Archive. Les petites îles au large des départements français d’Amérique entre convoitises et protection
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2003.
3. Les îlets martiniquais comme enjeu politique
Les articles d'information scientifique de ce dossier s'appuient en large partie sur la thèse de Judith Klein "Protéger le littoral dans les départements français d'outre-mer" (dirigée par Jean-Robert Pitte et soutenue le 6 janvier 2003). Elles abordent plus particulièrement les problèmes liés à l'environnement sur la bande littorale dans les DOM. Ils sont multiples : squattérisation de la bande littorale, recrudescence de l'habitat insalubre et/ou non conforme aux règles de l'urbanisme, superposition de réglementations, etc. La réponse des autorités locales est hésitante car la préservation de l'environnement est perçue comme un luxe, le développement touristique souvent une priorité, et la répression est quasiment inexistante. Nombre de décrets d'application de lois de portée générale n'ont pas encore été édictés.
L'intérêt pour la conservation des petites îles est ancien. C'est précocement qu'en métropole, ces espaces ont bénéficié de mesures de protection, avant les littoraux continentaux qui leur font face. On comptait, en 2000, 607 îles ou îlots, sur les 1 200 environ recensés sur le territoire métropolitain, faisant l'objet d'une ou plusieurs protections. Le Conservatoire du littoral par exemple en avait acquis, partiellement ou en totalité, plus de 40. Dans la législation française en outre, les îlots inhabités font partie des "espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral" et des "milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques". L'article L 146-6 du code de l'urbanisme, l'un des piliers du volet protecteur de la loi "littoral", en affirme le principe. Les départements d'outre-mer n'échappent pas à cette règle et l'intérêt porté aux îlets ou îlots situés au large de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane est grand. Leur nature (îlets rocheux – volcaniques ou calcaires -, sableux ou couverts de mangrove), leur taille, leur population et leur statut administratif invitent à les considérer à part des grandes îles qu'ils bordent et qui dans le cas d'espèce s'apparentent à des littoraux continentaux.
Deux raisons intimement liées expliquent cet intérêt pour les îlets : les milieux insulaires sont fragiles et subissent des pressions proportionnelles à la fascination qu'ils exercent ; ils recèlent une valeur symbolique, nourrissent l'imaginaire occidental, leur protection ayant du même coup une fonction d'emblème. Dans les mers chaudes, cette équation gagne en puissance, la figure de l'île tropicale comme paradis ayant fondé le développement du tourisme international et multiplié les menaces de dégradation des écosystèmes et des paysages. Les petites îles tropicales, notamment les petits États insulaires tropicaux, furent par conséquent au cœur des préoccupations des rédacteurs de l'Agenda 21, texte de référence publié à l'issue de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement qui s'est tenue à Rio en juin 1992 (voir annexe ci-dessous). Préoccupations internationales et nationales s'accordent donc autour de l'impératif de protection des îlets, ses enjeux étant à la fois écologiques, symboliques et politiques.
Les îlets du Grand Cul-de-Sac Marin en Guadeloupe : un exemple d'arbitrage entre protection et tourisme
Près de 3 000 hectares de mangrove, situés au fond d'une baie de 15 000 hectares, forment à l'échelle de la Caraïbe un ensemble remarquable qui a justifié en 1987 la création d'une réserve naturelle, instrument de protection forte dans la législation française. Le Grand Cul-de-Sac Marin, vaste échancrure située au nord de la Rivière Salée, bras de mer séparant la Grande-Terre de la Basse-Terre, est en outre protégée par un récif-barrière de 25 kilomètres, l'un des plus longs des Petites Antilles, qui court de Sainte-Rose à l'ouest au nord de Vieux-Bourg à l'est et émerge par endroits à marée basse. Sur les formations coralliennes actuelles de la barrière ou sur les hauts fonds plus proches de la côte reposent des îlets sablo-vaseux, bordés le plus souvent de mangrove. La réserve naturelle ne couvre pas l'ensemble du Grand Cul-de-Sac Marin mais inclut d'une part les deux plus grandes extensions de mangrove - celle de la Grande Rivière à Goyaves et celle des Abymes -, d'autre part des îlets et une partie de la mer territoriale qui les entoure, colonisée par des herbiers de phanérogames marines. L'association de la mangrove, de récifs coralliens, d'herbiers sous-marins et d'une faune, notamment aviaire, particulièrement nombreuse explique à la fois la protection de cet espace et les convoitises que sa mise en tourisme suscite.
Pour en savoir plus sur la mangrove, voir l'autre page d'information scientifique du dossier : La mangrove : un modèle de développement touristique durable ?
Enjeux de protection de la mangrove et des îlets du Grand Cul-de-Sac Marin, Guadeloupe
(cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Au cours d'une journée passée dans le Grand Cul-de-Sac Marin, le séjour sur l'îlet dure environ quatre heures ; les groupes y arrivent en milieu de matinée, se baignent dans les eaux peu profondes qui l'entourent et en découvrent les fonds marins avec un masque et un tuba, s'y restaurent et s'y reposent ; ce n'est qu'en milieu d'après-midi qu'ils en repartent et longent le littoral à mangrove et le front des rhizophora, avant de regagner leur port de départ. Proches ou éloignés du littoral guadeloupéen, ces îlets sont par conséquent des espaces à enjeux forts, indispensables aux prestataires touristiques s'ils veulent vendre leurs sorties dans le Grand Cul-de-Sac Marin mais aussi convoités par une clientèle de plaisanciers ou par des groupes de particuliers qui s'y font déposer par des pêcheurs des communes riveraines et y passent la journée complète.
Ilet la Biche, dans le Grand Cul-de-Sac Marin, Guadeloupe
Photographie Judith Klein (janvier 2002)
Ilet sablo-vaseux en partie colonisé par la mangrove, il est l'une des haltes pour les visiteurs du Grand Cul-de-Sac Marin (ici des kayaks des mers). Situé au sud de la Petite Biche, l'îlet la Biche, où nichent les jeunes hérons victime d'une chasse aujourd'hui interdite, n'est pas ouvert à la fréquentation et seules les embarcations non motorisées sont autorisées à s'en approcher au plus d'une centaine de mètres"
La principale originalité de cette réserve naturelle vient du fait qu'elle s'attache à protéger des îlets formés pour partie de mangrove. Il s'agit des îlets Christophe, la Biche - 2 hectares respectivement -, Carénage - cet archipel de 2,5 hectares est formé de deux îlets principaux - et Fajou. Une partie de la mer territoriale qui les entoure est incluse dans le périmètre de protection ; elle est colonisée par des herbiers de phanérogames marines, plantes à fleur et à systèmes racinaires qui abritent une faune riche et variée. Sur l'îlet à Fajou se reproduit le Râle gris (Rallus longirostris manglecola), sous-espèce endémique de poule d'eau, et viennent pondre des tortues marines. Afin de favoriser leur reproduction et celle des oiseaux nicheurs, l'éradication des rats et mangoustes portant atteinte aux œufs et l'accès limité aux zones les plus tranquilles ont été préconisés dans le plan de gestion pour la période 1998-2002. Il est interdit de débarquer. Le mouillage forain est interdit ; les bouées mises en place par le gestionnaire sont utilisables pour les autres embarcations. Deux espèces de sternes nichent sur le banc de sable de l'îlet Carénage : la Petite Sterne (Sterna antillarum), endémique à la Caraïbe, et la Sterne Pierregarin (Sterna hirundo). Un arrêté préfectoral de décembre 1997 interdit de débarquer sur l'îlet blanc pendant la période de nidification des sternes, du 1er mai au 31 août. Sur l'îlet la Biche, les jeunes hérons font l'objet d'une chasse préjudiciable à la nidification. Seules les embarcations non motorisées sont autorisées à découvrir le milieu marin, en respectant une distance de fuite d'une centaine de mètres. L'îlet Christophe enfin est habité depuis les années 1970 ; le résident bénéficie d'une autorisation d'occupation temporaire et protège de fait l'îlet des visiteurs qui voudraient porter atteinte à sa faune.
La protection de certains îlets et l'interdiction d'organiser leur fréquentation a eu comme contrepartie un report de la charge sur d'autres, jugés moins sensibles mais qui le deviennent du fait des très fortes convoitises dont ils font l'objet. C'est surtout l'îlet Caret, minuscule accumulation sableuse située à la limite entre le Grand Cul-de-Sac Marin et la pleine mer, sur la barrière récifale, qui est le plus emblématique et le plus convoité de tous. Le Conservatoire du littoral, établissement public chargé de mener une politique d'acquisitions foncières, avait même formé le projet de l'inclure dans son patrimoine mais il ne fut pas soumis à l'approbation de son Conseil d'administration. Son très grand attrait touristique, sa trop petite taille et la protection d'autres îlets proches par le biais de la réserve naturelle du Grand Cul-de-Sac Marin rendait l'opération moins nécessaire que prestigieuse et ne se justifiait finalement pas. Assurer la protection des îlets de mangrove du Grand Cul-de-Sac Marin implique qu'un équilibre soit trouvé entre la sanctuarisation de certains et l'ouverture au public des autres. Or, et c'est le cas de l'îlet Caret, l'érosion dont sont affectées les plages de certains îlets fait craindre aux gestionnaires de la réserve naturelle un report de la fréquentation sur l'îlet à Fajous, tout proche mais entièrement dans le périmètre de la réserve naturelle et dont l'accès est par conséquent restreint.
Quand la protection des îlets revêt une valeur symbolique : le cas des îlets guyanais, négatifs du littoral continental
"À vue d'œil, c'est ravissant. Elles forment, en pleine mer, l'un de ces petits groupes imprévus qui charment les dames et leur font dire au commandant d'un paquebot : "Oh ! commandant ! si vous étiez gentil, vous arrêteriez là !" Des cocotiers les parent. C'est vert, bien tenu. On vous affirmerait qu'un opulent casino orne le plateau de Royale, que cela vous semblerait naturel. Décor pour femmes élégantes et leurs ombrelles ! Les îles sont la terreur des forçats."
Les îles du Salut en Guyane, vues par Albert Londres (Au bagne, 1923)
Le paysage décrit par le journaliste Albert Londres est celui d'une carte postale, telle qu'on la vend aujourd'hui en Guyane, et qui contribue à façonner une image partiale de la France équatoriale, notamment auprès d'une clientèle de croisiéristes nord-américains. Il n'est en effet pas rare que leur seule escale guyanaise soit l'île Royale. Les îles du Salut identifient la Guyane d'une manière forte et incontestable. Pourtant, le cadre enchanteur des îles fut celui du bagne qui, de 1852 à 1946, contribua à forger de la Guyane une image négative. Avant cet épisode, l'île Royale, la plus grande des trois îles du Salut, a servi de mouillage aux navires qui, lors de l'expédition de Kourou de 1763, menée par Thibaud de Chanvalon, alors intendant de la colonie, ne trouvèrent pas sur la côte continentale de la Guyane de rade naturelle. Appelées jusqu'alors les îles du Diable, elles constituèrent alors un refuge pour les colons rescapés de cette expédition, et gagnèrent à cette occasion leur nom actuel et une réputation de salubrité par rapport au continent. L'image aujourd'hui attractive de ces îles trouve par conséquent ses origines dans un épisode plus ancien que celui du bagne : l'échec de l'expédition de Kourou, qui avait pour objet de coloniser la Guyane, fut l'occasion d'un retournement majeur ; les îles devinrent alors une Guyane en négatif, dont la côte a gagné une réputation d'espace répulsif, qui perdure jusqu'aujourd'hui. Tant du point de vue paysager que de celui du patrimoine naturel, les îles du Salut sont une exception guyanaise : point de mangrove mais une végétation essentiellement importée, notamment le cocotier, qui participe de l'imagerie mythique insulaire en même temps qu'il connaît une extension incontrôlée qui met en péril la diversité végétale sur l'île.
Les îles du Salut appartiennent aujourd'hui, à l'exception de quelques bâtiments restés propriété de l'État (DDE), au Centre Spatial Guyanais (CSG) qui ne peut ni en empêcher l'accès ni entraver le développement du tourisme. Les quelques résidents permanents - gérants de l'hôtel sur Royale, gendarmes - doivent simplement les quitter à chaque lancement de fusée, ces îles se trouvant en face de la base spatiale de Kourou. Le Conservatoire du littoral est propriétaire, depuis la fin de l'année 1990, de la maison du directeur du bagne et de son emprise de 2 185 m2 ; cette acquisition fut assortie d'une servitude de protection étendue aux trois îles, qui prévoit qu'aucun bâtiment neuf, à l'exception de ceux que l'activité spatiale exige, ne pourrait y être construit - un carbet abritant une salle de restaurant attenante à l'auberge avait été édifié au début des années 1980, avec l'accord de l'Architecte des Bâtiments de France-. En achetant l'un des plus beaux bâtiments de l'île Royale, qui surplombe la baie des Cocotiers et offre une vue sur le littoral de Kourou, le Conservatoire du littoral a assurément réalisé une opération de prestige et hautement symbolique ; sa restauration, grâce au concours financier du CSG, a scellé une coopération dont les deux parties tirent chacune un bénéfice aussi grand : le Conservatoire du littoral, en associant son nom aux îles du Salut, peut prétendre à une place parmi les acteurs principaux de la protection du littoral guyanais ; le CSG, qui souffre en Guyane d'une image mitigée, trouve dans le Conservatoire du littoral le partenaire qu'il cherchait pour la corriger, l'établissement étant réputé pour sa collaboration avec les collectivités territoriales.
Les îles du Salut, au même titre que les autres îlots du littoral guyanais, sont des éléments stables sur un littoral mouvant, le long duquel se déplacent des bancs de vase qui rendent la navigation difficile, et où s'étend une mangrove qui établit une frontière le plus souvent infranchissable entre la mer et les terres basses. Elles offrent ce qui fait défaut à la Guyane continentale, à savoir l'insularité et ses paysages mythiques, des dimensions "à l'échelle humaine", le loisir de parcourir le littoral à pied et d'en faire le tour, une anthropisation dont les signes sont abondants et contrastent avec le vide guyanais. Cela explique leur succès auprès des touristes et du même coup la nécessité de contrôler leur fréquentation, qui ne peut se faire sans le renforcement des moyens de gestion. Si les îles du Salut sont les seules dont l'accès soit libre (et encore ne s'agit-il que de l'île Royale), leur protection s'inscrit dans une stratégie plus générale de préservation de l'ensemble des îlets du littoral guyanais, prolongements en mer de la presqu'île de Cayenne, la seule avancée, de l'Orénoque à l'Amazone, du bouclier guyanais jusqu'à la mer. Et cela même si aucune menace particulière ne pèse sur eux, ni aucun patrimoine faunistique ou floristique remarquable ne les distingue.
Les îlets martiniquais comme enjeu politique
Sur la côte atlantique de l'île, de la presqu'île de la Caravelle au nord à la pointe sud de la commune de Sainte-Anne, s'égrènent près d'une trentaine d'îlets ; ils prolongent la succession des caps et ferment les nombreuses baies de ce littoral peu profond et protégé par une barrière corallienne. L'intérêt du Conservatoire du littoral pour les îlets ne se dément pas en Martinique mais la signature d'une "Charte des îlets", sorte de code de bonne conduite veillant à assurer la protection d'espaces dont la fragilité est proportionnelle à leur taille réduite, s'inscrit dans un contexte particulier. Privés pour la plupart, et abritant des résidences secondaires le plus souvent, voire des hôtels de luxe, les îlets appartiennent en majorité aux blancs créoles, descendants des propriétaires de plantations et connus sous le nom de békés. L'attrait exercé en général par les îlets se double dans ce département de l'intérêt que manifestent les acteurs politiques locaux pour ces espaces et notamment de leur volonté d'en voir l'appropriation limitée. Les interventions des acteurs étatiques en faveur de la protection des îlets se trouvent par conséquent prises dans le jeu politique opposant les deux parties, celle des propriétaires et celle des élus, aux décisions desquels le travail du Conservatoire du littoral est par nature très étroitement lié.
Sur la côte atlantique de l'île, de la presqu'île de la Caravelle au nord à la pointe sud de la commune de Sainte-Anne, s'égrènent près d'une trentaine d'îlets ; ils prolongent la succession des caps et ferment les nombreuses baies de ce littoral peu profond et protégé par une barrière corallienne. L'intérêt du Conservatoire du littoral pour les îlets ne se dément pas en Martinique mais la signature d'une "Charte des îlets", sorte de code de bonne conduite veillant à assurer la protection d'espaces dont la fragilité est proportionnelle à leur taille réduite, s'inscrit dans un contexte particulier. Privés pour la plupart, et abritant des résidences secondaires le plus souvent, voire des hôtels de luxe, les îlets appartiennent en majorité aux blancs créoles, descendants des propriétaires de plantations et connus sous le nom de békés. L'attrait exercé en général par les îlets se double dans ce département de l'intérêt que manifestent les acteurs politiques locaux pour ces espaces et notamment de leur volonté d'en voir l'appropriation limitée. Les interventions des acteurs étatiques en faveur de la protection des îlets se trouvent par conséquent prises dans le jeu politique opposant les deux parties, celle des propriétaires et celle des élus, aux décisions desquels le travail du Conservatoire du littoral est par nature très étroitement lié.
Localisations et image satellite
Pour des compléments et des précisions sur les récifs coralliens, consulter aussi les pages "savoir faire" et "corpus documentaire" du dossier |
Localisations sur composition colorée (pop-up) de l'image satellite du 28 septembre 1994 (Spot 3 - HRV1). Copyright CNES / distribution Spot Image, d'après les données de la banque d'images MJENR - Spot Image (pop-up) Les récifs coralliens se développent au large de la côte "au vent" de la Martinique. La direction de l'alizé est indiquée par la flèche blanche (sens général de l'alignement des nuages) |
Jusque dans les années 1970, Les îlets martiniquais n'étaient guère fréquentés que par les pêcheurs, pour lesquels ils constituaient une base - ils y laissaient du matériel et y passaient la journée - et, pour un usage récréatif, par leurs propriétaires qui y avaient construit le plus souvent des résidences secondaires. Les premières sorties de loisir dans la baie du Robert et sur ses îlets remontent au milieu des années 1970. Elles étaient alors organisées par le Parc Naturel Régional tout juste naissant, dont le personnel encadrait au maximum une cinquantaine de personnes par semaine. On se baignait dans les eaux de l'îlet Madame mais la motivation de ces sorties ne résidait pas dans la reproduction, sur des plages isolées, des classiques pratiques balnéaires.
L'organisation d'excursions fut réellement mise sur pied au début des années 1980 et la fréquentation des îlets prit de l'ampleur à partir du milieu de cette même décennie. Elle ne cesse depuis d'augmenter et de se concentrer sur quelques îlets particulièrement, sur lesquels les problèmes se multiplient - dégradation de la végétation, pollution des eaux du fait des rejets non maîtrisés, gestion des déchets, transformations paysagères - , alors que d'autres sont encore préservés. La plupart des îlets reste en effet inaccessible à qui ne possède pas sa propre embarcation, n'a pas recours aux services d'un pêcheur ou ne participe pas à une excursion. La location de kayaks est par ailleurs à l'origine de débarquements ponctuels sur certains îlets mais ceux-ci ne représentent en aucun cas une fréquentation importante. Éléments importants du développement touristique des communes du centre-atlantique, et de la Martinique par extension, les îlets apparaissent par conséquent à la plupart des élus comme un patrimoine dont la mise en valeur est empêchée par leur appropriation au profit d'un nombre très limité de propriétaires.
Alors que l'idée de protection des îlets est chaque jour davantage portée par les représentants de l'État, qu'il s'agisse du Conservatoire du littoral ou l'ONF, gestionnaire depuis la fin des années 1970 d'une partie du littoral non bâti dans les Antilles, et soutenue par les élus, les propriétaires développent un discours concourrant à disqualifier ces acteurs et à leur dénier de quelconques qualités en matière de préservation de l'environnement. Les îlets martiniquais sont un exemple d'espaces convoités à la fois du fait de leur rareté, de ce que leurs rivages très peu construits contrastent avec ceux qui leur font face, et de leur identification à un groupe social particulier (encore qu'il faille nuancer cette dernière affirmation, certains îlets n'appartenant pas à des familles békés).
L'enjeu que revêt leur protection, s'il est écologique, est surtout économique et politique : les convoitises qu'ils suscitent accroissent leur fragilité, en même temps que leur ouverture au public pourrait être le support d'un tourisme original ; la protection de l'environnement littoral est aussi affaire de symboles et doit satisfaire des attentes, conscientes ou inconscientes, des administrés pour que les élus en soient les porte-drapeaux. Le caractère symbolique de la protection des îlets n'est pas moins fort dans les autres DOM, voire en métropole.
Annexe
Les littoraux, les îles et le développement durable - Chapitre 17 de l'Agenda 21 adopté à Rio en 1992 (titre et table des matières)
"Protection des océans et de toutes les mers - y compris les mers fermées et semi-fermées - et des zones côtières et [la] protection, [l']utilisation rationnelle et [la] mise en valeur de leurs ressources biologiques" :
- Gestion intégrée et développement durable des zones côtières, y compris de la zone économique exclusive ;
- Protection du milieu marin ;
- Exploitation durable et conservation des ressources biologiques marines en haute mer ;
- Exploitation durable et conservation des ressources biologiques marines relevant de la juridiction nationale ;
- Examen des incertitudes fondamentales concernant la gestion du milieu marin et les changements climatiques ;
- Renforcement de la coopération et de la coordination internationales, notamment au niveau régional ;
- Développement durable des petites zones insulaires.
Judith Klein, d'après la thèse "Protéger le littoral dans les départements français d'outre-mer",
pour Géoconfluences le 01/12/2003
Mise en page web et compléments : Sylviane Tabarly
Mise à jour : 01-12-2003
Pour citer cet article :
Judith Klein, « Archive. Les petites îles au large des départements français d’Amérique entre convoitises et protection », Géoconfluences, décembre 2003.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/littoral1/LittorScient3.htm