Foncier, question foncière
Dans son sens strict, le terme foncier désigne ce qui forme un bien-fonds, c’est-à-dire une propriété comprenant un terrain et les éventuels immeubles situés sur celui-ci ; on parlera ainsi d’impôts fonciers, de propriété foncière ou encore de marché foncier. En géographie, le terme a donc été utilisé pour caractériser la question de la propriété de la terre mais aussi celle de son occupation, qu’il s’agisse d’un foncier agricole, rural ou d’un foncier urbain. « Le foncier, c'est la terre en deux dimensions, celle qu'on voit sur le cadastre » (Baysse-Lainé et Nussbaum, 2024, p. 10).
La question foncière a été étudiée dès le XVIIIe siècle par les agronomes et par le mouvement des physiocrates. C’est donc tout à fait logiquement qu’au XIXe siècle, dans le cadre d’une géographie qui se structurait peu à peu en tant que science naturelle et discipline universitaire, les premiers géographes s’intéressant au foncier aient été des ruralistes. Il faut attendre le début du XXe siècle pour que la question de la propriété de la terre fasse l’objet d’études dans l’espace urbain, notamment grâce à l’École de Chicago. De nos jours, dans une discipline recentrée en tant que science sociale, la question foncière relève tout autant d’une géographie économique, politique ou sociale que d’une géographie culturelle ou d’une géohistoire : la question foncière varie en effet en fonction des sociétés, de leur culture et de leur histoire.
La géographie foncière a eu plusieurs centres d’intérêts privilégiés. La question du parcellaire et de la taille des exploitations agricoles a donné naissance à toute une terminologie, reprenant, dans le cadre d’une géographie tropicale, les noms locaux des exploitations étudiées, notamment en Amérique latine : les latifundios, estancias, fazendas s’opposant à des minifundios… La question de la propriété même de la terre a été un autre objet d’étude fréquent : s’agissait-il d’une propriété collective (biens communs) ou d’une propriété individuelle ? L’exploitant agricole était-il le propriétaire (faire-valoir direct), un salarié, un métayer ou un fermier ? La géographie tropicale a notamment décrit les communautés villageoises précoloniales, tandis que dans les années 1950–70, de nombreux géographes se sont intéressés à la question foncière dans le monde soviétique, puis, dans les années 1990, à la décollectivisation de ces terres. Ailleurs, d’autres centres d’intérêt ont peu à peu émergé : question des réformes agraires (recherches en Amérique latine, Inde…), des remembrements en France… et plus généralement toutes les questions foncières en lien avec l’aménagement des territoires.
Dans le contexte contemporain d’étalement urbain et de développement du périurbain sur des terrains autrefois agricoles, la question foncière est étudiée par le prisme de la concurrence pour l’espace et de conflits d’acteurs. Dans ces conflits, la question de l’artificialisation des sols est centrale, avec d’un côté, des conflits environnementaux autour des projets de barrages, de retenues ou de réserves (mégabassines), d’infrastructures (aéroport de Notre-Dame-des-Landes), de mines… et de l’autre, des dispositifs de lutte contre l’artificialisation à l’instar des trames brunes ou, en France, du « ZAN », et d’une manière plus générale l’ensemble des outils de planification urbaine (PLU et PLUI, SCOT, etc.). Dans la ville entrepreneuriale comme dans la ville en déclin, la question foncière peut aussi être abordée par le prisme de la vacance, du desserrement urbain, ou de la spéculation foncière.
La question foncière a aussi eu des terrains d’étude privilégiés. Le cas du Brésil a été particulièrement étudié, du fait de son immensité, des très fortes inégalités sociales en ce qui concerne la propriété de la terre (vastes fazendas, mouvement des sans-terres, falsification des titres de propriété par grillagem…) et de la réforme agraire, mais aussi du fait de la question amazonienne : la déforestation de l’Amazonie étant indissociable de la question foncière et de l’appropriation des terres, notamment par de grandes firmes multinationales (phénomène d’accaparement des terres).
(ST) 2006, réécrit (CB et SB) en janvier 2024. Dernières modifications (JBB), février 2024, octobre 2024.
Références citées
- Baysse-Lainé Adrien et Nussbaum Florence (2024), « Introduction », in Baysse-Lainé et Nussbaum, Protéger les terres. Les géographes s'engagent. CNRS éditions, septembre 2024.
Quelques exemples non limitatifs d’articles de Géoconfluences sur les questions foncières
- Joseph Samba Gomis, « Quand la débrouille des habitants pallie une politique urbaine défaillante : l’extension de l’habitat informel dans l’agglomération de Ziguinchor (Sénégal) », Géoconfluences, septembre 2021.
- Claire Fonticelli, « La densification sous contrainte : bâtir des immeubles dans le périurbain francilien », Géoconfluences, avril 2020.
- Maryame Amarouche et Éric Charmes, « L’Ouest lyonnais et la lutte contre l’étalement urbain. Le "village densifié" comme compromis entre une politique nationale et des intérêts locaux », Géoconfluences, octobre 2019.
- Daniela Festa, avec la contribution de Mélanie Dulong de Rosnay et Diego Miralles Buil, « Notion en débat : les communs », Géoconfluences, juin 2018.
- Martin Luther Djatcheu, « Fabriquer la ville avec les moyens du bord : L’habitat précaire à Yaoundé (Cameroun) », Géoconfluences, septembre 2018.
- Lou Herrmann, « Le lotissement en France : histoire réglementaire de la construction d’un outil de production de la ville », Géoconfluences, avril 2018.
- Greta Tommasi, « La gentrification rurale, un regard critique sur les évolutions des campagnes françaises », Géoconfluences, avril 2018.
- Raphaël Languillon-Aussel, « La Bulle spéculative des années 1985-1991 au Japon, à l'origine des formes urbaines actuelles ? », Géoconfluences, octobre 2017.
- Florence Nussbaum, « Quartiers fantômes et propriétaires invisibles. Les propriétés abandonnées, symptômes de la crise des villes américaines. », Géoconfluences, juillet 2015.