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Trente ans après le génocide : un "miracle rwandais" ?

Publié le 30/04/2024
Auteur(s) : Clara Loïzzo, professeure en classes préparatoires aux grandes écoles - lycée Masséna, Nice
En avril 2024, le « pays des mille collines » commémore le 30e anniversaire du génocide de 1994, qui a fait en 100 jours entre 800 000 et un million de morts parmi les Tutsis et les Hutus modérés. Depuis, le petit pays enclavé d’Afrique de l’Est se distingue par une croissance forte et un développement rapide, qui semblent être le signe d’une résilience remarquable. Qu’en est-il réellement de ce « miracle rwandais », trois décennies après le traumatisme du génocide ?

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Carte du Rwanda

Document 1. Carte de localisation du Rwanda. Géoconfluences, 2024.

 

Une stratégie ambitieuse de développement au lendemain du génocide

Le Rwanda post-génocide se caractérise d’abord par une politique de réconciliation, qui comprend la reconstruction d’une identité nationale transcendant les divisions « ethniques » ((Tutsis et Hutus sont à l’origine deux groupes socioprofessionnels, ethnicisés par le colonisateur belge. Ils parlent une langue bantoue, appelée kinyarwanda au Rwanda. Celle langue est également parlée par les autres groupes ethniques présents au Rwanda, comme les Twa, longtemps l’objet d’une discrimination (Lewis et Knight, 1996).)) entre Tutsis et Hutus, et une réponse judiciaire, menée à la fois par les gacaca, tribunaux d’inspiration coutumière ayant jugé deux millions de dossiers et abouti à la condamnation de 800 000 personnes, par le Tribunal Pénal International, et par des juridictions étrangères. Bien que très jeune, avec son âge médian de 20 ans, la population rwandaise reste néanmoins marquée par ce qui demeure un traumatisme intergénérationnel très fort, en dépit d’un travail de mémoire poussé (instauration d’une journée de commémoration le 7 avril, construction de 4 mémoriaux, classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, parmi lesquels l’église de Nyamata, où sont enterrés les restes de 50 000 personnes massacrées à ses abords.

La résilience passe aussi par une stratégie volontariste de développement mise en œuvre par l’État, sous l’impulsion du FPR (Front patriotique rwandais) au pouvoir depuis la fin du génocide, au travers des « stratégies nationales de transition », « Vision 2020 » puis « Vision 2050 », visant à faire du Rwanda un pays à revenu moyen supérieur d'ici 2023 et un pays à revenu élevé d'ici 2050 (Banque mondiale), via une intensification de l’agriculture, une modernisation des infrastructures et un développement de l’industrie et des services. Ce développement est soutenu par une communication active relevant du marketing territorial, qui s’incarne par exemple dans les partenariats signés avec les clubs de football mondialement connus d’Arsenal, du PSG ou du Bayern de Munich pour promouvoir le slogan « Visit Rwanda ». L’accueil de congrès ou d’évènements sportifs internationaux (sommet du Commonwealth en 2022, phase finale de la Basketball Africa League) alimente l’essor d’un tourisme de luxe, permis par l’amélioration substantielle des infrastructures.

Miracle ou mirage ?

Document 2. Le miracle rwandais en chiffres

données économiques sur le Rwanda

 

Avec une croissance toujours supérieure à 4 % par an depuis le génocide (sauf en 2020 avec la crise sanitaire) et atteignant même 10,9 % en 2021, le Rwanda a vu son PIB par habitant presque quadrupler depuis 1995, et un article de 2022 le classe parmi les « émergents en essor » au même titre que le Vietnam (Bouron et al., 2022). Son insertion dans la mondialisation va croissante, via ses exportations agricoles (thé, café), son attractivité touristique, l’accueil d’investissements directs étrangers dans cet îlot de stabilité au climat propice aux affaires, ou les investissements de ses entreprises à l’étranger. Le développement humain en a aussi profité, porté par d’ambitieuses politiques sociales (sécurité sociale, éducation universelle). Tout en restant très élevé, le taux de pauvreté a nettement reculé, passant de 75,2 % à 53,5 % de la population (Banque mondiale), et les conditions de vie se sont nettement améliorées, l’espérance de vie passant de 40 à 66 ans entre 1995 et 2021 (Banque mondiale). L’ONU donne même une augmentation de 31 à 69 ans sur la même période (source). La transformation de Kigali, qui rassemble 10 % de la population du pays, est spectaculaire, et la capitale compte maintenant un quartier d’affaires, des zones économiques spéciales et des infrastructures modernisées. Mais cette métamorphose est profondément inégale, et s’opère au détriment des urbains les plus pauvres et des ruraux encore largement marginalisés (AFP et Le Monde, 2020).

Document 3. Vues de Kigali, endroit et envers

Quartier d'affaires de Kigali

Le quartier d’affaires sur la colline de Nyarugenge. Cliché de Dushime Rw, mai 2021, sous licence CC (source).

Vue d'ensemble de Kigali

Une vue plus large montre l’extension des quartiers d’habitat précaire. Cliché de Gatete Pacifique, mars 2020, sous licence CC (source)

Car ce développement a aussi ses revers. L’économie reste très dépendante des aides extérieures (l’APD représentant 8,3 % du PIB en 2023, d’après la Banque mondiale), et reste pénalisée par l’enclavement du pays, la petite taille de son marché et l’importance de sa dette et de son déficit. Sur le plan social, la croissance toujours soutenue de la population (7 millions au lendemain du génocide, près de 14 millions aujourd’hui, soit un doublement en trente ans) atténue les retombées de la croissance économique. La pauvreté, notamment rurale, persiste, et avec un PIB par habitant de 966 dollars par an et un IDH de 0,53 le plaçant au 165e rang mondial, le Rwanda figure toujours parmi les pays les plus pauvres de la planète, de surcroît marqué par de fortes inégalités (indice de Gini : 0,44 en 2016, source direction générale du Trésor).

La stabilité politique est acquise, mais au prix du maintien au pouvoir de Paul Kagame, président depuis 2000 mais dirigeant le pays depuis la fin du génocide, et qui exerce son pouvoir de manière autoritaire. Les relations diplomatiques, même récemment rétablies, restent difficiles avec la France, dont les responsabilités dans le génocide ont été reconnues par les conclusions du rapport Duclert (Vie Publique, 2021 ; Lepidi, 2022), de même qu’avec les États voisins du Burundi et de la République démocratique du Congo, qui accusent le Rwanda de soutenir des mouvements rebelles déstabilisateurs. Nombre de Rwandais sont encore réfugiés dans les pays voisins après leur fuite en 1994.

Enfin, les défis environnementaux restent considérables, pour ce territoire parmi les plus exposés au changement climatique, soumis à une pression foncière forte, laquelle a joué un rôle dans les massacres de 1994, et qui ne cesse de s’accroître : le Rwanda est le pays d’Afrique continentale le plus densément peuplé, avec plus de 500 habitants par km², ce qui condamne la paysannerie à pratiquer l’agriculture vivrière sur de minuscules surfaces de 0,7 hectare en moyenne par famille (Kadiri, 2018). Malgré ces défis, le Rwanda apparaît comme un « bon élève » des politiques climatiques (Caramel, 2020). Le pays a un autre sujet sur lequel il fait figure de modèle : c’est le seul pays du monde où les femmes sont majoritaires au parlement (61 %).


Bibliographie

Références citées
Pour aller plus loin

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : croissance économique | développement | émergent (État) | génocide | miracle économique | pauvreté | réconciliation et pacification | zone économique spéciale.

 

 

Clara LOÏZZO

Professeure en classes préparatoires aux grandes écoles, lycée Masséna, Nice

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cette brève :

Clara Loïzzo, « Trente ans après le génocide : un "miracle rwandais" ? », Géoconfluences, mai 2024.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/rwanda-2024