productifs, de l’insertion de la France dans la construction européenne et de la mondialisation. Face aux grands enjeux contemporains, la France dispose d’atouts considérables, parfois peu connus ou sous-estimés par les auteurs cédant à un penchant décliniste, et fait preuve de larges capacités d’adaptation et de transformation.

Dans ce contexte, la création politique volontariste d’un grand pôle universitaire et scientifique de « rang mondial » constitue un pari d’avenir dont le succès ou l’échec déterminera peut être le rang de l’Île-de-France et de la France dans une compétition mondiale de plus en plus prégnante. Pour autant, il ne peut à lui seul pallier les difficultés structurelles multiformes que connait le système productif national en terme de recherche et d’innovation (sous-investissement des groupes privés, faiblesses du tissu d’entreprises innovantes de tailles intermédiaires, carences de larges branches dans les biens intermédiaires ou les biens de consommation…). En France en effet, le processus de métropolisation est d’autant plus vif qu’il vise à dépasser par la concentration spatiale dans quelques métropoles les graves carences générales du pays en termes d’emplois hautement qualifiés, de recherche et d’innovation. En d’autres termes, le projet Paris-Saclay n’est-il pas, aussi, l’arbre qui cache la forêt ?

Enfin, les choix stratégiques opérés vont encore renforcer à moyen terme les processus, déjà très vigoureux et problématiques, de spécialisation fonctionnelle et sociale du territoire francilien avec un glissement encore plus marqué vers le sud et sud-ouest de l’agglomération des fonctions de conception-recherche. Alors que Paris intra-muros tend à devenir soit une ville-musée de plus en plus réservée à des élites sociales comme en témoigne le processus actuel de gentrification, soit un espace ultra-spécialisé sur quelques activités haut de gamme (banque d’affaires, services de conseil et audit, start-up de la culture et des médias, tourisme international…), les fractures territoriales multiformes qui traversent et structurent l’agglomération connaissent un essor vigoureux au prix de tensions de plus en plus vives et de dysfonctionnements croissants.

Bibliographie

Ouvrages
  • François Bost, 2015. La France. Les mutations des systèmes productifs, Paris, Armand Colin, coll. Horizons.
  • Laurent Carroué, 2013. La France. Les mutations des systèmes productifs, Paris, Armand Colin, Coll. U.
  • Laurent Carroué (dir.), 2017. La France des 13 régions, Paris, Armand Colin, coll. U (voir le chapitre 1 : L’Île-de-France).
  • Laurent Davezies, 2008. La république et ses territoires : la circulation invisible des richesses, Paris, Le Seuil, coll. La république des idées.
  • Laurent Davezies, 2012. La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale, Paris, Le Seuil, coll. La république des idées.
  • Pierre Veltz, 2017. La société hyperindustrielle. Le nouveau capitalisme productif, Paris, Le Seuil.
  • Pierre Veltz, 2015. Petite ensaclaypédie, Editions Dominique Carré/ La Découverte, Paris, 
  • Cour des comptes : « Le projet Paris-Saclay : le risque de dilution d’une grande ambitions », Rapport public annuel 2017.
Revues

Sur les clusters :

Sitographie

– Établissement public d’aménagement Paris-Saclay : on trouve sur ce site de nombreuses ressources (textes, études et analyses, cartes, plans et photos) sur la stratégie de l’ÉPAPS et sur les mutations actuelles de ce territoire (urbanisation, transport, aménagement…).
– L’APUR a aussi publié une étude détaillée sur « le tissu économique des quartiers de la gare de la Ligne 18 du métro du Grand Paris » qui va structurer cet espace (nombreuses données, graphiques et cartes).
– Un site intéressant, qui donne une bonne idée du foisonnement local d’initiatives : www.media-paris-saclay.fr

  • Cartothèques 

– Cartothèque des Images Économiques du Monde d’Armand Colin (très nombreuses cartes en téléchargement libre sur la géographie des systèmes productifs et l’analyse fonctionnelle développée dans l’article)
– Cartothèque de l’Observatoire des territoires : ex. carte de la part des cadres des fonctions métropolitaines par zones d’emplois.

  • Données bases communales de l'Insee

– L’Insee produit de nombreuses données téléchargeables à différentes échelles (communes, bassins d’emplois, unités urbaines, départements, régions) très utiles pour analyser un territoire dans la longue durée et aujourd’hui. Au delà des chercheurs, elles peuvent être aussi intéressantes à mobiliser pour les enseignants qui souhaitent travailler en classe sur les territoires quotidiens de leur établissement.
En voici quelques exemples :
- Sphère productive et sphère résidentielle de 1975 à 2013 - Analyse fonctionnelle des emplois et cadres des fonctions métropolitaines de 1982 à 2013
- Résultats des recensements de la population
- Emplois, population active et types d’emplois
- Emplois par zones d’emplois de 1998 à 2013
- Structure et distribution des revenus, inégalités des niveaux de vie en 2013
- Revenus et pauvreté des ménages en 2013 (8 niveaux géographiques, de la région à la commune)

– Documents de la Journée de formation organisée en mars 2016 par l’Académie de Nice (nombreuses cartes et textes).
– Les mutations des systèmes productifs (cadre national) : 3 documents
– Les mutations des systèmes productifs en PACA : 2 documents
– Sophia-Antipolis : les dynamiques d’un espace productif dans la mondialisation : 1 document.

  • APUR. Atelier parisien d’urbanisme

– L’Atelier Parisien d’Urbanisme livre en deux tomes une mise au point sur les regroupements intercommunaux en Île-de-France au 1er janvier 2016 et les différentes dynamiques aux échelles communales. Pour y voir en particulier un peu plus clair dans le nouveau millefeuille territorial lié aux dernières réformes.
http://www.apur.org/sites/default/files/documents/regroupements_intercommunaux_agglomeration_parisienne_dynamiques.pdf
https://www.iau-idf.fr/fileadmin/NewEtudes/Etude_1247/Recueil_carto_paris_metropole-2.pdf

Ressources pour la classe

Proposées par Boris Battais, Olivier Godard, et Julie Lesaint-Chevalier, professeurs au collège Paul Éluard de Gennes (Maine-et-Loire), ces ressources donnent des pistes d’exploitation du présent corpus documentaire :

 

 

Laurent CARROUÉ,
inspecteur général de l’Éducation nationale, directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (IFG) de Paris VIII.

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

 

Pour citer cet article :  

Laurent Carroué, « Paris-Saclay, une Silicon Valley à la française ? », Géoconfluences, mars 2017.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/la-france-des-territoires-en-mutation/articles-scientifiques/paris-saclay