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Crise de l’eau à Mayotte : une question démographique plus que climatique

Publié le 26/06/2024
Auteur(s) : Clara Loïzzo, professeure en classes préparatoires aux grandes écoles - lycée Masséna, Nice
Si la saison des pluies début 2024 a contribué à remplir des réserves taries par plusieurs sécheresses successives et à rassurer quant à la situation hydrique de Mayotte, la situation de crise traversée par l’île a pourtant révélé une situation hydrique tendue ainsi que de nombreux dysfonctionnements, et pose plus généralement la question de la gestion de l’eau sur ce petit territoire insulaire à l’heure des changements globaux.

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Petit territoire insulaire de l’océan Indien, Mayotte jouit d’un climat tropical humide qui lui assure un apport annuel moyen en eau supérieur à 1 500 mm (Météo France). Mais ces apports sont marqués par une forte irrégularité, aussi bien dans l’espace (nord-ouest plus arrosé, sud plus sec), que saisonnière (avec alternance d’une saison sèche pendant l’hiver austral et d’une saison humide pendant l’été austral, entre décembre et mars) et interannuelle. Les conséquences du changement climatique sont encore incertaines à Mayotte. La variabilité interannuelle de la pluie ne semble pas accentuée (documents ci-dessous). Mais les changements pourraient se traduire par une augmentation de la fréquence ou de l’intensité des évènements climatiques extrêmes, tels que les cyclones, auxquels Mayotte est exposée, ou encore les sécheresses. Cette crise de l'eau s'inscrit davantage dans les changements globaux que dans le changement climatique stricto sensu, c'est-à-dire dans une crise environnementale systémique qui englobe notamment la déforestation et les cycles de l'eau.

Les sécheresses répétées qui ont touché ce DROM depuis le début des années 2000, et en particulier la sévère sécheresse de 2023 (la plus grave depuis 1997), ont conduit à une situation de crise hydrique, caractérisée ici par une diminution drastique des ressources disponibles en eau douce. Or, bien que l’île soit dotée d’une usine de dessalement sur Petite-Terre, elle dépend à plus de 95 % pour son approvisionnement des ressources pluviales qui remplissent les retenues collinaires de Combani et Dzoumogné, dans le nord montagneux. La faiblesse de la ressource a obligé le préfet à instaurer des restrictions sévères qui prennent la forme de « tours d’eau », soit des coupures régulières pour distribuer au mieux l’eau entre les différentes localités, aboutissant à un accès intermittent à l’eau (un jour sur deux, puis même un jour sur trois), toujours d’actualité en juillet 2024. Des distributions d’eau en bouteille ont été organisées, à raison d’un litre par jour et par personne, d’abord en direction des individus vulnérables, puis généralisées. Pour faire face à la question du coût, l’État a plafonné le prix des bouteilles en plastique (source préfectorale), et mis en place une campagne de recyclage pour limiter l’impact environnemental de ces mesures. L’État organise enfin un acheminement d’eau depuis les îles voisines de la Réunion et Maurice, et même depuis l’Hexagone. Le cas mahorais pose ainsi plus largement la question de l’approvisionnement en eau des îles, territoires particulièrement vulnérables et parfois dépendants d’apports extérieurs, en particulier dans des contextes de forte pression démographique et touristique.

À ce problème quantitatif s’est ajouté un problème qualitatif, l’île faisant face depuis mars 2024 à une épidémie de choléra, une maladie bactérienne diarrhéique provoquée par l’ingestion d’aliments ou d’eau contaminés, fréquemment liée à un accès insuffisant à l’assainissement, et débouchant sur la mobilisation de la réserve sanitaire et sur une campagne de vaccination. La majeure partie des cas ont d’ailleurs été enregistrés à Koungou dans le nord de l’île, dans un quartier d’urbanisation spontanée où l’accès aux services de base demeure très problématique, comme c’est le cas sur une grande partie du territoire, quoiqu’avec des inégalités très marquées. Pour 30 % des habitants (INSEE 2017), l’accès à l’eau n’est possible qu’hors du domicile ce qui implique donc une corvée d’eau, chez des tiers, via une borne-fontaine, ou un prélèvement dans les eaux de surface plus susceptibles d’être contaminées.

Crise de l’eau à Mayotte : tableau de bord statistique

Anomalies de cumul en mm

Anomalies de précipitations sur le secteur Dzoumogné – Combani en saison des pluies (1970–2023). Source : Météo France. Réalisation : JBB, Géoconfluences, 2024.

augmentation de la population Mayotte

Augmentation de la population mahoraise (1978–2024). Source : INSEE. Réalisation : JBB, Géoconfluences, 2024.

part logements sans eau potable

Part de logements sans eau courante à Mayotte (1997–2017). Source : INSEE. Réalisation : JBB, Géoconfluences, 2024.

Logements sans eau

Nombre de logements sans eau courante à Mayotte (1997–2017). Source : INSEE. Réalisation : JBB, Géoconfluences, 2024.

Car au-delà de l’aspect conjoncturel des faibles précipitations, la crise de l’eau révèle en fait des causes plus profondes. Si la diminution des précipitations, potentiellement aggravée par le changement climatique, diminue l’offre, il faut mettre celle-ci en regard d’une consommation qui, elle, augmente très fortement sous l’effet d’une croissance démographique rapide, la population de Mayotte ayant quadruplé entre 1985 et 2017 (INSEE, 2020). Les infrastructures liées à l’eau sont vétustes (fuites menant à un gaspillage estimé à 40 % de l’eau produite, Ouest France, 2024), posent des problèmes de gouvernance quant aux relations avec le délégataire de service public (le SMAE, filiale du groupe Vinci, voir Le Monde, 2023) et demeurent sous-dimensionnées pour répondre à ces besoins croissants, laissant de nombreux quartiers sous-équipés. D’autant qu’au sein de ce territoire marqué par de multiples manifestations du mal-développement (77 % de la population sous le seuil de pauvreté, INSEE, 2024), la pression démographique, la croissance urbaine et l’extension des terres cultivées alimentent une déforestation comparable dans son rythme à celle de l’Indonésie (UICN, 2020), même si les surfaces sont sans comparaison. Cette déforestation a des conséquences environnementales majeures (émissions de gaz à effet de serre par brûlis, accélération de l’érosion des sols) et impacte la ressource en eau en limitant la recharge des nappes phréatiques, l’eau ruisselant plus qu’elle ne s’infiltre dans les sols. La difficulté à protéger les milieux s’incarne aussi dans les fortes pressions s’exerçant sur les mangroves, en dépit du statut protégé de certaines d’entre elles, et alors que ces forêts littorales jouent, comme de nombreux milieux humides, un rôle essentiel et rendent de nombreux services écologiques (absorption de CO2, limitation de l’érosion littorale, protection contre l’élévation du niveau de la mer et le risque cyclonique, biodiversité marine, filtrage de l’eau).

Dès lors, une gestion plus durable de l’eau à Mayotte impliquerait, outre des investissements massifs nécessaires à la modernisation et à l’adaptation des réseaux d’adduction d’eau et d’assainissement (une nouvelle usine de dessalement et une nouvelle retenue collinaire en projet, mais les sommes engagées par l’État et l’UE sont encore insuffisantes), de ménager davantage les environnements. Des initiatives se développent déjà en ce sens, avec des projets de reforestation, de restauration des mangroves ou encore de développement de l’agroforesterie.


Ressources complémentaires

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Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : changements globaux | corvée d’eau |eau (accès) | île, insularité |quartier d’urbanisation spontanée | sécheresse | tropicalité.

 

 

Clara LOÏZZO

Professeure en classes préparatoires aux grandes écoles, lycée Masséna, Nice

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cette brève :

Clara Loïzzo, « Crise de l’eau à Mayotte : une question démographique plus que climatique », Géoconfluences, juin 2024.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/eau-a-mayotte