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Les espaces littoraux : gestion, protection, aménagement

Archive. Domaine public, réserve domaniale dite des "50 pas géométriques" : entre la France et l'outre-mer, quelles différences ?

Publié le 01/12/2003
Auteur(s) : Judith Klein - ENS LSH, Université Paris IV Sorbonne
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NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2003.

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Le Domaine Public Maritime (DPM)

Dès 1681, une ordonnance de Colbert définit le Domaine public maritime (ci-après DPM) comme "tout ce que la mer couvre et découvre et jusqu'où le grand flot de mars peut étendre sur les grèves" et déclare que ces espaces ne peuvent faire l'objet d'une appropriation privée. Il concerne tout ce qui est (ou a été) couvert par la mer calme pendant les plus hautes marées possibles (coefficient 120). Il est par définition inaliénable et imprescriptible (l'État n'a pas le droit de le vendre, ni de le céder, ni de le laisser usurper) et il n'a cessé de l'être que pendant une courte période de la Révolution Française.

De nos jours, sur les littoraux métropolitains, on entend par DPM :

  • d'une part l'estran au sens le plus large du terme, c'est-à-dire l'espace couvert et découvert entre les basses et les hautes mers de vives eaux,
  • d'autre part depuis la loi du 28 novembre 1963 relative au DPM le sol et le sous-sol de la mer territoriale, large de 12 miles marins, ainsi que les lais et relais de la mer, terrains émergeant au dessus du niveau atteint par les plus hautes marées (voir schémas ci-dessus).

 

Cette ordonnance fonde encore aujourd'hui la protection du domaine public maritime naturel depuis l'arrêt Kreitmann (12 novembre 1973). Il est précisé dans cet arrêt que sur la terre ferme, la limite est fixée "au point jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles".

Afin de préserver certaines parties terrestres plus en amont du rivage stricto sensu, on a assisté à une extension du domaine public maritime grâce à un régime d'incorporation de terrains qui jusque là n'en faisaient pas partie.

La loi du 28 novembre 1963 inclue ainsi dans son champ d'application les lais et les relais de la mer, constitués postérieurement et appelés "lais et relais futurs". Les lais sont des terrains formés par les alluvions que la mer dépose sur la côte ; les relais sont des terrains que la mer laisse à découvert en se retirant. Or ces zones ont pour caractéristique commune de n'être plus recouverts par les plus hautes mers.

Le DPM fait l'objet de dispositions spécifiques, pour certaines fort anciennes : servitude de passage de 3 m en faveur des piétons, ce que l'on appelle le "chemin du douanier" ; réserve publique sur une profondeur de 20 à 50 m à partir de la limite de la DPM ; concessions de plage pouvant être accordées sur la DPM pour l'aménagement ou l'exploitation d'une plage ; concessions de port de plaisance sous condition du respect des documents d'urbanisme ; concessions d'endigage ; concessions ostréicoles.

Voir : www.mer.equipement.gouv.fr/littoral/05_domaine_public_maritime/01_definition  et : www.mer.equipement.gouv.fr/littoral/07_lexique/01_lexique/index.htm

 

Une singularité des littoraux des départements d'outre-mer : la réserve domaniale des cinquante pas géométriques

Le littoral outre-mer est soumis aux dispositions de la loi "littoral" communes à la métropole et aux DOM (essentiellement les principes des coupures d'urbanisation, de libre accès aux plages, de l'extension de l'urbanisation en continuité, de la protection des espaces remarquables…). Mais la loi consacre par ailleurs un titre spécifique aux dispositions particulières qui lui sont applicables. La plus significative a trait à l'existence de la zone dite des 50 pas géométriques.

Réalisation : Judith Klein

Note : Le domaine national s'entend de tous les biens et droits mobiliers et immobiliers qui appartiennent à l'État. Leur administration et leur aliénation sont régies par le code du domaine de l'État, sous réserve des dispositions insérées dans d'autres codes ou dans des textes particuliers. Les biens qui ne sont pas susceptibles d'une propriété privée en raison de leur nature ou de la destination qui leur est donnée sont considérés comme des dépendances du domaine public national. Les autres biens constituent le domaine privé.Les biens du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles, ceux du domaine privé peuvent être aliénés.

Des cinquante pas du roi aux cinquante pas géométriques

Dans les départements d'outre-mer, le DPM comprend aussi depuis la loi "littoral" de 1986 la réserve domaniale des cinquante pas géométriques. Cette dernière trouve son origine dans les débuts de la colonisation et fut instituée aux Antilles avant d'être étendue à Bourbon, actuelle île de la Réunion. Cette réserve constitue une bande de terrain comptée à partir de la limite des hautes mers. De largeur variable, le pas du roi valant 2,5 puis 3,5 pieds à la Martinique par exemple, avant d'être remplacé dans l'ensemble des colonies par le pas géométrique de 1,624 mètre de long.

L'article L.86 du code du Domaine de l'État en donne cette définition :

"La réserve domaniale dite des "cinquante pas géométriques" est constituée par une bande de terrain déjà délimitée dans le département de la Réunion et présentant, dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane française et de la Martinique, une largeur de 81,20 mètres comptée à partir de la limite du rivage de la mer tel qu'il a été délimité en application de la législation et de la réglementation relatives à la délimitation du rivage de la mer".

Rapport de De Baas, gouverneur des Iles d'Amérique à son ministre

8 février 1674

Je ne sais pas, Monseigneur, si quelqu'un vous a jamais expliqué pourquoi les cinquante pas du Roi ont été réservés dans les isles françaises de l'Amérique, c'est-à-dire pourquoi les concessions des premiers étages n'ont été accordées aux habitants qu'à condition qu'elles commenceront à 50 pas du bord de la mer et que cette ceinture intérieure qui fait le contour de l'isle peut être donnée en propre à aucun habitant pour plusieurs raisons judicieuses et avantageuses au bien des Colonies.

La première a été pour rendre plus difficile l'abord des isles ailleurs que dans les rades où les bords sont bâtis, car 50 pas de terre en bois debout très épais et difficiles à percer est un grand empêchement contre les descentes de l'ennemi.

Secondement, les 50 pas sont réservés pour y faire des fortifications, s'il est nécessaire, afin de s'opposer aux descentes des ennemis et on a réservé cette terre pour ne rien prendre sur celle des habitants qui autrement auraient pu demander des dédommagements.

En troisième lieu cette réserve est faite afin que chacun ait un passage libre au long de la mer, car sans cela, les habitants l'auraient empêché par des clôtures et par des oppositions qui, tous les jours, auraient causé des procès et des querelles parmi eux.

En quatrième lieu, pour donner moyen aux capitaines de navires qui viennent aux isles d'aller couper du bois dans les 50 pas du Roi, pour leur nécessité car sans cela les habitants ne leur permettraient d'en prendre qu'en payant.

La cinquième et la plus essentielle raison est celle de donner moyen aux artisans de se loger, car ils n'ont aucun fonds pour acheter des habitations, et qu'ils n'ont pour tout bien que leurs outils pour gagner leur vie. On leur donne aux uns plus, aux autres moins, des terres pour y bâtir des maisons mais c'est toujours à condition que, si le Roi a besoin du fonds sur lequel ils doivent bâtir, ils transporteront ailleurs leurs bâtiments. Or, sur ces 50 pas sont logés les pêcheurs, les maçons, les charpentiers etc, personnes nécessaires au maintien des colonies.

 

Bien que le contexte qui a présidé à sa création soit aujourd'hui révolu, cette institution s'est maintenue et confère aux littoraux d'outre-mer une originalité statutaire remarquable par rapport à la métropole.

 

La gestion des cinquante pas géométriques ou les errements de la législation française

Une "bande des 100 mètres" avant l'heure

Le maintien de cette zone visant à répondre à la contrainte géographique découlant de l'insularité s'est très tôt heurté à celle de l'exiguïté. C'est pourquoi le non respect du statut de domanialité publique des cinquante pas géométriques - inaliénabilité et imprescriptibilité - a été une constante de leur histoire qui a abouti à une réduction manifeste de leurs parties non bâties. Concédés, tout simplement vendus ou occupés illégalement, les cinquante pas géométriques ont même été, pendant trente ans, entre 1955 et 1986, incorporés dans le domaine privé de l'État, aliénable.

Sans revenir sur le détail des évolutions de la législation relative aux cinquante pas géométriques, il est intéressant d'en donner les grandes étapes. Disposant dans les DOM d'une "bande des 100 mètres" plus de trois siècles avant qu'elle soit instituée par la loi littoral de 1986 en métropole, il apparaît que la France n'a pas voulu ou n'a pas pu y mener de politique conservatoire.

Trois siècles de démantèlement d'une réserve domaniale

À partir de la fin du dix-neuvième siècle dans les Antilles, une quarantaine d'années plus tard à la Réunion, les cessions de parcelles des cinquante pas géométriques à des particuliers ont été fréquentes. Des titres de propriété "définitifs et incommutables" ont ainsi été délivrés aux occupants de terrains bâtis et, sur les terrains non bâtis, des "concessions irrévocables" octroyées. Cet assouplissement des règles de la domanialité publique a abouti à la disparition de la réserve dans les villes et les bourgs, alors que se multipliaient également des empiétements par les propriétaires riverains sur le reste du littoral. Le glissement insensible des cinquante pas géométriques du statut de domaine public, dans les textes, à celui de domaine privé de l'État, dans les faits, a abouti naturellement, au lendemain de la départementalisation, à son intégration dans le domaine privé de l'État.

Le décret du 30 juin 1955 inaugura trente années pendant lesquelles, au nom du développement économique et notamment touristique des départements d'outre-mer, les cinquante pas géométriques ont perdu leur caractère d'inaliénabilité. Si dans les faits les ventes ont été rares dans les Antilles, alors qu'elles furent très importantes à la Réunion, le mouvement déjà ancien d'occupation spontanée des terrains du bord de mer se confirma et la préoccupation de régularisation des occupants sans titre l'emporta. Lorsque fut promulguée la loi "littoral" seule une mesure conservatoire avait été prise : les parties boisées de la réserve, ainsi que d'autres parties non bâties, avaient été confiées à l'Office national des forêts. Un tiers du linéaire guadeloupéen et deux tiers du linéaire martiniquais constituent depuis lors la Forêt Domaniale du Littoral (FDL). Cette mesure fut étendue à la Réunion mais les Eaux et Forêts ("Administration des Eaux et Forêts", organisme précédant l'ONF créée en 1966) s'étaient déjà vues confier, au milieu des années 1950, les secteurs reboisés par le service forestier ou recouverts de boisements naturels et gérés par ledit service

La loi du 3 janvier 1986 "relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral", dite loi "littoral" comporte un titre III intitulé "dispositions relatives aux départements d'outre-mer" justifié par l'existence de la réserve domaniale. Elle ne consacra pour autant pas l'idée de sa protection. La réintroduction dans le DPM des cinquante pas géométriques, alors que leur occupation anarchique n'avait cessé de se développer, est assortie de beaucoup d'exceptions et le principe de leur inaliénabilité est une nouvelle fois assoupli. Les règles d'urbanisme sur la bande littorale des cinquante pas géométriques ne sont pas les mêmes que celles qui valent sur la bande métropolitaine des 100 mètres, alors que l'une a été calquée sur l'autre. Lorsque le bilan de la loi "littoral" a été dressé en 1999, les DOM en ont par conséquent été exclus et la seule mention qui s'y rapporte rappelait que les mesures spécifiques relatives aux cinquante pas géométriques limitaient "sérieusement" les effets de leur réintroduction dans le DPM.

 

Des perspectives encourageantes : le Conservatoire du littoral à l'assaut du chantier des cinquante pas géométriques

La loi littoral n'a pas eu les effets escomptés, à telle enseigne que dix ans plus tard, en décembre 1996, a été promulguée une nouvelle loi relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques. Ce texte prévoit que ses parties naturelles, dans le sens de non urbanisées, pourront être remises en gestion au Conservatoire du littoral et que les espaces urbanisés ou mités pourront être cédés. Des agences d'aménagement ont été créées conformément au texte de 1996 pour mettre en valeur les espaces urbanisés des cinquante pas géométriques

La loi de 1996 se fonde sur le principe d'un zonage, les parties urbanisées, d'urbanisation diffuse et naturelles devant être clairement identifiées aux Antilles, le cas étant différent à la Réunion où le schéma d'aménagement régional sert de référence pour l'identification des espaces naturels. Ainsi :

  • Sur les parties urbanisées sont prévues la cession à un prix symbolique des parcelles bâties, notamment aux communes, ainsi que la vérification des titres de propriété qui n'avaient pas été examinés auparavant et la régularisation des occupations constatées à la date de promulgation de la loi. Ces dispositions ont donc pour objet de mettre à plat les situations devenues inextricables de l'occupation du littoral dans les Antilles.
  • Les parties naturelles, après acceptation par le Conservatoire du littoral, peuvent lui être confiées. Dans le cas d'un refus, la gestion de ces espaces peut être confiée à une collectivité territoriale, concrètement à une commune soumise à des pressions et sollicitées par des administrés auxquels il est difficile de ne pas donner satisfaction.
  • L'urbanisation diffuse recouvre un ensemble de situations diverses et mal définies, laissées à l'appréciation des interprètes de la loi et hypothéquant sérieusement les chances de voir le mitage des terres se réduire.

 

On s'explique que le Conservatoire du littoral se voie confier une vingtaine d'années après sa création la gestion des cinquante pas géométriques : il est aujourd'hui connu pour les acquisitions qu'il a menées et qu'il entend poursuivre. Au vu des principes de la loi de 1996, plusieurs conditions doivent être réunies pour assurer la protection de ce qu'il reste de "naturel" sur les cinquante pas géométriques. La possibilité offerte au Conservatoire du littoral de choisir quels secteurs naturels lui seront affectés imposait que le plus grand soin soit apporté au zonage. Or, la loi précisant que "la présence de constructions éparses ne peut faire obstacle à l'identification d'un secteur comme espace naturel", et le préfet de département, signataire des arrêtés de délimitation, étant soumis au jeu politique de la négociation avec les communes, le Conservatoire du littoral a été amené à refuser l'affectation de certaines parcelles bâties, surtout aux Antilles.

À la tête d'une part croissante du bord de mer, le Conservatoire du littoral et les gestionnaires des terrains dont il a la charge doivent voir leurs moyens renforcés, tant humains que matériels : délégations régionales de l'établissement, sur le modèle de celles qui existent en métropole, correspondants des délégués basés en métropole. Ce renforcement des moyens doit être étendu à la gestion. Dans cette hypothèse, il faudra que les conflits d'intérêt entre les différents acteurs de la protection du littoral ne l'empêchent pas.

Gestionnaire pressenti des cinquante pas géométriques pour le compte du Conservatoire du littoral, en vertu de son expérience acquise sur la Forêt domaniale du littoral, l'ONF a pu parfois apparaître davantage comme un concurrent que comme un partenaire. Une réforme des traditions de fonctionnement de l'administration française serait un gage de réussite : une gestion intégrée, notion qui s'est imposée dans les études relatives à la zone côtière, passe par une intégration administrative et par l'harmonisation du fonctionnement des différents services.

Judith Klein le 1/12/2003

Mise en page et compléments : Sylviane Tabarly

 

Mise à jour :   01-12-2003

 

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Pour citer cet article :  

Judith Klein, « Archive. Domaine public, réserve domaniale dite des "50 pas géométriques" : entre la France et l'outre-mer, quelles différences ? », Géoconfluences, décembre 2003.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/littoral1/LittorDoc2.htm