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Les espaces littoraux : gestion, protection, aménagement

La mangrove : un modèle de développement touristique durable ?

Publié le 02/12/2003
Auteur(s) : Judith Klein - ENS LSH, Université Paris IV Sorbonne

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1. La mangrove : une formation littorale des régions tropicales

2. L'exemple du tourisme dans le Grand Cul-de-Sac Marin en Guadeloupe

Les articles d'information scientifique de ce dossier s'appuient en large partie sur la thèse de Judith Klein "Protéger le littoral dans les départements français d'outre-mer" (dirigée par Jean-Robert Pitte et soutenue le 6 janvier 2003). Elles abordent plus particulièrement les problèmes liés à l'environnement sur la bande littorale dans les DOM. Ils sont multiples : squattérisation de la bande littorale, recrudescence de l'habitat insalubre et/ou non conforme aux règles de l'urbanisme, superposition de réglementations, etc. La réponse des autorités locales est hésitante car la préservation de l'environnement est perçue comme un luxe, le développement touristique souvent une priorité, et la répression est quasiment inexistante. Nombre de décrets d'application de lois de portée générale n'ont pas encore été édictés.

La mangrove : une formation littorale des régions tropicales

La mangrove est une forêt tropicale basse, au plus 30 mètres de haut, dense et implantée dans les vasières de la zone de balancement des marées. Elle se déploie dans les eaux salées à saumâtres, en position d'abri. C'est la formation végétale des marais maritimes tropicaux. Les palétuviers, arbres de la mangrove, sont adaptés à un milieu salé et à un substrat instable qu'ils tendent à fixer et de nombreuses espèces se répartissent selon une zonation qui varie d'un littoral à l'autre et qui est fonction de la durée de l'inondation et de la salinité des eaux.

Pour en savoir plus sur la mangrove : voir document (pop-up)

Les regards sur la mangrove se sont radicalement modifiés

Autrefois inhospitalière, insalubre, cette forêt littorale jouit aujourd'hui d'un regain d'intérêt. Eugène Revert décrivait en 1949 (La Martinique : étude géographique et humaine) : "des vases bleuâtres et malodorantes, vite envahies par la mangrove. Tout le fond de la baie de Fort-de-France est un immense champ de palétuviers qui s'accroît de manière constante. On les retrouve au Marin, à Sainte-Anne, au Vauclin, au Robert. Leur ligne sombre et touffue donne un aspect hostile et forestier aux rivages qu'ils occupent. On leur doit aussi ces brouillards bas, fuligineux et malsains que Moreau de Jonnès appelait le drap mortuaire des savanes et qui font des alentours autant de foyers paludéens".

Depuis la promulgation de la loi "littoral" en 1986, les mangroves sont, en France, des espaces et milieux à préserver "en fonction de l'intérêt écologique qu'ils présentent", sont un élément du "paysage caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral" et font partie des "milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques", au même titre que les récifs coralliens et les lagons. L'exploitation des ressources de la mangrove ou sa domestication à des fins de production (par exemple pour la culture du riz) n'est par conséquent plus le seul mode de mise en valeur et la finalité paysagère et ornementale d'un peuplement de palétuviers est reconnue sur certains littoraux (c'est le cas dans les Iles Vierges américaines).

Les usages de la mangrove et les activités qui s'y déploient sont nombreux et parfois conflictuels : pêche, cueillette, ramassage du sel sur les lignes arrières et sursalées, saliculture, agriculture (riziculture), aquaculture (crevetticulture), sylviculture, tourisme aujourd'hui. Cette dernière activité s'est par exemple développée dans les Antilles françaises, en même temps que la protection de ce milieu s'est imposée : en Martinique, entre 1951 et 1998, 15% des surfaces de mangrove ont disparu dans la baie de Fort-de-France et les travaux portuaires gagnent encore aujourd'hui sur la mangrove à l'est de la ville ; il ne reste aujourd'hui que 1 500 hectares de palétuviers sur les littoraux de cette île. Le Petit Cul-de-Sac Marin en Guadeloupe, sur lequel se sont développées les installations du port autonome de la Guadeloupe et de la zone industrielle de Jarry, a également été largement remblayé. En revanche, les mangroves du Grand Cul-de-Sac Marin s'étendent sur près de 3 000 hectares.

L'exemple du tourisme dans le Grand Cul-de-Sac Marin en Guadeloupe

En 1987 a été créée la réserve naturelle du Grand Cul-de-Sac Marin, vaste baie de 15 000 hectares, située au nord de la Rivière Salée, bras de mer naturel séparant la Grande-Terre de la Basse-Terre, les deux îles qui forment la Guadeloupe. Cette échancrure de la côte, bordée d'une large ceinture de Rhizophora mangle (palétuvier rouge), est protégée par un récif-barrière de 25 kilomètres, l'un des plus longs des Petites Antilles, qui court de Sainte-Rose à l'ouest au nord de Vieux-Bourg à l'est et émerge par endroits à marée basse. Il s'agit d'un ancien récif pléistocène, recolonisé depuis la fin de la dernière transgression. Sur les formations coralliennes actuelles de la barrière ou sur les hauts fonds plus proches de la côte reposent des îlets sablo-vaseux, bordés le plus souvent de mangrove. À l'exception de l'îlet à Fajou, le plus septentrional, qui couvre 115 hectares, la plupart des îlets du Grand Cul-de-Sac Marin sont de taille réduite. Le Grand Cul-de-Sac Marin est classé depuis 1993 par la convention RAMSAR en "zone humide d'intérêt international pour les oiseaux d'eau". Il a été en outre créée en 1994 une "réserve de biosphère" de l'archipel de la Guadeloupe, après la reconnaissance, par l'UNESCO, dans le cadre de son programme Man and Biosphere (MaB), de la valeur patrimoniale de cet ensemble.

Enjeux de protection de la mangrove et des îlets du Grand Cul-de-Sac Marin, Guadeloupe

(cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Les dimensions exceptionnelles du Grand Cul-de-Sac Marin, les multiples activités qui y ont lieu (pêche des populations riveraines, tourisme, etc.) explique que la mise en place d'une protection forte n'ait concerné que quelques zones jugées prioritaires. L'ensemble de la mangrove littorale n'a pas été incluse dans le périmètre. Les deux ensembles de palétuviers remarquables par leur étendue en font néanmoins partie : il s'agit de celui de la Grande Rivière à Goyaves, laquelle descend de la Basse-Terre et finit sa course entre Sainte-Rose et le Lamentin ; à ces 800 hectares s'ajoutent, sur le littoral de la Grande-Terre, les 700 hectares des mangroves et marais littoraux des Abymes où le Conservatoire du littoral a procédé à une acquisition. La principale originalité de cette réserve naturelle vient du fait qu'elle s'attache à protéger des îlets formés pour partie de mangrove.

Une protection forte des mangroves guadeloupéennes s'explique par conséquent par leur extension et par leur association avec d'autres éléments d'un patrimoine naturel exceptionnel : il s'agit de la barrière récifale et des herbiers qui tapissent en partie la zone marine. La présence des palétuviers sur les îlets explique que des colonies d'oiseaux nicheurs dans la mangrove s'y rassemblent à la tombée de la nuit. Leur protection est à ce titre un impératif mais elle se heurte aux convoitises que ces îlets composés en partie de sable blanc suscitent par ailleurs.

Voir, dans ce même dossier, l'article :

"Les petites îles au large des départements français d'Amérique entre convoitises et protection."

Découverte de la mangrove littorale guadeloupéenne dans le Grand Cul-de-Sac Marin

Photographie Judith Klein (janvier 2002)

Une embarcartion de petite taille (ici le VTT des mers mais des randonnées en kayak de mer sont aussi proposées) permet de pénétrer sous la voûte des rhizophora. Cette forme de découverte fait partie de celles qui se réclament de l'écotourisme.

Mais les menaces ne sont pas uniquement celles de la fréquentation touristique. Autour du Grand Cul-de-Sac Marin la culture de canne à sucre provoque une pollution importante, directe et indirecte : les produits phytosanitaires utilisés se déversent dans les eaux du Grand Cul-de-Sac Marin. S'ajoutent dans la Grande Rivière à Goyaves les rejets de vinasse, sous-produit toxique issu du traitement de la mélasse, lequel est concentré à Bonne Mère, ancienne usine sucrière et aujourd'hui distillerie. Enfin, une partie du Grand Cul-de-Sac Marin correspond à l'agglomération de Pointe-à-Pitre, facteur de pollutions urbaines et industrielles.

Bien qu'elles existent, rares sont les sorties dans le Grand Cul-de-Sac Marin qui ne proposent pas de découverte de la mangrove, aussi courte soit-elle. Même si la pratique d'un sport nautique, la fascination pour les îlets ou simplement une balade en mer peuvent constituer les motivations principales des visiteurs, la curiosité pour un milieu inconnu sur les rivages des latitudes tempérées joue un grand rôle dans le succès que connaît aujourd'hui cette forme de tourisme. Lorsqu'on découvre la mangrove par la mer, à plus forte raison si c'est à bord d'un bateau qui reste à distance du front des palétuviers, elle apparaît comme un paysage uniforme. Son originalité est pourtant évidente dès qu'on s'en approche. Mieux encore, si l'embarcation est petite, comme un kayak, il devient possible de pénétrer dans les chenaux qui parcourent la mangrove, voire sous la voûte des palétuviers, et d'en découvrir la zonation.

Dans le Grand Cul-de-Sac Marin, le tourisme dit de nature s'est développé. Il est le plus souvent le fait de métropolitains ou de Guadeloupéens ayant vécu en métropole mais les locaux y participent. Plusieurs "produits" sont proposés : des sorties en kayak, auxquelles participent depuis 1999 environ 2 000 personnes par an ; des sorties en VTT des mers, particulièrement prisées, aux dires de leur organisateur, par une clientèle nord-américaine et métropolitaine ; des sorties sur des bateaux de pêche, qui permettent à leurs propriétaires de faire face à la raréfaction de la ressource dans les eaux de la réserve naturelle. On peut y ajouter des sorties sur des bateaux de taille plus importante qui ne s'approchent guère du front de palétuviers. La plupart du temps, les guides se sont formés seuls et proposent une découverte de la flore et de la faune plus ou moins approfondie. Certains qualifient même leur activité d'écotourisme, sont membres de l'association guadeloupéenne éponyme et dénient aux autres prestataires cette qualité. À Vieux-Bourg de Morne-à-l'Eau, un conflit larvé s'est déclenché entre des pêcheurs et le tenant le plus fervent de pratiques écotouristiques dans la mangrove : elles consistent essentiellement à ne pas déranger les oiseaux, et par conséquent à choisir comme moyen de déplacement sur l'eau un véhicule sans moteur. Les pêcheurs ont vu d'un œil défavorable l'arrivée dans le port d'un étranger, qui critiquait leur manière de procéder et captait une clientèle potentielle pour des sorties en saintoise (embarcation typique des îles). Relégué dans un angle mort du port de Vieux-Bourg, le prestataire de sorties écotouristiques entrepose ses engins, des VTT des mers, sur une grève que l'on n'aperçoit pas depuis le port. Ses sorties n'en remportent pas moins de succès et les quelques clients qui ne trouvent pas le point de départ sont emmenés par les pêcheurs à la découverte du Grand Cul-de-Sac Marin.

Les gestionnaires de la réserve naturelle soutiennent ces pêcheurs reconvertis dans l'accompagnement de touristes. Des campagnes de sensibilisation sont d'autant plus importantes que les pêcheurs et les chasseurs ont en général le plus pâti de la mise en place de la réserve naturelle. Au cours de la promenade, les pêcheurs livrent aux touristes quelques éléments de l'écologie des mangroves. Mais l'intérêt d'une sortie avec un pêcheur vient aussi de ce qu'il fait part d'expériences personnelles, de pratiques antérieures à la création de la réserve, d'une culture de la mangrove à laquelle les acteurs de la protection n'ont pas accès ni les autres organisateurs de sorties à moins d'une très longue familiarité avec ce milieu et ses usagers. L'un des pêcheurs de Vieux Bourg se dit "né dans le canal des Rotours", réputé très poissonneux et dans lequel son père pêchait déjà. Toutes ces informations non livresques, contribution des riverains du Grand Cul-de-Sac à sa découverte par le public, mériteraient d'être valorisées par les acteurs de la protection. L'artificialité du lien en général créé entre les touristes et la population locale pourrait être contournée : le littoral à mangrove, espace créole par opposition aux littoraux balnéaires dont la population se sent dépossédée, acquiert une valeur qu'on ne lui connaissait pas auparavant. En outre, faire participer à la valorisation des mangroves quelques pêcheurs, eux-mêmes relais auprès de la population locale, garantit la diffusion de l'idée que la protection est nécessaire.

Tant que les acteurs de la protection sont perçus comme les tenants de la répression, la réussite de l'entreprise de sauvegarde du patrimoine naturel est vouée à l'échec. Un seul exemple suffit à l'illustrer : la chasse des frégates et des aigrettes, qui se rassemblent avant la tombée de la nuit sur des îlots de mangrove, est interdite. Malgré l'amende de 6 000 francs à laquelle s'exposent les braconniers, certains opèrent la nuit. Dans la mesure où le développement du tourisme dépend de la richesse ornithologique, la protection des ces espèces nicheuses dans la mangrove est essentielle et un ancien chasseur reconverti dans l'accompagnement de visiteurs l'a bien compris. Quand le tourisme qui se développe profitera à la population locale, celle-ci sera certainement facilement acquise à des principes de protection de la mangrove qui peuvent lui paraître aujourd'hui sans fondement.

Pour compléter, pour prolonger, quelques ressources :

 


Judith Klein, d'après la thèse "Protéger le littoral dans les départements français d'outre-mer",

le 01/12/2003

Mise en page web et compléments : Sylviane Tabarly


Mise à jour :  01-12-2003

 


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Pour citer cet article :  

Judith Klein, « La mangrove : un modèle de développement touristique durable ? », Géoconfluences, décembre 2003.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/littoral1/LittorScient2.htm