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Aménager des espaces publics favorables à la santé en contexte rural : l’exemple du bourg de la commune d’Augan (Morbihan)

Publié le 12/12/2023
Auteur(s) : Marie Guilpain, doctorante en géographie et aménagement du territoire - laboratoire ESO - UMR 6590 CNRS, atelier Ersilie

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L’article suit un projet participatif de réaménagement d’espaces publics se voulant favorable à la santé dans une commune rurale bretonne. Il questionne la pertinence de transposer le concept d’urbanisme favorable à la santé au contexte particulier de cette commune. Si les aménagements participent à une amélioration de la santé de la population (favoriser la marche, l’appropriation des espaces publics, les lieux de rencontre…), ils demeurent insuffisants pour agir sur l’ensemble des questions de santé.

Bibliographie | mots-clésciter cet article

Depuis 2020, la pandémie de covid 19 a (re)mis les enjeux de santé, et notamment de santé mentale, sur le devant de la scène des politiques publiques, comme en témoigne l’enquête CoviPrev (Santé Publique France, 2021) constatant « une dégradation de la santé mentale de la population. (…) 31 % des personnes interrogées présentaient des états anxieux ou dépressifs. ». Les différentes mesures prises entre 2020 et 2021, et notamment les confinements, ont révélé des enjeux territoriaux de santé tels que le besoin d’espaces de rencontre, et le besoin de nature pour la population, cette dernière agissant autant sur la réduction du stress, que sur l’incitation à la mobilité ou encore la création de lien social (Roué Le Gall et al., 2014). C’est dans ce cadre qu’il est intéressant de réfléchir à l’aménagement du territoire, et plus particulièrement à la conception d’espaces publics favorables à la santé.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) déclare que « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité » (source). On peut aller plus loin en distinguant trois piliers (document 1).

Document 1. Définition des différents piliers de la santé globale

3 piliers de la santé

Lorsque la santé sociale est étudiée indépendamment de la santé globale, on remarque qu’elle se construit plutôt en opposition, du moins en complément, à la santé publique comme en témoignent les propos de Nicolas Duvoux et Nadège Vezinat (2022) « La liaison de l'ouverture de droits sociaux et de l'accompagnement social avec le soin constitue la caractéristique qui distingue la santé sociale de la santé publique, celle-ci mobilisant le plus souvent une approche collective de la santé centrée sur la prévention ».

 

Dès lors, la santé se dessine étroitement en lien avec l’espace et son aménagement, qu’il soit question d’accessibilité physique, de confort dans les espaces publics ou encore de lien social et donc d’inclusion. Néanmoins, certaines questions de santé semblent plus marquées sur certains territoires. C’est le cas, par exemple, du vieillissement en contexte rural. Dès les années 2000, cette question était mise en avant dans la littérature scientifique. « En 2007, les espaces à dominante rurale (donc péri-urbain exclu) comptent 1,13 million de personnes de 75 ans et plus, dont 760 000 de 75-84 ans, c'est en gros le quart des personnes de cet âge en France métropolitaine. Un nombre qui va mécaniquement augmenter sous l'effet de l'arrivée de classes d'âge plus nombreuses, de l'allongement de la durée de la vie (les 75 ans ou plus devraient atteindre 12 % de la population totale en France en 2030), de l'arrivée de migrants venus des villes. » (Bontron, 2013).

Ces différents constats mettent en lumière certains des défis contemporains auxquels les communes rurales doivent faire face. La question du vieillissement étant largement posée aujourd’hui, elle soulève aussi de nombreux enjeux directement liés au territoire et son aménagement. Pourtant, la santé reste un sujet peu abordé au prisme de la conception d’espaces publics dans les territoires ruraux. Dans ces conditions, comment tenir compte des spécificités des communes rurales pour concevoir des espaces publics qui soient favorables à la santé de toute la population ?

Pour répondre à cette question nous nous appuierons sur l’étude de la commune d’Augan, au travers de son projet d’aménagement des espaces publics du bourg. Cette dernière se situe dans le département du Morbihan, dans l’aire d’attraction de Ploërmel (10 000 habitants). Rennes est la métropole la plus proche, à une cinquantaine de kilomètres, Nantes se trouvant à une centaine de kilomètres (document 2).

Document 2. Carte de localisation d’Augan à l’échelle du bourg, de la commune et de son environnement régional

Localisation Augan

 

D’un point de vue démographique, on y recensait en 2020 un peu plus de 1 500 habitants (INSEE, 2023). Au-delà de ce critère, les modes de vie au sein de la commune témoignent du caractère rural de celle-ci. On y observe une grande majorité de maisons individuelles ainsi qu’une forte dépendance à la voiture, et ce d’autant plus que l’habitat de cette commune bretonne est dispersé, avec de nombreux hameaux et écarts hors du bourg. Par ailleurs, Augan dispose d’un certain nombre de services sur son territoire (notamment un cabinet infirmier dans le bourg) et d’une dynamique associative, avec une station de radio locale. Pourtant, le discours de la population traduit certaines difficultés d’accès à la santé, comme l’absence de médecin sur le territoire. Bien que la commune ne se situe pas dans un désert médical, ici comme dans d’autres territoires ruraux, les inégalités d’accès aux soins représentent une préoccupation importante. La proximité des soins correspond à un besoin et une attente des populations, d’autant plus importants avec l’âge du fait de la détérioration de la santé et des contraintes de mobilités qui peuvent y être liées (Chasles et al., 2013 ; Vernin, 2023). Cependant la question de l’accès aux soins n’est qu’un exemple permettant d’illustrer les enjeux de santé qui sont à l’œuvre dans les communes rurales. En effet, on peut aussi s’intéresser à l’aménagement des espaces publics de celles-ci pour chercher à agir en faveur de la santé. C’est notamment ce qui a été mis en avant dans la démarche de conception des espaces publics du bourg d’Augan.

Cet article cherche à montrer les enjeux de santé que soulève la conception d’espaces publics notamment en contexte rural. Pour ce faire, il s’appuie sur l’exemple d’Augan et l’analyse de ses espaces publics. Cette étude de cas permet également d’illustrer la mise en place d’une démarche innovante pour la conception d’espaces publics, se voulant favorable à la santé, avec toutes les contraintes et limites que cela implique.

 

1. L’aménagement des espaces publics d’Augan confronté aux enjeux territoriaux de santé

On retrouve à Augan des questions qui se posent dans les espaces ruraux français en général : comment aménager des espaces de rencontre dans des territoires organisés par et pour le déplacement automobile ?

1.1. Nuancer l’inclusivité et l’accessibilité des espaces publics ​

Les espaces publics sont souvent étudiés en contexte urbain, pourtant ce sont aussi des espaces clés au sein des territoires ruraux. Ils se définissent, avant tout, en opposition à l’espace privé qui correspond à un espace appartenant à un individu ou un groupe d’individus (voir le glossaire). Les espaces publics se dessinent davantage comme des lieux pour l’ensemble de la population d’un territoire, à la fois lieu de déplacement et lieu de rencontre. 

«

« Parti d'une conception qui faisait de l'espace public le lieu de la circulation, de la desserte, des réseaux et de la voirie, on en arrive à des définitions plus sophistiquées, en termes de paysages, d'ambiance, de symbolisme, d'animation urbaine. D'innombrables vertus lui sont – à tort ou à raison – attachées : vecteur des stratégies d'image, occasion d'exprimer des valeurs, de défendre des standards de qualité, de mettre en scène le patrimoine local et l'histoire de la ville, mais aussi d'être l'expression de la modernité. Perçu comme un instrument pour rendre visible l'action publique locale, il compte parmi les éléments phares sur lesquels les municipalités et intercommunalités peuvent et veulent peser. » 

Nadia Arab et Alain Bourdin, « Chapitre 10 : La commande d’espace public dans les collectivités territoriales : nouvelles formes de coopération et d’expertises », in G. Tapie et V. Biau (dir.), La fabrication de la ville : métiers et organisations, Éd. Parenthèses, 2009.

»

Ainsi, on s’aperçoit que les espaces publics occupent une place primordiale au sein des bourgs. Éléments phare du cadre de vie, ils participent à leur identité et ont un effet majeur sur la population et notamment la santé de celle-ci. Ce sont des lieux de la vie quotidienne, parfois traversés, parfois investis, par une pluralité d’individus. L’appropriation de ces espaces résulte notamment de leurs aménités. Cependant, cette définition des espaces publics peut sembler utopique. En effet, l’accessibilité et l’inclusivité par essence de ces espaces peuvent largement être nuancées. Aujourd’hui, la majorité des espaces publics en contexte rural est représentée par la voirie, laquelle est destinée avant tout à l’usage de la voiture, un moyen de déplacement qui ne permet pas la rencontre. Pourtant, il s’agit bien d’espaces publics dans la mesure où ils ne sont pas propriétés d’individus et que rien n’interdit (légalement) la rencontre et la co-présence en ces lieux. Finalement, ce sont les notions de sécurité et de confort qui viennent questionner leur accessibilité et inclusivité : les piétons ne s’approprient pas ces espaces, voire les délaissent, parce que les aménagements destinés à l’automobile ne sont pas adaptés à l’expérience humaine, pour laquelle ils sont plutôt vecteur d’un sentiment d’insécurité et d’autres émotions négatives.

Dès lors, le lien entre espaces publics et santé n’est plus à prouver. Certains guides ont d’ailleurs été mis en place pour aider les professionnels de l’aménagement du territoire à prendre en compte cette thématique dans les stratégies d’urbanisme. Par exemple, le guide ISADORA ((Une démarche d’accompagnement à l’Intégration de la SAnté Dans les OpéRations d’Aménagement urbain. Téléchargeable gratuitement depuis la librairie de l’ADEME.)) identifie les déterminants de santé sur lesquels l’aménagement du territoire peut agir (document 3).

Document 3. Les déterminants de santé sur lesquels l'aménagement du territoire peut agir

Déterminants de santé

Source : Guide ISADORA (Roué-Le Gall, 2014).

 

Pour appuyer cette prise en compte de la santé dans l’aménagement des territoires, le CESER (Conseil Économique Social et Environnemental) de Bretagne offre une définition des espaces publics qui correspond davantage à un idéal vers lequel les concepteurs doivent tendre.

«

« L'espace public est l'espace commun le plus accessible et universel d'une société démocratique ouverte et pluraliste.

À toutes les échelles territoriales et temporelles, il est composé de l'ensemble des lieux matériels et immatériels, naturels et artificiels, dont le droit d'usage appartient à toutes et à tous y compris aux générations futures.

L'exercice des libertés et la protection des droits humains fondamentaux doivent y être garantis pour tous, femmes et hommes, à tous les âges de la vie. Espace complexe d'interactions sociales, politiques, culturelles, environnementales et économiques, il est aussi un milieu de vie à protéger qui influence la santé humaine. »

Le Bechec Carole et Barbier Pierre, « Bienvenue dans les espaces publics en Bretagne ! », CESER, 2016. Synthèse en ligne [PDF].

»

Il est donc essentiel que les questions de santé occupent une place centrale dans le processus de conception des espaces publics. Cependant, ce dernier est le fait de différents professionnels de l’aménagement : urbanistes, architectes, concepteurs paysagistes, mais aussi de nombreux autres bureaux d’études techniques, en lien avec les maîtresses d’ouvrage publiques que sont les communes. Ainsi, concevoir des espaces publics inclusifs et favorables à la santé s’inscrit dans une démarche pluridisciplinaire qui reste grandement à construire.

1.2. État des lieux des espaces publics d’Augan au prisme des enjeux de santé​

À Augan comme dans d’autres espaces ruraux français, les espaces publics sont principalement des espaces dédiés à la circulation routière, autrement dit des rues assez larges, conçues pour la voiture, où le piéton se sent en insécurité malgré l’existence de trottoirs. Ceux-ci sont plutôt étroits et peu végétalisés, peu ombragés et par endroits ils rendent difficile le croisement notamment pour les poussettes ou les personnes en fauteuil roulant. Si la commune dispose de petits jardins publics, on peut les qualifier de « confidentiels » car leur ouverture au public n’est pas explicite, d’autant qu’ils se trouvent en retrait des voies de circulation. Pourtant, la commune dispose bien d’un espace public central propice à la rencontre et végétalisé : la prairie, un grand espace enherbé en plein cœur de bourg. Historiquement, il s’agissait d’un verger ; aujourd’hui, on constate un fort attachement de la population à ce lieu où se déroule un certain nombre de fêtes communales.

Document 4. La prairie d’Augan, lieu emblématique du centre-bourg

Prairie d'Augan

Photographie : Atelier Ersilie, mai 2022.

 

Si la prairie semble être un endroit favorable à la santé sociale par le cadre de rencontre idéal qu’elle offre à la population, elle soulève néanmoins un certain nombre de questions d’accessibilité et d’inclusion. D’abord, son enherbement rend difficile l’accès aux personnes à mobilité réduite. De plus, cette esplanade ne dispose pas d’espaces ombragés, ce qui peut constituer un obstacle important en cas de fortes chaleurs pour les personnes les plus vulnérables (notamment les personnes âgées et les enfants). Enfin, la prairie est dépourvue de tout mobilier qui permettrait une appropriation par différentes catégories d’usagers, y compris en dehors des fêtes communales. Dans ces conditions, comment faire de la prairie d’Augan un espace de rencontre et de lien social de manière pérenne et non plus ponctuelle ? Une partie de la réponse à cette question peut résider dans le concept d’urbanisme favorable à la santé.

«

Le concept a été initié par le programme des villes-santé en 1987. Les grandes lignes de ce concept ont été proposées dans les travaux de l'OMS par Barton et Tsourou (2000). Selon ces auteurs, « un type d'urbanisme favorable à la santé implique des aménagements qui tendent à promouvoir la santé et le bien-être des populations tout en respectant les trois piliers du développement durable. Il porte également les valeurs d'égalité, de coopération intersectorielle et de participation, valeurs clés de la politique de l'OMS "la santé pour tous" ».

Roué-Le Gall Anne, Le Gall Judith, Potelon Jean-Luc et Cuzin Ysaline, Agir pour un urbanisme favorable à la santé, concepts & outils, guide EHESP, 2014.

»

L’extrait ci-dessus est tiré d’un guide pour l’aménagement du territoire en faveur de la santé (Roué-Le Gall et al., 2014). Au cœur du concept d’urbanisme favorable à la santé, et des outils qui en découlent, on retrouve l’objectif de « faire évoluer les pratiques d'aménagement et d'urbanisme vers une meilleure intégration des enjeux de santé publique et environnementaux » (Roué-Le Gall et al., 2020). Mais si le concept est intéressant pour étudier la conception d’espaces publics, sa transposition aux espaces ruraux présente tout de même un certain nombre de limites, d’un point de vue opérationnel notamment. En effet, les outils développés restent peu appropriables par des concepteurs qui ne seraient pas familiers à ce champ disciplinaire, et peu « opérationnalisables » dans les communes rurales dont les moyens financiers, les capacités d’action (en matière d’ingénierie territoriale par exemple), et les temporalités diffèrent des espaces urbains. Par conséquent, si le concept offre des clés analytiques permettant de reconsidérer les espaces ruraux sous l’angle des liens entre espaces publics et santé (par exemple à travers la prise en compte des déterminants de santé), il n’est pas toujours immédiatement appropriable par les professionnels de la conception.

Le diagnostic des espaces publics d’Augan a permis de mettre en lumière des questionnements relatifs à la santé, ceux-ci n’étant pas nécessairement pensés sous cet angle par la maîtrise d’ouvrage. Néanmoins, les élus de la commune ont bien relevé des enjeux de sécurisation des mobilités douces, de végétalisation, et de cohésion sociale au sein du bourg. C’est à partir de ce constat et avec pour ambition de répondre à l’ensemble de ces éléments que la commune a décidé de lancer une consultation pour le ré-aménagement de ses espaces publics.

 

2. Augan, l’expérimentation d’un projet de conception d’espaces publics favorables à la santé en contexte rural

Cette partie explore les réponses techniques apportées aux questionnements qui précèdent sur les espaces publics favorables à la santé dans l’espace rural.

2.1. Mettre en place une démarche de conception favorable à la santé en s’appuyant sur l’expertise d’usage 

Dans le cadre du code de la commande publique ((Anciennement loi MOP : Loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée.)), plusieurs bureaux d’études se sont associés pour travailler sur l’aménagement des espaces publics de la commune. Le groupement sélectionné a mis au centre de sa démarche les enjeux de santé. Il était composé d’un bureau d’étude en urbanisme et conception paysagère, d’un bureau d’étude technique en voirie, réseaux divers et environnement, mais aussi d’une agence conseil en urbanisme inclusif et favorable à la santé. La gérante de cette dernière est ergothérapeute de formation, ce qui lui apporte un regard holistique sur les questions de santé en lien avec l’environnement tel qu’il est pensé par l’ergothérapie. C’est cette volonté de lier santé et espaces publics dans la démarche de conception qui fait du projet d’Augan un cas d’étude particulièrement intéressant. Celui-ci a suivi les grandes étapes « classiques » d’étude de maîtrise d’œuvre, c’est-à-dire le diagnostic, puis l’esquisse et l’avant-projet/programme d’actions. Mais l’originalité est venue de la démarche en elle-même et plus particulièrement des temps participatifs organisés.

La participation a occupé une place importante dans la démarche du projet. Des rencontres et ateliers ont eu lieu à toutes les phases. Lors du diagnostic, des entretiens ont été organisés avec différents acteurs (commerçants, adolescents, personnes âgées, etc.). Ces moments d’échanges ont été complétés par un arpentage du site par les différents membres du groupement, et une analyse des documents réglementaires. À l’issue de cette première phase, plusieurs enjeux ont été relevés :

  • Révéler l’identité du bourg
  • Sécuriser et favoriser les mobilités douces
  • Développer et préserver la biodiversité
  • Favoriser les activités sociales et récréatives

S’en sont suivis trois ateliers participatifs. Il s’agissait de temps de travail avec la population, s’appuyant sur de grands plans imprimés. L’objectif était de faire travailler les participants par groupes mixtes (panachés en fonction de leur lieu de résidence dans la commune ou leur moyen de locomotion privilégié, par exemple). Les élèves des écoles de la commune ont été conviés, plaçant ainsi les enfants comme des acteurs importants du bourg (encadré 1 et document 5). C’est d’autant plus intéressant qu’ils fréquentent autant, voire plus que certains adultes, les espaces publics de la commune, par exemple en se rendant quotidiennement, à pied, de l’école au restaurant scolaire. 

 
Encadré 1. Le déroulement d’un atelier participatif

Les deux premiers ateliers avaient pour objectifs de compléter le diagnostic et de commencer à réfléchir à des propositions d’aménagement avec les habitants. Pour ce faire, ils pouvaient annoter les plans par l’écriture ou le dessin. D’autres documents venaient accompagner leur lecture des plans en rappelant les différentes thématiques à prendre en compte et les questions à ne pas oublier. Suite à ces ateliers, des scénarios d’aménagement ont été produits par le bureau d’étude en urbanisme, prenant en compte ce qui était ressorti de ces premiers moments d’échanges avec la population. Le troisième temps participatif visait alors à présenter les scénarios aux habitants et à recueillir leur avis dessus. Ainsi, les participants pouvaient discuter autour des plans avec l’équipe de conception. Des grilles de votes ont également été mises en place permettant à la population d’exprimer ses préférences sur chaque scénario et par secteurs afin d’avoir un retour exhaustif, contrasté et représentatif de l’avis de la population globale. La particularité de ce troisième atelier résidait dans la présence des enfants.

Les classes de CM1-CM2 des écoles privées et publiques ont été invitées à prendre part à la réflexion. Le travail s’apparentait à celui mené avec les adultes, c’est-à-dire que les différents scénarios ont été présentés aux élèves avant que ceux-ci travaillent par groupe pour donner leur avis sur les plans et exprimer des pistes d’amélioration par rapport à ce qui était proposé. Pour les aider dans leur réflexion, des fiches d’analyse étaient à leur disposition. Ainsi, il leur était possible d’annoter les plans, de dessiner ou de remplir les fiches en fonction du support avec lequel ils étaient le plus à l’aise. Enfin, tout comme les adultes, ils ont pu remplir des grilles de votes pour clôturer l’atelier. 

Document 5. Atelier participatif avec une classe de CM1-CM2 organisé par l’Atelier Ersilie et Villanthrope dans le cadre du projet d’Augan

atelier participatif

Photographie : Atelier Ersilie, mai 2022.


 

Cette démarche présente plusieurs avantages. Elle permet de souligner l’intérêt de la pluridisciplinarité dans la conception d’espaces publics et d’inclure l’expertise d’usage dans celle-ci. Certes, la démarche de conception est bien souvent pluridisciplinaire dans la mesure où la maîtrise d’ouvrage exige plusieurs compétences. Mais cela semble d’autant plus important qu’il s’agit de travailler sur les questions de santé en lien avec un territoire, comme l'illustre l'équipe de maîtrise d'œuvre à Augan. Par exemple, il apparaît pertinent de faire appel à des professionnels du médico-social (tels que les ergothérapeutes) pour pallier les limites de l’urbanisme favorable à la santé. Surtout, c’est l’intégration de la population à la démarche qui est primordiale. Inclure les habitants à la démarche de projet permet de mettre leurs attentes au cœur du processus de conception. La prise en compte de ces besoins par la maîtrise d’œuvre est donc censée agir en faveur de la santé de la population, puisque cela a une influence directe sur les propositions d’aménagement. Aussi, la rencontre entre maîtrise d’œuvre et maîtrise d’usage permet de sensibiliser chaque acteur aux enjeux contemporains. Par exemple, certains habitants ne voient pas l’intérêt d’aborder la thématique de la santé parce qu’ils estiment que la leur est bonne. Or les ateliers participatifs sont aussi des espaces de coprésence où chacun peut se confronter à autrui et comprendre les contraintes et besoins des uns et des autres. Finalement, au-delà de concevoir des espaces publics en faveur de la santé, les ateliers participatifs sont déjà une démarche favorable à la santé en eux-mêmes. Effectivement, il s’agit d’espaces de rencontre, de cohésion sociale et de vivre ensemble. Ils permettent à chacun de prendre part à la vie sociale, ce qui n’est pas sans lien avec la santé sociale (au travers de l’inclusion) et la santé mentale (en favorisant l’estime de soi par exemple). On remarque, par ailleurs, que des temps de concertation sont de plus en plus mis en place dans les projets d’aménagement sans pour autant devenir un prérequis, d’autant plus lorsqu’on travaille en contexte rural.

Le projet d’Augan a donc permis d’expérimenter de nouvelles façons de faire qui se traduisent par des propositions d’aménagements se voulant favorables à la santé.

2.2. Des propositions d’aménagement favorables à la santé issues de la co-conception

Suite aux différents temps participatifs, trois esquisses ont été réalisées, chacune portant des idées différentes sur des lieux clés du bourg, tels que la prairie et le chemin de Bonneval, un chemin imaginé en bordure de champ pour relier la voie verte au centre bourg. Ce dernier pourrait être utilisé quotidiennement par les élèves de l’école publique qui se rendent au restaurant scolaire. 

Document 6. Les trois scénarios proposés à la phase esquisse (source : Atelier Ersilie)

Scénario 1

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scénario 2

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scénario 3

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Ces esquisses (document 6) sont le reflet d’une demande des usagers et de l’expertise technique des maîtres d’œuvre. On y retrouve une forte végétalisation des espaces publics pour apporter plus de confort à l’échelle humaine. Les voies de circulation sont réduites pour faire plus de place aux mobilités douces. Des dispositifs de ralentissements, tels que des chicanes et écluses ((Une écluse est un aménagement de voirie consistant à réduire sur une courte distance la largeur de la chaussée, pour inciter au ralentissement.)), sont proposés pour ralentir la vitesse de circulation dans le bourg. Les abords des équipements font également l’objet d’une réflexion, en proposant la création de parvis pour créer des espaces pour les piétons, sécurisés et conviviaux. La prairie, elle, fait l’objet de trois propositions différentes (encadré 2).

 
Encadré 2. Une prairie au centre du bourg, trois scénarios d’aménagement

Dans le premier scénario, elle est découpée en deux zones : une zone plane et libre de tout aménagement, et une zone plus arborée avec des jeux pour enfants. Les deux zones sont séparées par un chemin piéton accessible et arboré qui permet de traverser la prairie.

Dans le deuxième scénario, cet espace est envisagé sous forme de terrasses prenant en compte la pente du terrain. La première terrasse reste une zone libre propice pour les fêtes de village. Dans ce scénario, des dispositifs ludiques (toboggans et tunnels) sont proposés pour traverser la prairie et passer d’une terrasse à une autre, chaque changement de niveau est accompagné de plantation d’arbres, et l’on retrouve le même cheminement central accessible.

Le troisième scénario s’appuie sur l’histoire du lieu en proposant de rendre à la prairie son caractère de verger : l’espace serait largement replanté avec des essences nourricières.

Document 7. Zoom sur la prairie dans le premier scénario

Zoom prairie

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Chacun des scénarios cherche à répondre aux demandes énoncées lors des ateliers participatifs. On y retrouve des aménagements propices aux jeux répondant à la demande des enfants et des assistantes maternelles, le maintien d’une zone plane pour les fêtes du village ou les séances de sport des écoles, la plantation d’arbres pour contribuer à la création d’îlots de fraîcheur améliorant le confort des usagers, et enfin une accessibilité élargie grâce au cheminement piéton central.

Au-delà de répondre à la demande de la population, ces propositions d’aménagement se veulent favorables à la santé, selon les trois piliers présentés dans le document 1 :

  • Du point de vue de la santé physique, les aménagements favorisent les mobilités actives, ils participent à l’accessibilité physique des lieux et améliorent le confort en cherchant à réduire les îlots de chaleurs et en créant des zones ombragées.
  • Du point de vue de la santé mentale, on retrouve au cœur de chaque scénario un développement important de la végétation, cette dernière participe au sentiment de bien-être. (Bolon et al., 2019). Différentes ambiances sont également proposées permettant de prendre part à la vie sociale ou de s’en éloigner.
  • Du point de vue de la santé sociale, les différentes propositions permettent la rencontre (avec les zones de jeux par exemple), l’aménagement se veut inclusif et intergénérationnel en proposant différents espaces adaptés aux besoins et attentes de chaque usager. 

L’ensemble de ces propositions démontre la volonté de concevoir des espaces publics inclusifs et favorables à la santé de toute la population. Ce travail découle de la pluridisciplinarité de la maîtrise d’œuvre, mais il n’aurait pu se faire sans la participation des usagers. Pour autant, ce projet ne s’inscrit pas pleinement dans l’urbanisme favorable à la santé tel qu’il est défini dans la littérature scientifique. Sur le terrain on s’aperçoit qu’il est plutôt question de « bricolage », c’est-à-dire que l’on s’inspire des cadres et outils théoriques existants mais que l’on cherche avant tout à les adapter au territoire et moyens (humains et financiers) de celui-ci.

2.3. La co-conception d’espaces publics inclusifs et favorables à la santé : une démarche expérimentale qui reste à adapter et développer

Le projet d’aménagement des espaces publics d’Augan apparaît comme une démarche innovante cherchant à mettre au cœur du processus de conception les enjeux de santé territoriaux. Il met notamment en lumière les limites du concept d’urbanisme favorable à la santé qui reste difficilement appropriable par la maîtrise d’œuvre dans le temps de la conception. Il permet, à travers un projet concret, de mettre au jour certaines limites de la démarche mise en œuvre.

La prise en compte de la santé par l’équipe de maîtrise d’œuvre s’est grandement appuyée sur la mise en place d’une démarche participative visant à inclure une diversité de population dans les échanges. Néanmoins, on peut interroger la représentativité de cette démarche. Cette question est très souvent imputée à la participation : qui se rend aux ateliers de travail ? Les participants sont-ils véritablement le reflet d’une population communale ? On peut en douter pour plusieurs raisons. D’abord, pour des questions de temps et de disponibilités des habitants, mais aussi pour des questions de ressources et de légitimité (beaucoup de personnes ne se sentent pas capables, n’osent pas, ne se sentent pas concernées, etc.). À Augan, les maîtres d’œuvre ont tenté de pallier ces biais grâce aux entretiens par groupe réalisés en amont des ateliers. De plus, le regard de l’ergothérapeute a permis de nuancer les échanges lors des ateliers en insistant sur la prise en compte des besoins des personnes les plus vulnérables (les personnes les plus âgées dont la mobilité est réduite, les personnes en situation de handicap, etc.) qui sont souvent peu représentées lors de ces temps participatifs.

Par ailleurs, les aménagements ne se suffisent pas à eux même : ils doivent être accompagnés d’actions concrètes sur le territoire pour inciter à des changements de mode de vie, comme le fait d’avoir davantage recours aux mobilités actives pour se déplacer dans le bourg. Des fiches actions ont donc été réalisées en parallèle des esquisses. Chacune des actions proposées étaient reliées à un secteur d’aménagement afin de rappeler l’interdépendance des deux propositions. Il était par exemple question de mettre en place un pédibus, de veiller à l’inclusivité des aires de jeux, d’organiser des chantiers de plantations en pied de façade, etc. En somme, les problématiques de santé peuvent être prises en compte dans le processus de conception, mais les propositions d’aménagement qui en découleront ne pourront pas tout résoudre. C’est d’autant plus vrai que dans l’espace rural, la majorité des mobilités se déploient hors de la commune et continuent d’être automobiles, tant pour les déplacement domicile-travail que pour l’approvisionnement des ménages.

C’est donc bien d’un processus expérimental et innovant qu’il s’agit. Expérimental parce que le processus de conception reste à ajuster, d’autant qu’à ce jour, ni les aménagements, ni les actions proposées n’ont encore été mis en place. Les effets positifs sur la santé restent donc à mesurer. Innovant parce que la santé semble encore peu prise en compte dans le monde opérationnel. Cette thématique apparaît très rarement dans les appels d’offre issus de la commande publique, et lorsqu’il en est question on peut parfois se demander si cela ne s’apparente pas à du « healthwashing » ((Forgé sur le modèle du greenwashing, le health-washing désigne un procédé marketing visant à mettre en avant une démarche ou des arguments qui se veulent favorables à la santé alors que la réalité des faits ne correspond pas, ou insuffisamment, à l’image donnée.)). En effet, la santé est parfois pensée d’un point de vue sécuritaire par les élus qui l’appréhendent au travers des notions de risque et de risque sanitaire. Quant aux bureaux d’études, certains pensent la santé par le biais d’autres notions telles que la nature (par les bienfaits qui lui sont attribués), sans pour autant prendre en compte les effets négatifs ou indésirables que celle-ci peut avoir sur la santé. Ainsi, il reste beaucoup à faire pour que la conception d’espaces publics dans l’espace rural soit véritablement favorable à la santé.

 

Conclusion 

Aujourd’hui, les questions de santés appliquées aux espaces ruraux soulèvent de nombreux enjeux territoriaux. Il est notamment question du vieillissement de la population et des inégalités sociales qui peuvent en découler, entretenant un lien étroit avec l’aménagement du territoire. En effet, l’un des objectifs de ce dernier est de concevoir des espaces publics accessibles à tous, or l’accessibilité et l’inclusion sont directement liées à la santé au travers de la qualité du cadre de vie par exemple. Rendre un espace public accessible, c’est offrir la possibilité à une diversité de population de s’y rendre et d’y rester librement, de n’importe quelle façon, pour n’importe quelle durée. Ainsi, les espaces publics se dessinent comme une échelle particulièrement pertinente pour réfléchir à la santé dans les territoires, de manière inclusive. À travers l’exemple auganais, on remarque que les questions de santé peuvent aussi être mises en lien avec les enjeux environnementaux. Réduire les îlots de chaleur par la désimperméabilisation des sols et la végétalisation des espaces publics, c’est à la fois agir contre le changement climatique et pour le confort des usagers. Alors que ces thématiques sont encore souvent reliées aux contextes urbains, les communes rurales y sont également confrontées, de même qu’à la question de l’isolement (Bolon et al., 2019), et de l’accès aux services (de soin notamment). Autant d’éléments sur lesquels les acteurs de l’aménagement des territoires peuvent chercher à agir. Mais si la conception d’espaces publics se dessine comme une des clés pour agir favorablement sur la santé, elle ne peut pas tout et doit être accompagnée d’autres actions relevant de service public par exemple. 

Pour qu’un urbanisme favorable à la santé soit opérationnel en contexte rural, il s’agit de faire en sorte que les petites communes, et les équipes de conception avec lesquelles elles travaillent, soient en mesure de s’approprier les outils existants et de les adapter aux singularités du territoire. Le projet d’Augan illustre cette nécessaire adaptation. Il démontre que la prise en compte de la santé dans la démarche de conception s’apparente à un bricolage entre les outils utilisés, les notions mobilisées, les techniques mises en place, afin de s’adapter au public concerné et aux spécificités locales (état actuel des espaces publics, moyens financiers de la commune, savoir-faire des services techniques, …). Finalement, au-delà du concept en lui-même, l’idée serait de démocratiser les démarches de conception favorables à la santé. Un projet comme celui d’Augan peut servir d’exemple (en prenant en compte ses bienfaits et ses limites) pour cheminer vers une meilleure intégration des enjeux de santé à la conception d’espaces publics et plus largement à l’aménagement du territoire.

Enfin, ce que le projet d’Augan permet d’illustrer, ce sont les limites de la prise en compte de la santé d’un point de vue opérationnel. En effet, il apparaît que les communes rurales se saisissent peu de ces questions, ce qui ne signifie pas pour autant que les projets réalisés ne sont pas en faveur de la santé. Des liens restent à tisser entre aménagement du territoire et problématiques de santé. Cela pourrait notamment passer par une sensibilisation des maîtrises d’œuvre et maîtrises d’ouvrages sur ces thématiques, en démontrant par exemple les effets positifs et négatifs qu’un aménagement peut avoir sur la santé. Plus largement, les inégalités territoriales de santé dépassent le cadre de l’aménagement et s’inscrivent dans les enjeux de politiques publiques plus globaux, par exemple visant à permettre l’accès au logement ou à une alimentation saine. 

 


Bibliographie

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : aménagement des territoiresbourg | cadre de vie | déterminants de santéespaces publics | espaces ruraux | santé.

 

 

Marie GUILPAIN

Doctorante en géographie et aménagement du territoire, laboratoire ESO - UMR 6590 CNRS, atelier Ersilie

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Marie Guilpain, « Aménager des espaces publics favorables à la santé en contexte rural : l’exemple du bourg de la commune d’Augan (Morbihan) », Géoconfluences, décembre 2023.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/france-espaces-ruraux-periurbains/articles-scientifiques/espaces-publics-et-sante-augan