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Image à la une : Green Valley, Arizona : vivre vieux et heureux au pied d’une mine à ciel ouvert

Publié le 13/12/2016
Auteur(s) : Anne-Lise Boyer, agrégée et docteure en géographie - OHMI Pima County

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Green Valley est une retirement community classée parmi les vingt meilleures des États-Unis. Pourtant, elle s’étend au pied de deux grandes mines de cuivre à ciel ouvert. Comment activités extractives et héliotropisme, ces deux facettes contradictoires de l’Eldorado arizonien, parviennent-elles à cohabiter avec succès à Green Valley ?

Bibliographie | citer cet article

Le regard des enseignants
 

Green Valley près de Tucson en Arizona : une retirement community

La subdivision Desert Hills V de Green Valley se situe au pied du mort-terrain minier produit par les opérations de la Sierrita Mine (Freeport-McMoran), visible à l’arrière-plan à gauche. Les maisons, installées sur les hauteurs, tournent le dos à la mine et disposent d’une vue dégagée sur la Santa Cruz Valley et les Santa Rita Mountains à l’Est. 

 
Date de la prise de vue

30 septembre 2016

Auteur de l'image

Anne-Lise Boyer

Localisation

Sud-Ouest étatsunien, Green Valley, Arizona dans le désert de Sonora

 

« Freeport-McMoRan est un très bon voisin, tout comme ASARCO.
Je pense que la mine est quelque chose de bon pour nous »

L’ancien président du Green Valley City Council, août 2016.
 

Le regard de la géographe

Green Valley est une retirement community (« ville de retraités ») de 23 391 habitants située au sud de l’Arizona, dans la vallée de Santa Cruz, à moins de 50 km de la ville de Tucson. La ville a été fondée au début des années 1960, à la suite de celle de Sun City, la première retirement community des États-Unis, créée à l’ouest de Phoenix, la capitale de l’Arizona. Les retirement communities se développent à partir des années 1960, notamment dans les États de la Sun Belt du sud et de l’ouest des États-Unis ; ce sont des lotissements suburbains ou des formes particulières de quartiers résidentiels fermés (gated communities), dans lesquels une condition d’âge est imposée aux futurs résidents. Ces opérations d’aménagement sont menées par des opérateurs privés, en dehors des programmes fédéraux d’aide à la vieillesse. Ils s’adressent à des personnes âgées indépendantes, à la recherche d’une nouvelle qualité de vie centrée sur les activités récréatives (Pïhet, 1999).
Les promoteurs immobiliers à l'origine du projet de Green Valley viennent de Chicago. À leur arrivée dans la région, ils repèrent le fort potentiel de développement du site en matière de desert lifestyle : ressource en eau, proximité avec la ville de Tucson, bonne desserte autoroutière, vues pittoresques (Benites-Gambirazio, 2016). Ils rachètent des terrains aux producteurs de noix de pécan de la Farmers Investement Company, dont les parcelles arborées donnent son nom à la ville de Green Valley. Ils destinent les nouveaux lotissements à des résidents de plus de 55 ans uniquement.

En 2010, selon l’US Census, les plus de 65 ans représentent 72 % de la population de la ville, pour la plupart des retraités originaires des États du nord des États-Unis (Michigan, Minnesota, Montana, Nebraska, Vermont, Wisconsin et des États de la Nouvelle-Angleterre notamment). En effet, la région de Tucson, située dans le désert de Sonora, bénéficie de qualités climatiques auxquelles on reconnait des vertus curatives. Depuis la première moitié du XXe siècle, de nombreuses personnes viennent s’installer dans le sud de l’Arizona pour soigner leurs maladies respiratoires. Aujourd’hui, cette région de la Sun Belt étasunienne s’inscrit pleinement dans le mouvement d’héliotropisme des retraités aisés qui quittent leur État d’origine pour des régions plus ensoleillées et plus chaudes.
La composition démographique de la ville est très particulière. Cette population de snowbirds (ou retraités migrateurs), qui double pendant l’hiver à Green Valley, est blanche à 93,3 % alors qu’on se situe à 60 km au nord de la frontière mexicaine et au cœur du comté de Pima, dont la population hispanique recensée dépasse les 35 %. De plus, le revenu par habitant à Green Valley est en moyenne de 35 416 dollars pour une population composée en grande majorité de retraités, alors qu’il est de 25 524 dollars à l’échelle du comté. Green Valley compte aussi neuf terrains de golf, de nombreux courts de tennis, une douzaine de centres de loisirs dotés de gymnases, piscines, spas et saunas, un théâtre et un bowling – autant de loisirs qui, d'après le président de la Chambre de Commerce locale, « aident à garder les vieux cerveaux actifs ! » (entretien, juillet 2016, Green Valley).
La ville se veut donc un havre de paix et de détente pour des retraités aisés et met un point d’honneur à assurer la sécurité des résidents et à leur offrir un large choix de services : une dizaine d’infrastructures médicales, deux centres commerciaux, de nombreux restaurants. Le Président de la Chambre de commerce de Green Valley explique : « Nous avons des shérifs bénévoles, ils surveillent la communauté, les centres commerciaux, quand les gens partent en été, ils surveillent les maisons. Le taux de criminalité est très très bas ici. » (entretien, juillet 2016). En effet, la ville de Green Valley n’est pas gérée par une structure municipale publique mais par les 59 associations de résidents qui la composent (homeowners associations), chapeautées par le Green Valley City Council, lequel est composé de membres élus, tous bénévoles. Le Green Valley City Council est chargé de négocier directement avec le Comté ou l’État d’Arizona pour toutes les questions concernant l’aménagement du territoire. Il s’agit donc d’un gouvernement privé qui participe au renforcement de la community, définie par le territoire qu’elle habite, les caractéristiques socio-économiques communes partagés par les résidents et le renforcement des relations sociales internes.

Et pourtant, en dépit de ses paysages ensoleillés et de ses aménités récréatives, Green Valley se trouve au pied de deux gigantesques mines de cuivre à ciel ouvert : la Sierrita Mine, exploitée par Freeport-McMoRan (6e site producteur de cuivre des États-Unis), et la Mission Mine, opérée par ASARCO (9e site producteur des États-Unis). L’Arizona est en effet surnommé le Copper State (l’État du cuivre), car la région a été peuplée et organisée autour de l’exploitation de ce minerai depuis la fin du XIXe siècle. L’Arizona est aujourd’hui le premier État producteur de cuivre des États-Unis, fournissant plus de 70 % de la production nationale dans un pays lui-même classé 5e producteur mondial. Dans la région de Green Valley, les activités minières datent des années 1890. Le site de la mine à ciel ouvert de Sierrita est exploité à partir de la fin des années 1950 et en 1961 : au moment même où la nouvelle retirement community est inaugurée, ASARCO ouvre son exploitation de Mission Mine.

 
La Santa Cruz Valley vue depuis l’avion,
au décollage de l’aéroport de Tucson

photographie aérienne - retirement gated community mines à ciel ouvert Arizona

Le développement résidentiel dans le désert au premier plan, les vergers de noix de pécan le long de la vallée (leur couleur bleutée est due aux protections contre le froid qui les couvrent, nous sommes à 900 m d'altitude), la mine ASARCO adossée aux Sierrita Moutains, et les Quinlan Mountains à l’arrière-plan. Cliché : A.-L. Boyer, 22 décembre 2015.

 

La photographie aérienne ci-dessus montre l'important impact paysager des deux sites miniers. Ils ont largement découpé la ligne de crête des Sierrita Mountains et sont à l’origine de nuisances environnementales quotidiennes : bruit de l’extraction et du transport, et surtout émissions de poussière en périodes sèches et venteuses. Pour autant, ils ne semblent pas avoir fonctionné comme repoussoir pour l’installation humaine, comme en atteste le succès de la retirement community de Green Valley. Cette attractivité résidentielle est d’autant plus étonnante dans ce contexte minier que la population qui s’est installée à Green Valley est dotée d’un fort capital économique, culturel et social, caractéristique des populations les plus ouvertes aux questions environnementales aux États-Unis (Taylor, 2016), ainsi que d’un fort capital de mobilité.

Une première explication est à chercher du côté de la fiscalité locale et du financement des infrastructures collectives. Le statut non-incorporé de la ville de Green Valley, et donc l’absence d’échelon municipal, permet de réduire le montant des impôts des habitants. Le bon fonctionnement de la communauté repose alors sur des fonds privés, et en particulier sur le soutien financier apporté par Freeport-McMoRan et ASARCO. Dans le cadre des politiques dites de responsabilité économique et sociale menées par les entreprises minières, Freeport-McMoRan a créé un Community Investment Program qui permet d’allouer des fonds à des projets proposés par les communautés situées dans ses zones d'activités minières. Par exemple, en 2013, les résidents de Green Valley soumettent le projet d’agrandir le centre médical Continental Family Medical Center, projet auquel l’entreprise décide d’accorder une aide d’un million de dollars. La collecte des déchets ménagers est également organisée par les associations de résidents grâce à des subventions données par la mine. Ponctuellement, les entreprises minières versent des fonds pour soutenir le fonctionnement de différents clubs de résidents ou bien pour financer la rénovation et l’entretien des voies de transport. La compagnie minière propose en outre un service gratuit de nettoyage des maisons touchées par les vents de poussière émanant de l’open-pit (mine à ciel ouvert).

 

retirement community, photo AL Boyer, financement des infrastructures par l'entreprise miniere

La Canada Drive à Green Valley : l’entreprise minière Freeport-McMoRan a financé la végétalisation et l’entretien du terre-plein qui sépare les voies Cliché : A.-L. Boyer, 2 août 2016.

 

À l’échelle mondiale, ces politiques de responsabilité économique et sociale mises en place par les entreprises minières soulèvent de fortes contestations (Himley, 2010). À l’inverse, dans le cas de Green Valley, celles-ci semblent plutôt bien acceptées. Green Valley propose ainsi un nouveau modèle d’interrelations entre une activité extractive lourde et le territoire dans lequel elle s’implante. À la différence des company towns du XXe siècle, l’implication de l’entreprise dans la vie de la communauté et dans l’aménagement du territoire ne relève pas d’une logique de recrutement et de fixation de la main d'œuvre((Les company towns sont des villes créées et organisées par les compagnies minières qui contrôlent la plupart des activités nécessaires à la vie de la communauté (emplois, logement, services). La ville de Morenci installée en contrebas de la plus grande mine de cuivre d’Amérique du Nord, exploitée par Freeport-McMoRan depuis 2007 (anciennement par Phelps Dodge), est sans doute le meilleur exemple actuel de company town aux États-Unis (voir l'histoire de Morenci sur le site du comté de Greenlee.)). La population ciblée par les aides financières des compagnies minières est une population aisée et diplômée qui partage au contraire des affinités socio-économiques avec les entrepreneurs. De plus, ces politiques sont sans doute d’autant plus facilement menées que les activités minières n’entrent pas en concurrence avec d’autres activités économiques dans une communauté qui vit en majorité de revenus de transferts liés aux retraites de ses habitants.

Dans un contexte où l’exploitation du cuivre en Arizona est de plus en plus sujette à des conflits environnementaux (projet de mine de Rosemont dans les Santa Rita Mountains, projet de mine de Resolution à Oak Flat Campground)((Le projet de mine à ciel ouvert de Rosemont dans les Santa Rita Mountains, à 70 km au sud de Tucson, suscite une vive opposition de la part des populations et des organisations environnementalistes locales inquiètes des impacts de l’exploitation sur la ressource en eau, dans un espace reconnu comme un corridor biologique important à l’échelle nationale.)), le cas de Green Valley fait figure d’exception, dans la mesure où la retirement community s’est développée en même temps que les deux gigantesques mines à ciel ouvert qui la surplombent, avec de généreuses contreparties. Il est d’ailleurs révélateur que la possibilité d’incorporer la ville de Green Valley dans une municipalité ait été proposée quatre fois aux habitants, et à chaque fois rejetée. Cela dit bien que la ville, adossée à l’argent minier, peut continuer à subvenir à ses besoins, développer son offre de services aux personnes âgées et attirer de nouveaux résidents grâce à son sens de la communauté et à ses faibles impôts locaux. Cette attractivité de la ville repose sur une représentation positive du Sud-Ouest étasunien, celle des couchers de soleil et des vues dégagées sur les plaines et les montagnes piquées de cactus (Carter, 2012). Il suffit de savoir tourner le dos aux exploitations minières.

Green Valley, une retirement community dans le désert
carte map Green valley Arizona Tucson desert de Sonora

GEarth.gif Voir le fichier .kmz de Green Valley, latitude 31°51'15.30"N, longitude 110°59'37.33"O

Pour compléter

 

 

Anne-Lise BOYER
agrégée de géographie, ENS de Lyon, UMR 5600, OHMI Pima County
Ce travail a été réalisé dans le cadre d'un projet de recherche financé par le LabEx DRIIHM, et réalisé avec l'aide de Claude Le Gouill et Franck Poupeau (UMI 3157 iGlobes), avec les remerciements de l'auteure.

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

 

Pour citer cet article :
Anne-Lise Boyer, « Green Valley, Arizona : vivre vieux et heureux au pied d’une mine à ciel ouvert », Image à la une de Géoconfluences, décembre 2016.
URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/green-valley-arizona-vivre-vieux

 

Pour citer cet article :  

Anne-Lise Boyer, « Image à la une : Green Valley, Arizona : vivre vieux et heureux au pied d’une mine à ciel ouvert », Géoconfluences, décembre 2016.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/green-valley-arizona-vivre-vieux

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