Entre-deux
Les espaces d’entre-deux sont des espaces de transition, de rencontre, de passage graduel entre deux types d’espaces clairement identifiés. Combinant des éléments caractéristiques de l’un et de l’autre, notamment au plan morphologique ou paysager, mais également sur le plan des logiques fonctionnelles, l’espace d’entre-deux peut être à la fois une limite indécise, une zone grise, une marge ou des confins pour les territoires qui le bordent, et un centre pour ceux qui l’habitent. Il s'agit parfois d'espaces de l'informel.
L’étude des milieux s’intéresse depuis longtemps à ces lisières fonctionnant comme des interfaces écologiques : c’est le sens de la définition d’un écotone. L’orée d’une forêt, le talus entre plaine et plateau, le littoral sont des entre-deux biophysiques.
La géographie des faits sociaux s’est intéressée plus tardivement à l’étude des entre-deux (Le Gall et Rougé, 2014) en tant que tels, même si les discontinuités, les effets de seuils sont formalisés dès les années 1960 notamment par Roger Brunet (ibid.). Il faut des géographies buissonnières, telles que peut les formuler un philosophe comme Michel de Certeau (1980), pour s’intéresser aux interstices, aux friches, et aux marges. En histoire, le travail de Richard White sur le Middle Ground, le terrain d’entente et d’intercompréhension, non dénuées de violence, élaboré entre colons européens et populations amérindiennes de la région des Grands Lacs, du XVIIe au début du XIXe siècle, a contribué à montrer que l’espace d’entre-deux pouvait être plus intéressant que les cœurs territoriaux pour comprendre certains faits sociaux, y compris aussi vastes que le sont les logiques d'empire.
Il faut attendre l’essor des études consacrées aux mobilités, aux espaces périurbains et à la périurbanisation comme processus (Rougé, 2018) pour que les espaces d’entre-deux fassent l’objet d’une conceptualisation géographique plus poussée, par exemple à travers la notion de tiers-espace (Vanier, 2000). L'entre-deux peut être à la fois spatial et temporel, entre deux états successifs, comme l'est l'espace et le temps du chantier (Parot, 2024).
Les études sur la frontière, surtout au sens large d’un espace de conquête, proche de la notion de front pionnier, insistent sur l’épaisseur des territoires frontaliers, au contraire de la représentation classique, linéaire. L’espace de la frontière est alors un espace d’entre-deux qui peut être un espace d’interaction avec l’altérité, de rencontre, ou de domination, de dépossession, voire concentrant tous ces types de relations entre des acteurs différents : ce qu’Anna Tsing appelle des espaces de « friction » (Tsing 2005 citée par Acloque, 2022).
(JBB), mai 2022. Dernières modifications : mai 2023, mai 2024.
Références citées
- Acloque Delphine (2022), « Frontière désertique, front pionnier et territorialisation. Approche à partir du cas égyptien », Géoconfluences, juin 2022.
- De Certeau Michel (1980), L’Invention du quotidien, 1. Arts de faire, 1980, réed. 1990 chez Folio essais.
- Le Gall Julie et Rougé Lionel (2014), « Oser les entre-deux ! », Carnets de géographes [En ligne], 7 | 2014.
- Parot Noé (2024), « Regard géographique. Paysages en chantiers de l’urbanisation dans le Sud global », Géoconfluences, mars 2024.
- Rougé Lionel (2018), « Notion en débat. Périurbanisation », Géoconfluences, mars 2018.
- Tsing Anna Lowenhaupt (2005), Friction. Délires et faux-semblants de la globalité. La Découverte, 2005
- Vanier Martin (2000), « Qu'est-ce que le tiers espace ? Territorialités complexes et construction politique », Revue de Géographie Alpine, 2000 88-1, p. 105-113.
- White Richard (1991), Le Middle Ground : Indiens, Empires et Républiques dans la région des Grands Lacs, 1650-1815, Cambridge University Press 1991, Anacharsis éditions 2010 pour l’éd. française.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Claire Aragau « Le périurbain : un concept à l’épreuve des pratiques », Géoconfluences, avril 2018.
- Clélia Gasquet-Blanchard, « Le provisoire qui dure. Géographie comparée de deux centres humanitaires parisiens », Géoconfluences, février 2018.
- Christian Bouquet, « Le Sahara entre ses deux rives. Éléments de délimitation par la géohistoire d’un espace de contraintes », Géoconfluences, décembre 2017.
- Armelle Choplin et Olivier Pliez, « Un Sahara, des Sahara-s. Lumières sur un espace déclaré "zone grise" », Géoconfluences, 2013.