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Montserrat ou l’impossibilité d’une île ? Les difficultés de la résilience en milieu insulaire

Publié le 15/09/2020
Auteur(s) : Serge Bourgeat, agrégé et docteur en géographie
Catherine Bras, professeure agrégée de géographie - académie de Grenoble

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L'île de Montserrat, dans les Antilles britanniques, subit une éruption volcanique qui dure depuis 1995. Déjà plus de quinze fois plus exiguë que sa voisine immédiate la Guadeloupe, sa superficie est aujourd'hui réduite de moitié par une zone interdite. Comment un territoire peut-il se reconstruire malgré de telles contraintes, alors que sa capitale, son port et son aéroport ont été détruits par l'éruption ?

Bibliographie | citer cet article

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 « Cette petite île… est un très grand lieu, un lieu très sacré, regorgeant de catastrophes passionnées (…). Dieu ne peut la laisser en paix mais s’acharne toujours, à ce qu’il me semble, à sa destruction… J’ai l’idée qu’au moment de ma mort, l’île doit sombrer. »

M.P. Shiel (écrivain de Montserrat, mort en 1947). About myself. The candid friend. Londres. 1901.

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Document 1. La réorganisation territoriale de Montserrat

carte de Montserrat — Serge Bourgeat et Catherine Bras

NB. Il existe en réalité une zonation évolutive de l’île en huit catégories officielles (voir document 6) : six zones terrestres et deux zones marines (Allen 2017 ; Sparks 2013). Chacune de ces zones correspond à un certain nombre de restrictions au transit, au travail ou à l’habitat. Le regroupement en deux zones de la carte ci-dessus est la version synthétique fournie par les autorités de Montserrat et présente sur la plupart des cartes.

 

Le 18 juillet 1995 la Soufrière de Montserrat entre en éruption. Il s’agit d’un édifice complexe comprenant plusieurs sommets (« Soufrière Hills ») et culminant alors à 915 mètres à Chance Peak (document 1). Sa dernière grande manifestation datait du XVIIe siècle. Mais malgré quelques activités secondaires dans les années 1930 et les années 1960 (Baillard 2018, Lalubie 2013), les 350 ans de sommeil relatif du volcan et la fertilité de ses sols avaient contribué au peuplement de ses flancs. Une bonne partie des 11 000 habitants de l’île y vivaient, et la capitale de ce territoire britannique d’outre-mer, Plymouth (3 500 habitants en 1995), était située sur les basses pentes du volcan en bord de mer des Caraïbes, sous le vent. Cette éruption ne fut que la première manifestation d’une activité volcanique qui connut son paroxysme entre juin et août 1997 et se traduisit par la destruction complète de Plymouth.

L’objet de ce texte est de faire le point, 25 ans après le début de l’éruption, sur les profondes mutations territoriales de cet espace insulaire. Il est en effet très rare que la question du risque et de l’insularité soient soulignées avec autant d’intensité que dans le cas de Montserrat. Il s’agira donc ici, avant tout, d’analyser les conséquences de la catastrophe dans un cadre très contraint, marqué par une très forte exiguïté : Montserrat ne mesure que 102 km². À titre de comparaison, la superficie d’Antigua, île proche qui fait figure de relais de la métropole, est triple (281 km²), et celle de la Guadeloupe est de 1 628 km². Or, l’éruption ayant rendu 60 % des terres inhabitables, l’exiguïté rend difficile toute résilience… d’autant plus que le risque est toujours présent comme en témoignent les manifestations récentes du volcan en 2010 puis en 2017. Le cas de Montserrat est donc révélateur d’une reterritorialisation forcée, extrêmement brutale et rapide : la rétraction d’un espace déjà fortement contraint et son recentrement vers le nord. Comment recréer une activité économique, des infrastructures routières, étatiques… alors que l’on ne dispose plus que de 40 % d’un territoire initialement de 102 km² ?

 

1. Une catastrophe volcanique qui touche le centre névralgique de l’île

Avant la catastrophe, Montserrat était assez représentative des territoires britanniques ultra-marins, au même titre qu'Anguilla ou les Îles Vierges britanniques. Sa gestion était très largement autonome, son économie reposait sur le développement de résidences touristiques de luxe, sur les subsides accordés par Londres voire par l’Union européenne, et sur une activité offshore de paradis fiscal. L’agriculture était peu productive. Elle connut pourtant son heure de gloire. Onésime Reclus, dans sa « Grande Géographie » de 1914 (p. 145), notait qu’il s’agissait d’« une des îles les plus prospères des Antilles (les planteurs s’y sont consacrés à la culture intensive du citronnier et ce sont eux qui ravitaillent entièrement l’Angleterre en lime juice) ». C’est surtout dans ce premier XXe siècle que s’était développé le cycle du coton qui, plus que la canne à sucre, fut gage et symbole de prospérité pour l’île et connut son apogée en 1941. Au moment de l’éruption, cette agriculture était globalement en déclin, phénomène renforcé par l’exiguïté de l’île : en 1995 l’emprise spatiale du coton mais aussi de la canne à sucre ou du citron vert ne dépassait guère les 5 km². Les activités économiques étaient localisées principalement sur les pentes de la Soufrière dont le versant sud-ouest était le cœur de l’île : entre 70 et 80 % des infrastructures et de l’économie étaient implantées de Salem à Plymouth et à Morris, mais aussi, sur l’autre versant à Spanish Point au droit de l’aéroport international (tous les toponymes cités figurent sur le document 1).

Dès décembre 1995, cinq mois après le début de l’éruption, 6 000 personnes sont évacuées vers le nord, essentiellement vers la région de Salem qui devient alors le poumon économique de l’île (Salem sur les hauteurs, et Old Road Bay sur le littoral, déclarée par les autorités comme « port alternatif »). Passé ce qui paraissait à tort être le paroxysme, l’accès partiel aux zones agricoles puis le retour des habitants sont autorisés début 1996. En fait, les autorités locales et britanniques semblent avoir louvoyé à cause d’une faible connaissance historique du risque, ce dont témoigne l’absence d’observatoire local avant 1995. Marie-Denise Baillard (2018) a émis l’hypothèse que les rapports scientifiques des années 1980, notamment celui de l’Université des Antilles de 1986, avaient été sans doute « oubliés » ou du moins mésestimés. Selon Franck Savage, gouverneur de 1993 à 1997 (cité par Baillard, p. 59), certains de ces rapports avaient été détruits lors du passage du cyclone Hugo en 1989. Les autorités ont ainsi hésité entre une politique de repeuplement du sud dès que l’éruption serait terminée (un projet de reconstruction du port de Plymouth est lancé en 1996), un projet de relocalisation au nord, voire une évacuation totale de l’île, solution un temps envisagée par les Britanniques. Finalement une zone d’exclusion est créée en avril 1996 à l’instigation du Royaume-Uni. Celle-ci est modifiée et étendue en 1997 suite aux nouvelles éruptions de la Soufrière. Elle s’est accompagnée du Volontary Relocation Scheme, ensemble de simplifications administratives pour les personnes souhaitant s’installer en Grande-Bretagne.

La Soufrière est en effet restée en activité comme en témoignent les éruptions phréatiques et l'émergence d’une aiguille de lave de septembre 1995 à mars 1996. Puis, du 29 mars au 17 septembre 1996, le volcan a connu une série de coulées et de déferlantes pyroclastiques catastrophiques, notamment sur son flanc est, moins peuplé. À partir d’avril 1997, ces nuées ardentes deviennent plus fréquentes : l’aéroport est touché le 25 juin, et c’est une autre nuée qui détruit définitivement Plymouth les 3 et 4 août 1997.

Document 2. Plymouth le 12 juillet 1997

plymouth photographie éruption Montserrat — R. P. Hoblitt

Cliché de R. P. Hoblitt, domaine public (source).

Sur cette photographie prise trois semaines avant la destruction définitive de Plymouth, on voit que les bâtiments et les infrastructures, notamment routières, sont encore intactes, mais que la ville est couverte d’une épaisse couche de cendres volcaniques. Ces prémices ont poussé les populations qui bravaient encore les ordres d’évacuation à fuir avant les coulées pyroclastiques des 3 et 4 août. La prise en compte de ces signes avant-coureurs a contribué au faible nombre de morts liés à la catastrophe.

 

On ne déplore que 19 morts. Toutefois les conséquences humaines sont très lourdes. Une partie des habitants décide de rester sur l’île en se relogeant plus au nord, parfois chez des parents ou sur des terrains familiaux : l’île étant petite (document 3), on pouvait posséder un terrain au nord et une maison au sud. Le nord connaît donc depuis lors une certaine densification, principalement dans deux zones, et ce pour des raisons diamétralement opposées : celle de Brades, car la plus éloignée du volcan, celle de Salem-Old Town, car au contraire plus proche … donc plus proche aussi des anciens habitats. Toutefois une majeure partie des 10 639 habitants (recensement de 1991) opte pour un départ a priori définitif vers Antigua ou vers le Royaume-Uni, soit 8 000 personnes environ (document 4). Ce choix s’explique aussi par le fait que les habitants avaient déjà été fragilisés par le cyclone Hugo qui avait fortement touché l’île en 1989 : 90 % des bâtiments furent touchés et les dommages furent estimés à plus de 100 millions de dollars. Certains sont cependant revenus depuis le début des années 2000 et la population s’est accrue de 2 000 personnes entre 2001 et 2020. Actuellement, et en l’absence de nouveau recensement, les estimations varient entre 4 992 et 5 346 habitants.

Document 3. Montserrat en 2009

photographie éruption Montserrat — NASA

Cliché NASA, 11 octobre 2009, domaine public (source).

Sur cette photographie prise 14 ans après le début de l’éruption, on mesure l’emprise spatiale du volcan sur le territoire exigu de l’île. Sur la gauche, on note les coulées qui ont enseveli l’aéroport W.H. Bramble mais qui ont aussi modifié le trait côtier (on estime que l’éruption a fait gagner à l’île près de 2 km²… soit 2 % de sa superficie). Le paroxysme de l’éruption est certes passé mais le nuage de cendres est toujours là et contribue à inquiéter, voire à déstabiliser les habitants.

Document 4. L’évolution de la population de Montserrat 1976-2018

graphique population Montserrat

Document 5. Débris volcaniques dans la basse-vallée de la Belham River (2011)

plymouth photographie éruption Montserrat — David Stanley

Cliché de David Stanley, 2011, licence CC BY 2.0 (source)

Cette photographie prise 14 ans après le paroxysme de l’éruption illustre la difficulté de la résilience : tous les thalwegs de la partie sud ont été comblés de débris et les réseaux hydrographiques ont été complètement modifiés y compris dans la zone autorisée (la Belham River coule de la zone d’exclusion à la zone autorisée jusqu’à Old Road Bay).

Document 6. Le zonage de l’île

carte zone interdite Montserrat

Traduction des auteurs.

La carte est régulièrement actualisée en fonction des données transmises par l’observatoire volcanologique, créé depuis la catastrophe.

Les plans gouvernementaux d’aménagement de l’île englobent pour la plupart dans leurs stratégies les zones A, B et F mais classent la zone C dans la zone d’exclusion. C’est ce « zonage simplifié » qui est représenté en document 1 et qui est porté sur toutes les « cartes touristiques ».

Document 7. Entrée de la zone interdite dans la partie sud de l'île

photographie zone interdite Montserrat — David Stanley

« Entrée interdite à partir de ce point. Cette zone est classée dangereuse. Tout accès non autorisé est interdit et toute entrée non autorisée est passible de poursuites ». Cliché de David Stanley, 2011, licence CC BY 2.0 (source).

 

2. Une nécessaire recomposition territoriale dans un espace rétracté

En 1998, les autorités locales décident de transférer le siège provisoire du gouvernement à Brades, peuplée d’un millier d’habitants, qui devient donc capitale de facto (Plymouth restant toujours la capitale de jure). Le transfert est d’autant plus aisé que les institutions sont de petite taille (l’assemblée législative ne compte que 11 membres ((Montserrat étant un territoire autonome, un gouverneur exerce le pouvoir exécutif. Les autres institutions sont le Cabinet composé du Premier ministre et des ministres et de l’Assemblée législative.))). Le choix de Brades, sur un replat dominant la mer, a été guidé par la proximité immédiate du port de Little Bay, distant d’un kilomètre environ, qui a été doté d’un ponton pouvant accueillir des ferries. Ce ponton, financé par le DFID (Department for international development du Royaume-Uni), a permis de garder le lien avec l’extérieur, principalement Antigua, à une époque où le port de Plymouth et l’aéroport étaient détruits.

Depuis 2009, le projet d’une « nouvelle capitale » connectant les deux sites de Brades et de Little Bay est récurrent. Si à l’heure actuelle Little Bay ressemble encore à un simple débarcadère doublé d’un grand parking, le projet officiel vise à développer un port de plaisance pour yachts de luxe, un débarcadère pour les navires de croisières, une marina, et à urbaniser le lieu en aménageant une place centrale et en créant un monumental siège du gouvernement (document 8). Les travaux, censés être entamés dès 2020 par le réaménagement du débarcadère (Roach 2018 ; MS Gov. 2020), sont financés par la Carribean Development Bank et par le Fonds de partenariat pour les infrastructures des Caraïbes au Royaume-Uni (UK-CIF). Mais d’un coût de 19,5 millions de livres, ils nécessitent un financement européen de 5 millions de livres que le Brexit rend plus aléatoire : si Montserrat a bénéficié de 39 millions d’euros d’aide de la part du Fonds européen de développement (FED) depuis 2000, cette manne touche aujourd’hui à sa fin ((Le 11e FED couvrait la période 2014-2020. Dans le contexte des suites du Brexit, le fonds 2021-2027 était encore en cours de négociation lors de l’écriture de ces lignes.)).

Document 8. Little Bay : la situation en 2020 et le projet de nouvelle capitale

Montserrat nouvelle capitale — Serge Bourgeat et Catherine Bras

Sources : à gauche, Google Earth 2020. À droite : https://sites.google.com/site/designcollaborativeuk/masterplanning/urban-design/little-bay-montserrat

 

D’autres zones de l’île ont connu une densification de leur habitat. Un des lieux de développement actuel est situé à l’est de l’aéroport : il existe ainsi de grands projets de lotissements sur les hauteurs de Marguerita Bay (MSGov 2012). Organisés autour de places centrales et d’un groupe scolaire, ils témoignent de la volonté de recréer des structures, si ce n’est villageoises, du moins permanentes. Ils sont en cours mais se heurtent à la faiblesse des infrastructures telles que les réseaux d’eau potable et surtout d’évacuation des eaux usées.

Autre mutation territoriale, l’aéroport historique (W. H. Bramble Airport), situé sur la côte orientale, touché dès juin 1995, fut définitivement détruit en 1997. De 1996 à 2005, l’île fut donc joignable principalement par ferry et pour la voie aérienne, par hélicoptère et hydravion. Le nouvel aéroport (John O. Osborne Airport) fut inauguré en 2005. D’un coût de 18,5 millions de dollars, il est constitué d’une très petite piste de 540 m de long, ce qui n’autorise que des petits avions, principalement en provenance d’Antigua. Cette solution fut critiquée à l’époque car, interdisant de fait les vols directs depuis Londres, elle ne permet pas vraiment l’arrivée significative des touristes… ni de leurs devises. La question de l’extension voire de la création d’un autre aéroport se pose toujours (The Montserrat Reporter 2015). Mais l’exigüité et la configuration de l’île limitent les possibilités et les aides britanniques et européennes sont globalement en diminution.

 

3. Une résilience économique encore hypothétique

Les conséquences économiques de la catastrophe sont majeures. L’économie est aujourd’hui caractérisée par des microstructures agricoles et industrielles. Citons l’extraction de sable volcanique, notamment en zone T (document 6), à destination de toute la Caraïbe (Antigua évidemment mais aussi Guadeloupe).

Mais cette économie est surtout marquée par les activités bancaires. L’éruption a eu indirectement des conséquences sur l’activité de paradis fiscal de l’île ((Il s’agit d’une activité assez ancienne : la « loi sur les sociétés de commerce international de Montserrat » a été promulguée en 1985. À la même époque s’est développée la « Montserrat International Business Company » (IBC) spécialisée dans les montages financiers offshore, les actions au porteur et la confidentialité.)). Si la tendance qui a immédiatement suivi la catastrophe a d’abord été le développement des sociétés et banques offshore, elle s’est ensuite infléchie. En effet, depuis une vingtaine d’années, l’établissement, par les institutions internationales et l’Union européenne, de listes successives de paradis fiscaux ((Liste noire de l’OCDE de 2000, puis liste française dite « liste Sarkozy » et listes grise et noire de l’ECOFIN.)) oblige Montserrat, paradis fiscal bien identifié et présent sur l’ensemble de ces listes, à se reconvertir partiellement pour pouvoir bénéficier d’aides internationales nécessaires à la reconstruction ((L’île aurait bénéficié depuis l’éruption de plus ou moins 200 millions de dollars d’aides diverses, dont 90 millions environ de la part du Royaume-Uni.)), et notamment des subsides européens du Fonds européen de développement… Dès 2002, l’île a donc pris des engagements de transparence auprès de l’OCDE, et elle a été retirée des principales listes noires entre 2015 et 2019. Pourtant des pratiques offshore, certes moins importantes, subsistent aujourd’hui : au 31 décembre 2019, 11 banques offshore sont enregistrées à Montserrat (soit une pour 400 habitants !) et l’enregistrement de complaisance des yachts de luxe reste une manne financière.

L’exploitation des autres ressources, comme l’énergie géothermale, est soit hypothétique soit marginale, au contraire du tourisme, l’autre volet sur lequel compte s’appuyer Montserrat dans les années à venir. L’île a accueilli 20 956 visiteurs en 2019 (Major, 2020), ce qui peut sembler assez faible mais représente tout de même quatre fois sa population. Ce chiffre, en nette augmentation, témoigne de réalités fort diverses : un tourisme affinitaire de natifs partis en 1997 et venus visiter leur famille, mais aussi le développement d’un « tourisme noir » (Baillargeon, 2016), ici d’un « tourisme de catastrophe » en provenance d’Antigua et de la Guadeloupe et qui prend peu à peu de l’ampleur (Skynner, 2018). Ces excursions sont de courte durée (une journée ou deux au départ de Saint John’s à Antigua ou de Deshaies en Guadeloupe) et comprennent immanquablement le tour de la Soufrière en bateau puis le transfert à l’observatoire de Jack Boy Hill et parfois une marche dans les ruines de Plymouth (document 9). Elles ne génèrent donc que peu de recettes au niveau local.

De même, un tourisme mémoriel particulier, à tonalité musicale, se développe peu à peu. Avant la catastrophe, Elton John, Duran Duran, Dire Straits, Police, Stevie Wonder, Paul McCartney, Mickaël Jackson, les Rolling Stones et d’autres avaient enregistré à Montserrat. En effet, George Martin, qui fut le producteur des Beatles, y résidait et avait ouvert dans les années 1970 le AIR Studios, où 67 albums furent enregistrés jusqu’à sa fermeture en 1989 après le passage du cyclone Hugo. Ce type de tourisme est toutefois difficile à quantifier.

L’île cherche donc à exploiter des niches économiques dans ce domaine. En effet, il existe de grands projets pour capter la manne financière du tourisme (Montserrat Tourisme Master Plan 2015-2025) mais ils sont dépendants des infrastructures, notamment de transport. En attendant l’aménagement de Little Bay et l’agrandissement de l’aéroport, ils restent du domaine du vœu pieux. 

Document 9. Capture d’écran d’une agence touristique présente en Guadeloupe

descriptif agence de voyage

En raison de l’absence de vols directs depuis Londres, Montserrat est une niche économique pour de petites agences situées à Antigua ou en Guadeloupe. Source de l'image : capture d'écran de Jeans for Freedom, compagnie de transport maritime basée à Pointe-à-Pitre proposant des excursions organisées. 

 

Conclusion

Souvent qualifiée de « Pompéi des Caraïbes », Montserrat est un condensé de problèmes spécifiques aux îles de la Caraïbe : les inconvénients de l’insularité mais surtout de l’exiguïté, la présence de très forts aléas naturels (le volcanisme mais aussi les cyclones), l’éloignement de la métropole et la faiblesse des rapports inter-îles. Toutes ces questions se posent de façon accrue à Montserrat du fait de son extrême exigüité et de l’emprise spatiale d’un volcan qui couvre plus de la moitié de l’île. D’autres îles de la région ont certes été touchées par des catastrophes volcaniques qui ont engendré des mutations territoriales : si Brades est désormais la capitale en lieu et place de Plymouth, de même Saint-Pierre n’est plus le « petit Paris des Antilles » et la catastrophe de la Montagne Pelée a consacré Fort-de-France comme capitale et poumon économique ; Basse-Terre ne s’est jamais vraiment remise de l’évacuation de 1976 et le cœur économique de la Guadeloupe se trouve à Pointe-à-Pitre. À Montserrat, l’étroitesse du site a considérablement limité la résilience. Plus qu’ailleurs les aléas naturels sont prégnants ; que l’on pense aussi au cyclone Hugo de 1989, qui a non seulement fragilisé les populations mais également détruit les archives volcanologiques !

Économiquement et politiquement, le lien avec la métropole et avec Londres est crucial. Il est de même nature que pour les autres territoires, britanniques ou français, de la région : un lien fait de dépendance, d‘aides et de relations économiques privilégiées. Mais il est ici beaucoup plus fort qu’ailleurs. Il en est de même pour les rapports avec l’Union européenne qui a fortement contribué à la reconstruction de Montserrat, Cependant la mise en œuvre du Brexit va distendre ces liens. Les relations avec les autres îles de la Caraïbe sont en revanche de nature différente : l’éruption a très fortement renforcé le rôle d’Antigua qui a accueilli une partie de la population de Montserrat et qui fonctionne désormais comme un hub aéroportuaire régional… Antigua s’affirme donc comme un relais de la métropole, entre Londres et Montserrat.

Montserrat, de nos jours, c’est donc 40 km² adossés à Soufrière Hills d’un côté et à l’océan des trois autres et un territoire obligé de se réinventer à marche forcée. Pour certaines d’entre elles, les cartes touristiques ne représentent même plus le sud de l’île et se terminent au sud de Brandsby Point… Comme si la partie méridionale de l’île avait été rayée de la carte : Montserrat ou l’impossibilité d’une île ?

 


Bibliographie

 

 

Remerciements à Jean-Benoît Bouron et Florence Nussbaum pour nous avoir donné l'idée de cet article.

 

Serge BOURGEAT
Agrégé et docteur en géographie, académie de Grenoble

Catherine BRAS
Professeure agrégée de géographie, académie de Grenoble

 

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Serge Bourgeat et Catherine Bras, « Montserrat ou l’impossibilité d’une île ? Les difficultés de la résilience en milieu insulaire », Géoconfluences, septembre 2020.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/risques-et-societes/articles-scientifiques/montserrat-impossibilite-d-une-ile

 

 
Pour citer cet article :  

Serge Bourgeat et Catherine Bras, « Montserrat ou l’impossibilité d’une île ? Les difficultés de la résilience en milieu insulaire », Géoconfluences, septembre 2020.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/risques-et-societes/articles-scientifiques/montserrat-impossibilite-d-une-ile