Introduction
Nathalie Reveyaz, agrégée de géographie, IA-IPR d'histoire-géographie - académie de Grenoble
La géographie contemporaine questionne les interactions entre nature et société au regard de l'évolution de la connaissance des changements environnementaux. Cette connaissance, de plus en plus précise à différentes échelles, permet de mieux comprendre la dimension systémique des changements globaux. Par exemple, il est devenu impossible de dissocier les changements climatiques, la déforestation, la transition alimentaire et la surpêche, les émissions de gaz à effet de serre, l’urbanisation et la croissance démographique, car ces phénomènes s’influencent entre eux. C’est pour insister sur cette interdépendance qu’on parle de changements globaux, le plus souvent au pluriel.
À l'échelle mondiale, les menaces pressantes pesant sur la biosphère et l'atmosphère sont une réalité, mais toutes les autres échelles permettent d'affiner le raisonnement et de montrer le rôle ambivalent des sociétés humaines dans leur environnement. Raisonner sur les changements globaux permet d’intégrer tant la temporalité des systèmes et de leurs mutations que leurs dynamiques et leurs interactions. Ainsi, par les changements globaux, la géographie tend à envisager différentes formes de transitions inhérentes aux phénomènes environnementaux. Si nous avons d'abord fait le choix du singulier dans le titre du dossier pour rester fidèle à la formulation employée dans le programme scolaire de cycle 4 de 2015, la décision a été finalement prise en 2022 de parler « des changements globaux » tant chaque situation locale et régionale est différente et met en jeu un large éventail de modalités et de facteurs.
Parmi les changements globaux, le changement climatique est celui qui articule tous les autres. La synthèse de Magali Reghezza-Zitt « Sociétés humaines et territoires dans un climat qui change. Du réchauffement climatique global aux politiques climatiques » permet de faire le point sur l'état actuel des connaissances scientifiques sur le réchauffement climatique planétaire. Le texte de Virginie Duvat, « La crise climatique crée-t-elle une situation d’urgence dans les atolls ? » décline des exemples locaux très médiatiques, en apportant des nuances par rapport aux discours habituels. L'article d'Étienne Cossart « Le changement global : un champ scientifique fécond pour le géographe » peut être lu comme une bonne introduction épistémologique à la notion de changement global, remise en perspective avec les autres termes désignant la transcription scientifique des préoccupations environnementales, du développement durable aux Anthropocene studies. L'auteur y rappelle le rôle que les géographes et la géographie peuvent jouer dans l'appréhension du changement global, notamment par leur familiarité avec l'approche systémique et la dimension temporelle des phénomènes spatiaux. Les milieux « naturels » ne peuvent être étudiés qu'au croisement de la dimension physique et de la dimension sociale, comme le rappelle l'article d'Antoine Gardel, « Bancs de vase, mangroves et plages en mouvement le long du littoral de Guyane ». Le texte de Bernadette Mérenne-Schoumaker, « Les migrations environnementales : un nouvel objet d’enseignement » (2020), propose de contextualiser l'étude des migrations environnementales dont l'approche dépasse celle du changement climatique pour bien s'inscrire dans une dimension à la fois mondiale et globale. L'article d'Arthur Guérin-Turcq sur les forêts dans le monde (2023) est là pour rappeler la profonde intrication des écosystèmes avec les sociétés humaines, dans un monde où l'écoumène coïncide désormais avec la planète toute entière, comme le montre Camille Escudé à propos de l'Antarctique.
Localement, les effets des changements globaux sont rarement monofactoriels. Ainsi, dans le cas de la crise agricole en Casamance, des troubles politiques sont responsables, au moins autant que le déficit hydrique, des difficultés des agriculteurs qui les obligent à se tourner vers la cueillette (Mohamed Lamine NDAO, « Cueillir pour survivre, un exemple d’adaptation à la crise agricole et sociale dans la commune de Niaguis (Ziguinchor, Sénégal) »). De même, l'érosion des habitats écologiques, elle-même l'un des facteurs de la crise de la biodiversité, se traduit-elle à la fois par la réduction, en surface, des habitats et par leur fragmentation, comme l'explique avec précision l'article de Céline Clauzel : « Les réseaux écologiques, une stratégie de conservation pour concilier fonctionnalités écologiques et aménagement du territoire » (2022).
Trois articles s'intéressent au Brésil pour tenter de sortir des clichés sur un État irresponsable destructeur du « poumon vert de la planète ». Marion Daugeard et François-Michel Le Tourneau, dans « Le Brésil, de la déforestation à la reforestation ? », montrent que la reforestation est une priorité pour l'État brésilien, et pas uniquement pour des raisons environnementales, mais aussi pour une question de stature internationale et même de productivité économique. L'environnement est donc à la croisée d'autres enjeux. Lucie Morère, à travers l'exemple des mosaïques d'aires protégées, étudie les modèles de protection environnementale proposés par le Brésil dans Lucie Morère, « Les mosaïques d’aires protégées au Brésil, entre protection et développement ». Le texte de Marc Nassivera, « Préserver le Cerrado, la savane brésilienne dans l’ombre de l’Amazonie » montre que par comparaison avec l'emblématique Amazonie, le biome cerrado, très riche en biodiversité, est soumis à des pressions anthropiques beaucoup plus fortes et moins régulées. Les thématiques abordées au Brésil peuvent être transposées au cas de la production d’huile de palme sur l’île de Bornéo, avec cette ressource, dans la rubrique savoir-faire : Étudier les relations environnement-sociétés à partir du cas de l'huile de palme à Bornéo.
Les sociétés, à l'échelle locale, sont aussi à prendre en compte lors de l'application de solutions imaginées aux autres échelles : c'est ainsi que la mise en œuvre de la production éolienne, incontournable dans tout scénario de transition énergétique, peut se heurter localement à des oppositions très affirmées, comme l'a analysé Annaig Oiry « Développer les énergies marines renouvelables sur la façade atlantique française : entre contestation et planification ». Les conflits environnementaux occupent une part importante dans le dossier, par exemple dans l'article de Fabrice Clerfeuille, « Le conflit autour du projet minier « Montagne d’or » en Guyane au prisme de la géopolitique locale » (2022).
Un sous-dossier traite plus particulièrement de la géographie des animaux. Celle-ci offre des approches originales pour mettre en lumière les interactions entre humains et non-humains. Un texte de Farid Benhammou fait l'état de la recherche sur le sujet : « Synthèse d'un renouveau prometteur et hétéroclite : vers une géographie humaine et politique de l’animal ». Stéphane Héritier montre à partir de l'exemple d'une variété blanche d'ours brun comment la protection d'une espèce peut entraîner celle de tout un espace : « Protéger un animal pour protéger un territoire : l'ours kermode, animal phare de la protection de l’environnement en Colombie britannique ». À l'inverse, Fabien Pouillon et Lionel Laslaz montrent comment les critiques d'une pratique de chasse traditionnelle ont paradoxalement entraîné son renouveau : « Le grindadráp aux Îles Féroé : approche géographique d’une controverse environnementale ». L'article de Stéphane Ondo Ze, « Le "parc marche" dans la militarisation de la conservation des éléphants de forêt au Gabon » met en lumière l'intrication des questions géopolitiques dans la protection des éléphants de forêt au Gabon, les parcs nationaux étant autant un dispositif de protection de cette espèce menacée qu'un moyen de contrôler les frontières.
>>> Voir la bibliographie consacrée à la question « La nature, objet géographique » et celle consacrée à « Environnements : approches géographiques ».
Ce dossier a été ouvert en octobre 2018 et sera régulièrement complété.
Tous les articles de ce dossier ont fait l'objet d'une double relecture, éditoriale et scientifique.
L'image de couverture est extraite de l'article de M. Daugeard et F.-M. Le Tourneau « Le Brésil, de la déforestation à la reforestation ? » (figure 12).
Jean-Benoît BOURON
Professeur agrégé de géographie, responsable éditorial de Géoconfluences
Nathalie REVEYAZ,
IA-IPR histoire et géographie – Académie de Grenoble
Mise en web : Jean-Benoît Bouron, octobre 2018. Dernière modification : septembre 2024.
Pour citer cette introduction :
Jean-Benoît Bouron et Nathalie Reveyaz, introduction du dossier « Les systèmes socio-écologiques face aux changements globaux », Géoconfluences, octobre 2018, mises à jour régulières depuis.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/changement-global/introduction/
Pour citer cet article :
Jean-Benoît Bouron et Nathalie Reveyaz, « Introduction », Géoconfluences, octobre 2018.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/changement-global/introduction