Dynamiques, mutations et recompositions paysagères des territoires ruraux alsaciens

Publié le 21/05/2021
Auteur(s) : Gilles Muller, professeur agrégé de géographie - lycée Jean Rostand de Strasbourg

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Les paysages ruraux alsaciens sont identifiés par une complémentarité étagée entre la plaine céréalière, les coteaux viticoles et les reliefs forestiers et pastoraux. Ils imprègnent l'imaginaire collectif par des marqueurs paysagers qui sont devenus des arguments touristiques. Mais dans une région en croissance démographique forte, bien qu'inégalement répartie, des tensions existent entre préservation, voire patrimonialisation de l'existant, et nouveaux usages, notamment résidentiels.

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Les territoires ruraux alsaciens connaissent de nouvelles dynamiques bien loin de l’imagerie d’Épinal, popularisée par l’artiste Hansi, autour des maisons à colombages, des Alsaciennes en tenue traditionnelle portant la coiffe noire ou de la cigogne blanche. L’accroissement démographique, l’étalement urbain, l’artificialisation des sols ou encore la périurbanisation sont autant de processus qui redessinent les paysages et reconfigurent les logiques socio-spatiales de la région. Les territoires ruraux se définissent comme des « espaces anthropisés, profondément modifiés par les sociétés, sans être pour autant entièrement artificialisés. Ils se distinguent des espaces dits “naturels“ et des espaces urbains, dont la majorité des sols ont été artificialisés » (source). À ces critères, ajoutons celui de la plus faible densité et d’une accessibilité moindre en matière d’infrastructures, de services ou de commerces (Poulot et Legouy, 2019). Le rural se définit aussi par des pratiques spatiales différentes, des « modes d’habiter », le tout dans un cadre encore largement dominé par les paysages agraires.

Le rural alsacien présente quelques singularités. Il se structure autour de trois ensembles, organisés selon un axe nord—sud aisément reconnaissables par leur unité paysagère. À l’ouest, les paysages de chaume (pelouses coiffant les hauteurs) dominent les vallées vosgiennes. Au centre, sur les collines sous-vosgiennes, la vigne s’épanouit. À l’est, la plaine d’Alsace offre un paysage d’openfield support d’une polyculture précoce. L’ensemble de ces territoires reste, bien plus que dans d’autres régions françaises, sous influence urbaine. La densité de population (228 hab./km2) y est plus importante que la moyenne, de même que la proximité et l’influence des villes moyennes – Mulhouse, Colmar, Sélestat, Haguenau – ou de la métropole européenne strasbourgeoise (Nonn, 2015). Du fait de l’histoire douloureuse de la région, marquée par les deux dernières guerres mondiales, et de sa position frontalière, les campagnes alsaciennes demeurent le réceptacle d’une identité régionale forte teintée parfois d’autonomisme. La défense de cette identité explique en partie les tensions qui innervent les territoires ruraux. Quels sont les défis à relever pour les espaces ruraux alsaciens ? N’est-ce pas parce que l’Alsace a une forte identité régionale, notamment du fait de sa ruralité, que les mutations, qui ne sont en rien originales, ont ici une portée supérieure ?

 

1. Organisation et enjeux paysagers des territoires ruraux alsaciens

Les territoires alsaciens se caractérisent et s’organisent selon une logique tripartite, avec des systèmes spatiaux bien distincts, mais complémentaires et étroitement connectés. Ils forment trois grandes unités paysagères aisément identifiables (DREAL, 2015).

1.1. Un couloir naturel nord—sud structuré par trois systèmes spatiaux

Le massif vosgien occupe le flanc occidental de l’ancienne région Alsace et marque la « frontière » entre la « France de l’intérieur » et le « beau jardin de la France » selon l’expression de Louis XIV. Ce massif montagneux, né de l’effondrement rhénan, se divise entre un sud cristallin plus élevé en altitude et un nord gréseux. L’ensemble reste entrecoupé de multiples cours d’eau qui incisent le relief en formant des vallées-couloirs, orientées est/ouest, et dominées par les hautes chaumes. Les vallées alsaciennes présentent des caractéristiques communes : des versants abrupts et boisés – forêts mixtes de hêtres et de sapins –, un encaissement important, des rivières au contact de l’urbanisation, des constructions qui remontent dans les vallons confluents s’apparentant à du mitage, enfin une urbanisation dense, mêlant industrie et habitat le long des axes de communication. Ces territoires ruraux sont avant tout l’expression du système agro-sylvo-pastoral, caractéristique des espaces montagnards, qui trouve sa représentation et son identité dans le paysage de hautes chaumes autour de la route des crêtes. Il repose sur un équilibre : les pâturages d’altitude apportent le fourrage qui nourrit les bêtes, les bovins fournissent des produits alimentaires, enfin le traitement du bois permet le chauffage et la construction.

 
Encadré 1. Les hautes chaumes : un paysage construit, de l’agropastoralisme à l’agritourisme

Bon nombre de représentations et d’illustrations contemporaines associent les hautes chaumes à un paysage naturel encore préservé de l’action anthropique. La genèse de ces prairies d’altitude serait attribuée, selon des croyances populaires encore vivaces, en partie à une érosion éolienne contraignante, empêchant le développement des arbres et donc l’apparition de forêts sommitales. Or il n’en est rien. En 1903, le juriste et avocat Pierre Boyé met en valeur l’étroite relation entre l’agro-sylvo-pastoralisme et la construction du paysage des hautes chaumes (Boyé, 1903). Dans une histoire essentiellement chronologique, l’auteur rappelle le rôle prépondérant des humains dans le défrichement puis dans la mise en valeur de ces pâturages herbagés. L’impact de l’agro-pastoralisme dans le paysage des Hautes-Vosges explique cette différence visuelle majeure entre les sommets dégagés vosgiens et, à l’inverse, les sommets boisés et fermés de sa voisine et jumelle Forêt Noire. Certaines parties des Vosges connaissent d’ailleurs aujourd’hui une dynamique de reboisement semblable. Les chaumes non exploitées sont rapidement colonisées par les pins pendant que les tourbières ont tendance à se combler par les épicéas.

Le Parc naturel régional des ballons des Vosges et d’autres acteurs locaux défendent autant que faire se peut le maintien de l’agro-pastoralisme autour du label Munster AOP et des vaches de race vosgienne. Les Vosgiennes se reconnaissent à une robe mouchetée noire ou rouge, une bande blanche le long du dos et des cornes courtes. Elles s’adaptent aux changements de température et s’accommodent des reliefs difficiles. Il s’agit d’une race bovine mixte valorisée à la fois pour sa viande (saucisse dans la choucroute) et pour son lait (munster, ou bibeleskaes sorte de fromage blanc). La sauvegarde de cet élevage extensif d’altitude permet la préservation des paysages de hautes chaumes. Il s’agit d’un enjeu environnemental mais également économique pour la région puisque nombreux sont les touristes, notamment allemands et hollandais, à sillonner la route des crêtes sur les sommets du massif vosgien. Les hautes chaumes constituent ainsi un « haut lieu » de l’élevage alsacien où s’exprime au travers de ses représentations et de ses usages, un système de valeurs collectives (Husson, 2017).

Les éleveurs des troupeaux portent traditionnellement le nom de « marcaire », une francisation de l’allemand melker (celui qui trait les vaches). À la Saint-Urbain, le 25 mai, l’éleveur mène son troupeau de vaches, lors de la transhumance, jusqu’aux pâturages d’altitude des Hautes-Vosges. Il y demeure jusqu’à la Saint-Michel, le 29 septembre, avant de redescendre le bétail dans les stabulations de la vallée pour y passer l’hiver. La ferme d’été, appelée elle aussi marcaire, se compose de deux bâtiments : l’étable, surmontée du grenier à foin, et la maison d’habitation où se fabrique et s’entrepose le fromage. Reconverties aujourd’hui en fermes-auberges, elles accueillent de nombreux randonneurs déclinant localement la formule de l’agritourisme.

Document 1. Le système agro-sylvo-pastoral partiellement converti à l’agritourisme

Gilles Muller — Chaumes vache vosgienne - système agro-sylvo-pastoral

Gilles Muller — Chaumes ferme vosgienne broutards - système agro-sylvo-pastoral

Gilles Muller — hautes chaumes vues depuis le markstein

Haut gauche : une Vosgienne, reconnaissable à sa robe mouchetée noire, allongée sur la chaume du Petit Ballon. À l’arrière-plan, la ferme-auberge du Kahlenwasen. 

Haut droite : des broutards, qui se nourrissent de lait maternel et d’herbes dans les pâturages jusqu’au sevrage, situés à l’arrière de la ferme-auberge du Kahlenwasen. 

Ci-contre : les hautes chaumes vues depuis le Markstein à 1 200 mètres d’altitude.

Clichés : Gilles Muller, juin 2020.


 

Le petit vignoble d’environ 15 500 hectares, soit 5 % de la surface agricole utile alsacienne, bénéficie d’une situation géographique favorable. Cultivées dès l’Antiquité pour abreuver les légionnaires romains stationnés dans la province du Rhin supérieur, les vignes se concentrent aujourd’hui sur les pentes plus ou moins douces du piémont. Une vue aérienne des parcelles permet de rendre compte de ce fin liseré méridien sur les collines sous-vosgiennes, d’environ 130 kilomètres de long et de quelques kilomètres de large, et concentré autour de la route des vins d’Alsace. L’axe structurant dessert les principales communes viticoles situées entre Marlenheim au nord et Thann au sud en passant par Obernai, Ribeauvillé, Colmar ou encore Guebwiller. Seules les enclaves viticoles septentrionales de Wissembourg et de Cleebourg en sont exclues. À l’ouest le massif montagneux des Vosges protège le vignoble de l’influence océanique. Il transforme les vents d’ouest dominants froids et humides en foehns secs et chauds. La faible quantité moyenne de précipitations et le bon ensoleillement donnent naissance à des microclimats propices à la culture de la vigne. L’implantation des vignes sur le piémont oriental des Vosges favorise un ensoleillement matinal qui limite les gelées printanières. Enfin le climat semi-continental du fossé rhénan, caractérisé par des étés chauds et orageux, participe à la bonne maturation du raisin. À l’est, l’Ill et le Rhin, qui irriguent la plaine d’Alsace, constituent deux axes de communication naturels pour l’exportation du vin vers les pays nordiques (Muller, 2010).

Document 2. Le vignoble, un marqueur paysager valorisé par le tourisme
Gilles Muller — route des vins et vignoble alsacien

Ci-contre : Vue aérienne de la route des vins au cœur du vignoble.

Panorama ci-dessous : Vue aérienne du village-rue de Katzenthal au creux d’un vallon viticole près de Colmar.

En-dessous : Une organisation tripartite du territoire rural. Au premier plan des jeunes pousses de maïs ; sur le piémont les vignes et le village d’Orschwiller avec l’église Saint-Maurice ; à l’arrière-plan le château du Haut-Koenigsbourg et les contreforts boisés des Vosges.

Clichés : Gilles Muller, juin 2020. 

Gilles Muller — panorama katzenthal
Gilles Muller — Katzenthal et haut Koenigsbourg

Gilles Muller — croquis Katzenthal

1. Grandes cultures (maïs) ; 2. Vignobles ; 3. Village ; 4. Forêt ; 5. Château du Haut-Koenigsbourg

La plaine d’Alsace est encadrée à l’ouest par les contreforts des Vosges, à l’est par les divagations du Rhin, au sud par le bassin potassique et au nord par les douces collines du Kochersberg sur 170 km de long et 20 à 30 km de large. La plaine offre une mosaïque de vastes étendues plates de grandes cultures et de cours d’eau aux longs méandres, bordés par les rieds, ces zones humides qui sont tantôt des prés inondables et tantôt des ripisylves, le tout parsemé d’un chapelet de villages-rues le long des routes. Deux grands types de paysage, étroitement entremêlés, caractérisent cet ensemble : l’openfield, un paysage de grandes cultures vaste et ouvert, accentué par le remembrement, et un paysage de rieds où alternent clairières cultivées, prairies, boisements et ripisylves qui accompagnent les multiples affluents de l’Ill. L’imbrication de ces ensembles constitue un élément clé de l’identité paysagère de la plaine, « une dualité subtile » comme le souligne le paysagiste François Bonneaud (DREAL, 2015). L’eau, présente en abondance, joue un rôle central dans l’organisation de ce paysage. Sinueuse ou canalisée, la ressource irrigue l’ensemble de la plaine et du sous-sol où se trouve la plus grande nappe phréatique d’Europe.

Document 3. Le relief et la complémentarité des régions agricoles

Registre parcellaire graphique alsace Géoportail extrait

Orientation technico-économique des exploitations agricoles d'après le registre parcellaire graphique de Géoportail, 2019. Relief en estompage et dénominations géographiques en surimpression. Source : IGN, Géoportail, 2021.

Carte des PNR alsaciens

Titre original : le Massif vosgien, 39 % du territoire alsacien.

Otex Alsace 2000

Titre original : des céréales le long du Rhin et des herbages dans la montagne et ses contreforts.

Source : Agreste, RGA, CIVA, Insee, Région Alsace, IGN. Tous droits réservés.

1.2. Analyser les paysages à l’échelle locale : l’exemple de la vallée de Munster

Ces trois systèmes, reconnaissables par leur paysage agraire – openfield, monoculture intensive de la vigne, chaume –, connaissent des mutations paysagères qui s’inscrivent dans le temps long. L’objectif du présent article n’est pas d’en dresser une liste exhaustive mais d’en proposer quelques exemples en lien avec des enjeux contemporains.

Dans les Vosges et plus précisément dans la vallée de Munster, la réflexion des acteurs institutionnels porte principalement sur deux aspects : le maintien des paysages ouverts de chaume et l’aménagement des friches industrielles. L’abandon partiel du pâturage d’altitude, lié à la diminution du nombre d’éleveurs, entraîne une prolifération des broussailles, une extension des hêtraies-sapinières et, à terme, la fermeture des paysages et des fonds de vallée. Même si les fermes-auberges prospèrent, l’entretien des prairies a beaucoup décliné, faisant naître des espaces enfrichés où les lisières incertaines se multiplient. On tend localement à retrouver dans le paysage des axes de dynamique forestière proches de ceux constatés à l’époque moderne après des décennies d’abandon de prairies. L’instauration du Parc naturel régional des Ballons des Vosges, en 1989, vise notamment à maintenir ce paysage de chaume à travers des mesures incitatives dans le recrutement et l’installation de jeunes agriculteurs. L’enjeu est multiple : environnemental par la conservation d’une faune et d’une flore spécifiques ; social à travers le maintien d’une activité et d’une population sur place ; économique grâce à la mise en valeur esthétique qui attire les touristes (Husson, 2017).

L’autre enjeu concerne la reconversion des friches industrielles. Une industrie précoce, liée aux propriétés du sol et aux ressources de la montagne (bois, eau), se développe à l’époque moderne et accroît l’anthropisation de ces espaces (Parmentier, 2019). Certains de ces héritages se retrouvent encore aujourd’hui dans le paysage et dans la toponymie : verrerie du groupe Lalique dans les Vosges du Nord à Wingen-sur-Moder, bâtiments à sheds (ou à redans) symboles de l’industrie textile dans les fonds de vallée, papeteries et scieries le long des rivières, « Val d’Argent » qui rappelle le passé minier de la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines. La vallée de Munster reste très marquée par les vestiges du patrimoine industriel liés à la désindustrialisation : ancienne papeterie Schwindenhammer à Turckheim, usine à sheds au lieu-dit La Forge, manufactures textiles Hartmann du XIXe siècle à Walbach, Munster et Muhlbach-sur-Munster. La reconversion de ces friches, aux proportions démesurées – entre 5 et 6 hectares –, pose souvent problème. Les projets d’aménagement nécessitent un savoir-faire, du temps et un budget conséquent lié à la dépollution, à la destruction puis au nouveau projet. Faute de moyens, ces friches jalonnent l’espace rural alsacien, principalement dans les vallées vosgiennes ou dans le bassin potassique au nord de Mulhouse. Elles façonnent le paysage et témoignent du passé industriel de la région.

>>> Lire aussi : Simon Edelblutte, « Reconversion industrielle ou redéveloppement territorial ? L'exemple de Thaon-les-Vosges, ancienne ville-usine textile lorraine », Géoconfluences, 2014.
 
Encadré 2. La bière, une production traditionnelle encore vivace

Si le drapeau tricolore alsacien, rouge, blanc, jaune, évoque historiquement les couleurs du duc de Lorraine puis des croisés, il symbolise également les breuvages de la région. Rouge pour le pinot noir, blanc pour les autres cépages, jaune pour la bière blonde. L’Alsace, terre viticole, n’en demeure pas moins une région de production brassicole importante. Les premières mentions du terme de « bière » apparaissent dans les chroniques médiévales des abbayes de Marmoutier au Xe siècle puis de Wissembourg (Voluer, 2008). Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les brasseries rurales et urbaines alsaciennes conservent une taille limitée (moins de 5 000 hl/an) produisant des bières de fermentation haute vendues sur place ou à proximité. En 1847, le Strasbourgeois Schutzenberger brasse pour la première fois de la bière plus légère, de fermentation basse (lager). Cette production industrielle, qui nécessite de grandes caves refroidies, contraint les brasseurs à quitter le centre-ville de Strasbourg pour ses faubourgs (Cronenbourg, Koenigshoffen, Schiltigheim). On observe ici les prémices de l’exurbanisation liée à la croissance démographique et urbaine du XIXe siècle. Aujourd’hui quatre brasseries majeures, Kronenbourg à Obernai (la plus grande d’Europe), l’Espérance à Schiltigheim, Licorne à Saverne, et Meteor à Hochfelden, assurent la production de 60 % du volume national de bière pour un chiffre d’affaires en 2014 de 1,4 milliard d’euros. Néanmoins, si la bière est toujours produite en Alsace, les pouvoirs de décision ne sont plus en France puisque le groupe indépendant Fischer est racheté par le géant néerlandais Heineken (1996) et Kronenbourg intégré au groupe danois Carlsberg (2008). Seule Meteor et les nombreuses micro-brasseries conservent leur indépendance.

La production brassicole de la région explique l’orientation de la surface agricole utile alsacienne vers l’orge et le houblon. L’Alsace demeure la première région française dans la production de houblon avec 96 % de la production nationale. Derrière ce chiffre se cache pourtant une réalité plus complexe. Le nombre d’hectares cultivés est en recul : 487 hectares en 2020 contre environ 4 500 pendant la période allemande du Reichsland (1871-1919). Les houblonnières s’étendent au nord et au nord-ouest de Strasbourg, essentiellement dans le triangle Saverne-Strasbourg-Haguenau. Le houblon trouve ici les terrains nécessaires à une culture idéale : terres lœssiques, sols légers, sablonneux et légèrement humides. La culture, qui s’effectuait à l’origine sur perches, utilise désormais les fils où s’enroulent les lianes de houblon, seule technique aujourd’hui reconnue (photographie ci-dessous). La récolte du houblon, qui arrive à maturité en général fin août, nécessite une main d’œuvre importante. Elle explique les flux de saisonniers estivaux et transfrontaliers. Alors que les travailleurs provenaient, au début du siècle, principalement des vallées vosgiennes ou de la région voisine du Palatinat, le recrutement des ouvriers agricoles s’ouvre désormais aux pays d’Europe centrale et orientale (Pologne, Roumanie).

Document 4. Une houblonnière à proximité du village de Dossenheim-Kochersberg au nord-ouest de Strasbourg

Gilles Muller — Houblonnière alsace

Cliché : Gilles Muller, juin 2020.


 

2. Une urbanisation croissante qui reconfigure les dynamiques de territoires ruraux attractifs

Comme ailleurs en France, les espaces ruraux alsaciens ne peuvent être étudiés comme des isolats : par les mobilités des habitants, l’évolution des paysages, et le fonctionnement des espaces, ils sont reliés aux villes. La densité de population de la région et l’importance des villes principales font que c’est peut-être encore plus vrai en Alsace qu’ailleurs.

2.1. Des campagnes majoritairement périurbaines

Le visage des territoires ruraux et périurbains se transforme depuis plusieurs décennies en raison de l’accroissement démographique et de la hausse de l’urbanisation. En 1990, la région comptait 1,6 million d’habitants contre 1,9 million en 2018, soit une augmentation de 18,5 % en presque trente ans (INSEE, 2018). Cette croissance soutenue, mise en comparaison avec celles observées dans les régions voisines de l’Alsace, fait figure d’exception dans une partie de la France démographiquement peu dynamique au cours de la même période. L’augmentation importante de la population, à la fois par excédent naturel et par excédent migratoire, entraîne une densité de population moyenne bien supérieure à la moyenne nationale : 228 habitants/km2 contre 118 habitants/km2. Plus du tiers (36,1 %) des communes alsaciennes ont vu leur population augmenter constamment depuis 1990. C’est plus que la moyenne nationale (33,8 %) et plus du double de la Lorraine, par exemple (17 %) (ADEUS, 2014). Seule l’Alsace Bossue, région naturelle de collines douces au nord-ouest de l’Alsace et à l’écart des principaux axes de transport et des zones d’influence des villes moyennes, connaît une déprise démographique, notamment dans sa partie occidentale proche de la Lorraine (Dorn, 2013). La hausse de la population va de pair avec une augmentation de la surface urbanisée via le processus d’étalement urbain. Il opère de deux manières distinctes : en tache d’huile autour des trois principales agglomérations (Strasbourg, Mulhouse, Colmar) et des villes moyennes (Haguenau, Molsheim, Obernai, Sélestat, Saverne, Guebwiller, Saint-Louis) et en doigt de gant le long des axes de communication comme l’autoroute A35 formant parfois des conurbations. Ces deux évolutions modifient en profondeur les dynamiques territoriales de la région.

Document 5. Profil démographique des EPCI et nouvelles constructions

ANCT Évolution démographique des EPCI

Évolution démographique des EPCI 1968-2017. Source : ANCT, 2021. Réalisation du zoom : Géoconfluences. Voir en très grand, cliquez ici.

 

Gilles Muller — Nouvelles maisons individuelles

Nouvelles maisons individuelles modernes au nord d’Issenheim, près de Guebwiller. Cliché : Gilles Muller, juin 2020

 

L’Alsace se distingue donc des autres régions par un rural davantage urbanisé et sous influence des moyennes et grandes villes. Selon la typologie des campagnes françaises de la Datar et de l’Observatoire des territoires mise en place en 2018, une grande partie du territoire frontalier est classée dans la catégorie « campagnes des villes et des vallées urbanisées ». Le rural alsacien se compose de campagnes « densifiées, en périphérie des villes à très forte croissance résidentielle avec une économie dynamique » et de campagnes « diffuses, en périphérie des villes, à croissance résidentielle et dynamique avec une économie diversifiée ». Comme l’a souligné autrefois Étienne Juillard (1953), cette forte densité de population au sein des territoires ruraux n’est pas nouvelle : dès 1751, les villages qui s’égrènent sur les collines sous-vosgiennes ont une densité supérieure à 100 habitants au km2. Phénomène aisément explicable : c’est là que se localise la vigne, une culture rémunératrice et exigeante en main-d’œuvre. Par contre, la densification de la plaine s’inscrit dans un processus de mise en valeur plus récent, en lien avec le drainage des zones marécageuses, l’ouverture frontalière et l’influence de Strasbourg et de Mulhouse.

2.2. Une artificialisation croissante des campagnes génératrice de tensions

L’urbanisation des campagnes pose un certain nombre de problèmes socio-économiques et environnementaux : artificialisation des sols, transformation paysagère et architecturale, menaces sur les écosystèmes, multiplication des conflits d’usage et d’aménagement. Avec l’étalement urbain et la périurbanisation croissante, l’artificialisation des sols augmente. Ce phénomène consiste à « transformer un sol naturel, agricole ou forestier, par des opérations d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale, afin de les affecter notamment à des fonctions urbaines ou de transport (habitat, activités, commerces, infrastructures, équipements publics) » (ministère en charge de l’Environnement, source).

L’observatoire de l’artificialisation des sols, inscrit dans le cadre du Plan biodiversité du 4 juillet 2018, rend compte de ce problème particulièrement prégnant en Alsace sur la période 2009-2019. On distingue trois dynamiques d’artificialisation croissante : au sein des communes périurbaines de la métropole strasbourgeoise et des villes moyennes de la région – Haguenau, Sélestat, Colmar, Mulhouse –, le long de la frontière notamment au niveau de l’axe Strasbourg - Kehl (Allemagne) et Mulhouse - Bâle (Suisse), enfin sur le piémont et à l’entrée des vallées vosgiennes. Entre 2012 et 2018, les surfaces artificialisées progressent de 337 hectares dans le Bas-Rhin, soit une hausse moyenne de 0,1 % par an, similaire aux autres départements du Grand Est. On observe un ralentissement par rapport aux évolutions constatées au cours des périodes 1990-2000, 2000-2006 et 2006-2012 (entre 0,2 et + 0,4 %). Les terres artificialisées proviennent principalement des territoires agricoles (309 ha) ainsi que des forêts et milieux semi-naturels (36 ha). Il s’agit souvent des terres les plus fertiles, dans la plaine d’Alsace et sur les terrasses loessiques du Kochersberg, où les rendements restent très importants. Plus de 10 % des terres nouvellement artificialisées se situent dans l’unité urbaine de Strasbourg. De la bétonisation de l’Alsace découlent des tensions inhérentes entre agriculteurs, néo-ruraux, promoteurs immobiliers et pouvoirs publics.

Plusieurs conflits, d’inégales importances, cristallisent aujourd’hui les tensions dans ces milieux ruraux et périurbains. Le cas le plus emblématique demeure celui de la construction du grand contournement ouest de Strasbourg (GCO) entre Innenheim au sud et Vendenheim au nord (Vergne, 2017). L’objectif du projet est de délester d’une partie du trafic la traversée strasbourgeoise de l’A35, l’un des axes les plus fréquentés de France, notamment par les poids lourds qui transitent vers l’Allemagne et l’Europe du Nord. Le projet autoroutier fait l’objet, dès l’enquête publique de 2007, d’un rejet d’une partie des acteurs locaux. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) dénonce la perte et la pollution de 280 hectares de terres cultivables, les écologistes s’insurgent contre la menace qui plane sur l’habitat naturel du grand hamster d’Alsace, les habitants des communes périurbaines s’agacent du tracé qui « dénature » leur environnement proche. L’attitude de ces derniers relèvent du nimbisme, expression tirée de l’acronyme anglais « Not in My Backyard » qui caractérise l’opposition à un projet d’aménagement motivée, non par des considérations générales, mais par l’emplacement de ce projet qui porte atteinte à son cadre de vie et à la valeur de son patrimoine. L’opposition la plus radicale, inspirée des actions à Notre-Dame-des-Landes, a été la mise en place d’une zone à défendre (ZAD) à Kolbsheim à partir de l’été 2017. Un an plus tard, la ZAD est évacuée par les gendarmes et le projet en construction devrait aboutir à l’orée 2022.

Document 6. L'opposition affichée au projet de contournement ouest de Strasbourg

Gilles Muller — opposition au GCO panneau

Écriteau placé sur l’itinéraire du futur grand contournement ouest de Strasbourg (GCO) à hauteur de Wolfisheim. Cliché : Gilles Muller, juin 2020.
 

3. Préserver, valoriser ou transformer : le difficile équilibre entre les acteurs du rural

L’espace rural est à la fois un cadre de vie, un espace productif et une mosaïque d’écosystèmes. Selon leur approche et leur vision du rural, les acteurs en présence peuvent entrer en conflit pour les usages de l’espace. Mais la ruralité est aussi une représentation, dont la valeur symbolique est d’autant plus forte que les acteurs l’estiment menacée.

3.1. La cigogne et les colombages : quand la symbolique rurale participe à l’identité régionale

« L’image touristique de l’Alsace est très puissante, très traditionnelle. L’Alsace donne envie à travers ses valeurs » (L’Alsace, 8 avril 2018). Cette imagerie, à laquelle fait référence Dominique Hummel, directeur du Futuroscope de Poitiers, repose sur des symboles forts de la région, le plus souvent issus du monde rural : cigognes blanches sur le toit des clochers, villages fortifiés, maisons à colombages, vins blancs, choucroute et tartes flambées, ou encore l’Alsacienne en tenue traditionnelle avec la fameuse coiffe (Schlupfkappe). Cette iconographie est popularisée dès le début du XXe siècle par les dessins et aquarelles du francophile Hansi, puis par les marqueteries de Charles Spindler et enfin par les illustrations de Tomi Ungerer. Aujourd’hui ces représentations sont largement reprises par les différents acteurs du marketing territorial – offices du tourisme, acteurs économiques, acteurs institutionnels – et contribuent à la valorisation de la marque Alsace. Elles renforcent l’image d’un rural traditionnel, conservateur, préservé des influences extérieures – de la France et de l’Allemagne notamment – et tourné autour d’une identité forte.

De ces représentations découle un régionalisme bien ancré dans une partie des territoires ruraux alsaciens. Il se manifeste de différentes manières : par le maintien de l’alsacien, deuxième langue régionale la plus parlée après l’occitan, avec environ 800 000 locuteurs, par la présence de pôles publics et privés d’enseignement bilingue, par des croyances et des fêtes populaires – fêtes du vin, bals –, par la défense du droit local, par le refus de l’adhésion à la région Grand Est, ainsi que par des pratiques électorales conservatrices, autonomistes ou extrémistes (Schwengler, 2003). Le premier tour des élections régionales de 2015, dans le cadre de la nouvelle région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine (aujourd’hui Grand Est), souligne la percée des autonomistes d’Unser Land. Sous le slogan « Non à l’ACAL, oui à nos régions », le parti piloté par Jean-Georges Trouillet a obtenu 10 % des suffrages exprimés dans le Bas-Rhin et 12 % dans le Haut-Rhin. Dans les autres départements la liste obtient moins de 1,5 % des voix. On observe son implantation rurale et la faiblesse de son audience en zone métropolitaine. Plus la taille de la ville diminue, plus le score d’Unser Land tend à augmenter. Les scores les plus élevés sont ceux de petites communes rurales du Bas-Rhin comme Schwobsheim, village du Ried proche de Marckolsheim (36,7 %), Bellefosse, petite commune de la vallée de la Bruche (32,9 %) ou des communes du Haut-Rhin comme Franken (34 %), ou Michelbach-le-Haut (31,8 %), deux communes du Sundgau. À l’inverse Strasbourg et Mulhouse ne comptabilisent respectivement que 5,6 et 6,8 % des voix. Richard Kleinschmager, spécialiste de géographie électorale alsacienne, conclut : « Les thématiques majeures d’Unser Land, comme la défense de la langue alsacienne ou de l’identité régionale, ont apparemment le plus d’écho là où elles sont le moins menacées » (Kleinschmager, 2016). Le régionalisme et l’iconographie traditionnelle alsacienne associée au rural expliquent en partie l’exacerbation de certains conflits. Alors que l’Alsace est confrontée aux mêmes problèmes que les autres régions – périurbanisation croissante, artificialisation des sols, conflits d’aménagement et d’usage –, il semble bien que cette identité liée à un passé douloureux accentue certaines tensions.

 
Encadré 3. Tensions autour des colombages

Les maisons à colombages, valorisées notamment par l’économie touristique, se trouvent au cœur de tensions entre acteurs du monde rural. L’habitation traditionnelle se compose de deux éléments essentiels : une ossature de poutres en bois à l’horizontale et à la verticale comblée par un torchis de boue et de paille (Lohrum, 2015). L’ensemble est recouvert d’un enduit de chaux, souvent de couleur blanche, qui permet d’éviter le phénomène de condensation et évacue l’humidité. Le respect de ces principes architecturaux n’empêche pas l’inclusion d’éléments décoratifs. Sous les fenêtres, ornées traditionnellement de géraniums rouges, différentes formes géométriques, réalisées à partir de poutres en bois personnalisent les maisons. Cette architecture, aisément identifiable, participe à la renommée et à l’identité paysagère de la région. Les représentations des différents acteurs – ruraux, néo-ruraux, touristes, acteurs du marketing territorial ou institutionnels – rentrent parfois en opposition car ils n’ont pas les mêmes attentes de l’espace fonctionnel et habité.

Les professionnels du tourisme et certains acteurs politiques apportent une attention particulière aux maisons à colombages lorsque celles-ci sont génératrices d’une image valorisée. Une célèbre émission télévisée, présentée par Stéphane Bern, a souligné l’engouement populaire autour de ce patrimoine en élisant Éguisheim en 2013, Kaysersberg en 2017 puis Hunspach en 2020 comme « village préféré des Français ». Les projets de rénovation se multiplient au cœur des villages alsaciens tournés vers l’économie touristique. C’est notamment le cas des villages de la route des vins qui accueillent les marchés de Noël en décembre. Plusieurs communes se dotent également d’une Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP), afin de mettre en valeur les quartiers et sites à protéger pour des motifs d’ordre esthétique ou historique. La commune de Reichshoffen, située à l’entrée du Parc Naturel Régional des Vosges du Nord, a adopté une vaste ZPPAUP divisée en deux zones : une zone A qui délimite le tissu urbain soumis aux règles architecturales et une zone B inconstructible. Le plan de zonage, réactualisé en avril 2020, valorise les pans de bois : « le colombage existant, formant un ensemble, est systématiquement ressorti [apparent] et restauré lorsqu’une façade est repiquée ou ravalée. Seuls sont autorisés entre colombages les enduits à la chaux. Ce patrimoine, mémoire vivante, témoin d’une civilisation devenue historique peut parfaitement être intégré à notre présent, dans le cadre de notre vie quotidienne, sans rien perdre de ses caractères fondamentaux ».

Une autre démarche, selon une approche bottom up, émane des particuliers ou de certaines associations de sauvegarde. Ces acteurs s’inscrivent à la fois dans une démarche esthétique et patrimoniale autour d’un discours sur le maintien de la tradition et de l’identité alsaciennes. L’association de sauvegarde de la maison alsacienne, fondée en 1972, propose des conseils et un accompagnement aux particuliers ou aux pouvoirs publics soucieux de préserver leur patrimoine. Elle effectue un lobbying important auprès des médias et des politiques, à l’image de la lettre ouverte du 25 mai 2020 au préfet de région sur la démolition programmée de la « Maison Greder » à Geudertheim. La maison à colombages, datée de 1662 et située au cœur du village, doit être démolie pour construire une école maternelle et un lieu d’accueil périscolaire. La disparition des maisons à colombages répond parfois à des contraintes financières pour la rénovation et aux attentes de nouvelles populations. Jugées « trop sombres, trop basses, trop chères à restaurer, trop tordues, trop penchées », elles sont progressivement remplacées par des constructions plus modernes voire par des maisons d’architecture contemporaine. Les différentes représentations soulignent ainsi que l’espace rural ne peut pas être le support de toutes les attentes sociales en matière de patrimoine, d’esthétique et de paysages muséaux.

Document 7. Maisons à colombages dans la commune de Quatzenheim au nord-ouest de Strasbourg

Gilles Muller — maison à colombages en Alsace

Cliché : Gilles Muller, juin 2020.


 

3.2. Aménager le rural : des enjeux pluriels

Plusieurs solutions permettent de faire face à ces mutations qui recomposent les territoires ruraux. Des mesures, applicables à différentes échelles, luttent contre l’étalement et la perte d’identité paysagère : politiques de zonage, périmètres de protection de la nature, trame verte et bleue. Les départements disposent d’une nouvelle compétence depuis 2005 pour préserver les espaces périurbains non bâtis. Celle-ci s’effectue à travers les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PPEANP) destinés à pérenniser les activités agricoles en zone périurbaine, à faciliter l’accès au foncier pour les futurs exploitants, à valoriser les formes de commercialisation en circuits courts (marchés, vente directe, AMAP, restauration collective) et à avoir une consommation raisonnée.

À l’échelle intercommunale, le schéma de cohérence territoriale (SCOT) reste le document d’urbanisme de référence qui détermine l’organisation spatiale et les grandes orientations de développement du territoire. L’analyse du SCOT du pôle d’équilibre territorial et rural de Bruche Mossig de 2019 rend compte de ces enjeux. La planification porte sur trois communautés de communes – Vallée de la Bruche, région de Molsheim-Mutzig, Mossig et vignoble – situées à cheval sur la plaine, le piémont et les versants vosgiens. Le scénario retenu dans l’aménagement du territoire se fonde sur un développement polarisé, mais non concentré, consistant à développer en priorité les villes desservies par les transports collectifs. « Les villages ne sont pas mis sous cloche dans la mesure où leur développement est essentiel pour renforcer les bassins de vie locaux en appuyant les villes. Ils n’ont cependant pas vocation à absorber prioritairement le développement envisagé et donc limitent leurs besoins en extension spatiale ». Les nouvelles constructions se feront prioritairement dans les interstices de l’habitat déjà existant plutôt que dans de nouveaux lotissements en périphérie des centres urbains. Un deuxième axe de réflexion vise à valoriser les paysages agraires menacés d’enfrichement, à mettre en valeur les paysages de l’eau et à protéger des espèces menacées : crapaud vert, grand hamster d’Alsace, azurés (papillons). Enfin l’agriculture est étroitement associée au projet de territoire avec un contrôle accru de l’urbanisation sur le piémont viticole et en moyenne montagne. La préservation de ces paysages joue un rôle essentiel dans le marketing territorial et l’attractivité de la région.

 

Conclusion

Les territoires ruraux alsaciens demeurent attractifs, dynamiques et sous une forte influence urbaine. À l’échelle nationale ils ne font pas figure d’exception puisqu’ils sont touchés par des processus similaires aux autres espaces ruraux : artificialisation des sols, étalement urbain, périurbanisation, hausse des migrations pendulaires, recul de la Surface Agricole Utile, homogénéisation des paysages. L’identité alsacienne, qui repose sur les valeurs et une iconographie du rural immuable, tend à exacerber certaines tensions. Le projet du Grand Contournement Ouest, la destruction des maisons à colombages, l’arrivée de néo-ruraux ou de périurbains et l’urbanisation croissante sont parfois perçus comme une atteinte et une menace à un rural fantasmé. Les défis pour les différents acteurs sont donc multiples : maintien d’une agriculture intensive et innovante, valorisation des produits du terroir, préservation de paysages agraires à forte valeur esthétique, équilibre entre patrimonialisation et modernisation, réponses aux attentes des néo-ruraux en matière de services et d’accessibilité, attractivité touristique, reconfiguration des mobilités dans le cadre du développement durable. Ces deux derniers défis relèvent désormais d’un nouvel acteur, la Collectivité Européenne d’Alsace (CEA), entrée en fonction le 1er janvier 2021.

 


Bibliographie

 

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : agritourisme | artificialisation | dynamique | espaces ruraux | openfield | paysages | paysages ouverts/fermés ruralité | schéma de cohérence territoriale (SCOT).

 

 

 

Gilles MULLER
Professeur agrégé de géographie, enseignant en classes préparatoires, lycée Jean Rostand de Strasbourg

 

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Gilles Muller, « Dynamiques, mutations et recompositions paysagères des territoires ruraux alsaciens », Géoconfluences, mai 2021.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/france-espaces-ruraux-periurbains/articles-scientifiques/alsace-paysages-territoires-ruraux

Pour citer cet article :  

Gilles Muller, « Dynamiques, mutations et recompositions paysagères des territoires ruraux alsaciens », Géoconfluences, mai 2021.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/france-espaces-ruraux-periurbains/articles-scientifiques/alsace-paysages-espace-rural