Institutionnaliser la métropole aux États-Unis. L’expérience de Minneapolis Saint Paul (Minnesota)
Bibliographie | citer cet article
La métropolisation est une thématique qui a été étudiée par la géographie et les études urbaines au cours des dernières décennies (Lacour et Puissant, 1999 ; Veltz, 1994). Les corpus anglophones et francophones convergent pour mettre en évidence le rôle majeur des villes dans la nouvelle configuration mondiale (Ghorra-Gobin, 2015), et ce à différents niveaux de la hiérarchie urbaine. Au-delà du cas des villes globales (Sassen, 1991), il sera question ici de l’expérience d’une métropole s’inscrivant dans la catégorie des second cities (Markusen, 1999 ; Hodos, 2007) ou villes secondes, c’est-à-dire celles qui n’assurent pas un rôle de commandement dans l’économie globalisée. Après la métropolisation, le débat contemporain s’intéresse à l’institutionnalisation de la métropole et aux enjeux politiques qui en résultent (Bouba-Olga & Grossetti, 2019 ; Offner, 2019 ; Négrier, 2012). En France, ce fait s’explique principalement en raison de la promulgation de la loi visant la création de l’institution « métropole » : la loi de la modernisation de l’action publique territoriale et de l’avènement des métropoles en crée quinze (Maptam, 2014) et la loi NOTRe (2015) en ajoute cinq autres à la liste sous la pression d’élus soucieux d’assurer le rayonnement de leur intercommunalité.
Outre-Atlantique, le débat des chercheurs n’est pas aussi intense parce que les États-Unis ne disposent pas d’une loi équivalente à la loi Maptam. Rappelons qu’aux États-Unis, les municipalités et les comtés relèvent de l’État fédéré et non de l’État fédéral, c’est donc à l’échelon de l’État fédéré qu’il importe de porter attention pour saisir les enjeux de la mise en institution de la métropole. En l’absence d’une loi fédérale, la majorité des métropoles aux États-Unis œuvrent en fait dans le cadre « d’arrangements institutionnels » entre différents niveaux de décisions (Lefèvre, 2017). Il est alors question de relations « intergouvernementales ». Mais si l’institutionnalisation de la métropole concerne peu les grandes villes aux États-Unis, les chercheurs soulignent l’exemplarité de deux métropoles : Portland (Oregon) et Minneapolis (Minnesota), qui disposent d’institutions métropolitaines suite à l’initiative de leurs États fédérés respectifs (Orfield & Luce, 2010).
L’article propose une analyse de l’institutionnalisation de la métropole de Minneapolis Saint Paul (MSP) et des principales questions qu’elle pose, suite à l’invention d’un Conseil métropolitain par le gouverneur de l’État, après avoir replacé la métropole dans le contexte du Minnesota. Les deux villes (cities) (Minneapolis et Saint Paul), parfois appelées les Twin cities, partagent une limite commune, celle du Mississippi. Ensemble elles constituent la ville-centre de l’agglomération. L’analyse, qui repose sur des entretiens menés auprès d’acteurs publics, d’acteurs privés et de chercheurs au printemps 2017 ((Lors de la mission à MSP nous avons bénéficié de l’accueil de l’équipe du professeur Myron Orfield à l’Institute of Metropolitan Opportunity de l’Université du Minnesota ainsi que de l’équipe de Mme Patricia Nauman de Metro Cities, que nous tenons à remercier ici.)), de références bibliographiques universitaires et de documents fournis par les institutions, s’organise à partir de trois interrogations :
- Que représente la métropole MSP dans le Minnesota et aux États-Unis ?
- Qui sont les acteurs du processus d’institutionnalisation de la métropole, de la politique de cohérence territoriale et de la politique d’attractivité ?
- Comment définir les « métropoles secondes » comme celle de MSP dans un monde globalisé et urbanisé ?
1. Minneapolis Saint Paul, un pôle urbain du Midwest au cœur du « Heartland »
Document 1. La métropole institutionnelle de Minneapolis Saint Paul dans l’aire urbaine, dans le Minnesota et dans le « Heartland »Toutes les cartes de cet article sont en licence Creative Commons (attribution, usage non commercial, partage à l'identique) et libres de droit pour l'usage pédagogique dans la classe. Voir cette carte en très grand : cliquez ici. |
La métropole MSP est la principale métropole du Minnesota, un État de 5,5 millions d’habitants situé dans le Midwest au sud de la frontière que partagent les États-Unis avec le Canada (province de l’Ontario). Le Minnesota est voisin de quatre autres États fédérés, le Dakota Nord et le Dakota Sud à l’ouest, l’Iowa au sud et le Wisconsin à l’est. Le Minnesota fait partie de ce qu’un rapport de 2018 appelle le Heartland, le cœur du territoire étasunien ((Rapport du Metropolitan Policy Program (Brookings Institution) et de la fondation Walton Family, intitulé The State of the Heartland [pdf].)).
Le « Heartland » tel que le décrit le rapport représente 1/3 du territoire national et inclut 19 États. Ce document a pour ambition de mieux faire connaître une région localisée au centre du pays entre les côtes est et ouest qui fixent l’essentiel de la population. Il est question de modifier l’image d’un Midwest en déclin et de mettre en perspective son potentiel à partir de 26 indicateurs dans le but de favoriser des initiatives politiques dans les registres économique et social. L’objectif consiste aussi à dépasser la vision d’une fracture symbolisée par les tensions entre États « rouges » (républicains) et États « bleus » (démocrates), telles qu’elles se sont manifestées dans les médias après les élections présidentielles de 2016.
1.1. Le Minnesota, un État du Midwest et du Heartland
Le Minnesota est un État du Midwest qui représente une région parmi les quatre régions délimitées par le Bureau du recensement. Les trois autres régions sont celles de l’Ouest, du Nord-est et du Sud. Quant au Heartland, il fait référence à une configuration territoriale incluant des États relevant de différentes régions du Bureau du recensement. On parle ainsi des dix-neuf « inland states » : dix États du Midwest (Michigan, Ohio, Indiana, Illinois, Iowa, Wisconsin, Nebraska, Minnesota, Dakota Nord, Dakota Sud) et neuf États du Sud (Kentucky, Tennessee, Arkansas, Mississippi, Missouri, Alabama, Louisiane, Oklahoma, Kansas).
Document 2. Carte du Minnesota dans la mondialisation par une élève de quatrièmeCarte d’une participante au concours de cartographie organisé chaque année par l’association Concours Carto. Le Mall of America de Bloomington n'a pas été oublié. Voir cette carte en très grand : cliquez ici. |
Parmi les dix États du Midwest figurent quatre États qui représentent ce qu’il est convenu d’appeler la Rust Belt, soit des villes et des territoires sérieusement touchés par la désindustrialisation et la décroissance urbaine. Ce sont les États de l’Illinois, Indiana, Michigan, Ohio, auxquels s’ajoute la Pennsylvanie (non localisée dans le Midwest). L’expression « Rust Belt » s’est largement diffusée suite à son emploi par le candidat démocrate lors des élections présidentielles de 1984, Walter Mondale, originaire du Minnesota. Le Minnesota est un État qui, bien que situé dans le Midwest, n’a pas voté pour le candidat Trump lors des élections présidentielles de 2016 et même l’un des deux seuls États à n’avoir voté non plus pour le président Reagan en 1984, à l’aube du tournant libéral de la mondialisation et de la globalisation.
Le Minnesota a la réputation d’un « État aux 10 000 lacs » dont le lac Itasca, la source la plus importante du Mississippi. La ville de Saint Paul représente la capitale politique et administrative du Minnesota, Minneapolis celle du développement économique, Rochester la ville de la recherche médicale et des hôpitaux et Duluth la ville portuaire sur le lac Supérieur.
1.2. Minneapolis Saint Paul, la métropole du Minnesota
Le Minnesota, avec ses 5,5 millions d’habitants en 2014, compte quatre agglomérations (cities) importantes : Minneapolis (435 885 habitants), Saint Paul (315 925 hab.), Rochester (119 969 hab.) et Duluth (87 306 hab.) ((Estimations MnGov 2019.)).
On peut ajouter la ville de Saint Cloud (située au centre du Minnesota) avec ses 68 000 habitants. On descend donc très rapidement dans la hiérarchie urbaine vers des petites agglomérations. 37 % de la population du Minnesota vit dans une localité de moins de 50 000 habitants.
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La métropole de Minneapolis Saint Paul, localisée dans le sud de l’État, compte 3 millions d’habitants soit 55 % de la population du Minnesota. Elle inclut dix municipalités suburbaines dont la population se situe entre 85 000 habitants et 65 000 habitants. Sa population se limitait à 1,8 millions en 1967 au moment de la création de l’institution métropolitaine. Entre 2010 et 2016, la croissance de la population de la métropole a été de l’ordre de 6,5 % et de 1,3 % pour le reste du Minnesota. Les deux tiers de la croissance proviennent du solde naturel et le tiers restant de l’immigration.
Document 3. Une métropole polycentrique : population des dix principales municipalités suburbaines
false |
Bloomington;Brooklyn Park;Plymouth;Maple Grove;Woodbury;Eagan;Lakeville;Blaine;Eden Prairie;Coon Rapids |
Municipalité;Population | false | |
Population
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85578;80610;79450;71807;71306;66527;65877;65212;64334;62527 |
true | #EE7168 |
Estimations MnGov 2019.
Document 4. Des espaces urbains, périurbains et ruraux dans le périmètre de la métropole institutionnelleVoir cette carte en très grand : cliquez ici. |
Document 5. Paysages de la métropole de la périphérie vers le centre
Paysage rural banal entre Independance et Maple Plain. |
Périurbain pavillonnaire cossu à Waytaza (suburb). |
Parking et supermarché Target à Plymouth. |
Paysage d'entrée de ville : échangeurs autoroutiers à l’arrivée dans Minneapolis par l’ouest. |
Paysage de centre-ville : Hennepin Avenue au pied du CBD de Minneapolis. |
Vues sur GoogleStreet depuis Independance, dans l’Ouest du comté de Hennepin à la limite avec le comté de Wright, jusqu’au CBD de Minneapolis. Ces paysages rappellent que le périmètre d'une métropole comprend aussi des espaces ruraux et périurbains. |
L’aire urbaine (voir encadré 1) de Minneapolis Saint Paul, dont le territoire (21 000 km²) est beaucoup plus vaste que celui du Conseil métropolitain (6 750 km²) inclut 3,6 millions d’habitants. Elle se caractérise par un niveau élevé d’éducation de sa population, un faible taux de chômage et un fort pourcentage de propriétaires. Plus de 93 % de la population détient l’équivalent du bac, 77 % de la population de 16 à 64 ans a un emploi et 70 % des habitants sont propriétaires de leurs logements (MetroStats, septembre 2014). Le revenu annuel par habitant n’est certes pas similaire à celui de New York ou San Francisco, mais il se situe au 7e rang des villes Superstars ((Une ville Superstar est une ville qui relève de la catégorie des villes globales qui assurent un rôle de commandement dans l’économie globale. Voir : Cynthia Ghorra-Gobin, « Notion en débat : mondialisation et globalisation », Géoconfluences, 2017.)) avec 34 029 dollars.
Document 6. Données socio-économiques de l’aire urbaine par rapport aux moyennes étasuniennes
Comparaison Minneapolis Saint Paul et moyenne étasunienne pour trois indicateurs
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false | Part des plus de 25 ans détenant l’équivalent du bac;Population de 16 à 64 ans ayant un emploi;Part des habitants propriétaires de leur logement; | Valeurs en %;Indicateurs | true |
Minneapolis Saint Paul
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93;77;70
|
true | #EE7168 | |
Moyenne États-Unis | 86;71;64 | true | #47B9B5 |
Source : MetroStats et US Census Bureau, 2014
Mais la prospérité de l’aire urbaine de MSP n’est pas partagée par tous : 96 % des Blancs de plus de 25 ans détiennent l’équivalent du bac alors que ce pourcentage n’est que de 78 % pour les personnes de couleur. Le revenu annuel d’un habitant de la catégorie « white » s’élève à 38 529 dollars contre 18 448 pour une personne de couleur, selon les termes des catégories raciales du recensement. Seules 38,7 % des personnes de couleur sont propriétaires de leur logement contre 75,4 % pour les Blancs non hispaniques. Or un quart de la population de la métropole est constituée de personnes de couleur et 11 % de la population est née à l’étranger. Ces pourcentages étaient respectivement de 5,9 % et 3,5 % en 1980. Cette augmentation s’explique par l’ouverture du Minnesota sur le reste du pays et son internationalisation. Le Minnesota a par exemple accueilli des immigrés venus de Somalie et d’Éthiopie au cours des récentes décennies((La présence de réfugiés somaliens peut être illustrée par l’élection en 2018 d’Ilhan Omar par le parti démocrate à la Chambre des Représentants (Washington DC). Mme Omar est née en 1982 en Somalie et est arrivée aux États-Unis en 1992.)).
L’aire urbaine telle que définie par le Bureau du recensement – à partir de données soulignant l’intégration économique et le poids des déplacements domicile-travail – comprend 16 comtés depuis 2013 : 7 relèvent du Conseil métropolitain et 9 sont qualifiés de comtés adjacents, dont deux dans le Wisconsin. La population de la métropole institutionnalisée représente 85 % de la population de l’aire urbaine.
D’après les données issues du Greater MSP, l’aire urbaine détient 18 entreprises inscrites dans le palmarès de Fortune 500. Les cinq premières entreprises sont United Health Group, Target, Best Buy, CHS et 3M.
Document 7. Les cinq premières entreprises ayant leur siège dans la région urbaine
Sources : Wikipedia.en, Fortune 500 |
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UnitedHealth Group, localisée à Minnetonka, se situe au premier rang mondial du secteur de l’assurance-santé. Elle est par ailleurs au 7e rang du classement des 500 premières entreprises mondiales du magazine Fortune. Le groupe 3M, dont le nom actuel est l’abréviation de Minnesota Mining and Manufacturing Company, est un conglomérat mondialement connu pour ses produits dans le domaine de l’adhésif, la peinture, l’équipement professionnel et sanitaire. Outre les entreprises présentes dans ce tableau, il convient de noter la présence à Minnetonka du siège de l’entreprise Cargill, multinationale de l’agroalimentaire.
Entre 2000 et 2014, l’aire métropolitaine de MSP a enregistré une croissance d’emplois de l’ordre de 3 %. Au sein de la métropole, la ville de Minneapolis en détient 19 % et Saint Paul 11 % (2014). La plus grande partie des emplois (34 %) est localisée dans le comté de Hennepin mais en dehors de la ville de Minneapolis et 9 % dans le comté de Ramsey, mais en dehors de la ville de Saint Paul (les comtés de Hennepin et de Ramsey incluent respectivement la ville de Minneapolis et celle de Saint Paul).
Document 8. Réseaux et polycentrisme à l’échelle du cœur de la métropoleLe cœur de la métropole est principalement irrigué par le réseau autoroutier. Notons toutefois l’existence de deux lignes de métro reliant les deux villes-centres ainsi que l’aéroport international et le Mall of America. La dispersion des sièges sociaux des plus grandes entreprises nous rappelle le fonctionnement polycentrique de la métropole et la présence de centres secondaires, les edges cities. Voir cette carte en très grand : cliquez ici. |
2. De la ville à la métropole. Cohérence territoriale et politique d’attractivité
Par rapport à d’autres grandes agglomérations étasuniennes, Minneapolis Saint Paul a connu une institutionnalisation précoce comme métropole disposant d’outils de gouvernance. Parmi ces outils, le conseil métropolitain, principale instance décisionnelle, existe depuis 1967.
2.1. Le rôle des gouverneurs (1967 et 1992)
Parmi les États du Midwest, l’État du Minnesota se caractérise par son rôle majeur dans l’institutionnalisation de son armature urbaine. Il a ainsi incorporé (accordé le statut de municipalité) Saint Paul en 1854 et Minneapolis en 1858. Mais dès les années 1920 et 30 l’urbanisation a commencé à dépasser les limites municipales des deux entités et s’est déroulée de manière chaotique à l’initiative des promoteurs immobiliers dans le cadre d’une rivalité entre municipalités et en dehors de toute coordination. Aussi, dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, un sérieux débat politique anime les élus, les médias, les entrepreneurs locaux et les associations dont la Citizens League ((La Citizens League est une association créée en 1951 qui milite pour le progrès des institutions administratives et politiques et présente l’originalité d’être composée de démocrates et de républicains.)). Il conduit en 1967 à l’invention d’un Conseil métropolitain, dont l'objectif est d’assurer le développement harmonieux des infrastructures et de doter l’agglomération d’une cohérence territoriale. Ce conseil est composé principalement d’élus de l’agglomération, désignés par le gouverneur, qui démissionnent alors de leur mandat local.
La structure métropolitaine fut donc créée il y a plus de cinquante ans. Elle a bénéficié de l’influence de l’État fédéral qui à l’époque encourageait les États fédérés à créer des institutions intergouvernementales autour de leurs villes principales pour bénéficier de fonds fédéraux, notamment dans le domaine de la mobilité et des transports. Le projet du Mall of America, à la fois centre commercial géant et parc d'attraction, inauguré à Bloomington en 1992, est un symbole des grands travaux entrepris (encadré 2).
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Le slogan du gouverneur à la fin des années 1980, « mettre Minneapolis Saint Paul sur la carte » (« to put MSP on the map »), et de ce fait l’inscrire dans les circuits touristiques, s’est concrétisé dans l’implantation de nombreux hôtels à Bloomington, le long de l’axe qui relie l’aéroport au mall. Une ligne de métro léger reliant le mall aux centres-villes de Minneapolis et de Saint Paul et à l’aéroport fut inaugurée en 2004, ce qui évite à certains d’utiliser la voiture.
2.2. Les compétences du Conseil métropolitain
Le conseil métropolitain dont la juridiction s'étend à sept comtés, est composé de 16 membres et d’un président. Il détient le pouvoir d’injonction sur les municipalités dans le domaine de l’aménagement urbain et la planification des infrastructures (Orfield, 2002). Comme l’indique le récent document Thrive 2040, le Conseil souhaite limiter l’artificialisation des sols en exigeant des municipalités qu’elles se prononcent pour une politique de densification le long des lignes de transport urbain. Depuis, la municipalité de Minneapolis interdit la construction de maisons individuelles au profit de petits immeubles résidentiels et d’une mixité fonctionnelle, ce qui représente une innovation majeure dans une métropole jusque-là caractérisée par l’étalement urbain et la faible densité. Le Conseil gère trois services urbains : la mobilité, la gestion de l’eau (approvisionnement et traitement des eaux usées) et le logement social. Il a également la responsabilité de la gestion des parcs naturels régionaux. Il dispose d’un budget annuel de 936 millions de dollars dont 50 % relèvent de subventions publiques (État fédéral, État fédéré et municipalités), 38 % des usagers des services, 9 % de la taxe foncière et 3 % d’origines diverses. Il compte 3 700 employés dont une grande partie dans l’entreprise du transport, Metro Transit. Le Conseil a pour mission de rassembler les données statistiques et informations économiques concernant le territoire métropolitain et les met à disposition des municipalités.
Le Conseil métropolitain a la responsabilité de la péréquation fiscale (tax-base sharing) entre les municipalités qui la composent, en vertu du Fiscal Disparities Act de 1971 (Orfield & Luce, 2010). Aussi, 40 % de l’augmentation des revenus de chacune des municipalités sont redistribués et versés aux communes dont les revenus ont baissé ou stagné. L’institutionnalisation de la métropole est perçue dans le Minnesota comme une avancée progressiste parce qu’elle prend de la distance avec le principe de la rivalité et de la compétition entre municipalités et comtés que préconise la théorie (néolibérale) des choix publics ((Public choices theory, voir l’article sur Wikipédia pour un aperçu développé)). Minneapolis Saint Paul se présente donc dans les travaux scientifiques et dans les médias comme une expérience réussie de la « mise en institution » de la gouvernance métropolitaine assurée par le gouverneur de l'État ((En 2024, quatre ans après la parution de cet article, la vice-présidente des États-Unis Kamala Harris, qui se présente à l'élection présidentielle du mois de novembre, a choisi Tim Walz, gouverneur du Minnesota et gestionnaire de la métropole, comme colistier.)).
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2.3. Le Greater MSP, un acteur économique à l'échelle de l'aire urbaine
Le conseil métropolitain, cependant, ne détient pas la compétence de la politique d’attractivité et du développement économique. Celle-ci incombe davantage au gouverneur, aux Chambres de commerce des principales municipalités (Goetz & Kayser, 1993) et au Greater MSP, créé en 2011. Cette dernière instance correspond à une structure associative qui regroupe des entreprises locales et globales implantées dans la métropole, des universités et des fondations. Le Greater MSP se différencie également du Conseil métropolitain par le périmètre de son intervention. Le territoire de l’association inclut les 16 comtés (9 comtés de plus que la métropole) de la catégorie statistique Metropolitan Statistical Area (MSA) établie par le Bureau fédéral du recensement. Aussi la population de la MSA atteint 3,6 millions en 2018 et comprend de vastes territoires principalement agricoles. Un des slogans du Greater MSP Business est « the Greater MSP region feeds the world ». Il indique que l’industrie agro-alimentaire représente un atout central, exportant un tiers de sa production, le reste contribuant à nourrir les États-Unis.
Le Greater MSP est à l’origine du projet Itasca qui se veut une instance de dialogue et de coopération entre l’État fédéré, des chefs d’entreprises, des représentants de fondations, des élus et l’université du Minnesota (Carlson School of Management). Les membres d’Itasca se réunissent quatre ou cinq fois par an pour discuter de la prospérité économique de la région sur la base de données économiques rassemblées par l’association.
3. Minneapolis Saint Paul, une métropole seconde
Minneapolis Saint Paul est une métropole institutionnelle, mais aussi fonctionnelle, dans la mesure où elle s'insère dans les dynamiques conjointes de mondialisation et de métropolisation. Elle illustre en effet l'idée que la métropolisation ne concerne pas uniquement les villes ayant un rôle de commandement mondial (Superstars), elle touche également les villes « secondes ». C'est ce qu’indique par exemple Richard Florida lors du concours lancé par Amazon en 2017 pour installer un second siège social en dehors de Seattle. Il différencie alors les Superstars et les villes secondes pour préciser combien ces deux catégories, indépendamment de leur poids démographique, font preuve d’attractivité territoriale pour ce qui concerne l’économie de la connaissance.
Le terme de villes secondes a été évoqué par la géographe Ann Markusen (2002) avant d’être théorisé par l’historien Jerome Hodos (2007). Markusen et son équipe furent les premiers à identifier des villes qui, bien que ne se situant pas au haut de la hiérarchie urbaine, enregistraient un taux de croissance des emplois et un solde démographique supérieurs à la moyenne nationale. Ce constat s’expliquait par une volonté politique favorable à la décentralisation des activités économiques ainsi que des investissements. À partir d’un travail empirique mené dans les villes de Manchester et Philadelphie, Hodos a précisé l’ensemble des caractéristiques de la ville seconde, qui ne se limite pas à une catégorie démographique précise (le seuil pouvant varier d’un pays à un autre) :
(1) elles ont un passé préindustriel et industriel ;
(2) elles se recomposent socialement, spatialement et culturellement suite à une restructuration d’ordre économique et l’arrivée de flux migratoires ;
(3) elles connaissent des formes de métropolisation (traduction infranationale de la mondialisation et de la globalisation) et deviennent de vastes entités urbaines ;
(4) elles font preuve d’innovation (culturelle ou politique) et certaines peuvent se doter d’une structure institutionnelle pour en assurer la gouvernance.
Ces caractéristiques rendent compte de l’insertion des villes secondes dans la mondialisation et la métropolisation, ce qui nous autorise à utiliser le concept de « métropole seconde » et à l’appliquer à Minneapolis Saint Paul. Cette ville a réussi à se convertir en se spécialisant dans la recherche médicale et l’industrie de la santé tout en se dotant d’institutions culturelles tel le théâtre Guthrie, de renommée mondiale. Pour autant, en dépit de son rayonnement et de son offre touristique, la métropole de MSP ne saurait être qualifiée de ville globale (Sassen, 1991) ou de ville-monde (Knox & Taylor, 1995). Minneapolis Saint Paul correspond donc bien à la définition des métropoles secondes.
Le rayonnement de la métropole ne se limite pas à l’industrie agro-alimentaire et à l’offre touristique (mall, musées et parcs régionaux). Il repose également sur l’économie de la connaissance (avec les start up de l’Université du Minnesota), la recherche médicale (associée aux équipements hospitaliers) et l’industrie (instruments chirurgicaux). La métropole MSP est la capitale du pacemaker ou stimulateur cardiaque : c’est là qu’a eu lieu son invention et sa fabrication ((Voir l’article du Minnpost sur les 50 innovations qui se sont produites dans le Minnesota et « qui ont changé le monde ». Beaucoup d’entre elles concernent le domaine médical.)). En 2015, le Minnesota est l’État qui a déposé le plus grand nombre de brevets aux États-Unis.
Pour maintenir son rayonnement, le Greater MSP et le projet Itasca élaborent tous les ans un document intitulé Dashboard qui rassemble des données sur Minneapolis Saint Paul et les compare à onze autres métropoles américaines dont trois métropoles mondiales (Chicago, San Francisco et Seattle) et huit pouvant être qualifiées de métropoles secondes : Atlanta, Austin, Boston, Charlotte, Dallas-Fort Worth, Denver, Pittsburgh, et Portland.
Conclusion
La métropole de Minneapolis Saint Paul se situe au 16e rang des métropoles américaines pour son poids démographique, mais son rayonnement dépasse largement les frontières du pays. Elle s’inscrit dans les flux et réseaux de la mondialisation et de la globalisation, sans pour autant y occuper une place de premier plan. Elle se qualifie ainsi de « métropole seconde » et non de superstar. Au cours des entretiens menés au niveau local, le rôle du Conseil métropolitain (dont les membres sont désignés par le gouverneur) a été souligné pour expliquer la vitalité de la métropole alors que comme d’autres villes du Midwest, elle a connu une phase de désindustrialisation et de décroissance urbaine. Contrairement au Michigan (qui a abandonné Détroit) et en raison des capacités de dialogue entre les partis républicain et démocrate et entre les secteurs public et privé, les instances politiques aidées par les associations civiques ont assuré l’attractivité ainsi que, dans une certaine mesure, la soutenabilité sociale et environnementale de la métropole.
En créant le Conseil métropolitain de Minneapolis Saint Paul, l’État fédéré a reconnu le rôle économique de l’agglomération pour le développement du Minnesota : il est intervenu pour en assurer la gouvernance politique et participer au financement et à la planification des infrastructures. Son avènement a même été salué par l’administration fédérale en 1973 qui a écrit que le « conseil de MSP représente l’innovation majeure de la décennie dans les structures fédérales aux États-Unis ». MSP illustre le principe selon lequel les problèmes de l’agglomération exigent des solutions à cette même échelle tout en étant ancrés dans la loi de l’État (« regional problems require regional solutions anchored in state law »). Si l’institution métropolitaine est parfois critiquée par ceux qui auraient une préférence pour un Conseil métropolitain issu d’élections au suffrage universel, elle démontre que la réussite de l’insertion d’une métropole dans la mondialisation dépend en grande partie de l’attention que lui portent les pouvoirs publics à différents niveaux de l’organisation territoriale.
Bibliographie
De la même autrice, lire aussi :
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- Bouba-Olga Olivier et Grossetti Michel, 2019, « Le récit métropolitain : une légende urbaine », L’Information géographique, « Quoi de neuf en géographie urbaine ? », vol. 83, 2, p. 72-84.
- Florida Richard, 2017. The New Urban Crisis, Basic Books, 336 p.
- Ghorra-Gobin Cynthia et Azuelos Martine, « Le Minnesota : comprendre les enjeux nationaux au prisme des territoires », IFRI Note 39, septembre 2020.
- Ghorra-Gobin Cynthia, 2002. « Inscription territoriale d’un équipement et légitimité politique à l’échelle d’une région urbaine : le cas du Mall of America, Flux, vol. 50 No 4, p.44-52.
- Ghorra-Gobin Cynthia, 2015. La métropolisation en question, Paris, PUF, coll. « la ville en débat », 130 p.
- Goetz Ed, Kayser Terence, 1993, « Competition and Cooperation in Economic Development : A Study of the Twin Cities Metropolitan Area », Economic Development Quarterly, vol. 7, 1, 63-78.
- Hodos Jerome, 2007, “Globalization and the Concept of the Second City”, City and Community, vol. 6, 4, p. 315-333.
- Knox Paul L. & Taylor Peter J. (dir.), 1995. World cities in a World System, Cambridge University press, 380p.
- Lacour Claude et Puissant Sylvette (dir.), 1999, La métropolisation. Croissance, diversité, fractures, Paris, Anthropos-Economica, 206 p.
- Lefèvre Christian, Weir Margaret, 2012, “Building Metropolitan Institutions”. The Oxford Handbook of Urban Politics, coordonné par P. John, K. Mossberger & S. E. Clarke.
- Markusen Ann et al. (dir.) 1999. Second Tier Cities. Rapid Growth beyond the Metropolis. University of Minnesota Press, 330 p.
- Négrier Emmanuel, 2012, « Métropolisation et réforme territoriale », Revue Française d’administration publique, vol. 11, 1, p. 73-86.
- Offner Jean-Marc, 2019. Métropoles invisibles. Les métropoles au défi de la métropolisation, 37 p.
- Orfield Myron, 2002. American Metropolitics: The New Suburban Reality. Washington DC, Brookings Institution press, 221 p. Lire la 1ère partie sur le site de Brookings (pdf).
- Orfield Myron & Luce Thomas F.Jr., 2010. Region. Planning the Future of the Twin Cities, University of Minnesota Press, 300 p.
- Sassen Saskia, 1991, 2001. The Global City: New York, London, Tokyo, Princeton University press, 480 p.
- Veltz Pierre, 1994, 2014. Mondialisation, villes et territoires. L’économie d’archipel, PUF, Quadrige, 280 p.
Cynthia GHORRA-GOBIN
Directrice de recherche émérite CNRS-Creda, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3.
Mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :Cynthia Ghorra-Gobin, « Institutionnaliser la métropole aux États-Unis. L’expérience de Minneapolis Saint Paul (Minnesota) », Géoconfluences, octobre 2020. |
Pour citer cet article :
Cynthia Ghorra-Gobin, « Institutionnaliser la métropole aux États-Unis. L’expérience de Minneapolis Saint Paul (Minnesota) », Géoconfluences, octobre 2020.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/etats-unis-espaces-de-la-puissance-espaces-en-crises/articles-scientifiques/metropole-minneapolis-saint-paul