Construction et échelles des réputations des établissements scolaires. Une étude des collèges publics dans le quartier des Minguettes à Vénissieux
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Depuis quelques années, il est devenu fréquent de voir des classements des meilleurs collèges en France. Accusés de favoriser l’élitisme et d’encourager la fuite des « mauvais collèges » pour les « meilleurs », ces classements contribuent à forger des réputations aux établissements, auxquelles la plupart des familles d’élèves sont sensibles.
Or, depuis les années 2000, la réputation semble jouer un rôle croissant dans les choix scolaires des familles (Van Zanten, 2009). L’omniprésence récente des classements entre établissements et la concurrence qui en découle, l’assouplissement de la sectorisation scolaire ((La sectorisation oblige tout élève à être scolarisé dans l’établissement (école, collège ou lycée) du secteur de son domicile, sauf dérogations pour des raisons précises (profession des parents, raisons médicales, déménagement). Lorsqu’elle est rigoureusement appliquée, seuls les établissements privés font apparemment concurrence au public où la réputation reste secondaire.)) et la relative libéralisation du marché scolaire français (Merle, 2011), sont autant d’évolutions qui expliquent ce phénomène. Pourtant ancienne, la notion de réputation n’a que rarement été étudiée par la géographie scolaire. Or mon terrain de recherche dans le quartier populaire des Minguettes, en banlieue de Lyon, laisse penser que la réputation joue un rôle dans la différenciation entre collèges publics. Bien que socio-spatialement proches, les collèges du Plateau ont des écarts de réussite au diplôme national du brevet (DNB) significatifs et font l’objet de discours différents de la part de ses acteurs : Paul-Éluard aurait meilleure réputation que les autres. Comment cette représentation se construit-elle ?
La réputation peut être définie comme « une représentation sociale partagée, provisoire et localisée, associée à un nom et issue d’évaluations sociales plus ou moins puissantes et formalisées » (Chauvin, 2013). Elle est construite et partagée par une communauté d’acteurs plus ou moins actifs (dans le cadre des établissements scolaires, familles, élèves, enseignants, direction, acteurs du territoire) ayant accès à diverses informations sur ces établissements. Ces informations sont les vecteurs de diffusion de la réputation et sont multiples : plus ou moins conscientes, subjectives et fiables, elles peuvent être « froides » à l’instar des résultats au DNB, classements publics des collèges, ou « chaudes » comme les rumeurs, les ressentis des familles (Van Zanten, 2009). Les acteurs interprètent différemment ces informations en fonction de leur groupe social et vécu, dans le but de comparer des services qui ne possèdent pas de critère objectif de comparaison (Karpik, 2007). Les discours des acteurs, déformés par leurs représentations socio-spatiales et leur accès aux informations, construisent et entretiennent la réputation. Or ceux-ci ont d’ailleurs naturellement tendance à penser que la réputation reflète les caractéristiques intrinsèques d’un objet (par exemple que de bons résultats au brevet indiquent une bonne réputation), omettant qu’elle est le produit de processus sociaux-historiques. C’est cette idée de « réputation-reflet » que nous devrons déconstruire en interrogeant et confrontant les discours et représentations des acteurs.
Pour cela, j’ai réalisé entre 20 et 30 entretiens semi-directifs de mars à juin 2021, avec des acteurs différents de la vie scolaire : personnels de direction, CPE, professeurs, contractuels de l’Éducation Nationale (assistant d’éducation, accompagnant des élèves en situation de handicap, assistant de prévention et de sécurité, assistant social), parents d’élèves et élèves. De grandes lignes orientaient les entretiens : présentation de l’acteur et de son métier, caractéristiques socio-spatiales du quartier, réputation de son établissement par rapport aux autres du Plateau, construction et critères de la réputation. Si certains entretiens ont eu lieu en visioconférence, la plupart se sont déroulés sur les lieux de travail des acteurs, pendant des temps de pause. À cela s’ajoute du temps informel d’observation participante au sein des collèges, notamment à Elsa-Triolet dans le cadre d’un stage comme AED.
1. Paul-Éluard et Elsa-Triolet, deux collèges si proches et si différents
Les collèges partagent peu ou prou le même environnement socio-spatial. Construit dans la décennie 1960, le quartier de grands ensembles des Minguettes compte environ 20 000 habitants et est classé quartier prioritaire de la politique de la ville. La précarité y est massive : 70 % des ménages ont de bas revenus et 49 % vivent sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage en 2012 atteignait 29,6 % à Vénissieux et effleurait les 40 % sur le plateau des Minguettes contre 14 % pour l’ensemble du Grand Lyon ; trois logements sur quatre sont des logements sociaux. Les Minguettes se caractérisent aussi par une très faible mixité sociale : en 2015, 36 % de sa population est d’origine immigrée et 82 % de ses actifs sont employés ou ouvriers (45 % dans le Grand Lyon).
Document 1. Le quartier des Minguettes (délimité en noir par ses quatre IRIS), à Vénissieux, et les deux collèges étudiés. Réalisation : Paul Bourel 2021, Géoconfluences 2023. |
Dans les collèges, on compte 53 % des élèves issus de familles défavorisées en 2018 à Éluard contre 82 % à Triolet. Le quartier est marqué par la précarité, mais aussi la délinquance et le trafic de drogue. L’insécurité et les affrontements récurrents avec les forces de l’ordre témoignent encore une fois des conditions de vie dégradées dans un contexte social violent.
Documents 2 et 3. Les collèges et leur carte scolaire à l’échelle de la métropole (document 2) et à l’échelle de Vénissieux (document 3), en fonction des revenus en euros des ménages, par IRIS. Sources : Insee, ministère de l’Éducation Nationale. Réalisation : Paul Bourel, 2021. |
Ainsi, les cartes scolaires des deux établissements semblent recouvrir des espaces où vivent des populations aux caractéristiques socio-économiques relativement similaires. Toutefois, à une échelle plus fine, la population concernée par le secteur d’Éluard paraît légèrement moins défavorisée et plus mixte que celle de Triolet (document 3). La photographie aérienne des environnements proches des collèges confirme cette idée : on observe la présence de lotissements pavillonnaires individuels avec jardins autour d’Éluard, contre une forte densité de barres et de grands ensembles autour de Triolet. Cette différence notable joue dans la différenciation de réussite et de réputation des deux collèges.
Document 4. Image satellite du tissu urbain autour des collèges Paul-Éluard et Elsa-Triolet (Source : Data Grand Lyon) |
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Document 5. Photographie du collège Paul-Éluard (Paul Bourel, 2021) |
Document 6. Photographie du collège Elsa-Triolet (Paul Bourel, 2021) |
Document 7. Dynamiques croisées des résultats des collèges des Minguettes au diplôme du brevet |
De plus, les deux collèges publics et REP+ étudiés partagent les mêmes difficultés scolaires et connaissent de grands écarts de résultats au diplôme national du brevet d’une année sur l’autre (document 7).
Les résultats en dents de scie au DNB classent les collèges en bas du classement national, la moyenne étant de 82 % de réussite dans l’académie de Lyon et 86% en France en 2019. Le retard scolaire y est aussi très présent : à la rentrée 2017, il concerne 17 % des élèves de sixième et 21,2 % des élèves de troisième scolarisés dans un collège des Minguettes (Paul-Éluard, Elsa-Triolet ou Jules-Michelet, le dernier collège du plateau des Minguettes), contre respectivement 7,5 % des sixièmes et 11,9 % des troisièmes en moyenne dans le Grand Lyon. Après avoir été scolarisé dans un collège du plateau, seul un élève sur quatre va ensuite en seconde générale et technologique.
Les collèges possèdent de nombreuses caractéristiques plus ou moins proches (localisation, nombre d’élèves et profil social, options et classes spécifiques, dates de construction) qui laisseraient penser que leurs résultats le seraient aussi. Malgré cela, des divergences réputationnelles persistent. Ces similitudes permettent donc d’isoler certaines variables pour appréhender comment les établissements se différencient, et donc comment ils gèrent leurs réputations au quotidien, dans quelles « arènes » (avec qui ? pour qui ? contre qui ?) et selon quels objectifs (Ragouet, 2000).
2. D’une réputation l’autre, d’une échelle l’autre : les effets contrastés de la réputation aux Minguettes
Tout d’abord, si la meilleure réputation du collège Paul-Éluard semblerait venir de sa plus grande mixité sociale, il s’est avéré impossible de savoir objectivement si c’est la réputation des collèges qui faisait la différence entre eux, et qui leur permettait de fil en aiguille d’avoir de meilleurs résultats. Cela tient au caractère relatif et social de réputation : la « bonne école » est une question de classe sociale et de regard. La réputation d’un collège prend des importances et des formes différentes en fonction du public qu’elle atteint, et donc ne fait que partiellement (à certains moments, lieux, pour certains publics) la différence entre les établissements.
2.1. La réputation des collèges en tant que telle, qu’elle soit bonne ou mauvaise, joue peu aux Minguettes
Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. D’abord, les collèges héritent mécaniquement de la réputation du quartier des Minguettes, marquée par la précarité et la violence dans les discours médiatiques. L’affiliation au réseau REP+ fixe l’image de collège difficile et renforce cette réputation négative. On retrouve cette idée dans les discours des personnels d’établissements des collèges :
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Ce fatalisme montre surtout à quel point la réputation joue peu pour différencier les établissements du plateau, contrairement à une autre échelle (« dans le 7e » arrondissement de Lyon). À une échelle autre que celles des Minguettes, la réputation du collège sera toujours subordonnée à celle du quartier. De plus, les collèges ne rencontrent de difficultés de recrutement de personnels que pour les postes précaires (assistants d'éducation, titulaires sur zone de remplacement). Non endémique au terrain étudié, ce phénomène atteste que la réputation joue peu.
Ensuite, la sectorisation et la faible concurrence du privé rendent la réputation inopérante dans les collèges des Minguettes. Les élèves sont d’abord sectorisés, ce qui exclut toute concurrence forte entre les collèges publics du plateau. Le faible taux de dérogations ((En 2017, le taux d’évitement moyen à Elsa-Triolet était de 21,2 % (13,3 % vers le public et 7,9 % vers le privé) et de 24 % à Éluard (17 % public et 7 % privé), contre 45,4 % dans la métropole de Lyon (11,5 % public et 33,9 % privé))) indique que la grande majorité des élèves d’Éluard et de Triolet respectent la sectorisation et habitent dans les environs des collèges. Mais d’autres facteurs entrent en jeu ; tout d’abord, les populations précaires ont en général moins tendance à déroger à la carte scolaire (confiance en la proximité, manque de ressources économiques, mauvaise connaissance du système scolaire) (Van Zanten, 2009). Les configurations locales ont aussi une importance : les collèges du plateau ne souffrent pas vraiment d’une concurrence du privé. L’établissement privé le plus proche étant assez éloigné (8e arrondissement de Lyon), y être scolarisé représente donc un coût physique et économique important pour les familles des Minguettes. Dans ce contexte, la réputation joue peu car il est rare de vouloir et de pouvoir éviter le collège du secteur.
Une autre donnée rend la réputation peu opérante aux Minguettes : la force institutionnelle et affective des circuits de scolarisation. D’abord, les deux collèges bénéficient de réseaux forts avec les écoles primaires grâce à la politique d’éducation prioritaire. Chaque collège travaille donc respectivement avec des écoles primaires (Louis-Pergaud, Gabriel-Péri, Léo-Lagrange et Charles-Perrault pour Éluard, Anatole-France et Paul-Langevin pour Triolet) pour faciliter la transition entre le CM2 et la sixième par le biais de réunions, de projets, de portes ouvertes, etc. Cela a aussi pour objectif de restreindre la potentielle fuite d’élèves du secteur, afin que les familles perçoivent comme « naturel » le passage de telle école primaire à tel collège :
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En outre, la proximité géographique et affective joue un rôle important dans le choix scolaire des familles, d’autant plus en milieu populaire. Le sentiment d’identité est très développé aux Minguettes, et le choix scolaire n’échappe pas à cette logique d’appartenance. Si passer d’une école primaire à un collège précis apparaît naturel par les liens entretenus par les établissements, cela l’est aussi pour les familles car c’est « leur collège » :
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C’est d’autant plus vrai que certains parents ont parfois été scolarisés dans un des deux collèges avant d’y scolariser leurs enfants, renforçant le caractère identitaire du choix scolaire. Chaque zone des Minguettes aurait son collège, qui semble être le « meilleur » pour les familles car c’est celui qu’elles connaissent, que leurs proches ont pu fréquenter. D’ailleurs, les familles ont plus tendance à avoir un sentiment identitaire avec leur sous-quartier, et donc le collège qui y est associé, plutôt qu’avec le quartier des Minguettes en lui-même :
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Très peu d’élèves, interrogés de manière plus informelle (pendant la récréation, à la sortie des cours), auraient préféré être scolarisés dans un autre collège que le leur. À leurs yeux, ils ont moins bonne réputation que le leur, selon des critères spécifiques (personnel éducatif et direction de meilleure qualité, meilleures infrastructures…). Les circuits de scolarisation sont institutionnalisés par les établissements et intégrés par les familles : la réputation n’a donc pas vraiment d’impact dans leur choix. Or il existe bien quelque chose qui différencie les établissements et explique les écarts de résultats : ceux qui vivent aux Minguettes les perçoivent autrement et les jugent selon d’autres critères, normes, valeurs, qui agissent à l’échelle du quartier.
2.2. Une autre forme de réputation reste toutefois indispensable pour permettre aux collèges de fonctionner et de se différencier
Cette forme particulière de réputation s’inscrit à l’échelle locale et se base sur deux aspects principaux. Premièrement, les familles des Minguettes font plus confiance aux collèges dont ils connaissent les individus plutôt qu’à d’autres critères réputationnels traditionnels comme les résultats au brevet. Cette confiance auprès des différents acteurs du territoire, et donc cette bonne image, se gagne. La faiblesse du turn over des enseignants joue beaucoup dans la construction de la confiance entre le collège et les familles. Les nouveaux arrivants doivent quant à eux être « validés » par les familles, en se faisant connaître, en étant identifié, car le scolaire n’est pas forcément un espace où elles se sentent légitimes, en raison de la mauvaise expérience scolaire des parents, de la distance sociale entre eux et les membres d’un établissement, ou de formes d’auto exclusion.
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L’interconnaissance et la communication sont donc essentielles pour donner bonne image à un établissement, car elle permet d’engager les familles dans le scolaire et de rentrer dans un « cercle vertueux », ce qui entretient la bonne image en permettant à la structure qu’est le collège de bien fonctionner :
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De plus, l’importance des rumeurs et du bouche-à-oreille montre le rôle que jouent les familles dans la construction de la réputation des collèges et donc la nécessité pour les collèges de travailler avec eux pour son image. Le risque de la mauvaise réputation des collèges aux Minguettes est donc moins la fuite des élèves vers le privé, mais bien de rendre le travail quotidien plus délicat en ne faisant plus participer les familles et donc les élèves, ce qui sur le long terme peut aussi affecter les résultats au DNB.
Deuxièmement, pour qu’un collège fonctionne et soit bien vu par les familles aux Minguettes, il doit nécessairement se donner des « missions » spécifiques au quartier et dépasser le purement scolaire, sans toutefois apparaître comme « exceptionnel » aux yeux des familles et élèves. Ces missions sont de plusieurs ordres : sociale, protectrice et socialisatrice.
Très souvent, dans leurs discours, les acteurs du terrain étudié considèrent que leur tâche scolaire et éducative est nécessairement différente d’un autre établissement du fait de sa localisation et sa population particulières. De la direction aux professeurs, les acteurs de REP+ se distinguent donc volontairement des établissements « normaux », par une volonté sociale et une capacité d’adaptation aux spécificités spatiales des Minguettes :
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Qu’elle puisse faire réussir leurs enfants pour qu’ils partent du quartier, les faire « devenir quelque chose dans la société », comme l’exprime un parent d’élève, ou redorer le blason de ce dernier, ce sont là les enjeux de la mission sociale du collège en milieu populaire : d’où l’importance pour le collège de donner cette image attendue, pour avoir bonne réputation et gagner la confiance des familles.
Un autre aspect est souvent mis en avant par les enquêtés pour parler d’un établissement qui aurait bonne réputation aux Minguettes, c’est la sécurité et le cadre. Les familles attendent souvent que l’école soit un rempart voire une solution contre les problèmes du quartier. Un « bon » collège aux Minguettes est donc un collège sûr, où les élèves sont en sécurité et les parents, les personnels de l’établissement, le sentent :
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Ce cadre, où la fermeté et la justice sont les valeurs centrales, demande des efforts supplémentaires en matière de discipline et de gestions des sanctions, et incite à dépasser le purement scolaire. Le déploiement du collège vers le hors scolaire ne possède pas qu’un volet sécuritaire : pour les familles, un « bon collège » est celui qui ouvre les perspectives des élèves sur l’extérieur et œuvre pour le développement du quartier. Rayonner dans le champ du hors-scolaire permet de nouer des liens nouveaux entre le collège et les familles autour de moments privilégiés pour montrer l’investissement « entier » et « honnête » de ses membres. Ce qui forge la bonne réputation aux yeux des familles, c’est le double effort de montrer « l’extérieur » aux élèves, les sortir de leur isolement spatial, et de les montrer « à l’extérieur » afin de transformer les images qu’ont les acteurs extérieurs aux Minguettes des « jeunes de banlieue ».
Toutefois, trop s’adapter aux difficultés sociales peut paradoxalement devenir néfaste pour le fonctionnement du collège. En contradiction avec ce qui a été relevé précédemment, les familles et les élèves attendent aussi que le collège et ses membres se comportent de façon « normale », sans tenir forcément compte des difficultés socio-scolaires pour donner aux élèves le sentiment d’être « comme les autres », ou en tout cas « pas moins que les autres ». Cette image de l’établissement « sans problèmes » passe par un ensemble de dispositifs qui construisent sa réputation : stimulation et confiance accordée aux élèves, posture institutionnelle, justesse des sanctions et rigidité du cadre disciplinaire, classes spécifiques ou options… Les attentes des familles sont finalement les mêmes que celles qu’ils ont envers les pouvoirs publics, dont l’école est souvent la manifestation la plus présente aux Minguettes.
Conclusion : de l’origine volontaire, conjoncturelle et sociale de la réputation
Comment se construit la réputation d’établissements, à caractéristiques socio-spatiales comparables ? La réputation, en tant que discours et opinion, est le reflet de la gestion, du climat scolaire et du travail effectué dans un établissement (Chauvin, 2013). Elle reflète ce qui fait la différence entre les établissements, de manière plus ou moins déformée, comme tout reflet. Si le fonctionnement des collèges et leur image est partiellement soumis à des variables conjoncturelles (environnement socio-économique, directives de l’Éducation nationale, dispositifs ciblés) qui différencient déjà les établissements et forgent leur réputation, il reste une marge de manœuvre et d’autres variables sur lesquelles ils peuvent agir pour réajuster ces différences. L’origine de la réputation serait triple : à la fois volontaire, conjoncturelle et socialement entretenue. Ces trois variables interagissent en appartenant à des échelles de temps différentes : le volontaire apparaît plutôt comme un travail quotidien sur le long terme, le conjoncturel semble plus ponctuel et inattendu ((À titre d’exemple, en 2021, des professeurs de Paul-Éluard ont été la cible de jets de pierres par des élèves à la sortie du collège : cet incident a évidemment eu une incidence néfaste sur la réputation du collège.)), et le socialement entretenu appartient à un temps social générationnel.
Dans le terrain étudié, la meilleure réputation du collège Paul-Éluard à l’échelle du quartier, liée à sa carte scolaire plus mixte, n’empêche pas un important travail réputationnel. Les établissements ont donc bien un contrôle sur la variable volontaire. Celle-ci est essentiellement influencée par deux paramètres jouant sur des échelles de temps différentes : l’effet direction, sur le temps court ((Sauf exception, les personnels de direction ne peuvent rester plus de neuf ans sur un même poste, et ils sont soumis à une obligation de mouvement à partir de leur septième année d'ancienneté sur un poste.)), et la « culture » d’établissement créée par le reste de l’équipe, sur le temps long. Clé de voute de la coordination entre tous les membres de l’établissement, le ou la principale a une influence réelle et symbolique sur le fonctionnement d’un collège et donc l’image qu’il renvoie. C’est l’incarnation physique d’un établissement, et on observe souvent un transfert entre sa réputation personnelle et celle du collège-institution. Enfin, l'ensemble de l’équipe pédagogique (vie scolaire, professeurs, etc.), qui reste plus longtemps en poste que la direction, a également un rôle majeur dans le fonctionnement du collège (lien avec les familles, entente et cohésion des personnels, etc) et donc la formation de sa réputation.
Bibliographie
- Chauvin Pierre-Marie, 2013, « La sociologie des réputations. Une définition et cinq questions », Communications, vol. 93, n° 2, p. 131–145.
- Karpik Lucien, 2007, L’économie des singularités, Gallimard, Paris, p. 384.
- Merle Pierre, 2011, « Concurrence et spécialisation des établissements scolaires. Une modélisation de la transformation du recrutement social des secteurs d'enseignement public et privé », Revue française de sociologie, n° 52 - 1, p. 133–169.
- Ragouet Pascal, 2000, « Notoriété professionnelle et orientation scientifique », Cahiers internationaux de sociologie, PUF, n° 109, p. 317–341
- Van Zanten Agnès, 2009, Choisir son école : stratégies familiales et médiations locales, PUF/Le lien social, Paris, p. 304.
Paul BOUREL
Agrégé de géographie, ENS de Lyon
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Paul Bourel, « Construction et échelles des réputations des établissements scolaires. Une étude des collèges publics dans le quartier des Minguettes à Vénissieux », Géoconfluences, septembre 2023.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-espaces-scolaires/geographie-de-l-ecole/reputation-colleges-minguettes