Cadrage et problématiques générales
Pascal Boyries, IA-IPR d’histoire-géographie - Académie de Grenoble
1. Cadrage scientifique
1.1. Les États-Unis : une fausse évidence ?
Les États-Unis sont un espace a priori facile à appréhender puisqu’ils correspondent à un État aux frontières nationales clairement délimitées, jouxté par le Canada au nord et le Mexique au sud, ces trois pays formant le continent nord-américain. Avec une superficie de 9,8 millions [1] de km² et une population de 321 millions d’habitants en juin 2015, les États-Unis s’imposent à la tête des classements internationaux : 3ème pays du monde pour la superficie (derrière la Russie et le Canada), 3ème rang également pour la population (derrière la Chine et l’Inde). Si ces données sont souvent connues, elles nécessitent néanmoins d’être soulignées si l’on veut saisir la richesse et la complexité d’une étude géographique des États-Unis. En effet, tout en restant dans les limites territoriales continentales d’un seul et même pays, il faut parcourir un peu plus de 3 900 km pour aller de San Francisco sur la côte est à New York sur la côte ouest. Pour donner un élément de comparaison, ceci est l’équivalent de la distance à vol d’oiseau entre Lisbonne et Moscou. De même, plus de 2 500 km séparent la frontière nord de la frontière sud (Belcourt, Dakota du Nord – Brownsville, Texas), soit autant que pour relier Oslo à Syracuse en Sicile. Les distances sont encore plus grandes quand on relie, toujours à vol d’oiseau, l’Alaska à la pointe sud de la Floride : 6 496 km, soit autant qu’un trajet Brest – Islamabad au Pakistan. Il est ainsi absolument nécessaire de prendre en compte l’immensité des États-Unis, aussi vaste que le continent européen (sans même parler de leurs territoires ultramarins, comme l’archipel d’Hawaii ou les îles du Pacifique), pour appréhender au plus juste la diversité des trajectoires territoriales états-uniennes. L’unité politique du pays, un État à la gestion décentralisée en lien avec son régime fédéral, ne saurait masquer la pluralité de milieux, de territoires et de réalités spatiales et sociales. |
Les États-Unis à vol d’oiseau : un territoire continental immense
Seul le territoire continental des États-Unis est ici pris en compte. Sont donc exclus les territoires ultramarins de l’archipel d’Hawaï et les « zones insulaires » (island areas) du Pacifique (les Samoa américaines, Guam, le Commonwealth des Îles Mariannes du Nord, et les Îles Vierges des États-Unis). |
Les États-Unis s’imposent également sur la scène internationale par leur poids économique. Selon le Fonds Monétaire International (FMI), le PIB des États-Unis s’élève à 18,2 milliards de dollars en 2015, loin devant la Chine (11,2 milliards). La première puissance économique mondiale domine non seulement les échanges commerciaux, mais aussi les relations diplomatiques. La domination des États-Unis s’exprime même dans le vocabulaire utilisé pour les désigner : en anglais, il n’y a pas d’adjectif spécifique pour distinguer les États-Unis de l’Amérique. Comme l’indique l’expression « the American way of life », les États-Unis sont l’Amérique ! Pour éviter cette confusion, il est alors recommandé de privilégier l’adjectif « états-unien », et de réserver celui d’« américain » pour faire référence à l’ensemble du continent.
De même qu’américain réduit l’Amérique aux États-Unis, le pays est souvent réduit à quelques môles urbains, comme les grandes métropoles de New York ou de Los Angeles, alors qu’il s’agit plus d’exceptions que de normes pour les États-Uniens eux-mêmes. En France, les États-Unis sont un support d’idées reçues et de projections fortes, qui témoignent des relations complexes entre la France et son « cousin d’Amérique ». L’antiaméricanisme, comme le rappelle l’historien André Kaspi (2004), est une originalité française, qui repose notamment sur l’idée que les Français se font de l’économie états-unienne fondée sur un système libéral et une marchandisation de tous les domaines du quotidien (Kaspi, 2005 ; Leriche et Lefèvre, 2012). L’historien souligne que les perceptions françaises des États-Unis sont particulièrement intéressantes car elles mêlent vérité et fantasme. L’enseignant traitant de ce pays dans sa classe doit dès lors se méfier des biais qui faussent l’appréhension rigoureuse des États-Unis, et avoir pour ambition de déconstruire les idées reçues qui dominent encore trop les représentations de ce pays plus complexe qu’il n’y paraît (Portes, 2011). C’est avec cet objectif en trame de fond qu’a été constitué le dossier régional intitulé « États-Unis : espaces de la puissance, espaces en crises ».
1.2. Crise versus puissance
Le présent dossier est construit autour du couple « puissance » / « crise ». Il ne s’agit pas de postuler une stricte opposition terme à terme, mais plutôt de questionner leur articulation lorsque l’on étudie la géographie des États-Unis.
La notion de puissance est fréquemment convoquée pour étudier les États-Unis et leur rayonnement à l’échelle mondiale. Définie comme un « État considéré du point de vue de sa force économique, politique, de sa suprématie dans un domaine essentiel » (Dictionnaire Larousse), la puissance est alors à comprendre à l’échelle de l’État pour désigner la puissance publique. Selon l’acception classique de la notion, c’est par les caractéristiques territoriales d’un État qu’ont été pensés les principaux facteurs de puissance étatique : à savoir les atouts du territoire (superficie, terres arables, ressources naturelles) et une population importante (puissance démographique). Au XXème siècle, la science politique, et, plus spécifiquement, les travaux des théoriciens des relations internationales ont précisé les critères de puissance d’un État à l’échelle mondiale. Deux grands types de critères sont ainsi utilisés pour mesurer et quantifier la puissance d’un État : la « puissance dure » (hard power) incarnée par la puissance militaire, économique, militaire et technologique ; et la « puissance douce » (soft power) qui désigne la capacité d’attraction et de séduction qu’un État exerce par le biais de son modèle culturel, de ses valeurs, de son idéologie ou d’institutions internationales. C’est au politiste états-unien Joseph Nye que l’on doit la popularisation du soft power dans les années 1990, témoignant de l’importance grandissante de la domination culturelle des États-Unis sur le reste du monde (Nye, 1990 ; 1992 ; 2004).
Au vu de l’immensité du territoire états-unien et de sa population conséquente, il apparaît tout à fait justifié d’étudier les États-Unis à l’aune de la notion de puissance. Plus encore, l’histoire des États-Unis au XXème siècle est caractérisée par son affirmation progressive sur la scène internationale, en matière économique, politique et diplomatique. Plusieurs néologismes ont même été inventés spécifiquement pour désigner l’influence états-unienne à l’échelle mondiale. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères français (1997-2002) a ainsi proposé à la fin des années 1990 le terme d’« hyperpuissance », destiné à remplacer celui de « superpuissance » utilisé à l’époque de la Guerre Froide (Védrine, 2003). Selon lui, la chute de l’URSS en 1991 change profondément la situation mondiale, remettant en cause la pertinence du terme de « superpuissance ». En effet, la suprématie états-unienne, dénuée de concurrence, est désormais totale sur les relations internationales, ce qui justifie le terme d’« hyperpuissance ». Mais selon Hubert Védrine lui-même (Védrine et Lorot, 2013), ce terme d’« hyperpuissance » est à son tour dépassé, du fait de l’émergence de nouvelles puissances au début du XXIeme siècle, Chine en tête.
Le XXème siècle est ainsi celui de l’affirmation de la puissance économique et diplomatique des États-Unis. Toutefois, il serait faux de croire que cette puissance, qui découle en grande partie de l’insertion dans les flux économiques et commerciaux de la mondialisation, a des retombées uniformément positives sur le territoire états-unien. Bien au contraire : la puissance états-unienne se caractérise par une valorisation sélective de certains types d’espaces, comme les métropoles, et de certaines régions, comme les littoraux, au dépens d’autres ensembles spatiaux qui restent en marge de la production de richesses et des fonctions de commandement. Dès lors, interroger les espaces de la puissance états-unienne conduit à questionner en négatif la notion de crise et les espaces en déclin.
La notion de crise est caractérisée par sa nature polysémique, ce qui représente un défi de conceptualisation. La crise ne doit pas être réduite à sa définition économique, « rupture d'équilibre entre la production et la consommation, caractérisée par un affaiblissement de la demande, des faillites et le chômage » (Larousse), mais entendue au sens large. Le mot crise désigne à la fois un événement brutal, une rupture, mais aussi une évolution longue qui révèle des faiblesses structurelles, inhérentes à un système. Dans une proposition synthétique, la crise serait une rupture de la stabilité d’un système, ce qui conduit à réfléchir sur les temporalités de la crise (Pinot de Villechenon, Pothier et Quenan, 2013 ; Morin, 2013).
Bien qu’elle ne s’y réduise pas, la crise économique s’impose comme une clé de lecture incontournable pour comprendre les évolutions spatiales contemporaines aux États-Unis. La crise conjoncturelle de 2007-2008, d’abord immobilière puis financière et économique, a également mis en évidence des fragilités structurelles. Le géographe doit alors se demander comment la crise de 2007-2008 a (profondément) modifié les trajectoires territoriales et les politiques d’aménagement du territoire états-unien.
Complément 1 : Décryptage du fonctionnement de la crise de 2007 aux États-Unis
Au cours des années 2000, on constate une augmentation très forte des prix de l’immobilier aux États-Unis. C’est en fait une bulle immobilière, conséquence d’une bulle spéculative qui s’exprime notamment par la généralisation des prêts hypothécaires à risque (subprimes). Le terme de subprimes désigne des emprunts plus risqués, mais à meilleur rendement, pour le prêteur que la catégorie prime, dans le domaine des crédits hypothécaires (en anglais : mortgage). Pour les créanciers, les prêts subprime étaient considérés comme individuellement risqués mais globalement sûrs et rentables. À la fin 2007, l’endettement des ménages états-uniens dépassaient très largement leur revenu disponible, et nombre de foyers ne pouvaient plus faire face aux remboursements. Avec la titrisation (c’est-à-dire une transformation en produits financiers qui vont s’échanger sur les marchés financiers) et la diffusion à l’ensemble du système financier, dès que l’engrenage se grippe, c’est toute la chaîne qui se bloque. D’immobilière, la crise devient bancaire et financière pour ensuite contaminer l’ensemble du tissu économique et social en se généralisant.
La crise a impacté de façon plus forte encore les espaces les plus dynamiques économiquement et démographiquement, qu’il s’agisse des États fédérés ou des métropoles. Pour comprendre la profondeur de la crise des subprimes, il faut la réinscrire dans l’organisation et la dynamique urbaine des États-Unis puisqu’elle frappe le cœur démographique, économique, fiscal et politique du pays. Ce sont les métropoles les plus dynamiques (centres de la mondialisation) qui sont les plus touchées, voire les plus fragilisées aujourd’hui : ce qui conduit à un renversement, ou tout du moins à une remise en cause des hiérarchies territoriales (Carroué, 2009 ; 2012). Ainsi, les États fédérés où les subprimes étaient les plus nombreux sont ceux à forte croissance démographique du fait d’une forte croissance économique. La Californie et la Floride à elles seules ont concentré 55 % des saisies immobilières effectuées depuis 2008. La Californie connaît un déficit budgétaire de plus de 25 milliards de dollars et un chômage de plus de 12 % (en 2012). À une échelle plus fine, ce sont les banlieues (suburbs) qui sont les plus affectées car elles accueillent d’une façon privilégiée les classes moyennes et concernent 62 % de la population totale.
L’ambition de ce dossier est ainsi de proposer une réflexion multiscalaire, d’interroger l’articulation entre forces et faiblesses du territoire états-unien, travaillé par des dynamiques contradictoires de puissance et de crise. Les différentes contributions soulignent la pluralité des trajectoires, leurs dualités et l’imbrication des enjeux, économiques, politiques, sociaux, afin de montrer la diversité des situations et surtout l’impossibilité d’adopter une analyse uniforme valable pour cet immense pays.
Le dossier régional « États-Unis : espaces de la puissance, espaces en crises » insiste alors sur les processus de déconstruction et de recomposition des territoires de la puissance états-unienne, en particulier des territoires locaux en lien avec la mondialisation et sous l’effet des crises à l’œuvre depuis 2007-2008. Il montre par exemple que la frontière entre les nords et les suds ne se situe pas seulement sur la frontière États-Unis / Mexique mais se déplace aussi à l’intérieur des villes et des quartiers. Afin de rendre compte des transformations et des évolutions en cours, les auteurs présentent des analyses issues de leurs recherches récentes. De plus, un des objectifs de ce dossier est d’ouvrir sur des perspectives de recherches traitant d’aspects moins connus des États-Unis, dans une volonté de développer des angles d’approche originaux.
1.3. Thèmes principaux du dossier
Pour appréhender la pluralité des trajectoires territoriales, le dossier est organisé autour de quatre thèmes principaux, sous-tendu par un indéniable tropisme urbain. Les villes, entendues au sens large des villes centres et de leurs communes périurbaines, concentrent en effet la majorité de la population états-unienne (80,7 % de la population au dernier recensement de 2010, soit un peu plus de 249 millions d’urbains pour une population totale de 308,7 millions d’habitants selon le recensement de 2010) et sont au cœur des productions économiques et culturelles. De plus, les villes constituent des lieux emblématiques des contradictions entre puissance et crise, ce qui justifie leur surreprésentation dans les études de cas.
- Mondialisation et métropolisation. Les États-Unis sont un acteur clé de la mondialisation, qu’il s’agisse de production de richesses, d’insertion dans les flux et les échanges de marchandises et de capitaux à l’échelle mondiale ou de rayonnement de leurs productions culturelles.
- Sur l’appréhension scientifique de la métropolisation, voir Cynthia Ghorra-Gobin, « Le "triomphe" de la ville ou de la métropole ? Mise en perspective de deux débats dans le champ des études urbaines aux États-Unis ».
- Sur les productions culturelles états-uniennes et leur diffusion, voir Bertrand Pleven, « Génériques des séries TV : géographies de l'Amérique urbaine en 50 secondes chrono (VOSTFR) » (à paraître).
- Sur l’insertion dans les réseaux économiques de la mondialisation, voir Raphaël Schirmer, « Le vignoble californien, vignoble de la mondialisation ».
- Les fondements territoriaux de la puissance. Si l’affirmation de la puissance états-unienne s’appuie sur des lieux emblématiques, ces derniers ne doivent pas masquer les vulnérabilités et les paradoxes d’une intégration sélective et hiérarchisée dans la mondialisation. Les politiques d’aménagement du territoire et de prévention des risques cherchent alors à composer avec ces inégalités territoriales, avec des résultats parfois limités.
- Sur un lieu emblématique de la puissance états-unienne, voir Frédéric Leriche, « Les paradoxes de la puissance californienne ».
- Sur la maîtrise incomplète du territoire, voir Charlotte Ruggeri, « Repenser la politique ferroviaire aux États-Unis : des projets à plus ou moins grande vitesse » ; et Elsa Peinturier, « Risques littoraux et aménagement en Louisiane : Les défis d’un territoire insoutenable ? ».
- Inégalités et fractures urbaines. L’étude fine des villes états-uniennes révèle des espaces urbains en crise, qui résultent d’articulations complexes entre fragilités structurelles et conjoncturelles. La crise immobilière de 2007 des subprimes a ainsi avant tout touché les villes aux États-Unis, et profondément fragilisé leur fonctionnement. De plus, ces espaces urbains donnent à voir de profondes fractures spatiales, résultant d’un processus ancien de fragmentation socio-spatiale. Les inégalités relèvent de la dimension sociale mais également raciale, cette dernière constituant une grille de lecture particulièrement prégnante et pertinente pour étudier le fait urbain aux États-Unis.
- Sur les conséquences de la crise immobilière de 2007 à l’échelle urbaine locale, voir Florence Nussbaum, « Quartiers fantômes et propriétaires invisibles. Les propriétés abandonnées, symptômes de la crise des villes américaines ».
- Sur les dynamiques urbaines et notamment le processus de ségrégation, voir Aurélie Delage, « Le Bronx, des flammes aux fleurs : combattre les inégalités socio-spatiales et environnementales au coeur de la ville globale ? » ; Nora Nafaa, « Quand l’éducation fait son marché : ségrégation, marchandisation et néolibéralisation. L’exemple de Philadelphie » ; et Stéphanie Baffico, « De "Charm City" à "farm city" : la reconquête des espaces en déshérence par l’agriculture urbaine à Baltimore ».
- Sur l’imbrication entre inégalités spatiales et raciales, voir David Giband, « La fin des ghettos noirs ? Politiques de peuplement et recompositions socio-ethniques des métropoles américaines » ; Charlotte Recoquillon, « Ce que 'Ferguson' révèle du racisme systémique aux États-Unis » ; Séverin Guillard, « Le rap, miroir déformant des relations raciales dans les villes des États-Unis » et Thomas Le Cour Grandmaison, « La crise de la démocratie municipale ? Le cas de Chicago » .
- Perspectives de recherche : des objets d’étude proprement états-uniens ? Les États-Unis interpellent le chercheur en ce qu’ils offrent à la réflexion des objets d’étude originaux. En intégrant des articles de recherche récents, ce dossier ambitionne à souligner l’émergence de nouveaux objets d’étude, initialement observés aux États-Unis.
- Sur une typologie des trajectoires à l'échelle des block groups, voir Renaud Le Goix, « Du manteau d'Arlequin au Rubik's Cube : analyser les multiples dimensions de trente années d'évolutions socio-économiques des quartiers en Californie du Sud »
- Sur la cartographie et les paysages sonores, voir Violaine Jolivet, « Miami ville sonore ».
- Sur des travaux de recherche originaux dans un contexte états-unien, voir Christian Montès, « Les petites capitales des États-Unis, quel pouvoir ? » ; et Mathilde Beaufils et alii, « Le toit végétalisé, marqueur des dynamiques de distinctions métropolitaines : le cas de Chicago ».
2. Les États-Unis dans les programmes de géographie de l'enseignement secondaire
2.1. Les grandes problématiques du monde états-unien dans les programmes scolaires
L’étude des États-Unis constitue un passage obligé des programmes de géographie, aussi bien au collège qu’au lycée. Le pays est étudié à la fois en tant que tel (quatrième) et au sein de découpages régionaux, mis en perspective avec son ensemble continental (terminale). Les réflexions sur les États-Unis dans les programmes scolaires sont structurées autour de deux principales problématiques : la mondialisation et la notion de puissance.
Interroger les États-Unis en lien avec la notion de puissance permet de faire un pont avec le programme d’histoire. Le programme des classe de terminale invite en effet à travailler sur « Les chemins de la puissance » (dans le cadre du thème 3 : « Puissances et tensions dans le monde de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours »), à partir d’une mise en œuvre sur « Les États-Unis et le monde depuis les "14 points" du Président Wilson (1918) ». Des éléments géographiques peuvent ainsi venir alimenter la « réflexion sur la notion de puissance au début du XXIe siècle » et aider à répondre à la question « comment se construit et évolue une puissance ? » [2].
2.2. La place des États-Unis dans les programmes scolaires
L’étude des États-Unis représente un pan important des programmes scolaires de géographie, et un temps imposé dans les classes de quatrième et de terminale.
- En classe de quatrième, le territoire états-unien est étudié dans le cadre de l’axe 2 « Les territoires de la mondialisation », dont le thème 1 est entièrement consacré aux États-Unis. Selon les documents officiels, les démarches et exemples doivent aborder les « exemples de la puissance des États-Unis ».
Source : Eduscol, programme de la classe de quatrième (en .pdf)
L’élève est alors invité à « s’interroger sur les États-Unis en tant qu’acteur majeur et modèle dominant de la mondialisation, elle-même pouvant être perçue comme une américanisation de la planète, mais aussi sur les effets de son insertion dans la mondialisation sur l’organisation de son territoire, en mettant en avant les lieux emblématiques de sa puissance mondiale et en montrant les paradoxes. » [3]. L’ambition du programme de quatrième est d’articuler les notions de puissance et de mondialisation, et de faire prendre conscience aux élèves de la complexité de leurs expressions territoriales, changeantes, voire contradictoires, en fonction des échelles d’analyse. Ainsi, si l’intégration indéniable des États-Unis à la mondialisation est source de puissance à l’échelle mondiale, favorisant les grandes métropoles et les façades littorales, elle est également une source d’inégalités spatiales fortes. Les effets paradoxaux de la mondialisation sont alors particulièrement visibles à l’échelle locale et notamment dans les villes, comme peuvent l’illustrer les réflexions sur la fragmentation urbaine.
Un questionnement est également à mener sur les processus de diffusion à l’échelle mondiale de pratiques culturelles, associées à un mode de vie proprement états-unien (the American way of life) et aux réactions de rejet qu’il peut susciter. La puissance états-unienne est alors à travailler sous l’angle du soft power, tout en relativisant une supposée « américanisation de la planète », au profit d’une réflexion soulignant le rayonnement d’autres productions culturelles à l’échelle mondiale (mangas japonais, courant musical coréen de la K-pop, productions cinématographiques indiennes de Bollywood, feuilletons télévisés de type Telenovelas latino-américains…).
- En classe de terminale, les États-Unis sont à étudier au sein de l’aire continentale américaine, en regard notamment avec le Brésil (Thème 3 « Dynamiques géographiques de grandes aires continentales » ; Question 1 « L’Amérique : puissance du Nord, affirmation du Sud » ; Mise en œuvre : « États-Unis-Brésil : rôle mondial, dynamiques territoriales »).
Dans ce cadre, l’accent doit être porté sur les caractéristiques de l’organisation territoriale états-unienne, en insistant sur l’idée de maîtrise forte du territoire qui participe de l’intégration dans le système mondial [4]. À ce titre, le renforcement des métropoles, polarisant le territoire national, doit être abordé, tout en révélant les fractures socio-spatiales qui la structurent à différentes échelles. La notion de puissance est à nouveau au centre de l’analyse du territoire états-unien, dans une dimension comparatiste avec la puissance émergente brésilienne.
En outre, les États-Unis constituent un réservoir d’études de cas, mobilisables tout au long de la scolarité. Ces études de cas permettent à la fois de nourrir la question abordée et la connaissance que les élèves ont des États-Unis. Il conviendra toutefois de veiller à maintenir un équilibre entre les différentes parties du monde. Par ailleurs, le cœur de la leçon peut s’appuyer sur des documents ou des exemples concernant les États-Unis.
Les tableaux suivants identifient, en fonction des niveaux, les thèmes et les questions dans le cadre desquels des exemples états-uniens peuvent être exploités.
Exploitations d’études de cas ou d’exemples états-uniens dans le programme de géographie au collège
Source : Eduscol |
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En classe de sixième, les questions sur « l’habiter » permettent de mobiliser les États-Unis à plusieurs reprises soit comme étude de cas, soit comme élément d’étayage - illustration ou mention - dans la mise en perspective. Il semble difficile en effet d’aborder la question « Habiter la ville » sans porter un regard sur la ville américaine que les élèves connaissent à travers le cinéma ou les séries télé, mais qu’ils ont du mal à caractériser ou à se représenter dans sa globalité. L’approche ici permettra de placer les quartiers centraux avec le CBD, les banlieues étalées, la ségrégation socio-spatiale, le rôle de l’automobile et de montrer dans la mise en perspective, les caractères urbains qui sont repris dans d’autres parties du monde. Mobiliser les États-Unis dans « Habiter le monde rural » permet également de mettre en évidence les contrastes qui existent entre les territoires marqués par l’agriculture productiviste des Grandes Plaines par exemple et les territoires villageois africains ou asiatiques.
- Une étude de l’ouragan Katrina pourrait être mobilisée dans la question « Habiter des espaces à fortes contraintes », mais cette étude semble plus pertinente dans la question « Des inégalités devant les risques » en cinquième. Les élèves sont alors plus à même de comprendre les répercussions de la catastrophe qui a révélé à la face du monde l’importance des fractures sociales dans un territoire urbain de la première puissance mondiale. En classe de cinquième, soit sur cette question des inégalités devant les risques, soit sur celles « Des inégalités devant la santé » ou « La pauvreté dans le monde », il est important de mobiliser une étude de cas sur les États-Unis, de façon à faire prendre conscience aux élèves des contrastes sociaux qui existent dans ce pays.
Les États-Unis peuvent également être mobilisés sur la question III : « Des hommes et des ressources ». Ainsi sur le thème de la gestion des ressources alimentaires, il est possible de conduire une étude de cas comparative avec un pays en situation de pénurie alimentaire pour opposer la surabondance et les carences, mais montrer également que la surabondance peut être facteur d’importants déséquilibres alimentaires. La question « Ménager l’atmosphère » propose une étude de cas au choix entre une ville d’Amérique du Nord et une ville européenne. Le cas de Los Angeles semble particulièrement explicite et permet d’interroger sur la place de l’automobile dans la société américaine, mais également de croiser avec les situations météorologiques spécifiques de la métropole californienne. Enfin, dans la mise en perspective sur la question de l’énergie, on ne saurait négliger la politique américaine sur les gaz de schiste.
- En classe de quatrième, la question sur la mondialisation et la diversité culturelle est un moyen d’aborder le thème du soft power, à travers le cinéma et la musique en particulier, mais également la cuisine et ses hybridations : l’adaptation des chaînes fast food états-uniennes à la culture locale, tout autant que la reprise du principe des fast food par d’autres cuisines : cuisine rapide chinoise, kebabs, sushis. Les États-Unis constituent aussi un bel exemple pour montrer qu’il existe une diversité culturelle à l’échelle infra-étatique.
Exploitations d’exemples états-uniens dans le programme de géographie au lycée
Source : Eduscol |
- Au lycée, les États-Unis peuvent largement être mobilisés en classe de seconde. Ce qui a été évoqué pour le collège peut être traité ou approfondi en lycée pour les questions « Nourrir les hommes » et « L’enjeu énergétique », mais également dans « Les espaces exposés aux risques majeurs ». Par ailleurs, certaines études de cas font partie des classiques comme la gestion de l’eau en Californie, ou de l’étude des usages de l’eau du Colorado sur la question « L’eau, ressource essentielle ».
Il semble aussi important d’aborder la question de la ville américaine dans le thème « Villes et développement durable » de façon à montrer que le modèle urbain américain est en train d’évoluer sous l’effet de la crise de certaines régions, des influences canadiennes, et d’une prise de conscience d’une frange croissante de la population. Ainsi, l’agriculture urbaine occupe une place non négligeable à Détroit avec une réorganisation sociale de certains quartiers, ou la mise en valeur agricole de toits-terrasses dans les grandes métropoles de la Megalopolis.
Enfin, l’Alaska peut servir d’étude de cas pour l’approche des mondes arctiques. Cet État permet de poser la question de l’exploitation des ressources naturelles sur ces territoires et de l’ouverture des nouvelles routes maritimes, un élargissement au contexte géographique continental permet également d’aborder les questions géopolitiques posées par la fonte des glaces.
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En classe de Terminale L-ES-S, les États-Unis sont à mobiliser dans toutes les questions liées à la mondialisation.
- Enfin, dans les classes de Terminale STMG et ST2S, la puissance des États-Unis doit être abordée dans la première question obligatoire « Centre d’impulsion et inégale intégration » en confrontation avec l’Asie orientale et l’Europe.
Exploitations d’exemples états-uniens dans le programme de géographie au lycée professionnel
Source : Eduscol |
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Au lycée professionnel, des études concernant les États-Unis sont convoquées tant en classe de CAP qu’en classe de Première Bac Pro. Dans chacun des cas, sont abordées une dimension de la puissance économique et une dimension du soft power états-unien.
Notes
[2] Voir les ressources pour la classe Eduscol, Terminale ES et L.
[3] Voir les ressources pour la classe Eduscol, Quatrième (en .pdf).
[4] Voir les ressources pour la classe Eduscol, Terminales ES et L, thème 3 (en .pdf).
Pour compléter
Voir les ressources utiles dans la rubrique Ressources classées.
Pour citer cet article :
Pascale Nédélec et Pascal Boyries, « Cadrage et problématiques générales », Géoconfluences, mars 2015.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/etats-unis-espaces-de-la-puissance-espaces-en-crises/cadrage-et-problematiques-generales