Comment parler de l’Europe à la jeunesse ?
Thierry Chopin, professeur de sciences politiques - Université catholique de Lille (ESPOL), Collège d’Europe à Bruges, Mines ParisTech (Corps des Mines)
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La France, pays fondateur de la Communauté Économique Européenne, se classe parmi les pays où les jugements négatifs vis-à-vis de l’Union européenne (UE) sont les plus répandus : aujourd’hui, bien que 56 % des Français interrogés déclarent rester attachés à l'UE (ce qui témoigne de l’absence d’europhobie majoritaire dans le pays), seuls 36 % expriment leur confiance vis-à-vis de l'UE (–13 points de pourcentage par comparaison avec la moyenne européenne), soit l'un des niveaux d'euroscepticisme parmi les plus élevés de l'UE ; on doit en particulier souligner que le manque de connaissances sur le fonctionnement de l’UE constitue un élément majeur du rapport de défiance des Français à l’Europe (Cautrès, Chopin et Rivière, 2021). Dans cette perspective, la question de l’acquisition de connaissances et par là même celle de l’éducation sont essentielles, non pas afin d’instrumentaliser une europhilie mais simplement de prendre la mesure de l’insertion de la France dans l’Union européenne et le rôle qu’elle a joué depuis 1950 dans ce projet de réconciliation. On voit donc l’importance des enseignements et notamment d’histoire, de géographie, d’enseignement moral et civique sur les sujets européens.
Comment parler de l’Europe aux jeunes générations constitue une interrogation permanente.
Le présent article propose une réponse en quatre axes :
- Qu’enseigne-t-on ? Quels sont les choix des programmes ?
- Quelles pistes privilégier pour familiariser davantage les élèves avec les questions européennes ?
- Quelle formation pour les professeurs, initiale et continue ?
- Comment favoriser les mobilités plus massives de la jeunesse et des acteurs de l’éducation ?
1. La place de l’Europe et de l’Union européenne dans les programmes de la scolarité obligatoire et du lycée
Avec la France, l’« Europe » occupe une place importante dans le parcours de l’élève, puisqu’elle est étudiée dans les enseignements d’histoire-géographie du collège et des programmes du lycée (programmes de seconde, du tronc commun du cycle terminal des séries générale, technologique et professionnelle) mais également dans les programmes de spécialité histoire-géographie-géopolitique-sciences politiques (HGGSP) ou encore d’enseignement moral et civique (EMC).
Le simple examen de ces programmes, de la scolarité obligatoire tout d’abord et du lycée ensuite, révèle la volonté d’amener les élèves à se situer à une triple échelle, nationale, européenne et mondiale. Cette finalité est rappelée de manière récurrente à travers tous les préambules des programmes, ainsi que l’explicite le préambule des programmes d’histoire du lycée de 2019 : « La prise de conscience par l’élève de son appartenance à l’histoire de la nation, de l’Europe et du monde, ainsi que des valeurs, des connaissances et des repères qui contribuent au développement de sa responsabilité et de sa formation civique » ((Extrait du Préambule des programmes d’histoire de lycée, BOEN, 2019, page 5 (lien).)). Elle rappelle l’apport majeur de l’histoire-géographie dans leur capacité à appréhender et l’État-Nation et l’Europe.
Au cours de sa scolarité l’élève étudie ainsi la France et l’Europe/UE, dans une approche qui combine l’échelle de l’État et celle de l’Europe, à la fois comme espace et comme entité dans lesquels le pays s’emboîte par un jeu d’échelles. L’Europe constitue un objet d’étude complexe qui est abordé au cours de la scolarité à la fois comme civilisation, comme espace géographique et territoire mais aussi comme projet d’union politique entre États-nations, rassemblant des Européens qui se sont engagés dans un projet commun et dont les effets transforment également le territoire national.
1.1. Donner les grands repères de la France et de l’Europe/UE parmi les objectifs des programmes d’histoire-géographie et d’EMC de la scolarité obligatoire.
Les programmes d’histoire sont chronologiques et identifient des moments de l’histoire de France, qui sont replacés dans une perspective européenne ((Voir à ce sujet les programmes de la scolarité obligatoire, cycles 3 et 4, publiés au BO spécial n°31 du 30 juillet 2020 modifiant le programme publié en 2016.)). Ils comprennent également des repères d’une histoire européenne, avec ses moments propres, ses grandes figures, ses lieux, par lesquels s‘identifient des héritages, fondateurs d’un patrimoine européen.
Plusieurs exemples illustrent cette dimension européenne des programmes :
-En 6e avec « Athènes, Rome, Jérusalem, etc. : la rencontre avec ces civilisations anciennes met l’élève en contact avec des lieux, des textes, des histoires, fondateurs d’un patrimoine commun », le programme puise aux sources de la culture européenne.
-La classe de 5e approfondit ces références européennes puisqu’un tiers du programme s’inscrit dans une logique européenne, médiévale et moderne : les élèves abordent l’Europe carolingienne, puis la Renaissance, les avancées scientifiques et l’exploration du monde aux XVIe et XVIIe siècles dans une perspective européenne ((Le thème 3 du programme de 5e « Transformations de l’Europe et ouverture sur le monde aux XVI et XVIIème siècles » permet d’aborder Charles Quint, le rôle des Ibériques dans la projection vers l’Amérique et les « grandes découvertes ».)).
-En 4e, le thème 1. « Le XVIIIe siècle, expansions, Lumières et révolutions » ((« Bourgeoisies marchandes, négoces internationaux et traite négrière au XVIIIe siècle. L’Europe des Lumières : circulation des idées, despotisme éclairé et contestation de l’absolutisme. La Révolution française et l’Empire : nouvel ordre politique et société révolutionnée en France et en Europe. »)) représente une matrice culturelle et politique à dimension européenne et non pas uniquement nationale, qui vise à montrer un premier réseau de circulation des savoirs et des idées à l’échelle du continent. Ainsi qu’énoncé par le titre, les Lumières sont un phénomène européen qui, à côté de l’espace des marchands, dessine celui des élites intellectuelles. Le programme inscrit également la Révolution française et l’Empire dans un retentissement européen, qui conduit les pays européens à se situer par rapport à ces deux mouvements de fond.
Cette dimension européenne est poursuivie avec le thème 2. « L’Europe et le monde au XIXe siècle : L’Europe et la Révolution industrielle ; Conquêtes et sociétés coloniales ». Le moteur qui façonne villes et paysages, économie et société, culture et idées politiques au XIXe siècle, est vu sous un prisme européen.
C’est tout autant par la géographie que les élèves entrent dans l’étude de l’Europe dès le cycle 3, à travers le thème « habiter » et les verbes d’action qui le déclinent : par exemple en CM2 « Se déplacer de ville en ville, en France, en Europe et dans le monde ». La démarche géographique préconise de faire appel aux expériences, concrètes ou représentées, des élèves ainsi qu’aux études de cas. Si ces dernières sont laissées au libre choix des enseignants, ceux-ci privilégient largement des études de grandes métropoles, d’espaces agricoles et de littoraux choisis en Europe., car elles parlent davantage aux élèves et sont plus accessibles.
En 5e, certains sous thèmes peuvent être mis à profit pour aborder des politiques communautaires. Ainsi le sous-thème « Prévenir les risques industriels et technologiques » aborde forcément la directive Seveso et la politique européenne de prévention des risques technologiques. En 4e le thème des mobilités humaines propose d’aborder le programme Erasmus, réalisation concrète de l’Union européenne très parlante pour les élèves.
La France et l’Europe ou l'UE : approches croisées de l’histoire et de la géographie en classe de 3e
En histoire, l’ambition d’aborder l’Europe comme échelle de lecture des événements est affichée dans le titre du thème : « L’Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914-1945) ». Le sous-thème « Affirmation et mise en œuvre du projet européen » du thème 2, qui prolonge les acquis du cycle 3 (première mention de l’Union européenne en classe de CM2) ((Thème 3 programme d’histoire de CM2 « La France, des guerres mondiales à l’Union européenne »)), propose d’étudier l’Union européenne en portant une attention particulière aux étapes et aux enjeux de sa construction dans un cadre international. Ce chapitre insiste bien sur la nécessité d’aborder ce thème à travers des réalisations concrètes.
Sa mise en œuvre se conçoit en articulation avec le thème 3 du programme de géographie « La France et l’Union européenne : l’UE un nouveau territoire de référence et d’appartenance » et « la France et l’Europe dans le monde ». En effet, les programmes précisent de manière explicite cette liaison entre le thème 3 « La France et l’Union européenne » et le thème 2 du programme d’histoire « le monde depuis 1945, affirmation et mise en œuvre du projet européen ». Il est de la liberté et de la responsabilité des professeurs d’articuler les étapes de la construction européenne et leurs effets dans l’espace national et européen. Cette démarche s’incarne tout particulièrement dans une étude à l’échelle locale (Strasbourg, le siège d’Euronews à Lyon, etc.) ou encore dans l’examen d’une région transfrontalière, les exemples ne manquant pas (la Grande Région, la région Bruxelles-Capitale, l’espace Alsace Bade-Würtemberg, l’espace transalpin), que ce soit avec les programmes Interreg du Rhin supérieur, l’examen des formes régionales des réseaux de transports (le TGV Lyon-Turin par exemple) ou le choix d’une approche plus culturelle avec une réflexion sur les identités régionales comme au Pays basque par exemple.
Le dernier sous-thème du programme de 3e « La France et l’Europe dans le monde » permet enfin d’évoquer certains aspects de la puissance dans les domaines économiques, géopolitiques, économiques, ouvrant à une réflexion sur les liens et avantages de l’intégration européenne pour la France mais également pour l’UE. Ces aspects, qui constituent un premier changement d’échelle, qui est le propre du raisonnement géographique, feront plus largement l’objet d’approfondissements au lycée.
Dans la scolarité obligatoire, l’EMC complète par une dimension politique l’étude de l’UE.
Organisés autour d’une approche par cycle, les programmes visent la connaissance des symboles de l’Union européenne, le drapeau et l’hymne, et abordent le sens de la construction européenne et la notion de citoyenneté européenne.
Ainsi, à l’issue du collège, les élèves ont abordé les grandes fondations intellectuelles, culturelles et politiques de l’Europe. Ils sont censés disposer de repères géographiques ((Extrait des ressources Eduscol 3e : « repères spatiaux fin de 3e : Carte des États membres de l’UE ; principales métropoles européennes et les sièges des institutions européennes ; la mégalopole européenne et les grands axes de l’espace européen ; la région transfrontalière étudiée ; les façades maritimes européennes et quelques fleuves principaux. »)) et historiques (grandes dates nationales et européennes, durées, acteurs) et ont abordé quelques grandes figures et hauts lieux symboliques.
1.2. Les programmes du lycée, entre mise en perspective européenne de la France et enjeux européens
Les programmes des trois voies du lycée ((Les programmes d'histoire-géographie en seconde générale et technologique, en première générale et en première technologique sont définis par arrêté du 17-1-2019 publié au BO spécial n° 1 du 22 janvier 2019. Les programmes d'histoire-géographie en terminale générale et en terminale technologique sont définis par arrêté du 19-7-2019 publié au BO spécial n° 8 du 25 juillet 2019. Le programme de spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques de première générale est défini par arrêté du 17-1-2019 publié au BO spécial n° 1 du 22 janvier 2019.Le programme de spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques de terminale générale est défini par arrêté du 19-7-2019 publié au BO spécial n° 8 du 25 juillet 2019. Les programmes d'histoire-géographie pour le certificat d'aptitude professionnelle (CAP) et pour la seconde professionnelle sont définis par arrêtés du 3 avril 2019 publiés au BO spécial n° 5 du 11 avril 2019. Les programmes d'histoire-géographie pour les classes de première et terminale sont définis par arrêté du 5-2-2020 publié au BO spécial n° 1 du 6 février 2020.)) (générale, technologique et professionnelle) affirment une même volonté de combiner une double dimension nationale et européenne, reprenant en cela les intentions du collège, mais à partir de problématiques et de contenus plus ambitieux. Les « points de passages et d’ouverture », qui font la part belle aux acteurs dans les programmes d’histoire, une ouverture plus large aux études de cas, mises en perspective aux échelles nationale et européenne ainsi qu’aux exemples en géographie, la formulation enfin de « jalons » dans les programmes d’HGGSP apportent des possibilités multiples aux enseignants pour jouer sur les comparaisons, emboîtements, changements d’échelles et déployer les problématiques et grilles de lecture de la France et de l’Europe.
En seconde la dimension européenne est davantage portée par l’histoire.
L’intitulé des thèmes d’étude et les contenus reprennent, en l’approfondissant, l’idée du patrimoine commun. Le thème 1 « Le monde méditerranéen : empreintes de l’Antiquité et du Moyen Âge » chapitre 1. La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines » précise que « ce chapitre vise à rappeler que l’Antiquité méditerranéenne est le creuset de l’Europe ». L’ambition est de rappeler que les fondements culturels et politiques, tels que les principes démocratiques en œuvre en Europe s’enracinent dans une histoire au temps long. On pourra avec profit s’appuyer pour ce chapitre sur des productions culturelles et artistiques diverses mettant en jeu des références antiques, que le site Antiquipop recense, afin de sensibiliser plus facilement les élèves à cet héritage culturel européen.
Le chapitre 2 du thème 2 : « Renaissance, Humanisme et réformes religieuses : les mutations de l’Europe » associe, tout comme le précédent, des fondements culturels, artistiques et religieux à un héritage européen. En ce sens les points de passage et d’ouverture sont tous européens, que ce soit Michel-Ange et Rome, Luther et le Saint empire romain germanique ou Érasme, né à Rotterdam, mais qui par ses voyages symbolise une circulation culturelle des intellectuels dans l’Europe au tournant du Moyen-Âge et de l’époque moderne.
Cette même logique se retrouve dans les points de passage et d’ouverture du chapitre sur les Lumières où sont associés le savant italien Galilée, le mécanicien anglais Thomas Newcomen et la mathématicienne française Émilie du Châtelet. Par cette logique d’acteurs, les programmes font le choix d’incarner les évolutions intellectuelles à travers de grandes figures européennes.
En géographie, le programme s’appuie principalement sur la notion de transition. Si les études de cas (3 études de cas sur 12 sont en Europe) qui sont suggérées pour les différents thèmes (équilibre société-environnement, population et développement, mobilités) ne sont pas obligatoires, certaines proposées sont particulièrement fécondes et sont, à juste titre, retenues par beaucoup d’enseignants dans leur mise en œuvre. Ainsi celle sur « Les Alpes : des environnements vulnérables et valorisés » peut permettre d’aborder la gouvernance de la protection de milieux naturels entre plusieurs pays d’Europe, la question des aménagements communs, la gestion du loup...
La place de la France dans les grands bouleversements de l’histoire et les dynamiques de l’espace européen en première générale et technologique
Si le programme de première générale « Nations, empires, nationalités (de 1789 aux lendemains de la Première Guerre mondiale) » est très ambitieux, dans un souci d’équilibre, certains chapitres sont bien centrés sur l’Europe, notamment le chapitre 2 du thème 1 « L’Europe entre restauration et révolution (1814-1848) ». Les points de passage et d’ouverture reflètent ici aussi un équilibre européen en abordant tour à tour 1815 – Metternich et le congrès de Vienne, 1822 – Le massacre de Chios dans le cadre de la guerre d’indépendance grecque et enfin 1830 – Les Trois Glorieuses. Le thème 4 « La Première Guerre mondiale : le "suicide de l’Europe" et la fin des empires européens » permet d’inscrire l’étude du conflit dans une échelle européenne et débouche avec l’effondrement des empires, sur la tentative de réorganisation de l’Europe selon le principe des nationalités.
En série technologique, le premier thème de l’année est axé dans une perspective européenne « Thème 1 : L’Europe bouleversée par la Révolution française (1789-1815) » et propose notamment comme un des deux sujets d’étude obligatoire « Les puissances européennes contre Napoléon : la bataille de Waterloo ». C’est le jeu des coalitions et des alliances internes à l’Europe qui est ainsi interrogé.
En géographie, les espaces européens prennent leur place au sein d’un programme qui traite « des dynamiques d'un monde en recomposition ». Les thématiques abordent les dynamiques actuelles des territoires « métropolisation, espaces productifs, fragmentation et multifonctionnalité des espaces ruraux » mais qui permettent aussi une mise en perspective systématique de l’espace français dans une échelle européenne et mondiale. La métropolisation peut être abordée à partir de l’étude de plusieurs grandes métropoles européennes, Londres est d’ailleurs proposée parmi les métropoles de rang mondial.
L’étude des espaces productifs soulignent les logiques européennes en matière de choix industriels et technologiques, dans une complémentarité entre les différents pays de l’UE. Ainsi la thématique « Les espaces des industries aéronautique et aérospatiale européennes : une production en réseau » met en lumière le rôle des acteurs productifs européens. La thématique reprend à nouveau la notion de réseau, si pertinente quand on se situe à l’échelle de l’Europe. Sur cette thématique la série technologique propose deux « sujets d’étude » situés en Europe, car elle reprend l’étude de cas de la série générale sur « les industries aéronautiques et spatiales européennes » et y ajoute « Rotterdam : un espace industrialo-portuaire européen de dimension internationale ». Les manuels scolaires soulignent bien dans l’approche de l’étude de cas consacrée aux industries aéronautiques et spatiales l’intérêt de la réflexion géographique sur une organisation réticulaire de la production au sein de l’Europe.
De même, le thème consacré aux espaces ruraux se prête particulièrement à une réflexion sur les dynamiques de fragmentation et multifonctionnalité croissante ainsi qu’à l’analyse des effets sur les espaces ruraux français des politiques européennes dans une question spécifique. À ce titre une étude de cas sur « Les mutations des espaces ruraux de Toscane » est proposée.
L’Union européenne, une place importante en terminale générale et technologique
Les programmes d’histoire et de géographie de terminale qui couvrent la période contemporaine font le choix de consacrer deux thèmes à la construction européenne et à ses réalisations. Le programme d’histoire « Les relations entre les puissances et l'opposition des modèles politiques, des années 1930 à nos jours » est bien sûr à lire dans une complémentarité des approches avec le programme de géographie, les deux disciplines s’éclairant mutuellement.
Ainsi le chapitre 1 du thème 3 du programme d’histoire aborde « La modification des grands équilibres économiques et politiques mondiaux dans un monde bipolaire » avec une focale sur la démocratisation de l’Europe méridionale et les premiers élargissements de l’Europe des Six. C’est une vision équilibrée des évolutions de l’ensemble de l’Europe et pas uniquement de la partie occidentale.
Mais c’est principalement le chapitre 2 du thème 4 « La construction européenne entre élargissement, approfondissement et remises en question » qui approfondit l’étude de l’UE en contextualisant les évolutions, les avancées et les crises de la construction européenne. C’est sa capacité à s’élargir et à approfondir son projet supranational en s’adaptant aux évolutions géopolitiques et politiques depuis les années 1990 qui en constitue le fil directeur et amène à étudier le passage de la CEE à l’UE, à réfléchir aux rapports entre l’Europe, la souveraineté nationale et les citoyens à travers les décisions fondamentales (traités, citoyenneté, institutions), et prendre la mesure des élargissements, en privilégiant quelques objets de réflexion (Euro par exemple). Un choix similaire a été fait pour les programmes d’histoire de la classe de terminale de la voie professionnelle, intitulé « La France, l’Europe et le monde depuis 1945 » Thème 1 : « Le jeu des puissances dans les relations internationales depuis 1945 » qui intègre la construction européenne dans les grandes étapes de ces relations.
La géographie aborde le territoire de l’Europe et de l’UE, ainsi qu’évoqué dans l’intitulé même du programme « Les territoires dans la mondialisation : entre intégrations et rivalités ». Le thème 3 « La construction européenne entre élargissement, approfondissement et remises en question » propose d’offrir aux élèves en fin de secondaire une réflexion problématisée sur l’harmonisation des politiques européennes en matière de défense ou d’immigration, la réduction des inégalités socio-spatiales au sein du territoire européen… En ce sens, les études de cas proposées sont d’une grande diversité en s’intéressant aussi bien à un État membre comme l’Allemagne, qu’à la politique agricole commune (PAC). Au sein du programme, la question spécifique sur la France s’inscrit dans cette dimension européenne. Intitulée « La France : les dynamiques différenciées des territoires transfrontaliers » cette question propose d’aborder plusieurs territoires dans une logique transfrontalière, qui peut être très concrète pour les élèves.
Les programmes de la série technologique font également le choix de consacrer deux des six sujets d’étude à des territoires français profondément inscrits dans des logiques européennes avec « L’aéroport de Paris-Roissy-Charles de Gaulle, un hub au cœur des échanges européens » et « Le Centre Spatial Guyanais (Kourou) : coopérer pour s’affirmer à l’échelle mondiale. ». Le jeu d’échelles propre à la géographie (local-national-européen-mondial) est ainsi bien présent pour donner à voir et à comprendre l’intrication de dynamiques à différentes échelles.
L’enseignement de spécialité (HGGSP) : l’approfondissement de l’approche européenne
Cet enseignement de spécialité, laissé au choix des lycéens, rencontre un vif succès et rassemble environ 30 % des élèves de 1re et 25 % des élèves de terminale. Il dispose d’un horaire confortable (quatre heures par semaine en première et six en terminale).
Le programme de première inscrit plusieurs de ses thèmes dans une réflexion européenne.
Le thème 1 « Comprendre un régime politique : la démocratie », ambitionne de faire réfléchir les élèves sur « L’Union européenne et la démocratie » (objet conclusif) en posant notamment la problématique des remises en question citoyennes de l’UE. De même, l’objet de travail conclusif du thème 3 « Étudier les divisions politiques du monde : les frontières » est consacré aux « frontières internes et externes de l’Union européenne », plaçant au cœur de l’étude et de la réflexion les pratiques d’un espace frontalier et les frontières extérieures de l’UE, avec l’espace Schengen.
En terminale, le thème 1 « De nouveaux espaces de conquête », même s’il ne cite pas explicitement l’Europe, fait que celle-ci ne peut être évacuée au regard de l’importance de son rôle dans le domaine du spatial et des acteurs européens. Le thème 3 « Histoire et mémoires » aborde dans son axe 2 « La construction d’une justice pénale internationale face aux crimes de masse : le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) » et invite les élèves à aborder dans une perspective juridique un conflit advenu en Europe.
Enfin le thème 4 sur le patrimoine s’appuie sur plusieurs jalons européens tels que « Conflits de patrimoine. Les frises du Parthénon depuis le XIXe siècle » ou encore « Le tourisme culturel, entre valorisation et protection. Venise, entre valorisation touristique et protection du patrimoine. ». Les élèves pourront ainsi s’interroger à profit sur la notion de patrimoine européen, aborder la circulation des œuvres au sein du réseau des musées européens, aborder les manifestations patrimoniales européennes, comme les capitales culturelles européennes...
L’Enseignement Moral et Civique : citoyenneté française, citoyenneté européenne
Au lycée, les programmes sont structurés par des notions correspondant à de grands axes. En seconde, dans le cadre de la réflexion sur les libertés, sont abordées les institutions françaises et européennes qui garantissent les libertés, comme la cour européenne des Droits de l’Homme.
En première, dans le cadre de l’axe 1 : « Fondements et fragilités du lien social », « L’expression de la défiance vis-à-vis de la représentation politique et sociale, et vis-à-vis des institutions » peut permettre de réfléchir sur la défiance vis à vis des institutions européennes de certains mouvements citoyens ou politiques.
C’est en terminale, notamment dans l’axe 1 : « Fondements et expériences de la démocratie » qu’une réflexion sur la citoyenneté européenne peut être approfondie, là encore en relation avec les programmes d’histoire et de géographie. Ainsi, parmi les domaines au choix proposés, figurent « La construction européenne et la démocratie : principes et institutions politiques et judiciaires ; l’Europe comme espace de production du droit ; citoyenneté européenne ».
On relève avec intérêt le thème 2 du programme de première de la voie professionnelle, « Préserver la paix et protéger des valeurs communes : défense et sécurité de « la défense et de la sécurité en France et en Europe », amenant notions clés et repères indispensables à la formation du citoyen.
L’Europe est ainsi abordée par l’histoire-géographie, l’enseignement de spécialité HGGSP au travers d’une pluralité d’approches historique, géographique, civique, institutionnelle, culturelle, scientifique, économique, politique à même de construire chez les élèves des repères forts, une réflexion guidée par de grandes problématiques. Même si ce n’est pas l’objet de l’article, une analyse comparée des différents programmes scolaires des pays européens soulignerait que la France fait au moins autant sinon mieux, en volumes horaires, thèmes abordés et repères construits sur le temps long de la scolarité que ses voisins. Cela n’évacue toutefois pas des écueils de mise en œuvre et des points de progrès à apporter que nous aborderons maintenant.
Encore une fois, rappelons que les programmes ne sont pas l’enseignement qui est délivré aux élèves stricto sensu. Ils sont un cadre à l’intérieur duquel s’exerce la liberté pédagogique des enseignants et leur responsabilité dans les choix dans la sélection des étude de cas, le temps accordé aux points de passage et d’ouverture ou l’orientation du traitement des questions. Ils peuvent, par ces choix, favoriser l’examen de certaines problématiques, au service de la construction de savoirs et de compétences communs. Il convient sans doute de rendre explicites et de clarifier, pour les professeurs, les possibilités de choix et la manière dont ils peuvent user de leur liberté pédagogique pour concevoir et renforcer la dimension européenne à leur enseignement.
2. Des pistes à privilégier en vue de familiariser davantage les élèves du secondaire avec les enjeux européens
Dans le droit fil des orientations des programmes, et suivant les préconisations d’un rapport récent (Chopin et Divet, 2020), quels contenus, approches et démarches pour l’étude de l’Europe et de l'UE seraient à promouvoir pour mieux la présenter comme un ensemble auquel les Français et les Européens se réfèrent et se sentent appartenir ? La mise en valeur d’événements historiques transnationaux en cours d’histoire, l’approfondissement des approches culturelle et géopolitique de l’Europe en géographie et la convocation d’exemples concrets sont des voies sûres. Les enseignements d’histoire et de géographie, ainsi que l’enseignement moral et civique, représentent cette ouverture sur l’Europe indispensable aux élèves, qui leur permet de décentrer leur regard de la seule échelle nationale, d’appréhender par des exemples concrets l’action de l’UE dans les territoires, de se familiariser avec les enjeux géopolitiques contemporains et de faire émerger en Europe un espace de dialogue interculturel.
2.1. Histoire et Géographie, des orientations et des approches pour mieux ancrer la dimension européenne dans les enseignements
Ouvrir davantage l’enseignement d’histoire sur l’Europe
L’enseignement de l’histoire, s’il met souvent l’accent sur les évolutions historiques propres à l’espace national, offre aussi aux enseignants des possibilités de déployer des approches européennes. Cette plus grande ouverture n’implique pas d’effacer l’histoire de France au profit d’une histoire européenne. Il s’agit simplement de compléter en le renforçant, l’enseignement existant par des éléments d’histoire européenne qui mettent en valeur ce que les Européens ont en commun et d’ouvrir à une plus grande diversité d’exemples européens.
Souligner la dimension européenne des grands phénomènes et des transformations historiques et réfléchir à ce que les Européens ont en commun.
Les grandes évolutions politiques, économiques, intellectuelles, artistiques qui ont transformé l’Europe au fil des siècles sont des objets d’étude privilégiés pour une mise en perspective européenne mettant en valeur les relations de proximité et de divergence entre les États européens. Par ailleurs, les comparaisons européennes peuvent être davantage mobilisées autour de repères historiques nationaux et européens. Favoriser le développement d’un regard décentré sur l’Europe permet aux élèves d’avoir une compréhension plus fine de l’histoire pour reconnaître ce qui unit l’espace européen au-delà de la diversité des évolutions historiques nationales. Cette ouverture du regard offre donc aux élèves de réfléchir à ce que les Européens ont en commun dans et par leur passé. Il ne s’agit pas ici de remplacer le « récit national » mais de le compléter par un narratif européen par lequel les élèves apprendront que « tout phénomène historique national – le féodalisme et l’émergence de l’État moderne, la Renaissance et la Réforme, les Lumières et la révolution industrielle – a été aussi, et d’abord, un phénomène européen » (Barnavi, 2008 ; Nora, 1988 p. 38-42.). Déjà contenue dans les programmes, cette dimension peut être renforcée. Dans ce cadre, les professeurs ont toute latitude pour faire travailler leurs élèves sur les grands discours européens, notamment le discours pour l'inauguration du parlement européen de Simone Veil, sa première présidente, à Strasbourg, le 17 juillet 1979 qui fait pleinement sens, à côté d’un ensemble de fameux discours de référence ((Les discours fameux des « pères de l’Europe » mais également celui de Mikhaïl Gorbatchev devant le conseil de l’Europe à Strasbourg le 6 juillet 1989, celui d’Aristide Briand à la SDN le 5 septembre 1929, ou encore celui de Victor Hugo en 1849 sur les États-Unis d’Europe.)). La même réflexion peut être tenue par rapport à l’étude de « lieux de mémoire européens » tels que Rome, Strasbourg, Genève, Berlin, Vienne, ou encore Auschwitz.
Diversifier les cas nationaux européens à l’étude : intégrer davantage les États d’Europe centrale et orientale.
Les comparaisons européennes, lorsqu’elles sont indiquées dans les programmes scolaires, mentionnent le plus souvent des pays d’Europe occidentale. Ces orientations peuvent donner aux élèves une vision partielle de l’Europe, limitée à un petit nombre d’États occidentaux. Cette focalisation limite l’ouverture des élèves à une pluralité de situations historiques, réduit leurs capacités à interpréter les transformations actuelles par le recours à l’histoire et entrave plus largement la compréhension mutuelle entre les différents États européens. Le développement d’un regard décentré, dirigé au-delà du seul espace national, peut s’accompagner d’une convocation plus fréquente des États d’Europe centrale et orientale, en utilisant toutes les possibilités offertes par les programmes, notamment les exemples et les études de cas, qui peuvent, en étant bien choisis et approfondis, donner plus d’ouverture à l’enseignement dispensé. Le recours à des supports encore peu connus d’une partie des enseignants (corpus scientifiques renouvelés ((Voir par exemple pour l’histoire, les travaux récents de l’historien britannique Ian Kershaw ; en France, ceux de Thomas Serrier et de Laurent Warlouzet ; en Allemagne, Kiran Klaus Patel et Hagen Schulze, etc.)) et outils numériques) faciliterait l’ouverture de l’enseignement d’histoire à une dimension européenne plus marquée.
Rendre l’Europe attrayante pour les élèves : susciter l’intérêt des élèves par une approche politique (et non strictement institutionnelle) et culturelle.
Une approche politique et culturelle pour incarner l’Europe
D’une part, les logiques politiques qui ont construit l’UE et qui la structurent encore aujourd’hui devraient davantage être mises en valeur afin de contrecarrer la vision désincarnée, bureaucratique et aride souvent attachée à l’« Europe ». Dans cette perspective, il serait intéressant de faire comprendre aux élèves la diversité des grandes logiques historique, politique, économique et géopolitique d’unification européenne. L’objectif de pacification interne constitue un facteur majeur d’unification, mais à celui-ci s’ajoutent d’autres motivations de type externe (consolidation de la sphère d’influence démocratique et libérale dans le cadre de la guerre froide, décolonisation), économique (logique d’intégration marchande) ou géopolitique (prenant en compte la centralité des visions nationales portées par les États sur la construction européenne). L’enseignement de l’UE peut mettre en évidence la pluralité des intérêts caractéristique de l’UE et montrer comment se forgent les compromis entre les États et les peuples européens, et ainsi bien mettre en lumière la réalité des rapports de force politiques et diplomatiques qui structurent l’Union européenne.
D’autre part, l’approche « culturelle » (lato sensu) est essentielle pour éveiller la curiosité des élèves pour l’Europe. Les démarches pédagogiques, en histoire comme en géographie, qui s’ancrent dans les pratiques des élèves, dans les lieux du quotidien et leurs loisirs (sports, musique, lecture, cinéma et séries…) pour réfléchir à l’espace européen, à la fois uni et divers, constituent un moyen efficace pour parler d’Europe en classe. Cela suppose que les enseignants s’approprient des œuvres culturelles européennes pour construire chez leurs élèves des représentations incarnées, sensibles, les conduire vers l’analyse en confrontant des œuvres fictionnelles au savoir scientifique.
Aborder le fonctionnement de l’UE par les pratiques, rendre l’Europe plus proche et plus visible
Une approche plus participative des actions menées par les institutions de l’Union européenne permet aux élèves de comprendre, par les pratiques, le fonctionnement concret des institutions européennes. À titre d’exemple, on peut mentionner les travaux sur les séries d’un groupe interacadémique qui propose aux professeurs de s’emparer de la série Parlement, série télévisée franco-germano-belge en dix épisodes de 26 minutes, créée par Noé Debré et diffusée à partir de 2020 sur france.tv, pour entrer concrètement dans le fonctionnement de l’UE par des sujets comme les rivalités et coopérations dans le domaine maritime ou l’épineuse question de la frontière irlandaise (voir par exemple une proposition pédagogique sur le site de l’académie de Toulouse).
Les débats, les simulations de négociations et les jeux de rôles sont des pratiques pédagogiques qui, outre leur caractère formateur dans le champ des compétences orales et de l’argumentation, offrent des occasions pour les élèves d’expérimenter le fonctionnement concret de l’UE, autour de questions européennes ; la prise en compte des différents points de vue d’acteurs sur ces questions peut contribuer au sein de la classe à faire émerger un embryon d’espace public européen. Les enseignants pourraient solliciter les associations compétentes afin de mettre en place conjointement ces activités.
Les programmes se prêtent à des visites sur le terrain ainsi qu’à l’intervention dans la classe d’acteurs de la vie économique et publique. Ces activités permettent aux élèves de se familiariser avec l’Europe, ses métiers et ses programmes. Par la discussion avec des « professionnels » de l’Europe, élus, experts ou associatifs, les élèves mettent des visages sur des fonctions abstraites et découvrent dans le même temps de nouvelles possibilités de carrière. Le développement de rencontres avec des étudiants ayant bénéficié du programme Erasmus (mais aussi des programmes de l’OFAJ) permet de témoigner des circulations européennes avec une grande force au sein des établissements scolaires, dans le cadre du travail sur l’orientation par exemple. À cet égard, les multiples dimensions des jumelages et partenariats entre villes européennes peuvent être exploitées. Ces partenariats sont souvent connus des élèves, surtout dans les villes petites et moyennes, et ils favorisent les échanges (lire à ce sujet : Briot, 2020).
L’Europe, territoire de référence et d’appartenance par la géographie
Les élèves, futurs citoyens français et européens auront à agir dans une France et une Europe en mutation
Or, pour envisager l’« espace » européen comme un champ d’action réellement accessible, il est d’abord nécessaire d’en circonscrire le « territoire » et d’en connaître les principales dynamiques. « L'Europe » (Europe continent et UE) est un objet d’étude en complète adéquation avec les disciplines enseignées dans le secondaire (géographie-géopolitique). Par leur diversité et leurs modes d’organisation politique, l’Europe et l’Union européenne peuvent être en effet considérées comme des objets géographique et géopolitique par excellence. L’analyse géographique permet de rendre compte de la diversité tandis que la géopolitique propose une théorie démocratique des ensembles qui offrent des cadres de coopération entre des éléments très divers. Enfin, les crises à répétition auxquelles les Français et les Européens font face sont une occasion de renforcer la dimension géopolitique de l’enseignement de l’Europe. C’est dans cette perspective que l’on peut souhaiter une plus grande intégration de la question des frontières de l’Union européenne dans le tronc commun afin de bénéficier à un plus grand nombre d’élèves.
Un enseignement de l’Europe à la complexité graduelle en fonction des niveaux
La connaissance des grands repères est la première condition de l’acquisition d’une culture géographique européenne. Mais les élèves doivent être également amenés à prendre conscience et à comprendre la nature particulière de l’Europe, avec ses limites variables et ses formes diverses en fonction des espaces et des acteurs qu’il regroupe : Europe nordique et baltique, méridionale, Europe centrale et orientale, l’Europe comme continent maritime, etc. L’élève doit également être capable de se représenter et d'interroger les différents contours pris par l’Europe en fonction des ensembles étudiés : l’UE, la zone euro, l’espace Schengen, l’Europe du Conseil de l’Europe. Dans un souci de progressivité, il s’agit d’assurer au collège la maîtrise de ce socle puis d’approfondir et de renouveler les problématiques sur l’Europe au lycée. On se référera avec profit aux articles de Pascal Orcier sur Géoconfluences (2019, 2020, 2022).
Mobiliser les différentes échelles d’analyse pour étudier l’Europe.
C’est l’efficacité de cette démarche géographique que rappelle Michel Foucher dans l’un des récents numéros de la Documentation Photographique L’Europe dans le monde (2022) qu’il faut promouvoir dans l’enseignement, car elle permet de dépasser une vision descriptive et institutionnelle de l’Union européenne, pour mieux connaître et en comprendre les dynamiques.
Ce sont les dynamiques internes des territoires de l’Union européenne :
L’approche géographique de l’espace européen aborde la diversité des flux qui le structurent (budget de l’UE et flux financiers – PAC, fonds structurels, mobilité des travailleurs, plan de relance, etc.), met l’accent sur les effets des différents programmes (programme « InvestEU », programme Natura 2000, etc.) et les politiques communes sur les territoires et leur intégration au sein des différents États membres. L’analyse géographique s’appuie sur des exemples d’actions de proximité qui peuvent permettre aux élèves de se représenter concrètement les actions de l’UE. Ce sont ces démarches dans la classe que promeut le géographe Michel Foucher dans un article récent, « les échelles de l’Europe » (2021) : « Pour diffuser les connaissances sur des réalités compréhensibles à l’échelle européenne, on pourrait entreprendre des exercices pratiques en classe et en excursion consistant à découvrir et identifier les actions concrètes de « l’Europe en France » c’est à dire de « l’Europe chez nous », du soutien de la Politique agricole commune aux éleveurs de montagne jusqu’à la mobilité verte par hydrogène en passant par la protection des zones naturelles du programme Natura 2000. La liste de ces actions est illimitée et accessible à l’échelle régionale. »
La somme des projets de toute nature qui peuvent être réalisés par l’effet de levier des programmes européens (un projet nouveau toutes les 3 minutes), est une réalité quotidienne vécue mais pas assez perçue, et qui reste à exploiter encore davantage auprès des élèves. Un concours de photographies dans les lycées et collèges sur des réalisations locales pourrait être imaginé, ainsi que la publication d’entretiens avec des bénéficiaires. L’enseignement de tronc commun de terminale « les dynamiques des territoires transfrontaliers » ainsi que l’enseignement de spécialité de 1re générale offrent des possibilités pour déployer des actions concrètes au plus près des territoires et des acteurs, notamment dans la mise en place de démarches de prospective territoriale. À cet égard, les travaux conduits dans l’académie d’Amiens, avec l’Atlas des Hauts-de-France, sont exemplaires.
Mieux mettre ainsi en lumière les dynamiques internes à l’UE à l’aide d’exemples concrets est essentiel pour permettre de rapprocher l’Europe des élèves et donc des futurs citoyens. Afin de permettre aux élèves de réfléchir par eux-mêmes aux effets et aux bénéfices de l’adhésion à l’Union européenne, l’enseignement de géographie offrent ainsi des possibilités pour analyser quelques effets de transformations des territoires produits par la construction européenne et pour établir un bilan géopolitique et géoéconomique des élargissements.
C’est également l’Europe dans le monde, une réponse aux grands enjeux géopolitiques mondiaux :
Les réponses européennes aux grands enjeux contemporains (climat, santé et réponses face à la pandémie, relations extérieures, voisinage, sécurité, défense, numérique, commerce international, etc.) mobilisent plus amplement cette échelle d’analyse et constituent des problématiques intéressantes dans le cadre des programmes existants. En effet, l’ensemble des défis mondiaux auxquels les Européens sont confrontés permettent de faire réfléchir les élèves à la gestion des crises actuelles, non seulement au niveau national, mais aussi à l’échelle européenne (Foucher, 2022).
Plusieurs exemples à l’appui :
- Les avancées européennes en matière de développement durable et de conscience écologique constituent des entrées pertinentes pour aborder l’Europe sous l’angle de défis/réponses, du rapport Brundtland aux accords de Paris sur le climat jusqu’à l’accélération récente de la lutte contre le changement climatique avec pour objectif la neutralité carbone en 2050 et le récent plan de relance de 750 milliards d’euros.
- Le thème « l’Union européenne dans la mondialisation : des dynamiques complexes » en terminale ou encore l’étude de cas sur « La mer Méditerranée : un bassin migratoire » au programme de la classe de seconde, interrogent les défis et tensions, internes et externes auxquels l’Europe est exposée, et se trouvent en prise directe avec des interrogations d’actualité. Le rôle de la géographie comme clef de compréhension et d’action sur le monde, mais aussi d’éveil d’une conscience citoyenne et politique à l’échelle de l’Europe, est évident et peut être saisi à travers des études de cas situées. À nouveau peut-on faire référence aux travaux sur les séries, à travers l’exemple de la série Eden ((Voir « FIG : La question migratoire en Méditerranée : une approche multiscalaire avec l'apport des séries TV » https://disciplines.ac-toulouse.fr/hgemc/fig-la-question-migratoire-en-mediterranee-une-approche-multiscalaire-avec-l-apport-des-series-tv.)) dans une démarche qui croise l’analyse géographique des migrations et l’Éducation aux Médias et à l’Information.
- Au lycée, les enjeux de défense, traités dans le cadre de l’enseignement de spécialité, font l’objet d’un travail conclusif portant sur l’analyse de la stratégie française sur le cyberespace dans le cadre européen ; dès lors, il s’agirait de compléter l’angle d’approche national pour également aborder la question dans une perspective européenne.
Aborder l’Europe à cette échelle mondiale, c’est constater enfin la présence de l’Europe aux « quatre coins » du monde ; par ses territoires d’outre-mer, Régions Ultra Périphériques (RUP) pleinement membres de l’UE ou territoires et collectivités d’outre-mer associés à l’Union, par le peuplement et les langues bien évidemment, que l’on peut autant considérer comme des héritages d’empires révolus que comme des promesses d’avenir.
Éveiller la curiosité des élèves pour l’Europe par une présentation sensible de cet espace :
En complémentarité du registre du réel et du rationnel qui soulignent les avantages concrets de l’Europe, les registres des représentations, du symbolique, de l’imaginaire et de l’émotionnel doivent être également convoqués dans l’enseignement de l’Europe. La découverte en classe de l’espace européen par ses paysages, par les pratiques spatiales de ses habitants, par les villes et les lieux de sociabilité, l’urbanité et la ruralité, donnerait aux élèves l’image d’une Europe diversifiée invitant à la rencontre, au voyage et peut-être même… au rêve. La présentation de l’espace européen sous des formes sensibles, la référence aux imaginaires, territoriaux, symboliques, nationaux, européens et la cartographie de ces imaginaires au service d’une géographie de projet, contribueraient à mieux incarner l’Europe et atténuer la vision très répandue d’une Europe uniquement bureaucratique.
2.2. Enseignement moral et civique : Compléter le cadre national d’appréhension de la citoyenneté par le cadre européen.
L’enseignement moral et civique constitue une occasion privilégiée pour questionner la citoyenneté européenne et découvrir l’Europe du quotidien. Cet enseignement peut être porté par des professeurs de différentes disciplines, enrichissant la dimension européenne.
Faire réfléchir les élèves à la notion de citoyenneté européenne dans ses aspects juridiques, politiques et éducatifs :
Les programmes d’enseignement moral et civique (EMC) français ont pour objectifs le développement de compétences citoyennes dans le cadre de la République française et secondairement de l’Union européenne. L’objectif de formation à la citoyenneté européenne qui figure dans les programmes peut être davantage développé, de manière à clarifier les contours de cette notion, en présenter ses implications juridiques et à faire réfléchir les élèves aux différents droits – notamment politiques – et compétences que cette citoyenneté européenne valorise. Il ne s’agit pas d’établir une hiérarchie entre les deux types de citoyenneté et de reléguer au second plan la citoyenneté nationale, mais au contraire de montrer leur complémentarité dans l’esprit même du traité européen instituant la citoyenneté européenne. Cela passe par le travail sur le drapeau, l’hymne, la devise, la monnaie, le passeport par exemple. La thématique du programme de seconde, « la liberté », offre des possibilités pour montrer de quelle manière l’exercice des libertés des Français s’articule au cadre européen : libertés de circulation, libertés politiques et civiques (voter, être éligible aux élections locales et européennes, droit d’initiative citoyenne, droit de pétition), libertés économiques (travailler, étudier, séjourner) et des libertés juridiques (la Cour européenne des droits de l’Homme). En terminale, le thème de la démocratie offre aux professeurs la possibilité de choisir le domaine suivant « la construction européenne et la démocratie : principes et institutions politiques et judiciaires ; l’Europe comme espace de production du droit ; citoyenneté européenne ».
Investir pleinement les démarches pédagogiques de l’EMC :
Jeux de rôles, simulations, discussions argumentées et débats, ainsi que la démarche d’enquête prennent pleinement sens ici dans la mesure où elles peuvent familiariser les élèves français avec la culture politique du compromis caractéristique de l’UE. La possibilité offerte aux professeurs de développer un « projet de l’année » permet de construire la notion de citoyenneté européenne. Dans cette perspective d’appropriation des pratiques politiques de l’UE, l’EMC offre des possibilités pour familiariser les élèves français avec les particularités de la prise de décision au sein de l’UE, de la pratique du compromis, plus éloignée de la culture politique française, très unitaire. Dans ce contexte, l’enseignement moral et civique, notamment au lycée, peut ouvrir à d’autres cultures politiques. Dans le cadre de l’enseignement sur l’UE, les élèves seraient amenés à prendre conscience de la pluralité des acteurs et des instances mobilisés dans la prise de décision. Il s’agit sur ce point d’une question « d’acculturation au polycentrisme », essentielle à la réalisation de projets communs.
Allier l’apprentissage académique classique à des expériences pratiques : intervention d’acteurs de terrain, visites des lieux de pouvoirs, concours pour élèves :
Afin de donner une dimension européenne aux thématiques traitées dans le cadre de l’enseignement moral et civique et de renforcer la dimension pratique de cet enseignement, il serait intéressant de mentionner pour chaque thème des acteurs européens disposés à intervenir en classe pour présenter leurs actions (associations, eurodéputés, fonctionnaires européens…). La découverte des lieux de pouvoir européens à l’occasion de sorties scolaires permettrait aux élèves de mieux comprendre l’action des institutions européennes et d’en mémoriser sur le long terme le fonctionnement. En effet, la sortie scolaire, en créant « une situation d’apprentissage inhabituelle (…), a cette capacité d’inscrire dans le temps des souvenirs précis sur les institutions plus qu’aucune autre pédagogie » (Amilhat, 2022). Enfin, l’introduction de concours pour élèves sur le modèle du « Parlement des jeunes » dans une perspective européenne encouragerait les classes à participer à des projets d’année motivants et marquants.
Bien évidemment l’ouverture sur l’Europe n’est véritablement possible que si des efforts conséquents sont engagés pour promouvoir l’enseignement des autres langues européennes auprès des élèves. À cet égard, il serait notamment souhaitable de revaloriser ces enseignements, de les renforcer dans les filières technologiques et professionnelles (par, respectivement, une augmentation du volume horaire et la promotion du bilinguisme), d’ouvrir très largement l’accès aux sections européennes, binationales et internationales, d’introduire une spécialité à deux langues vivantes voire de systématiser l’enseignement d’une partie du programme en langue étrangère comme c’est le cas de la discipline non linguistique en sections européennes (Chopin et Divet, 2020, p. 71-87 et p. 98-103).
3. Ouvrir les formations des enseignants à l’Europe, en formation initiale et continue
Les enseignants français sont peu formés aux questions européennes. À l’université, l’Europe est un thème peu étudié ; mais les programmes scolaires intègrent aux finalités de connaissances et de compréhension de l’Europe, des enjeux de formation du citoyen, français et européen. En formation continue, les enseignants ont rarement l’occasion d’approfondir et de réactualiser leurs connaissances et de réfléchir aux finalités de l’enseignement de l’Europe. Par conséquent, beaucoup d’entre eux se sentent peu à l’aise pour l’enseigner. Afin de pallier ces lacunes, les préconisations qui suivent se concentrent sur plusieurs points : l’étude plus systématique de l’« Europe » dans les formations initiale et continue ; la diffusion auprès des enseignants d’outils pédagogiques de qualité et de travaux universitaires capables d’alimenter leur questionnement sur les enjeux européens et enfin le renforcement de la formation de langues vivantes étrangères afin d’assurer l’accès de tous les enseignants à une diversité d’informations et d’accroître leur mobilité. Les enseignants des sections européennes, binationales (qui conduisent à la délivrance simultanée du baccalauréat et du diplôme correspondant dans le pays de la section) ou internationales bénéficient de formations renforcées à travers des séminaires communs avec les partenaires et universités d’été étrangères abordant les questions européennes, l’histoire, la culture.
Renforcer la formation initiale des enseignants sur les enjeux européens : faire en sorte que l’Europe soit plus systématiquement traitée dans les cursus universitaires
Dans la mesure où la formation initiale des futurs enseignants est dépendante des spécialités des professeurs à l’université, ceux-ci ne sont pas systématiquement amenés à étudier les questions européennes. L’introduction d’un module d’enseignement sur l’Europe dans les programmes universitaires des futurs enseignants, annoncée par le président de la République (voir ci-dessous) devrait pallier le manque de connaissances à ce sujet souvent rappelé par les professeurs. Ils seront alors plus à même d’aborder ce sujet de manière approfondie et attrayante en classe.
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Renforcer la formation continue des professeurs du secondaire sur les enjeux européens : introduire davantage de formations disciplinaires en lien avec l’Europe
Un renforcement de la formation continue des enseignants sur les aspects d’actualisation des connaissances est à envisager. En fonction de leur académie, les enseignants disposent de plans annuels de formation qui font inégalement part aux formations disciplinaires et peu sont axées sur la réactualisation des savoirs sur l’Europe et sur leur didactique. Quelques thèmes peuvent être proposés sur des questions historiques, philosophiques, juridiques, géopolitiques en lien avec l’Europe. Au niveau national, les actions du Plan national de formation, Les Rendez-vous de l’Histoire de Blois, le Festival International de Géographie à Saint-Dié sont des espaces de formation intégrant de manière régulière des questions européennes ou s’y consacrent en totalité. Ainsi le FIG en 2021 a retenu l’Europe comme ensemble régional invité.
L’introduction de formations en ligne (sur le modèle des MOOC ((Un MOOC est une formation en ligne ouverte à tous. Citons par exemple le MOOC Géopolitique de l’Europe, proposé par Sciences Po, par Sylvain Kahn, Philippe Perchoc et Thomas Raineau. Inscription gratuite.))) pourrait être un moyen efficace de renforcer la maîtrise des sujets européens par les enseignants ou encore des webinaires plus « concrets » autour de démarches pédagogiques transposables dans les établissements et dans les classes (exemples : comment s’engager dans une labellisation Euroscol ? Comment entrer dans une démarche eTwinning ? etc.) privilégiant des retours d’expérience.
La Commission européenne a d’ailleurs mis en place un réseau d’experts en affaires européennes (« Team Europe ») (avocats, consultants, universitaires, etc.) actifs dans plusieurs pays de l’UE, qui peuvent contribuer à un événement axé sur l’UE dans les territoires. Il pourrait être intéressant de convier les enseignants à ce type d’événements. Dans un même esprit, l’initiative européenne « Retour à l'École/Back to school », lancée pour la première fois en 2015 en France, permet à des fonctionnaires européens de revenir dans leur ancien établissement scolaire afin de partager leur parcours, leur expérience européenne et surtout d’échanger avec les jeunes sur toutes les questions qu’ils se posent sur le projet européen.
Recenser et présenter aux enseignants des corpus scientifiques renouvelés et de nouveaux outils pour aborder l’histoire de l’Europe :
Afin d’aider les enseignants à dépasser l’approche franco-centrée de l’enseignement de l’histoire, il paraît utile de recenser et de présenter les nouveaux outils consacrés à une vision transnationale de l’histoire – idéalement disponibles en ligne. Cette présentation pourrait faire l’objet de sessions de formation. Parmi ces nouveaux outils : l’Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe, le site Historiana, le site Europeana ou encore le livre électronique interactif Pour une Europe sans clivages élaboré par le Conseil de l’Europe (2014). Ces différents outils permettent aux enseignants d’élargir leurs connaissances, de dégager clairement des éléments d’histoire commune et d’initier un changement d’échelle de pratique de l’enseignement de l’histoire. Familiers de ces nouveaux contenus, les enseignants pourraient ensuite choisir de traiter chaque année quelques études de cas dans une perspective transnationale ou bien d’introduire au fil des chapitres quelques éléments de mises en perspectives multiples.
Les ressources en géographie sont très riches.
Le site Géoconfluences renvoie à 116 entrées différentes correspondant à autant d’articles scientifiques abordant l’Europe. Ces articles, rédigés par des chercheurs, constituent une mise au point très consultée par les enseignants. Une partie d’entre eux sont classés dans le présent dossier, « Territoires européens : régions, États, Union ».
Le site Géoimage des services éducatifs du CNES auquel l’inspection générale est étroitement associée, propose plus de 60 articles scientifiques sur l’Europe (hors France) ainsi que l’exposition « Frontières d’Europe » qui offrent en ligne des images satellites accompagnées d’un article scientifique, là encore rédigé par des spécialistes. S’y ajoutent d’autres dossiers sur des territoires ultra-marins qui permettent d’aborder en particulier la question de la présence et du rayonnement de l’Europe dans le monde.
La carte interactive des dossiers montre une bonne représentation de l’Europe au sein du site, cette zone étant particulièrement bien couverte par les satellites d’observation français et européens (SPOT, Sentinel, Pléiades...). La mise en ligne de dossiers traduits en espagnol, anglais ou allemand fournit d’importants supports de qualité pour les enseignements en sections européennes et internationales.
Le site de la DGESCO, Éduscol, propose lui aussi des mises en œuvre des programmes avec des pistes opérationnelles et une identification des ressources pour les différents thèmes des programmes.
Enfin, des sites partenaires sont utilisés par les enseignants comme le site Toute l’Europe (https://www.touteleurope.eu/). Les présentations par des enseignants des ateliers numériques du Festival International de Géographie dans le cadre des parcours pédagogiques qui mobilisent ce site, constituent un levier de diffusion.
Les sites académiques disciplinaires se font le relais des différentes ressources scientifiques (conférences, formations en académie) propres à mobiliser les enseignants sur cet espace.
Enfin, la Documentation Photographique du CNRS, qui constitue sans doute la ressource travail la plus présente dans les établissements, a consacré plusieurs numéros à l’Europe.
Ces ressources contribuent au renouvellement des supports pédagogiques clairs et attrayants sur l’Europe pour les enseignants. Afin de dispenser aux élèves un enseignement de qualité sur l’Europe, la conception de manuels, de cartes et de supports numériques facilement réutilisables en classes pourrait être encouragée.
Renforcer l’apprentissage des langues vivantes dans la formation initiale des enseignants pour favoriser la mobilité et les échanges entre établissements européens :
Dans la mesure où les programmes d'enseignement français de langues vivantes étrangères inscrivent dans leurs objectifs le développement de la compétence plurilingue et interculturelle, il est nécessaire de former les enseignants de langues vivantes à ces nouvelles approches. En ce qui concerne le développement de la compétence interculturelle, il serait intéressant de proposer des modules de formation qui invitent à faire réfléchir les enseignants à la définition de cette compétence et les modalités pédagogiques pour la développer. La maîtrise satisfaisante de deux langues vivantes étrangères permettrait en outre de développer les expériences de mobilité et d’intensifier les dynamiques de coopération entre établissements européens.
4. Favoriser la mobilité de tous les élèves du secondaire pour rapprocher l’Europe des citoyens
Si la mobilité est aujourd’hui un peu plus aisée qu’il y a 20 ans, elle demeure encore inaccessible à une majorité de jeunes Français ((Les développements qui suivent sont issus de : Une Europe pour aujourd’hui et pour demain. Souveraineté, solidarités, identité commune, rapport remis à Clément BEAUNE, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, par le comité de réflexion et de propositions pour la présidence française du Conseil de l’Union européenne présidé par Thierry CHOPIN, La documentation française, 2022.)). Cet écart entre les jeunes « citoyens-monde » et les jeunes « en repli » maintient une distance entre la jeunesse française et l’Union européenne, en matière de représentation comme dans les faits. Il importe d’arriver à faire de l’Europe une extension naturelle et accueillante de l’échelle locale là où elle est trop souvent perçue, à l’inverse, comme l’intrusion d’un monde extérieur hostile.
Les blocages à la mobilité des jeunes en France même : À l’heure de construire son avenir universitaire et professionnel, un jeune doit être en mesure de se déplacer, pour se rapprocher d’une formation puis d’une offre de premier emploi en adéquation avec son profil, ses compétences, ses aspirations. Au-delà de l’écart d’orientation entre jeunes favorisés et défavorisés, qui constitue le principal obstacle à l’égalité des chances en France, pour les élèves des espaces ruraux « isolés », l’enjeu de la mobilité s’avère également central dès le collège et le lycée et peut limiter considérablement le futur, notamment s’il n’y a pas eu d’éducation à la mobilité au sein de la sphère familiale ou si des freins financiers empêchent le jeune de se rapprocher du cursus de son choix. Or, ces freins ne sont pas marginaux : selon un sondage IFOP pour Chemins d’avenirs et la Fondation Jean-Jaurès, seule une famille sur deux estime avoir la possibilité de financer un logement à son enfant dans le cadre de ses études (52 %). Cette proportion chute encore de 8 points pour les foyers ruraux (IFOP, 2019).
L’auberge espagnole : une chimère ?
Si le succès de dispositifs comme Erasmus, qui propose avec Erasmus+ depuis 2014 une mobilité dans l’enseignement supérieur mais également dans l’enseignement scolaire, la formation professionnelle et la formation des adultes, est évident, à commencer par le symbole européen qu’ils représentent, ces derniers ne concernent toutefois qu’une minorité de jeunes Français. Ainsi le programme Erasmus+ a-t-il financé à peine 107 000 mobilités en 2020. Même si cela n’est pas négligeable, il ne faut pas exagérer la facilité de mobilité de jeunes qui seraient perçus comme des citoyens du monde hypermobiles : comme chez leurs aînés, les attachements locaux et les ancrages sont souvent au moins aussi forts que le désir de mobilité. Les chiffres font plus que nuancer cette vision : selon l’enquête précitée, seuls 33 % des 17-23 ans déclarent être encouragés à étudier un jour à l’étranger par leurs familles, mais le chiffre est de 27 % pour les jeunes des territoires ruraux et de 41 % en agglomération parisienne (DEPP, 2019b). Et si près d’un jeune Français sur deux envisage la possibilité de travailler un jour à l’étranger dans le cadre d’une future activité professionnelle, c’est avec un écart de près de 20 points entre les jeunes des zones rurales (34 %) et ceux de l’agglomération parisienne (52 %). Dans les faits, ce sont seulement 12 % des 17-23 ans qui ont passé un semestre ou une année à l’étranger dans le cadre de leurs études au cours des cinq dernières années (ibid.). L’illusion de la mobilité demeure pourtant ancrée dans les mentalités, au point de s’imposer comme une évidence pour les recruteurs avides de profils bilingues (en fait surtout français-anglais et français-allemand), enrichis d’une expérience hors des frontières françaises, au risque de ne retenir que les jeunes aux profils les plus privilégiés.
L’ouverture vers l’Europe et l’international : des facteurs sociaux et de lieux limitent ces dynamiques...
Le premier frein demeure naturellement le frein financier, notamment pour les catégories populaires et le bas de la classe moyenne. Ces catégories vivent en dessous du revenu médian, parfois dans des conditions de précarité extrême, toujours dans un état de fragilité sociale. Cette situation concerne les poches de pauvreté urbaine et certains espaces ruraux, mais aussi un grand nombre de villes « petites et moyennes ». À ce premier frein s’ajoutent des freins de nature mimétique. Dans un acte de départ à l’étranger, on sait comme l’incitation d’un « rôle-modèle », notamment familial, peut faire la différence. Or si, dans l’urbain très dense, la proportion d’élèves de 6e dont au moins un parent est diplômé du supérieur atteint 41 %, elle s’élève à seulement 26 % pour les élèves résidant dans une commune rurale éloignée peu dense (DEPP, 2019a). Avec d’autant moins de possibilités d’expériences « inspirationnelles » sur lesquelles construire un projet international. Les parents de ces jeunes sont rarement partis à l’étranger, pas plus que leurs frères et sœurs aînés.
... consolidés par des freins de représentation et de puissants mécanismes d’autocensure :
Ces projets de cursus à Berlin, Madrid ou Londres sont en effet très souvent remis en question par des biais internes qui, s’ils ne sont pas vite déjoués, excluent la mobilité des jeunes Français, alors freinés par la peur. Ainsi, la sensation engendrée à l’idée de poursuivre des études supérieures dans une grande ville, ne serait-ce qu’en France, paralyse de nombreux projets étudiants, avec là encore d’évidents effets de lieux : les jeunes ruraux ou issus d’une ville isolée s’en estiment « inquiets » à hauteur de 28 et 27 %, 10 points de plus que les jeunes issus d’une ville-centre (DEPP, 2019b). À noter que les élèves de banlieue à proximité d’une grande métropole sont seulement 11 % à évoquer cette inquiétude dans les banlieues au niveau de vie supérieur, 16 % au sein des banlieues au niveau de vie intermédiaire et 19 % pour les jeunes des banlieues au niveau de vie modeste – soit seulement un point d’écart avec la moyenne nationale (ibid.).
Le sociologue Benoît Coquard a très bien montré le sentiment de loyauté reliant un jeune rural à son territoire et l’empêchant de s’en éloigner. Comme si cette partie de la jeunesse française redoutait de trahir ses origines et son ancrage géographique en prétendant être mobile. Dans la note de la Fondation Jean Jaurès « Jeunes des villes, jeunes des champs, la lutte des classes n’est pas finie », un chef d’établissement de l’Allier témoigne : « Les élèves d’un collège de REP rural complexent par rapport aux collégiens du village d’à côté, considérés comme meilleurs parce que le village est seulement un peu plus grand. Et eux-mêmes complexent lorsqu’ils se comparent aux élèves d’un établissement comme Moulins. Qui n’osent même pas regarder du côté de Montluçon. C’est sans fin. Dès lors, comment imaginer que ces mêmes élèves puissent se sentir autorisés à regarder du côté de Copenhague ou de Prague ? ».
Cette différence d’approche est par ailleurs perceptible dans la relation entretenue par les familles au sujet de l’apprentissage des langues vivantes. Ainsi, si 27 % des 17-23 ans ont suivi des cours supplémentaires en langues vivantes financés par leurs parents, à l’école primaire, au collège ou au lycée, 21 points d’écart persistent entre les jeunes ruraux (21 %) et les jeunes en agglomération parisienne (42 %) (ibid.). On voit bien que, pour les familles parisiennes tournées vers l’international, il s’agit là d’un investissement pour l’avenir de leurs enfants. Les familles évoluant au sein de territoires moins propices à la mobilité voient naturellement moins l’intérêt de parier sur les langues vivantes, peut-être à l’exception des jeunes frontaliers qui ont une proximité plus forte avec un pays européen voisin ; à titre d’exemples, un jeune Alsacien sera sans doute plus enclin qu’un jeune Breton à apprendre l’allemand en LV1 et à étudier en Allemagne ou en Suisse alémanique ; de la même manière, il sera sans doute plus naturel pour un jeune Catalan français issu de la classe moyenne de partir étudier à Barcelone que pour un Lillois favorisé.
Préconisations pour favoriser la mobilité de tous les élèves du secondaire, y compris ceux de l’enseignement et de la formation professionnels : ressources financières, informations sur la mobilité, revalorisation des langues vivantes étrangères.
Trois préconisations peuvent être formulées afin de lever les obstacles de nature financière et informationnelle à la mobilité et d’atténuer contre l’autocensure.
D’une part, la création d’un « capital jeune » pourrait permettre de lever le frein financier à la mobilité. Doté de quelques milliers d’euros, ce dispositif, qui devrait être plus fortement doté, a été proposé dans un esprit d’émancipation des jeunes Français afin de lutter contre l’anxiété et les difficultés financières. Il s’agit d’une ressource susceptible d’être mobilisée afin de s’ouvrir à l’Europe pour ceux qui font actuellement face à un frein financier.
D’autre part, il semble nécessaire de renforcer l’information des jeunes sur toutes les expériences possibles de mobilité en Europe, sans oublier les mobilités prévues dans un cadre bilatéral ; de ce point de vue la richesse des possibilités offertes par les programmes franco-allemands, en plus d’Erasmus+ (OFAJ, ProTandem, Université franco-allemande) est à valoriser. Citons également le projet EUROSCOL, qui vise à reconnaître la mobilisation des écoles et des établissements scolaires publics ou privés sous contrat s'inscrivant dans une dynamique européenne, par le portage et la participation à des projets et par la construction de parcours européens dans la perspective de la création d'un Espace européen de l'éducation. Des ateliers dédiés à la mobilité pourraient être organisés dans les lycées afin de faire se rencontrer des jeunes éloignés de la mobilité et d’anciens bénéficiaires des programmes européens. Ces interventions peuvent notamment s’inscrire dans le cadre du programme de géographie de seconde professionnelle dans lequel il est question de « décrire une forme de mobilité internationale dont l’élève a une expérience personnelle ou rapportée » ((Cet exercice est mentionné dans les capacités travaillées à l’occasion du second thème « Une circulation croissante et diverse des personnes à l’échelle mondiale » du programme de géographie de seconde professionnelle. In BO spécial n° 5 du 11 avril 2019, p. 13.)). Cette description pourrait être complétée par la présentation aux élèves des programmes européens de mobilité sous forme d’ateliers, d’invitations de professionnels ou d’anciens participants.
Un plus grand encouragement à la mobilité virtuelle, préparant à la mobilité réelle, du primaire au secondaire avec un programme comme eTwinning pourrait être encouragé. Enfin, la maîtrise satisfaisante des langues vivantes étrangères par les élèves leur permettrait d’envisager plus sereinement une expérience de mobilité.
Préconisations pour développer la mobilité des enseignants :
Si la mobilité des jeunes a concentré l’essentiel des développements de cette section, il ne faudrait pas non plus négliger le sujet de la mobilité des enseignants dans la mesure où la transmission d’un sentiment d’appartenance européenne requiert son existence au préalable chez le professeur en charge. À cet égard, le rapport de la mission Cicurel et Van de Weghe propose d’ajouter une dimension européenne aux stages de formation au métier d’enseignant (Cicurel et Van de Weghe, 2021). Cela prendrait la forme d’une mobilité de 2 semaines parmi les 6 semaines de stage de première année. Une telle préconisation serait de nature à développer les connaissances et l’appétence vis-à-vis des sujets européens chez les enseignants, ce qui apparaît comme une condition préalable à leur enseignement. De la même façon, mieux valoriser et faciliter le recours aux dispositifs de mobilité européenne enseignante en cours de carrière serait de nature à enrichir et diversifier les parcours. Enfin, il serait important d’encourager les échanges entre professeurs soit dans le cadre d’ateliers d’été ou d’une académie européenne des enseignants (‘Teachers academy’).
Bibliographie et ressources
Références citées
- Amilhat Camille (2022), « L’Europe entre invisibilité et réalités distantes. L’appréhension des institutions européennes en Enseignement moral et civique », Actes de colloque à paraître, p. 6.
- Barnavi Élie (2008), « Identité », in Yves Bertoncini, Thierry Chopin, Anne Dulphy, Sylvain Kahn, Christine Manigand (dir.), Dictionnaire critique de l’Union européenne. Armand Colin, 2008.
- Briot Ninon (2020), « Mettre en scène l’appartenance à l’UE : la Semaine européenne des régions et des villes », Géoconfluences, septembre 2020.
- Cautrès Bruno, Chopin Thierry, Rivière Emmanuel (2021), Un euroscepticisme à la française. Entre défiance et ambivalence, l’indispensable « retour de l’Europe en France », Cévipof- Sciences Po, Institut Jacques Delors, Kantar, Rapport n°119/2, décembre 2021.
- Chopin Thierry et Divet Guilaine (2020), Enseigner l’Europe en France. Ancrer la dimension européenne dans l’enseignement secondaire français, Rapport n° 120, Institut Jacques Delors (préface de Clément Beaune), octobre 2020.
- Chopin Thierry (dir.) (2022), Une Europe pour aujourd'hui et pour demain. Souveraineté, solidarités, identité commune, La documentation française, 2022. Rapport remis à Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des Affaires européennes, par le Comité de réflexion et de propositions pour la présidence française du Conseil de l'Union européenne.
- Cicurel Ilana et Van de Weghe Pierre (2021), Mobilités et partenariats européens : un enjeu de transformation du système éducatif français, rapport de mission gouvernementale auprès du Premier ministre, 1er juillet 2021.
- DEPP (2019a) (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), note d’information n° 19-35, octobre 2019.
- DEPP (2019b) (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), note d’information n° 19-36, octobre 2019.
- Foucher Michel (2021). « Les échelles de l’Europe ». Historiens-Géographes. N° 455. 31/08/2021
- Foucher Michel (2022). L’Union européenne dans le monde. Documentation Photographique. 2022/1
- IFOP (2019) « Jeunes des villes, jeunes des champs, la lutte des classes n’est pas finie », sondage IFOP pour Chemins d’avenirs et la Fondation Jean-Jaurès et note de la Fondation Jean-Jaurès (par Jérôme Fourquet, Salomé Berlioux et Jérémie Peltier), novembre 2019.
- Nora Pierre (1988), « Les ‘lieux de mémoire’ dans la culture européenne », in Pierre Nora, Europe sans rivage. De l’identité culturelle européenne, Albin Michel, 1988, p. 38-42.
- Orcier Pascal (2022), « L'Europe entre associations, alliances et partenariats. L'état de l'Union européenne, de la zone euro, de l'espace Schengen et de l'Otan », Géoconfluences, 1re parution 2013.
- Orcier Pascal (2021), « Le Brexit, et après ? », Géoconfluences, 1re parution mai 2020.
- Orcier Pascal (2020) « Frontières et territoires frontaliers en Europe : une visite guidée », Géoconfluences, 1re parution février 2019.
Ressources pour l’enseignement de l’Europe citées dans l’article
- Antiquipop, blog de recherche cherchant les échos de l’Antiquité dans la culture populaire
- Conseil de l’Europe (2014). Pour une Europe sans clivages, livre interactif
- Éduscol, le site d’accompagnement à la mise en œuvre des programmes par la Direction générale de l’enseignement scolaire du ministère (DGESCO)
- L’Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe (EHNE) propose une approche transversale de l’histoire de l’Europe.
- Le site Géoimage du CNES, partenaire de Géoconfluences
- Le site Historiana propose des ressources aux enseignants pour aborder l’histoire dans une approche transnationale.
- La plateforme numérique Europeana propose des ressources issues des institutions culturelles de l’Union européenne.
- Mooc Géopolitique de l’Europe, proposé par Sciences Po, par Sylvain Kahn, Philippe Perchoc et Thomas Raineau. Inscription gratuite.
- Proposition pédagogique à partir de la série Parlement, sur le site de l’académie de Toulouse
- Proposition pédagogique « La question migratoire en Méditerranée : une approche multiscalaire avec l'apport des séries TV » académie de Toulouse.
- Toute l’Europe : https://www.touteleurope.eu/
Ressources sur Géoconfluences
- Recherche par mot-clé « Europe » : 472 résultats
- Recherche avancée > Espaces et territoires > Aires > Europe : 116 résultats
- Recherche avancée > Espaces et territoires > Aires > Europe > Union européenne : 85 résultats
- [Dossier] Territoires européens : régions, États, Union
- Glossaire du dossier
Mots-clés
Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : citoyenneté européenne | échelles | fonds structurels | institutions européennes | mobilité et ancrage | repères spatiaux.
NB. Cet article prend son origine dans la table ronde que les auteurs ont tenue sur cette question, avec le recteur d’académie de la Région Grand-Est, Jean-Marc Huart, au Festival International de Géographie à Saint Dié des Vosges, le 1er octobre 2021. Il a été écrit début février 2022, avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, événement qui a confirmé l'importance de l'enseignement de l'histoire et de la géographie de l'Europe dans la compréhension du monde contemporain.
Catherine BIAGGI,
Inspectrice générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche
Thierry CHOPIN,
Professeur de sciences politiques à l’Université catholique de Lille (ESPOL), visiting professor au Collège d’Europe à Bruges, enseignant à Mines ParisTech (Corps des Mines). Conseiller spécial de l’institut Jacques-Delors.
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :Catherine Biaggi et Thierry Chopin, « Comment parler d'Europe à la jeunesse ? », Géoconfluences, mars 2022. |
Pour citer cet article :
Catherine Biaggi et Thierry Chopin, « Comment parler de l’Europe à la jeunesse ? », Géoconfluences, mars 2022.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/territoires-europeens-regions-etats-union/introduction-et-cadrage