Les territoires de la pauvreté dans le monde (ENS Ulm 2022), ressources sur Géoconfluences
Image de couverture : pension pour travailleurs avec autorisation de résidence temporaire dans un bâtiment « semi-permanent », Jakarta. Extrait de : Judicaëlle Dietrich, « Politiques de l’eau et lutte contre la pauvreté à Jakarta, un rendez-vous manqué », Géoconfluences, juin 2020. |
Le texte de cadrage du jury de l'ENS de Paris
Le nouveau programme est une question de géographie thématique intitulée « Les territoires de la pauvreté dans le monde ».
La pauvreté a déjà été largement balisée par les sciences sociales, en particulier l’économie et la sociologie. Si la géographie s’est emparée depuis longtemps de cette question, des travaux récents ont permis d’enrichir le débat en y apportant de nouveaux éclairages, notamment sous les angles de la progression du néolibéralisme et de la recomposition des États, des enjeux environnementaux ou de l’accélération des circulations mondialisées. Aujourd’hui, des phénomènes comme la compétitivité accrue entre les territoires, l’imbrication entre action publique et acteurs privés ou les pressions sur l’environnement permettent de repenser les définitions, les limites et les politiques caractérisant les territoires de la pauvreté. Ainsi, l’aggravation et la multiplication des situations de pauvreté rendues visibles par la pandémie mondiale de Covid-19 peuvent être lues, au-delà de la crise, comme les conséquences de dynamiques à l’œuvre depuis plusieurs décennies.
Phénomène multidimensionnel, la pauvreté a fait l’objet d’un très grand nombre de mesures, de théories et de définitions. À cet égard, le jury n’attend pas des candidat·e·s qu’elles et ils maîtrisent l’ensemble des débats épistémologiques relatifs à la question de la pauvreté. Si quelques définitions bien maîtrisées peuvent suffire à produire une argumentation de qualité, il est en revanche attendu des candidat·e·s qu’elles et ils puissent adosser leurs définitions à des courants de pensée, des acteurs, ou des contextes socio-spatiaux précis. Ces définitions permettront ainsi de distinguer la pauvreté d’autres réalités sociales proches (précarité, marginalité, exclusion, inégalité, relégation) sans pour autant essentialiser le phénomène.
Le terme de « territoires », associé au libellé du programme, invite les candidat·e·s à traiter la question de la pauvreté en géographes. On pourra ainsi analyser dans quelle mesure l’action publique, et plus largement l’ensemble des programmes de lutte contre la pauvreté, contribuent à spatialiser une réalité sociale et à assigner les populations pauvres à des territoires spécifiques pouvant conduire à leur stigmatisation. Parallèlement, il sera intéressant de se demander si une condition commune – le fait d’être pauvre – suffit ou non à la production de territoires de la pauvreté. Pour autant, le territoire devra être abordé de façon critique par les candidat·e·s, qui pourront se demander, suivant les situations, si d’autres termes ne caractérisent pas mieux les formes spatiales de la pauvreté. Ainsi, les concepts d’espace, de lieu, de réseau, mais aussi de zone, de marge ou d’interstice ont été fréquemment utilisés par les géographes pour saisir les différentes expressions spatiales de la pauvreté. La construction des échelles de la pauvreté devra également faire l’objet d’une réflexion approfondie (de la stigmatisation/catégorisation des « pays du Sud » à la question du mal-logement). Enfin, il s’agira d’être attentif à la distinction entre « espaces pauvres » et « populations pauvres ». Des réflexions sur la stigmatisation, la criminalisation des pauvres, la dépendance à l’aide, la ségrégation, l’exclusion voire l’enfermement, permettront d’explorer la relation complexe entre la catégorisation d’un espace et les conditions de vie de ses habitant·e·s.
Les exemples devront être pris partout sur la planète, aussi bien dans les espaces ruraux que les espaces urbains, dans les pays des Nords comme dans les pays des Suds. Si certains espaces-types apparaissent comme iconiques dans la littérature existante (le bidonville de la grande ville du Sud, le ghetto nord-américain ou les bassins miniers en reconversion en Europe, par exemple), il conviendra de rendre compte de la diversité des formes sociospatiales de la pauvreté à travers le monde. Dans la même logique, les candidat·e·s seront invité·e·s à analyser dans quelle mesure certains dispositifs urbano-centrés ou ciblant des régions particulièrement défavorisées au sein d’un pays peuvent concourir à l’invisibilisation de formes spatiales moins emblématiques de la pauvreté. Les sujets de géographie régionale sont exclus.
Le programme concerne tous les courants de la géographie : sociale bien sûr, mais aussi politique, économique, culturelle et environnementale, sans oublier la dimension géopolitique de la gestion de la pauvreté dans le monde. Plusieurs thèmes centraux pourront être abordés :
1. La pauvreté comme objet de l’action publique, qui passe par des définitions officielles, des seuils, des critères, des mesures, et des dispositifs spécifiques, lesquels sont souvent territorialisés.
2. La pauvreté comme une représentation construite – homogénéisante et stigmatisante – assignée à des populations et des territoires.
3. La pauvreté comme réalité sociale, vécue et perçue de manière complexe et différenciée selon les acteurs et les contextes politico-culturels. Le prisme de l’âge, du genre, des minorités, ou de l’autochtonie pourront notamment apporter des éclairages intéressants sur les différentes formes d’expérience de la pauvreté.
4. Les acteurs de la pauvreté. Si les populations pauvres seront au centre de la réflexion, il s’agira nécessairement d’interroger le rôle d’une multitude d’acteurs prenant en charge la question de la pauvreté : les grandes organisations internationales, les États et collectivités locales, le secteur de l’éducation, les ONG, les entreprises privées, les organisations religieuses, mais aussi les populations considérées (ou se considérant) comme non-pauvres. Au sein de ce système complexe d’acteurs, il sera intéressant de se demander quelle est la place (et la voix) des populations pauvres dans la définition même des territoires de la pauvreté.
5. Les circulations liées à la pauvreté concerneront aussi bien les populations que les biens ou les idées (notamment la circulation des modèles de lutte contre la pauvreté). Concernant les circulations de biens et de populations, les candidat·e·s sont invité·e·s à ne pas oublier les situations de blocage, de sas, d’enfermement ou de restrictions liées à la gestion de la pauvreté à travers le monde.
6. Le prisme environnemental permettra d’analyser la vulnérabilité des populations pauvres face aux aléas, l’articulation des questions de santé et d’environnement ou encore les injustices environnementales.
Comme chaque année, le jury attire l’attention des candidat·e·s sur la nécessité de proposer un point de vue nuancé et critique, exempt de jugements de valeurs, de discours déterministes, misérabilistes, normatifs ou moralisateurs. À ces souhaits de couverture spatiale et thématique large du sujet s'ajoute une attente forte concernant les réalisations (carto)graphiques de la part des candidat·e·s.
Dans le glossaire : Assignation, injonction spatiale | Banque asiatique de développement | Banque mondiale | Bidonville | Croissance économique | Coefficient de Gini | Dalit | Développement économique | Développement humain | Disparités | Droit à la ville | Eau (accès, potabilité) | Émergence | Exode rural | IDH | Inégalité, inégalités sociales | Inégalités de genre | Intersectionnalité | Marginalité | Mouvement des sans-terre | PMA (Pays les Moins Avancés) | Race | Ratio de Palma | Ressource(s) | SC (Scheduled Castes) | Ségrégation | Taux de pauvreté | Underclass
Mesure de la pauvreté
- Critères, indicateurs et indices de comparaisons internationales : lesquels retenir ?
- Indices, indicateurs : compréhension, simulations (exemple de l'IDH, de l'IPH), 2004
- Sébastien Bourdin, L'IDH municipal pour observer les inégalités de développement au Brésil, 2018
- Marie Morelle, 2016. « Marginalité », Notion à la une, juillet 2016.
- Karine Bennafla, « Informalité », notion à la une, avril 2015.
Pauvreté et genre
- Marius, Kamala, « Les inégalités de genre en Inde », 2016
- Manier, Bénédicte, « Les femmes en Inde : une position sociale fragile dans une société en transition », 2015
- Marianne Blidon, "Notion à la une : genre", 2015
Agricultures paysannes et vivrières, subsistance
- Jean-Daniel Cesaro, « Transformation des agricultures en Asie du Sud-Est : la paysannerie face aux défis de la mondialisation », 2020.
- Jean-Daniel Cesaro, « L’industrialisation de l’élevage au Vietnam, entre marginalisation et spécialisation de la paysannerie », 2020.
- Mohamed Lamine NDAO, « Cueillir pour survivre, un exemple d’adaptation à la crise agricole et sociale dans la commune de Niaguis (Ziguinchor, Sénégal) », 2018.
- Mathilde Parquet,« L'installation des jeunes agriculteurs dans la petite agriculture familiale au Costa Rica », Image à la une, décembre 2018.
Pauvreté, risques et environnement
- Christine Cabasset, « Aménager les zones côtières à la hauteur des risques et des enjeux environnementaux : le cas du Timor oriental », 2021.
- Bernadette Mérenne-Schoumaker, « Les migrations environnementales : un nouvel objet d’enseignement », juillet 2020.
- Édouard de Bélizal, « Le volcan Merapi (Indonésie) : espaces et temporalités du risque sur un volcan indonésien singulier », 2019.
- Yves Duchère, « La pollution de la rivière To Lich à Hanoï », 2018.
- Léa Billen, 2016, « Image à la une : jardins féminins aux portes du Sahel », 2016.
- Esméralda Longépée, Les atolls, des territoires menacés par le changement climatique global ? L’exemple de Kiribati (Pacifique Sud), 2015
- Perrine Vincent, Image à la une : eau pure, eau polluée, le Gange à Varanasi (Inde), 2015.
Pauvreté, conflits, exil et migrations
- Fahad Idaroussi Tsimanda, « Migrer pour un bidonville. La vulnérabilité socio-économique des migrants comoriens à Mayotte », 2023.
- David Lagarde, « Comment cartographier les circulations migratoires ? Quelques pistes de réflexions à partir du cas des exilés syriens », 2020.
- Ninon Briot, Florence Nussbaum et Franck Ollivon, « Cartographier les remises : pas de frontières pour les devises ? », 2020.
- Sophie Blanchard, « De l’enfermement aux migrations internationales, les mobilités des travailleuses domestiques boliviennes », 2019.
- Clélia Gasquet-Blanchard, « Le provisoire qui dure. Géographie comparée de deux centres humanitaires parisiens », 2018.
- Martin Michalon, « Religions, politique et espace(s) : "la question rohingya" en Birmanie (Myanmar) », 2016.
Pauvreté et santé
- Alexandra Pech, « Quand notre environnement nous rend obèses : comment l’environnement influence-t-il nos pratiques alimentaires ? », mai 2021.
- Virginie Chasles, Alice Denoyel, Clément Vincent, La démographie médicale en France, le risque des déserts médicaux. L'exemple de la Montagne ardéchoise, 2013
- Anne-Cécile Hoyez, Mobilités et accès aux soins des migrants en France, 2012
- Virginie Chasles, Les flux internationaux de personnel de santé, une illustration des inégalités de développement, 2012
Justice spatiale et droit à la ville
- Matthieu Adam, « Notion en débat. Production de l'espace », janvier 2019.
- Martin Luther Djatcheu, « Fabriquer la ville avec les moyens du bord : L’habitat précaire à Yaoundé (Cameroun) », 2018.
- Bernard Bret, Notion à la une : justice spatiale, 2016
- Antoine Lévêque, « Un gouvernement métropolitain de la relégation urbaine ? Politiques intercommunales de transport et banlieue populaire, l’exemple de Vaulx-en-Velin », 2019.
- Aurélie Delage, « Le Bronx, des flammes aux fleurs : combattre les inégalités socio-spatiales et environnementales au cœur de la ville globale ? », 2016.
- David Giband, La fin des ghettos noirs ? Politiques de peuplement et recompositions socio-ethniques des métropoles américaines, 2015
- Rémy Knafou, Touristes dans les bidonvilles : après la télé réalité, le "tourisme réalité", 2011.
Villes, logement et pauvreté
- Lise Desvallées, « La pauvreté énergétique en Espagne : d’un problème social national à une construction politique locale à Barcelone », 2022.
- Joseph Samba Gomis, « Quand la débrouille des habitants pallie une politique urbaine défaillante : l’extension de l’habitat informel dans l’agglomération de Ziguinchor (Sénégal) ». 2021.
- Octavie Paris, « Les cortiços à Salvador de Bahia, entrer dans un logement caractéristique des villes brésiliennes », 2018.
- Jean-Baptiste Lanne, « Portrait d’une ville par ceux qui la veillent. Les citadinités des gardiens de sécurité dans la grande métropole africaine (Nairobi, Kenya) », 2017.
- Natacha Gourland, 2017, « Vendre ou courir, il faut choisir : déguerpissements et réinstallations des commerçants de rue à Lomé », 2017.
- Louise Schreyers, Image à la une : Le jardin et la tente : « habiter » un camp de réfugiés, 2017
- Hervé Théry, « Portrait de São Paulo (2) : contrastes, problèmes, défis », 2016.
- Léa Billen, 2016, « Image à la une : jardins féminins aux portes du Sahel », 2016.
- Florence Nussbaum, « Quartiers fantômes et propriétaires invisibles. Les propriétés abandonnées, symptômes de la crise des villes américaines », 2015.
Développement, émergence, réduction de la pauvreté et politiques sociales
- Folio, Fabrice, 2017, « Dynamisme et réorientation territoriale au Mozambique : un PMA en sortie ? », 2017.
- Stéphanie Baffico, De "Charm City" à "Farm City" : la reconquête des espaces en déshérence par l’agriculture urbaine à Baltimore, 2016
- Célia Quenard et Julie Le Gall, « Microfinance et recomposition des espaces urbains. Une étude de cas à Buenos Aires », 2015.
Pauvreté et accès aux ressources et aux service
- Lise Desvallées, « La pauvreté énergétique en Espagne : d’un problème social national à une construction politique locale à Barcelone », 2022.
- Judicaëlle Dietrich, « Politiques de l’eau et lutte contre la pauvreté à Jakarta, un rendez-vous manqué », juin 2020.
- Yvan Bertin, « La nécessaire gestion durable de l'eau en Martinique », novembre 2019.
- Géraud Magrin, « Orpaillage illégal au Fitri (Tchad central) », 2017.
- Nora Nafaa, Quand l’éducation fait son marché : ségrégation, marchandisation et néolibéralisation. L’exemple de Philadelphie, 2016
- Emilie Lavie, « Le sabil : marquer l’islam dans la ville par des points d’eau », 2016.
- Lise Desvallées, Anne Rivière-Honegger, Sylviane Tabarly, « Quelles équités pour l'approvisionnement en eau des populations au Maroc ? L'exemple des fontaines à Marrakech », 2011
Pour citer cet article :
« Les territoires de la pauvreté dans le monde (ENS Ulm 2022), ressources sur Géoconfluences », Géoconfluences, juillet 2021.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/programmes/concours/anciens-prog-concours/pauvrete-monde-ens-ulm-ressources