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Image à la une. Les escales de croisière maritime à Bordeaux

Publié le 17/04/2023
Auteur(s) : Victor Piganiol, professeur d'histoire et géographie, doctorant en géographie du tourisme - université Bordeaux Montaigne

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Si Bordeaux est située à l'écart des grandes routes mondiales du tourisme de croisière, la ville accueille fréquemment des navires de croisière maritime. Les touristes qui en descendent sont attirés par la visite de la ville et celle des vignobles de réputation mondiale alentour. À part un effet d'aubaine pour les acteurs du tourisme, les effets spatiaux, positifs et négatifs, sont plus limités que dans d'autres villes européennes, par exemple Venise.

Bibliographie | mots-clésciter cet article

navire de croisière à quai à bordeaux

Document 1. Le paquebot MS Europa à quai, au port de Bordeaux-centre

Le paquebot MS Europa, qui est resté stationné à Bordeaux du 29 mai au 30 mai 2022. Appartenant à la compagnie allemande Hapag-Lloyd, il mesure 199 mètres de long et peut accueillir 400 passagers. En arrière-plan, les deux flèches de la cathédrale Saint-André et celle de son clocher gothique, la tour Pey-Berland (avec la Vierge à l’enfant dorée).

Lieu de prise de vue : Bordeaux, sur la rive gauche du méandre de la Garonne, le long de la promenade des quais adaptés à l’accostage des bateaux de croisière.
Date : dimanche 29 mai 2022
Droits d’usage : photographie libre de droits pour tout usage pédagogique
Auteur : Victor Piganiol

 

Le regard du géographe

La croissance annuelle du nombre d’escales de croisière à Bordeaux s’insère dans le mouvement global et puissant de mise en tourisme contemporaine de la ville et de la métropole du même nom. Alors qu’en 2010, 23 escales ((Les chiffres des escales sont comptabilisés de façon globale pour l’ensemble des sites du Grand Port Maritime de Bordeaux (GPMB) capables d’accueillir des paquebots de croisière (soit au Verdon, à Bassens et à Bordeaux). Un même navire peut donc accoster à la fois au Verdon puis à Bordeaux ou inversement, soit à Bassens puis à Bordeaux ou inversement etc. Dès lors, il sera comptabilisé comme ayant réalisé deux escales dans le Grand Port Maritime de Bordeaux, une dans chaque port. En 2022, 43 navires de croisières ont été comptabilisés pour Bordeaux Port Atlantique. 27 escales ont été effectuées à Bordeaux et 20 escales au Verdon, dont 13 navires en « touchée unique » c’est-à-dire en s’arrêtant uniquement dans ce port et sans remonter en aval la Garonne jusqu’à Bassens ou Bordeaux.)) étaient réalisées dans le Grand Port Maritime de Bordeaux, la moyenne s’est établie autour d’une cinquantaine d’escales programmées chaque année, sauf en 2020 et en 2021, à cause de la pandémie mondiale de covid-19 (document 2). Les escales participent à la politique touristique de la ville et deviennent un attribut à part entière de celle-ci, comme en témoigne leur mention dans le discours officiel diffusé par les acteurs touristiques, ainsi que leur détournement par la sphère marchande, à travers la commercialisation symbolique d’objets-souvenirs (cartes-postales, affiches, photographies, bibelots etc.) usant d’images des escales maritimes pour signifier la touristicité de Bordeaux.

Document 2. Évolution du nombre d’escales de navires de croisière et du nombre de passagers débarqués dans le Grand Port Maritime de Bordeaux entre 2011 et 2023
bar
   

2011;2012;2013;2014;2015;2016;2017;2018;2019;2020;2021;2022

Nombre d'escales  
 

24;34;36;39;35;50;49;44;53;11;18;43;64

  #E31E51

Sources : compte-rendu d'assemblée générale Cruise Bordeaux, 2022 ; OTCBM.

La place des croisières maritimes dans le paysage touristique métropolitain

Seuls trois sites sont adaptés pour accueillir les navires de croisière, celui du Verdon, avant-port situé sur l’estuaire de la Gironde capable de recevoir n’importe quel navire sans restriction de taille ; celui de Bassens (commune membre de la métropole bordelaise) situé à quelques kilomètres de Bordeaux en aval du fleuve, avant le Pont d’Aquitaine, qui peut recevoir des navires de croisière de 255 mètres de long avec un tirant d’air de 49 mètres maximum ; et celui de Bordeaux-centre (Bordeaux-Maritime par distinction avec le Bordeaux-fluvial), qui ne peut recevoir les armements d’une longueur excédant 262 mètres avec un tirant d’air de 50 mètres maximum ((À titre de comparaison, le Wonder of the Seas, l’un des plus grands navires de croisière du monde en activité, exploité par la compagnie maritime américano-norvégienne Royal Caribbean, mesure 362 mètres de long avec un tirant d’air de 72 mètres. Il peut accueillir jusqu'à 7 000 passagers. Le Queen Mary II, de la compagnie américano-britannique Cunard, mesure 345 mètres de longueur avec un tirant d’air de 62 mètres. Il peut transporter jusqu’à 2 600 passagers.)). Deux paquebots peuvent y stationner en même temps.

À l’échelle départementale, plus de 75 % des escales des croisières maritimes se réalisent dans le « Port de la Lune » ((L’espace du méandre de la Garonne sur la rive gauche, sur lequel a été bâti la ville antique puis médiévale et enfin classique.)) à partir d’infrastructures portuaires intra-urbaines, le long du quai Louis XVIII et du quai des Chartrons. Ce rôle de Bordeaux comme cœur de ville offrant la possibilité de planifier une escale de croisière maritime se vérifie également à l’échelle européenne, où la cité girondine fait partie des rares ports où les possibilités d’accoster directement dans le centre sont possibles, avec Saint-Pétersbourg (Russie), Copenhague (Danemark), Dubrovnik (Croatie) ou encore Venise (Italie) ((Au moins jusqu’à récemment pour Venise où tous les navires de croisière accostaient directement dans la gare maritime du centre historique en remontant le canal de la Giudecca. Depuis le 1er août 2021, de façon provisoire et extraordinaire, les navires de croisière (plus de 25 000 tonnes, de 180 mètres long, avec un tirant d’air de plus de 35 mètres) ont été détournés vers deux terminaux du port industriel de Porto Marghera via le canal de Petroli, soit relativement loin du centre historique.)).

Plusieurs atouts sont mis en avant par les acteurs touristiques endogènes et exogènes des escales de croisières maritimes. Du côté des croisiéristes, on peut mentionner la possibilité de visiter la ville directement à pied : plusieurs arrêts de tram de la ligne B sont présents à proximité des paquebots, et l’office de tourisme se situe à quelques centaines de mètres du quai. S’y ajoutent la proximité avec le plus vaste vignoble AOC du pays, l’inscription UNESCO du « port de la Lune », la citadelle de Blaye ou encore la cité médiévale de Saint-Émilion (la juridiction de Saint-Émilion est également inscrite à l’UNESCO depuis 1999). Ces éléments jouent un rôle majeur dans les représentations touristiques et le tropisme de la « destination Bordeaux ». Les entreprises de croisières, elles, apprécient de pouvoir accoster en plein centre-ville, en face de l’hôtel de la Bourse maritime et de la place des Quinconces, avec l’existence d’amarres de qualité préexistantes à l’irruption contemporaine des navires de croisière. La réhabilitation des quais de débarquement et d’embarquement crée des conditions d’exploitation optimales. Pour les pouvoirs publics à différentes échelles, enfin, la volonté politique de voir accoster ces navires précisément à cet endroit, sert un discours sur le renouveau de la ville dans lequel la réappropriation symbolique et économique de la Garonne est mise en avant.

L’originalité des escales bordelaises réside également dans le fait que les opérateurs choisissent de les étaler sur deux jours et une nuit (en « overnight ») et parfois sur trois jours et deux nuits, alors que les escales d'un seul jour sans nuitée effectuée sur place sont fréquentes dans les ports-escales européens. Ces escales sont à l’origine de la formalisation d’une filière d’acteurs du tourisme dont l’essentiel de l’activité dépend de la présence de navires de croisière et de leurs passagers : tour-opérateurs (comme Bordeaux Excellence, qui organise le séjour bordelais des touristes-croisiéristes avec excursions, hébergement en dehors du navire-croisière, activités...), transporteurs (par exemple la société des Transports Girondins, qui prend en charge les visites des touristes-croisiéristes en bus), guides-conférenciers, guides-interprètes… Les itinéraires privilégient les hauts lieux du tourisme bordelais et girondins : le Bordeaux panoramique, la Cité du Vin, les Bassins des Lumières dans la Base sous-marine elle-même située aux Bassins à flot, les châteaux du Médoc, Saint-Émilion...

La spatialité des croisiéristes dans la ville est donc relativement circonscrite. La place des paquebots se limite à une partie des quais même en cas de double-accostage. Cependant, le paysage bordelais s’en trouve profondément modifié puisque l’imposante structure immobile de couleur blanche, par sa taille (hauteur, longueur et largeur), s’observe bien au-delà de la seule inscription des navires en bord de Garonne et ce, pour les personnes qui résident non loin du lieu d’amarrage comme pour celles qui se déplacent à pied, à vélo, en voiture ou en transports en commun à proximité des navires, le long des quais.

La très grande difficulté technique de la navigation sur l’estuaire de la Gironde

 
Document 3. Quais d'accostage des navires de croisière à Bordeaux et sur la Gironde

carte localisation quais

 

La remontée de l’estuaire de la Gironde (75 km de long, 12 km de large à son embouchure pour une superficie de 635 km2) puis du fleuve par les paquebots de croisière est particulièrement technique. Sa durée est de 5 h avant d’atteindre Bordeaux. Le trajet nécessite la prise en compte de multiples aléas naturels : les bancs de sable, les vents, la houle, les courants et la marée dont les coefficients rythment les horaires d’entrée et de sortie des navires de croisière, qui ne peuvent naviguer qu’à marée haute. D’autres éléments d’origine anthropique contraignent la navigation. Il s’agit notamment des lignes de haute tension tendues au-dessus de l’estuaire ou des passages délicats sous les deux franchissements majeurs de la Garonne, le pont d’Aquitaine (ouvrage fixe inauguré en 1967) et le pont Jacques-Chaban-Delmas, un pont levant inauguré en 2013 dont la travée centrale monte jusqu’à 55 m de hauteur pour le passage des navires et redescend à chaque escale.

Document 4. Quelques exemples d’itinéraires de croisière maritime en partance ou en escale à Bordeaux

carte itinéraires de croisière

 

La place de Bordeaux comme deuxième port de croisière (en nombre d’escales) de la façade Atlantique et Manche, derrière Le Havre (porte d’entrée sur la Normandie et Paris), sa croissance et les enjeux économiques et territoriaux soulevés, sont symptomatiques de l’ensemble des ports français de l’Atlantique et de la Manche concernés par le phénomène : les ports basques, La Rochelle, Brest, Saint-Malo, Cherbourg, Caen, Honfleur... Ils sont de plus en plus sollicités par les multinationales de l’industrie des croisières et cherchent dans le même temps à attirer ces dernières en préparant leur espace (port, centre-ville, arrière-pays...) à l’accueil de navires et des populations de croisiéristes, à travers un certain nombre d’investissements publics et parapublics.

La plupart des escales réalisées à Bordeaux s’inscrivent dans des croisières dont la durée est de 7 jours, de 15 jours voire de plus de 20 jours, reliant l’Europe du Nord (Scandinavie, pays baltes, Pologne, Allemagne, Danemark, Pays-Bas, Belgique, Royaume-Uni...) au Sud du continent (France, Espagne, Portugal, Italie, Croatie, Grèce...), ou inversement. Bordeaux est une étape majeure entre La Rochelle et Bilbao. Les paquebots y accostant obéissent à une très forte saisonnalité, puisque l’activité des croisières court du mois d’avril au mois d’octobre.

Cependant, à l’échelle mondiale, la façade Atlantique (« l’Europe de l’Ouest » dans les catalogues des compagnies) reste encore un marché mineur face aux bassins caribéen (celui de la « fun cruise »), méditerranéen et très bientôt chinois. En 2019, Bordeaux ne figure pas parmi les quinze premiers sites d’escales français (en nombre de passagers en transit, source Atout France). De plus, le port de Bordeaux est peu utilisé comme lieu de départ ou d’arrivée de croisières maritimes. Sa connectivité aérienne avec le reste de l’espace européen et mondial, jugée trop faible par les compagnies, demeure une des limites majeures pour la croissance de l’activité de croisière et des revenus liés.

 


Pour aller plus loin

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : acteurs du tourisme | croisière | inscription à l'UNESCO | mise en tourisme | saisonnalité.

 

 

Victor PIGANIOL

Professeur d'histoire et géographie, doctorant en géographie, Université Bordeaux Montaigne, UMR PASSAGES 5319

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Victor Piganiol, « Image à la une. Les escales de croisière maritime à Bordeaux », Géoconfluences, avril 2023.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/croisieres-bordeaux

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