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Image à la une : orpaillage illégal au Fitri (Tchad central)

Publié le 16/10/2017
Auteur(s) : Géraud Magrin, professeur de géographie - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR Prodig

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Une photographie d’un site d’orpaillage au Tchad central permet d’évoquer quelques uns des enjeux des ruées vers l’or contemporaines au Sahel et au Sahara : accès décentralisé mais précaire aux ressources, mobilités nationales et transfrontalières, impacts sociaux, économiques et environnementaux, régulation étatique.

Bibliographie | citer cet article

 

Géraud Magrin — photographie site d'orpaillage au Tchad en 2016

Site d'orpaillage illégal en zone sahélienne, dans le Tchad central
 
Date de la prise de vue

10 décembre 2016

Auteur de l’image

Géraud Magrin. Cette photographie a été prise dans le cadre d’une mission de recherche sur l’orpaillage de l’UMR Prodig menée au lac Fitri en décembre 2016 avec Raphaëlle Chevrillon-Guibert (IRD) et Audrey Mbagogo (université d’Ati).

Localisation

Zone sahélienne, Tchad central, à une dizaine de kilomètres au sud-est du lac Fitri.
(Cliquez ici pour obtenir la carte générale du Tchad sans le lieu de prise de vue)

Localisation de la photographie

Le regard du géographe

Cette photographie présente un paysage à première vue surprenant mais pourtant emblématique de dynamiques socio-économiques importantes et à forte empreinte territoriale de l’Afrique contemporaine (Magrin, 2017).

Cet ensemble de bosses et de creux se situe au Tchad central, à une dizaine de kilomètres au sud-est du lac Fitri, en plein Sahel – ce que l’on reconnaît aux rares arbres (des Acacia seyal) rescapés de la fureur des chercheurs d’or. C’est un paysage récent. La ruée eut lieu sur une dizaine de jours à la charnière de 2015 et de 2016. Selon les autorités, près de 40 000 personnes auraient afflué de tous horizons – des différentes régions du Tchad comme des pays voisins (Soudan, Nigeria, RCA, Cameroun…) à la recherche de l’or, provoquant l’interdiction de l’activité par le gouvernement tchadien. Celle-ci dépassait les capacités de gestion des autorités locales, le sultanat du Fitri, et pesait sur la sécurité alimentaire du fait de l’augmentation brutale de la population (le département du Fitri comptait environ 110 000 habitants en 2016 avant la ruée vers l’or), alors même que la récolte de sorgho repiqué de l’année précédente avait été médiocre. Aux yeux du pouvoir de N’Djaména, cette ruée présentait aussi un risque sécuritaire, avec l’arrivée incontrôlée d’aventuriers armés dans un contexte géopolitique régional troublé par la violence Boko Haram au Borno nigérian (Pérouse de Montclos, 2014 et 2015), l’instabilité du Darfour soudanais((voir Prunier, 2005, ou le site de Small Arm Survey.)) et la Libye post-Kadhafi en déshérence((voir la section Libye sur le site de l’International Crisis Group.)).

En décembre 2016, un site principal, appelé localement « le grand site », est ainsi surveillé en permanence par un détachement de la garde présidentielle, tandis qu’une demi-douzaine de places secondaires, comme celle qui figure sur cette photo, continuent d’être exploités malgré l’interdiction. Une majorité de creuseurs a reflué, mais plusieurs milliers d’hommes continuent de chercher de l’or – non sans une forte mobilité entre le Fitri, d’autres zones d’orpaillage (au Soudan, dans le Tibesti tchadien, le Djado nigérien…) et les villes régionales.

Une activité dangereuse pratiquée dans l'illégalité

L’interdiction explique l’aspect précaire de ce champ d’orpaillage : ici, point de puits profonds (jusqu’à 70 m) équipés de motopompes pour l’évacuation de l’eau, de systèmes de ventilation, de poulies pour descendre les creuseurs et remonter le minerai comme on en trouverait au Soudan (Chevrillon-Guibert, 2016) ou au Burkina Faso (Mégret, 2013), mais de rares abris et des trous sommaires tout juste étayés – qui atteignent néanmoins une profondeur de 20 m. Cette précarité aggrave les risques auxquels les orpailleurs sont habituellement exposés, dont le principal est l’effondrement des trous, auxquels s’ajoutent les maladies respiratoires et infectieuses liées aux conditions de vie très spartiates. La transformation du minerai pour en extraire l’or se déroule dans la forêt qui entoure le site. L’utilisation sans protection de produits interdits pour amalgamer l’or – notamment le cyanure et le mercure –, expose également la santé des orpailleurs, en même temps qu’elle est une source de pollution environnementale. Les autres prélèvements opérés par les orpailleurs sur les ressources naturelles locales (bois pour la cuisine et la consolidation des trous, viande de brousse), dans des régions de marges où elles étaient relativement épargnées, constituent par ailleurs autant d’impacts habituels des mines artisanales sur l’environnement.

Les « descentes » hebdomadaires des soldats, qui confisquent tout ce qui peut l’être (détecteurs, motos), interdisent l’investissement dans du matériel lourd et contraignent les orpailleurs à rester sur le qui-vive. L’arrivée de notre véhicule a d’abord vidé la scène : les creuseurs se sont cachés. Cette photographie a été prise au moment où l’activité commençait à reprendre, une fois l’absence de danger établie. N’imaginons pas non plus, en dehors du cadre de l’image, de ces formes d’urbanisation « par le bas » si fréquentes à proximité des sites d’orpaillage (Mbodj, 2009), cristallisant la production de richesses autour des noyaux villageois existants et fournissant aux artisans mineurs une grande diversité de services (vivres, commerce divers, restauration, bars, prostitution…). Le balai des ânes portant des bidons d’eau depuis le Fitri vers un site qui en est dénué est ici bien plus visible que l’habitat des creuseurs.

Le contexte des ruées vers l'or sahéliennes et sahariennes

Cette scène s’inscrit dans une série de ruées vers l’or de grande ampleur observées dans les décennies 2000 et surtout 2010. Au Sahel central et au Sahara, elles constituent des phénomènes nouveaux (voir Grégoire et Gagnol, 2016), diffusés notamment à partir du Burkina Faso et du Soudan. Cependant, l’orpaillage est une activité qui s’inscrit dans l’histoire longue en Afrique de l’Ouest – la production d’or ayant été un des fondements des royaumes médiévaux du Mali et du Ghana (Girard, 1992). L’ère des ruées contemporaines est inaugurée dans les décennies 1920-1930, à la recherche de l’or et des diamants (Bredeloup, 2007). L’orpaillage est resté important, quoique intermittent, dans ses foyers anciens de l’Afrique de l’Ouest (entre ouest et sud du Mali, est du Sénégal, nord de la Guinée, de la Côte d’Ivoire et du Ghana ; Burkina Faso), au gré des variations des prix du minerai (voir carte). Cette activité spasmodique s’inscrit dans certaines zones en complémentarité de l’agriculture ; elle est alors pratiquée en saison sèche. Elle s’organise autour d’institutions très anciennes (Grätz, 2004) qui se sont diffusées à l’échelle régionale de manière assez homogène malgré des variantes locales : la production de minerai est partagée entre celui qui a découvert le trou, celui qui fournit le capital (notamment le détecteur de métaux, mais aussi les vivres et le matériel de première transformation) et la main-d‘œuvre des creuseurs ; une part est généralement réservée aux autorités villageoises légataires des accords avec les génies des lieux qui fondent les droits coutumiers. Au Tchad, le caractère massif de la ruée, sa répression et l’éloignement des villages peuplés des sites exploités limitent apparemment l’influence des acteurs coutumiers locaux.

Extraction minière et ruées vers l'or en Afrique sahélo-saharienne

Géraud Magrin — Carte Afrique minière et rentière or diamants

Sources : enquêtes Magrin, Guibert, Grégoire et Atlas Jeune Afrique (2015). Réalisation : P.G. - PRODIG - IRD - 2017

De nombreux facteurs contemporains expliquent l’ampleur inédite des ruées : prix de l’or ; poussée démographique ; sous-emploi et pauvreté rurale et urbaine, aggravée au Sahara par la crise économique liée à la situation sécuritaire ; diffusion de nouvelles techniques de production, baisse des prix des matériels (détecteurs de métaux, produits chimiques pour amalgamer l’or, motopompes et concasseurs d’origine chinoise ou indienne) ainsi que du coût de la logistique (motos, véhicules tout terrain).

Réguler l'activité pour canaliser les retombées et en faire un levier de développement

Ces mines artisanales présentent des enjeux importants en termes de développement. Les États africains sont plus souvent enclins à donner la priorité à l’exploitation industrielle, pourvoyeuse de rente (Magrin, 2013), qu’à des activités artisanales informelles difficiles à contrôler mais qui fournissent de l’emploi et des revenus à un très grand nombre d’acteurs. Le Tchad n’a jusqu’à présent quasiment pas d’industrie minière (en dehors de carrières modestes dont une liée à une cimenterie chinoise ouverte en 2012) : il fut un pays essentiellement agricole dépendant de l’exportation du coton de la zone soudanienne et du bétail sahélien avant de devenir producteur de pétrole au début de la décennie 2000, avec des investissements de grandes entreprises mondialisées (un consortium dirigé par Exxon-Mobil d’abord (2000-2003), puis la China National Petroleum Company (2009-2011), plus récemment (2013) Glencor).

La ruée vers l’or est intervenue dans un contexte où le gouvernement tchadien cherchait à développer l’exploitation de l’or au Tchad pour diversifier ses revenus affectés par la baisse des prix du pétrole depuis fin 2014. Dans l’attente de réunir des conditions attractives pour des investissements industriels (trouver un gisement de taille suffisante et mettre en place un cadre d’investissement attractif), le gouvernement semblait pencher vers un encadrement des orpailleurs et une mécanisation de la transformation, sur le modèle soudanais (Chevrillon-Guibert, 2016), dans le cadre d’une société nationale associée à des capitaux émiratis et sud-africains. Ce projet de « rationalisation » de l’exploitation a sans doute motivé l’interdiction de l’orpaillage et la sanctuarisation de son site principal, au-delà des raisons initialement invoquées (sécurité alimentaire, sécurité). Pour l’heure, au Fitri, l’exploitation, clandestine, n’est taxée – de manière tout aussi informelle – que par certains membres des forces de sécurité à travers les confiscations réalisées dans le cadre de la répression d’une activité désignée comme illégale. Le sultanat, c'est-à-dire le pouvoir local, ne pèse pas dans la régulation de cette nouvelle ressource face au pouvoir central représenté par le détachement de sécurité présidentielle.

L’enjeu, si l’on considère que les activités extractives peuvent contribuer au développement, consiste à concevoir des régulations permettant de réduire les impacts négatifs des mines artisanales (sur la santé et la sécurité des travailleurs, l’environnement, les sociétés locales) tout en conservant leurs bénéfices en termes d’emploi et de distribution décentralisée de revenus. Cela passe par une sécurisation des droits des orpailleurs, notamment face aux entreprises industrielles, ce qui constitue un défi majeur dans la plupart des pays miniers africains((voir par exemple Bolay, 2016 ; ou encore, sur le Congo, le film documentaire de Thierry Michel Katanga Business, 2009.)).
 

Références :

Pour compléter

 

 

Géraud MAGRIN
Professeur de géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR Prodig

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouro

Pour citer cet article :  

Géraud Magrin, « Image à la une : orpaillage illégal au Fitri (Tchad central) », Géoconfluences, octobre 2017.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/magrin-orpaillage-tchad

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