Namie (Fukushima), une commune rurale projetée en modèle mondial de résilience post-accident nucléaire
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Treize ans après le tremblement de terre, le tsunami et l’explosion de l’enceinte de confinement de trois des six réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima daiichi, le gouvernement japonais a décidé, au printemps 2023, de lever l’ordre d’évacuation qui concernait la partie du territoire la plus contaminée par les retombées de l’accident nucléaire. Seul 2 % des douze communes qui composaient la zone évacuée restent aujourd’hui inhabitables. Au sein de cet espace, six zones de reconstructions prioritaires ont été définies, dans des endroits où la radioactivité ambiante reste inégalement problématique. Suite à la vaste politique de décontamination qui n’a concerné que les zones urbaines, les habitations et leur pourtour ainsi que les terres agricoles (les forêts, qui représentent 70 % du territoire de la région, ne peuvent être décontaminées, faute de savoir-faire), la reconstruction de la zone a été planifiée.
Malgré sa population de 21 784 habitants (avant l’accident nucléaire), la commune de Namie [prononcer Namié], dans la préfecture de Fukushima, est considérée comme une commune rurale, au sens de l’acception japonaise du terme. En effet, à part la partie côtière où le bâti se mêle aux enclaves rizicoles, sa densité moyenne est faible. De plus, elle est composée de plusieurs districts, dans lesquels les quartiers habités sont dispersés sur un très vaste territoire, principalement forestier et agricole. C’est d’ailleurs la plus vaste des communes du territoire anciennement sous ordre d’évacuation. Cet article analyse la politique de reconstruction de cette commune rurale japonaise, promue au rang de modèle mondial de résilience post-accident nucléaire.
1. La situation avant la catastrophe
Avec une superficie de 223 km2 et une population de 21 784 habitants avant la catastrophe, la commune de Namie (au nord de la contrée de Futaba, préfecture de Fukushima) a la spécificité d’être la plus vaste commune de l’ancienne zone évacuée. Cette particularité en engendre une autre : une occupation des sols variée, appariée à une diversité géomorphologique importante.
Document 1. La commune de Namie dans le contexte post-catastrophe nucléaire et les zones sous ordre d’évacuation au 1er avril 2023 |
La singularité composite des lieux tient au fait que la commune s’étend du littoral, consacré en partie à l’industrie de la pêche ; vers des plaines côtières, constituées de zones urbaines avec des enclaves rizicoles étendues ; à la montagne intérieure qui accueillait quelques fermes dont l’activité était fondée sur l’élevage bovin et les cultures agricoles. Namie présente donc une panoplie complète des paysages régionaux, dans leur diversité, soit un finage jouant sur la complémentarité étagée des terroirs. L’occupation des sols est dominée à 67,3 % de forêts de montagne, suivies par 8,1 % de rizières, 5,3 % de champs, 2,6 % de prairie, et 2,6 % de zones urbanisées. Divisée en 6 arrondissements, elle comptait 7 120 ménages (21 784 hab.) en 2005, dont la répartition est détaillée dans le document 2.
Document 2. Avant la catastrophe : répartition de la population de la commune de Namie par arrondissement, en 2005 |
Depuis 1995, cette commune voyait sa population chuter de 1 000 habitants à chaque recensement quinquennal, subissant une déprise démographique importante et régulière, au même titre que l’ensemble des collectivités rurales japonaises (Boven, 2017 ; Dumont, 2017).
Document 3. Évolution comparée de la population de la commune de Namie et de la préfecture de Fukushima (1935-2023) |
2. Namie après le triple désastre du Tohoku
2.1. L’évacuation
En 2011, la commune de Namie a dû faire face au tsunami sur sa partie côtière, et a également subi de plein fouet les retombées du nuage radioactif qui s’est abattu, en diagonale, sur toute sa longueur (documents 1 et 4).
Document 4. Contamination radioactive du territoire communal et zones de retourSource de l’original : municipalité de Namie. |
Le 11 mars 2011, le jour de la triple catastrophe (tremblement de terre, tsunami, explosion de la centrale nucléaire), les habitants du littoral et de l’arrondissement de Namie ont d’abord été évacués dans la mairie et les équipements publics mis à disposition dans un rayon de 3 km puis de 10 km (document 5). Du 12 au 14 mars, ils ont été évacués dans un rayon de 20 à 30 km, dans les équipements publics de l’arrondissement de Tsushima (commune de Namie), l’un des plus contaminés de la zone alors que les informations sur la contamination n’étaient pas encore connues. Du 15 mars au 21 avril, la totalité des habitants de Namie est évacuée dans la commune voisine de Nihonmatsu (au nord). À partir du 22 avril, les habitants de Namie sont relogés dans des hôtels de cinq villes et villages de la préfecture de Fukushima : communes de Nihonmatsu, Fukushima, Inawashiro, Bandai, Kitashiobara, puis relogés dans les logements provisoires à mesure de leur construction.
Document 5. Reconstitution de l’évacuation des communes adjacentes à la centrale nucléaire de Fukushima Dai ichi dans les premiers jours après la catastropheD’après les cartes réalisées par l’université de Tsukuba en vue de la planification pour la reconstruction à Namie, pour le ministère de l’Économie japonais, traduites par l’autrice. Réalisation : Géoconfluences, 2024. |
2.2. Le bilan des pertes
182 personnes sont mortes dans les premiers jours, dont 150 ont été noyées par le tsunami. En décembre 2020, 441 personnes sont comptabilisées comme mortes des suites de la triple catastrophe.
La partie côtière a été ravagée par le tsunami et le tremblement de terre mais moins concernée par le nuage radioactif (documents 1 et 4). 9,5 % de la surface habitable a été inondée et 22 % des bâtiments, qui accueillaient 16,1 % de la population, détruits. Parmi eux, 651 maisons (586 emportées par les flots et 65 endommagées par le tremblement de terre). Les dégâts engendrés par le tsunami furent non négligeables dans cette commune littorale, engendrant 289 000 tonnes de déchets qui sont venus s’ajouter aux tonnes de terre issues de la décontamination entamée en 2013. En outre, l’évacuation de l’ensemble de la commune suite à l’accident nucléaire a occasionné la perte du bétail et autres animaux domestiques abandonnés dans la zone. Dans l’intérieur des terres, la commune de Namie a dû faire face à une contamination importante de son territoire.
Hormis la zone côtière en partie rouverte à la résidence en 2017, le reste du territoire, comprenant deux zones de reconstruction prioritaire, était resté sous ordre d’évacuation. Cela tient, notamment, aux niveaux toujours élevés de contamination enregistrés, principalement dans la zone forestière. Les plus fortes teneurs en césium 134 et 137, les deux nucléïdes libérés en grande quantité après l’accident nucléaire, se trouvent principalement au sol, en forêt. L’ensemble a ensuite été transféré de la litière au tronc, puis à la canopée pour retomber, à l’automne, avec la chute du feuillage, sur la surface minérale superficielle du sol. Une partie du césium est ainsi de nouveau absorbée vers le tronc via le transfert racinaire (Onda et al., 2020). À moins de couper tous les arbres, il est donc impossible de faire baisser la radioactivité dans l’intérieur montagneux couvert de forêt.
Or, en mars 2023, malgré ces niveaux de contamination toujours élevés, l’ordre d’évacuation a été levé pour une partie de ces deux zones. Avant le séisme de 2011, Namie comptait 21 542 habitants. Après douze ans sous ordre d’évacuation, elle n’en compte plus que 1 964, principalement composés des ouvriers de la reconstruction et de leur famille (document 3). Parmi eux, 897 personnes (327 ménages), vivent dans les deux zones de reconstruction prioritaire.
Une enquête d’opinion a été menée par la commune en septembre 2020 auprès de 7 434 ménages. Seuls 4 359 ménages (58,6 %) ont répondu. Parmi eux, 54,5 % ont déclaré avoir décidé de ne pas revenir et 25,3 % restaient indécis. Seuls 10,8 % souhaitaient revenir. 72 % des personnes souhaitant rentrer ont plus de 50 ans. Face à ces résultats, semblables à ceux des autres communes adjacentes à la centrale, le gouvernement a voté des incitations financières spécifiques pour toute personne (même hors du département de Fukushima), souhaitant venir vivre dans la zone (Asanuma-Brice, 2021b). En dépit de ces mesures, la population actuelle ne représente que 9,1 % de la population d’origine.
2.3. La reconstruction du centre urbain de Namie
La reconstruction a commencé en juin 2017 dans le secteur de Kiyohashi, arrondissement enclavé entre les rivières d’Ukedo et de Takase, par la construction de logements communaux locatifs. 22 unités de logements de deux ou trois pièces ont constitué un premier grand ensemble (danchi), suivi par un second de 80 appartements, puis un troisième, en 2018, accueillant 63 logements de surface identique. 2019 et 2020 ont vu la construction de deux nouveaux danchi de petits pavillons (36 unités). La mairie y a été rouverte, ainsi qu’un centre commercial provisoire à proximité, qui accueille deux ou trois commerces de restauration. Un supermarché Aeon a également été construit.
Document 6. Rester ou revenir : portraits d’habitants de Namie |
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À gauche : une habitante de Tsushima habitant dans les nouveaux pavillons de Tsushima, dans le nord-ouest de la commune. Dans l’impossibilité financière de continuer à vivre hors de sa commune sans le soutien de l’État, Mme Kokubun a pris la décision d’habiter un des logements du lotissement qui lui est offert. Au moment de l’interview, un seul autre logement est occupé. À droite : Ces deux sœurs tiennent une petite échoppe dans le centre commercial provisoire derrière la nouvelle mairie, sur la partie littorale reconstruite. Toutes deux habitent dans une autre commune et profitent de la gratuité du fonds de commerce qui leur est offert par le gouvernement pour une année. Elles ne pensent pas pouvoir rester au-delà. Clichés : Cécile Asanuma-Brice, décembre 2023, lors d’entretien avec les personnes photographiées, avec leur autorisation. |
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Cet éleveur bovin a refusé d’abandonner ses vaches dont la plupart sont mortes au moment de la catastrophe. Évacué trois semaines de suite après l'accident, il a pris la décision de revenir et de rester pour nourrir celles qui étaient restées en vie. Il vit seul dans sa ferme, dans la partie montagneuse de Namie. Clichés : Cécile Asanuma-Brice, décembre 2023, lors d’un entretien avec l’éleveur, avec son autorisation. |
Simultanément, les travaux de remise en état des principaux axes routiers ont permis la réouverture des dessertes nationales et locales via la nationale Jōban dès 2015, la route 6 (célèbre pour passer devant la centrale endommagée) et la route 114, toutes trois affichant des taux de radioactivité parfois importants encore aujourd’hui et traversant des zones où l’arrêt est interdit. Un bus gratuit relie trois fois par jour la gare automatisée (sans guichet humain, plus rare au Japon qu’en France) de Namie rouverte en 2020 pour les Jeux olympiques, à la ville voisine de Minamisōma.
Mais le cœur de la reconstruction de Namie, et son symbole ou présenté comme tel, tient certainement dans le centre commercial Michi no Eki. Cette chaîne de magasin a la particularité d’être construite avec des fonds publics dans la plupart des villages de la campagne japonaise. L'enseigne Michi no Eki fait partie du cadre de la politique de redynamisation rurale. En apparence, les cases des objectifs du développement durable sont cochées une à une. La surface commerciale, en structure bois (le bois de la région étant contaminé, il s’agit de bois importés), propose un design agréable, mêlant salles de repos en tatami, cafeteria, quelques étals et un magasin Mujirushi, lui aussi très à la mode à défaut d’être adapté à la population locale. Un poste de mesure de la contamination affiche le taux de radioactivité ambiant à l’entrée du magasin pour rassurer le chaland. Quelques plots pour recharger les voitures électriques sont proposés à l’arrière du magasin. Châteaux gonflables en plastique et autres mascottes ou jeux pour enfants animent les lieux. Illuminé de mille feux électriques de novembre à janvier, afin de fêter un noël qui ne l’est pas au Japon ((Hormis les illuminations monumentales des galeries commerçantes, on ne fête pas Noël au Japon qui est un pays majoritairement shintoïste et bouddhiste.)), cet équipement est le lieu principal de rencontre des quelques habitants. Sur l’aile droite du bâtiment, une boutique vend quelques poteries traditionnelles de la région. Ce bâtiment, qui est le seul centre « animé » de la commune, est assez fréquenté.
Document 7. Un exemple de la reconstruction du littoral : le centre commercial rural “Michi no Eki” à Namie |
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Clichés : Cécile Asanuma-Brice, 2023. |
À quelques kilomètres de là, un peu à l’écart, de l’autre côté de la gare, un complexe proposant jeux intérieurs pour enfants, bibliothèque et services de soutien sanitaire aux personnes âgées, totalement vide la plupart du temps, est néanmoins en activité. Hormis le manque de fréquentation des lieux, sa spécificité est certainement de s’étendre, pour des surfaces non négligeables, sur un sol totalement artificialisé. Ce dernier point est commun à l’ensemble des villes nouvelles construites après la levée d’ordre d’évacuation dans les communes adjacentes à la centrale en cours de reconstruction. Ainsi, la reconstruction prend pied sur des tapis d’asphalte qui s’étendent à perte de vue.
Document 8. Reconstruire sur un tapis d’asphalte : un quartier de Namie, neuf mais vide |
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Clichés : Cécile Asanuma-Brice, 2023. |
2.4. Le plan de reconstruction de Kuma Kengo autour de la gare automatisée de Namie
Dans un esprit similaire à celui développé pour Michi no Eki, selon lequel les surfaces commerciales devraient être les lieux d’échange et de rencontre de la communauté, c’est autour d’un vaste centre commercial que Kuma Kengo et ses collaborateurs ((Kuma Kengo (1954-) est un architecte japonais de renommée internationale, notamment en charge du stade olympique de Tôkyô pour les jeux Olympiques de 2020. Son agence (Kuma Kengo & Associates) est à l’origine de nombreuses constructions en France, dont la Cité des Arts et de la Culture de Besançon ou le musée Albert Kahn (Boulogne-Billancourt). En 2016, il reçoit le Global Award of Sustainable Architecture (« prix mondial pour une architecture durable »). Réputé pour son utilisation de matériaux naturels (principalement le bois) dans ses constructions qui mêlent espace traditionnel au modernisme, il est aussi l’objet de critiques. Il est ainsi accusé, au Japon, de greenwashing, notamment pour la construction du stade olympique de Tôkyô qui a nécessité la destruction d’une des rares forêts au cœur de Tôkyô pour construire ce stade dont le bois de construction est importé de Thaïlande.)) ont décidé d’axer la reconstruction du quartier qui leur a été confiée. Sous l’appellation de « The Grand Design », ce quartier s’étendra autour de la gare qui sera également reconstruite pour l’occasion. Choisissant, à dessein, un architecte de renommée internationale, le gouvernement affirme une nouvelle fois sa volonté déjà présente avec les Jeux olympiques, mais avortée en raison de l’épidémie de covid 19, d’attirer les regards du monde entier sur cette reconstruction. Là aussi, l’écologie est affichée avec du bois en matériau de façade et une énergie 100 % renouvelable en provenance de la station hydrogène et solaire FH2R qui a été construite à proximité. La composition du programme consiste en :
- Trois barres de logements collectifs publics de respectivement 3, 4, 5 étages
- Deux barres de logements collectifs privés de 3 et 4 étages pour une surface totale de 7 700 m2
- Un centre commercial de 2 600 m2
- Un espace de travail partagé (co-working), cafés, salle d’attente de 1 600 m2
L’ensemble des constructions sera doté de panneaux solaires sur le toit, y compris les toits de verre qui seront recouverts de films photovoltaïques transparents (voir figure 17 in Asanuma-Brice et Hurtut, 2024).
Articulée autour de trois concepts : le passage (gare), le rassemblement (un parc paysagé est prévu derrière les logements collectifs), la relation (un parc sportif urbain finit la course), cette réhabilitation devrait voir le jour en 2026 pour la somme de 120 millions d’euros (18 milliards de yens).
Si l’ampleur de cette reconstruction suscite la curiosité, il est néanmoins des interrogations fortes qui persistent. Hormis le fait que l’habitat proposé est exclusivement du logement collectif, imposant de fait un mode de vie en dépendance à la consommation (impossibilité de cultiver des aliments ou dépendance au réseau électrique) et des pratiques d’isolement (Asanuma-Brice, 2019) peu propice au faible nombre d’habitants, des craintes s’élèvent de la part de la population présente dans la ville. Ainsi, une commerçante de la zone de commerce provisoire à proximité de la mairie, venue de Tokyo habiter à Namie avec les soutiens financiers proposés par le gouvernement, nous partageait son inquiétude de ne pouvoir payer un bail commercial à l’intérieur du centre commercial : « Les grands centres commerciaux comme ceux-là sont destinés à des chaînes commerciales. Les petits commerçants, comme nous, ne pourront pas payer les loyers proposés. C’est déjà le cas à Michi no Eki ». Aussi, si les brochures présentant la planification vendent la construction du lien entre les habitants dans le vocabulaire qu’elle utilise, les espaces proposés, en contradiction avec le discours publicitaire, risquent bien d’engendrer de l’isolement.
2.5. Tsushima, une reconstruction en lotissement de banlieue
À l’autre extrémité de la commune, l’arrondissement de Tsushima (153 ha) prépare également sa requalification. 132 hectares ont été décontaminés, surtout des champs et des zones habitables, et 82 % (89 sur 109) des anciens logements ont été détruits.
Régulièrement, les habitants de ce village manifestent derrière le slogan « Furusato wo kaese ! » (« Rendez-nous notre village natal ! »). La reconstruction, à cet endroit, est beaucoup plus modeste. Elle se limite à une dizaine de pavillons de construction légère, serrés les uns derrière les autres, sur la même parcelle que celle de la mairie d’arrondissement. La reconstruction s’arrête là pour le moment. En outre, les alentours affichant encore des taux de radioactivité importants : nous avons mesuré des taux à 2 µsv/h (microSievert par heure) à quelques mètres de là, et plus de 15 µsv/h en forêt. Avant l’accident nucléaire, les taux étaient en moyenne de 0,04 µsv/h dans la région. Il est proposé une détection de la radioactivité (screening) et un nettoyage des véhicules des personnes entrant dans le territoire. Cela n’est pas pour rassurer les résidents, pour l’heure moins d’une dizaine, car ce ne sont pas là les conditions de retour souhaitées par les habitants d’origine. Hormis la contamination toujours importante dans le secteur, les habitations étaient pour parties de vastes demeures traditionnelles avec des cours accueillant parfois des entrepôts séculaires, patrimoine architectural remarquable de la région. Le relogement dans des pavillons de banlieue tous identiques, aux surfaces étriquées, de mauvaise facture, étroitement alignés sur des parcelles bitumées, ne peut dignement remplacer la qualité du lieu d’existence perdu. Aucun service n’est présent pour cette zone, et les habitants sont invités à se rendre au centre-ville de la côte (à une heure de route) pour les besoins de première nécessité.
Document 9. Les logements traditionnels et les lotissements pavillonnaires de la reconstruction à Tsushima (commune de Namie)9a. Des logements traditionnels |
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9b. Des logements pavillonnaires reconstruits |
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Clichés : Cécile Asanuma-Brice, mai et décembre 2023. |
3. À Namie, les investisseurs traditionnels du nucléaire (Toshiba, Mitsubishi) s’emparent du photovoltaïque
3.1. La plus grande unité de production d'hydrogène du monde à Namie, alimentée par une méga-centrale solaire de 20 MW : Le centre FH2R
Le 7 mars 2020 s’est tenue, en présence du premier ministre japonais Abe, la cérémonie d’ouverture du Fukushima Hydrogen Energy Research Field (FH2R), une installation de production d'hydrogène dotée d'une méga-centrale solaire d'une puissance de 20 MW sur la côte nord de la commune de Namie. L'installation, en cours de construction depuis 2018, est sous tutelle de l'Organisation pour le développement des énergies nouvelles et des technologies industrielles (NEDO), Toshiba Energy Systems, Tohoku Electric Power Company et Iwatani Corporation. L'hydrogène produit est principalement destiné aux véhicules à pile à combustible (FCV). S’il s’agit de la plus grande unité de production d’hydrogène du Japon, la surface de photovoltaïque reste limitée.
3.2. Méga-centrale solaire Mitsubishi dans la zone de Yatsuda (Namie)
En octobre de la même année 2020, c’est au tour de Mitsubishi de démarrer l'exploitation commerciale de l'une des plus grandes méga-centrales solaires de la préfecture de Fukushima, dans le quartier de Yatsuda, au croisement entre la route nationale 6 et la rivière Takase. La centrale, qui a été officiellement placée dans le plan de reconstruction et de développement de la commune de Namie en tant que projet de reconstruction et d'amélioration après le grand tremblement de terre de l'est du Japon, utilise un site d'environ 880 000 m² (environ 88 ha), où il est difficile de reprendre l'agriculture, pour produire environ 60 MW de cellules solaires et une production d'électricité annuelle prévue de 71 millions de kWh/an. L'électricité produite sera vendue par le biais d'une ligne de transmission partagée qui sera développée et exploitée par Fukushima Transmission Co., prenant pour base le modèle de société formulé en 2016 pour stimuler la reconstruction dans la préfecture de Fukushima autour des questions énergétiques. Ces deux projets font de Namie la commune qui accueille les plus vastes centrales solaires de la préfecture de Fukushima.
Document 10. Des fermes photovoltaïques sur un territoire en reconstruction post-catastrophe nucléaire |
3.3. Institut international de recherche, d’enseignement et d’innovation à Fukushima F-rei
Inaugurée le 1er avril 2023 en présence du premier ministre japonais Kishida, cette initiative vise à devenir un « centre de reconstruction créative » de rang mondial. Créée sous l’égide de l’Agence de Reconstruction du gouvernement, elle a pour objectif l’engagement dans diverses activités de recherche, de développement et d’industrialisation. Ce centre doit servir de poste de commandement d’un premier projet, initié à Futaba, dans l’incubateur d’innovation intégré au mémorial (Denshōkan). Ses activités seront concentrées autour de la recherche robotique en vue du démantèlement, des drones ou encore de la robotisation et de l’intégration de l’IA dans le domaine agricole afin de tenter de résoudre les problèmes persistants dans une zone où la main d’œuvre manque.
L’énergie représente le troisième volet thématique après la robotique et l’agriculture. Il s’agit là, notamment, de lancer la recherche fondamentale sur la production de plantes ayant des « fonctions supplémentaires, telles qu'une résistance et une facilité d'utilisation accrues, une croissance rapide et des caractéristiques d'absorption de la masse de CO2 ». Cette tendance, qui consiste à modifier la nature afin qu’elle s’adapte mieux à nos productions industrielles et aux pollutions qui en découlent, n’est pas sans interroger sur l’orientation prise derrière un discours qui se veut écologique.
Outre ces modifications végétales, la production de bioéthanol, ou la conception d’un système de liaison énergie-hydrogène pour réaliser le Power to Gas (P2G), dans lequel l'électricité est stockée et utilisée sous forme d'hydrogène, dans le but d'interconnecter les lignes électriques et thermiques, est également un des domaines développés. Le centre proposera également un soutien au développement et à la commercialisation des technologies liées aux énergies renouvelables détenues par des entreprises dans les zones touchées par la catastrophe.
Un autre pan de l’institut se concentrera sur la recherche fondamentale concernant l’utilisation des rayonnements et des radio-isotopes, en particulier dans la découverte de nouveaux médicaments pour le traitement du cancer (source). Là encore, nous ne pouvons que souligner le retournement sémiotique qui vise à renverser la perception de la radioactivité d’un élément pouvant être déclencheur de cancer, en un élément thérapeutique du cancer. On s’interrogera sur l’opportunité de mener de telles recherches dans un territoire où les radio-isotopes représentent précisément plus un problème qu’une solution.
D’autres activités comme la promotion de la recherche et du développement de la technologie d'imagerie par rayonnement ou encore l’accumulation de connaissances sur les catastrophes nucléaires sont également proposées. Cette dernière thématique s’intégrera dans le cadre de programmes visant à accumuler les connaissances globales obtenues dans ces domaines en coopération avec des universités étrangères et avec des organisations internationales.
En somme, ce nouveau centre de recherche propose le kit de la résilience à un prochain accident nucléaire. Reste à savoir s’il sera suffisamment attractif pour attirer sa propre main d’œuvre dans des lieux dont l’attractivité, voire dont la reconstruction même, reste fort discutable au regard des nombreux problèmes environnementaux toujours présents. La réalité du terrain décrite dans les précédents paragraphes, semble à des milliers d’années lumières des projections futuristes proposées par ce centre de recherche.
Conclusion : la reconstruction en question
Outre les quelques réserves émises concernant le centre de recherche F-Rei, il est important de souligner que cette reconstruction s’inscrit dans une démarche tout à fait particulière : Pour la première fois au monde, une ville nouvelle dotée de tous les équipements nécessaires sera implantée dans un ancien village rural en déprise démographique, sans ou avec très peu d'habitants présents au moment de la construction. Autrement dit, il s’agit là d’un pari, où l’on mise sur une population qui, pour l’heure, est absente. Il y a là une grande différence avec des expériences telles que la construction des villes nouvelles des années 1960 en Angleterre, en France et également au Japon d’ailleurs. En effet, il ne s’agit pas là de créer un nouveau pôle urbain périphérique qui aurait pour but de répondre à la saturation d’une ville-centre entourée de bidonvilles, dans un contexte de forte croissance démographique et économique. Il n’est pas question ici d’apporter une solution, comme ce fut le cas pour les villes nouvelles classiques, à une trop grande croissance de la population qui serait en difficulté de logements : au contraire, la population japonaise est vieillissante et a commencé sa décroissance. Le contexte est donc très différent et les motivations, tout autres. Il s’agit, pour l’exprimer plus clairement, d’attirer une population, fût-elle internationale via le centre de recherche international, afin de montrer qu’il est possible de relancer une région après un accident tel que celui de la centrale nucléaire de Fukushima.
Par ailleurs, la planification proposée, essentiellement productiviste, repose sur une vision du monde selon laquelle l'exploitation des lieux est inévitable une fois qu'ils ont été conquis par les humains. Elle s’accompagne d’une interprétation selon laquelle la non-occupation des territoires par l’humain, serait une « perte ». Cette appréhension signifie de fait qu’un retour à la nature des espaces anthropisés ne serait pas envisageable pour les décideurs en charge de la gestion post-accidentelle.
Une telle position ne peut être qu’interrogée dans une région en déprise démographique avant la catastrophe. Cela, d’autant que l’ensemble des villages rouverts dans la zone à partir de 2017 connaissent aujourd’hui un nouveau déclin de la population dû aux décès des personnes âgées dont certaines sont rentrées au moment de la réouverture.
Enfin, il semble que le modèle promu, a contrario de ce qui motivait l’habitat dans ces territoires naturels, à savoir un rapprochement à la nature (certains des villages de la zone sont classifiés « éco-villages »), répond aux règles de la société de surconsommation, axant l’organisation de l’espace autour de trois concepts clés : habiter, consommer et travailler. Cela se traduit par la construction de logements bon marché, majoritairement en collectif, et par une impossibilité de cultiver ce que l’on consomme, dans des villes nouvelles construites sur des tapis d’asphalte et dont le seul rôle est de loger un consommateur potentiel.
Cette commune n’étant pas destinée aux anciens habitants de Namie, qui ont exprimé leur refus du retour, il reste néanmoins intéressant de suivre son évolution dans les années à venir.
Bibliographie
Références citées
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Mots-clés
Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : catastrophe | reconstruction | résilience | risque.
Cécile ASANUMA-BRICE
Chercheuse CNRS, co-directrice du laboratoire Mitate.
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Cécile Asanuma-Brice, « Namie (Fukushima), une commune rurale projetée en modèle mondial de résilience post-accident nucléaire », Géoconfluences, avril 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/risques-et-societes/articles-scientifiques/namie-fukushima