Migrer pour un bidonville. La vulnérabilité socio-économique des migrants comoriens à Mayotte
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Située dans le nord du canal de Mozambique, l’île de Mayotte connaît, depuis une quarantaine d’années, une profonde mutation socio-spatiale, en lien avec la très forte hausse de sa population (256 500 habitants, +17 % en cinq ans, Insee 2017). Cette dernière est elle-même liée à une immigration clandestine massive et incontrôlée. Plus précisément, les migrants s’installant à Mayotte viennent, pour l’essentiel, des îles voisines mais aussi, depuis récemment, du contient africain. Sur le plan de l’urbanisme et de la sociologie des lieux, ces facteurs provoquent à la fois une extension du bâti et la pauvreté croissante d’une partie de sa population.
De surcroît, certains quartiers ont été construits illégalement dans des zones fortement exposées aux aléas naturels. Ils sont composés de cases construites sans fondation, à l’aide de matériaux de récupération. En raison de facteurs multiples mais de nature essentiellement socio-économique, les populations qui y vivent sont particulièrement vulnérables et souvent accusées de la plupart des maux qui affectent Mayotte : agressions, vols, etc. Elles se retrouvent donc dans une position de rejet et sont victimes d’expulsions, comme lors des « décasages » de 2016 et 2019 ((Terme employé à Mayotte pour qualifier les actions populaires collectives, mais qui sont illégales sur le plan juridique. Elles sont initiées par des habitants dont le but est d’expulser de leurs cases de façon violente (par destruction et incendie) les migrants considérés comme indésirables.)).
Souvent en situation irrégulière et sans ressources économiques viables, certains migrants partent alors investir les marges urbaines sensibles. Mayotte fait ainsi face à la naissance de nombreux bidonvilles (quartiers informels ((Informel : antonyme de formel. Il désigne tout ce qui sort de ce qui est officiel, respectueux des règles en vigueur voire protocolaire (Gauvin, 2006) – mais qui n’est pas forcément illégal. À l’inverse, ce qui est formel est ce qui entre dans le cadre des réglementations officielles. Lire : Karine Bennafla, « Notion à la une : informalité », Géoconfluences, avril 2015.))) dans les villages situés dans les communes de Mamoudzou et de Koungou, sur des collines particulièrement exposées aux aléas naturels. Ainsi, en investissant les marges urbaines, ces familles se mettent en situation de vulnérabilité car les risques, à la fois sociaux et environnementaux, y sont considérables.
La vulnérabilité est un terme polysémique. Elle est définie au sens large comme « les caractéristiques et les circonstances d'une communauté, d'un système ou d'un actif qui le rendent vulnérable aux effets néfastes d'un aléa » (UNISDR, 2009). Cependant, pour cet article, nous nous concentrons particulièrement sur la vulnérabilité sociale qui est un produit de la société, hors de tout aléa naturel. Cette vulnérabilité est l’association de plusieurs facteurs : social ; historique ; économique ; politique ; de gouvernance, etc. qui sont interconnectés les uns aux autres pouvant aboutir à une situation de catastrophe.
Quels sont les multiples facteurs sociaux, politiques, économiques qui participent à la construction de la vulnérabilité de la population migrante venue des Comores à Mayotte ?
La première partie présente le cadre général de cette étude, et la seconde est consacrée aux premiers résultats obtenus lors de nos investigations.
1. Mayotte, à la fois îlot de richesse et département le plus pauvre
Les héritages historiques pèsent lourdement sur la situation actuelle de l’archipel mahorais.
1.1. Mayotte, un îlot de richesse dans un océan de pauvreté
Afin de comprendre les évolutions actuelles touchant Mayotte, un rapide rappel de son histoire, de sa géographie et de sa politique est indispensable. Cette section a pour but de comprendre les migrations clandestines et ses conséquences sur l’équilibre socio-économique, les tensions sociales qui en découlent et les formes vulnérabilités actuelles touchant les migrants comoriens.
Document 1. Mayotte dans le Sud-Ouest de l'océan Indien, voisinage, proximités et éloignement
Les rivages de Mayotte sont à seulement 70 km de l'île d'Anjouan, la plus proche de l'archipel voisin des Comores. Madagascar est à 300 km, le Mozambique à 500 km, quand La Réunion est à 1 400 km et Paris à 8 000 km.
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Depuis le maintien de Mayotte dans le giron français, l’île a connu un développement socio-économique soutenu et durable grâce aux différentes aides octroyées par l’État et l’Union européenne. Mayotte offre une qualité largement supérieure à celle des Comores et Madagascar. Ceci entraîne donc des inégalités considérables dans la région.
En 2018, le PIB par habitant à Mayotte était de 9 380 euros (Insee, 2020a). À l’échelle de sa région, le PIB par habitant de Mayotte est parmi les plus élevés. Il talonne de quelques centaines d’euros celui de Maurice et se place au troisième rang des économies les plus avancées de la zone, de loin derrière les Seychelles et La Réunion (document 2). Surtout, il est six fois plus élevé qu’aux Comores, huit fois plus élevé qu’en Tanzanie, seize fois plus élevé qu’à Madagascar et dix-huit fois plus élevé qu’au Mozambique (IEDOM, 2019).
Document 2. PIB par habitant des pays de la zone Sud-Ouest de l’océan Indien en 2018
La Réunion;Seychelles;Mayotte;Maurice;Comores;Tanzanie;Madagascar;Mozambique | PIB par habitant en euros; | false | ||
PIB par habitant | 22200;13510;9380;9124;1187;922;461;402 | #E31E51 |
Sources : PopulationData.net (date 2018) ; INSEE (2020).
Du fait d’une population très jeune, Mayotte compte parmi les départements où le nombre de décès par habitant est le plus faible : 2,8 décès pour 1 000 habitants en 2019 (Insee, 2020b). Cependant, la mortalité chez les enfants et les seniors est plus importante que la moyenne nationale (ibid.) L’espérance de vie à Mayotte est de 75,5 ans contre 82,6 ans en France métropolitaine. À l’échelle du Sud-Ouest de l’océan Indien, l’espérance de vie à Mayotte est parmi les plus élevées (document 3).
Document 3. Espérance de vie à la naissance dans les États du Sud-Ouest de l’océan Indien
Comores; Madagascar; Mozambique;Tanzanie;Maurice;Seychelles;Mayotte;La Réunion | Espérance de vie (années); | false | ||
Espérance de vie (années) | 64;67;65;65;74;74;76.3;81 | #47B9B5 |
Sources : Banque mondiale (2019) ; Insee (2020b)
1.2. Mayotte, le département le plus pauvre de France
Malgré ces différents changements touchant le domaine socio-économique, Mayotte reste le territoire le plus pauvre de France. En mars 2011, Mayotte accéda au statut du département d’Outre-mer. Pour les Mahorais ce changement de statut allait impulser le développement social et économique tant entendu (aides sociales, création d’emplois etc.) Cependant, ces changements se sont traduits par une relative déception : pauvreté, insécurité, services publics saturés et insuffisants. Ainsi, selon l’Insee (2021), en 2018, 77 % de la population mahoraise vivait sous le seuil de pauvreté. Certes, cette part est en baisse de 7 points depuis 2011 (84 %), mais elle demeure tout de même et de loin la plus élevée de France. En 2018, dans le 101e département, la moitié de la population vivait avec moins de 260 euros par mois, ce qui est 6 fois plus faible que dans l’hexagone et 3 fois par rapport à la Guyane (ibid.).
Toujours selon l’Insee (2020c), les prestations sociales à Mayotte sont trop faibles pour réduire efficacement la pauvreté. Elles ne représentent que 17 % du revenu moyen des ménages pauvres mahorais, et ne font baisser le taux de pauvreté que de deux points, contre 7 points dans l’Hexagone et 10 dans les autres départements ultramarins. Cette inefficacité des aides peut s’expliquer en partie par la part très élevée des étrangers, non éligibles à certaines prestations ou n’y faisant pas recours pour diverses raisons. Parmi les plus pauvres, une majorité est née à l’étranger. Les immigrés ont moins souvent accès à un emploi et ils ne sont pas éligibles à toutes les prestations sociales. Par exemple, le RSA (revenu de solidarité active) et les allocations familiales ne sont pas accessibles à la population étrangère non régularisée ou régularisée depuis moins de 15 ans. Par ailleurs, les montants des prestations sociales sont loin du niveau national : le RSA, par exemple, est 2 fois plus faible qu’ailleurs en France (ibid.).
La persistance de la pauvreté explique une forte désillusion suite au changement de statut de Mayotte, proportionnelle aux espoirs que celui-ci avait suscité. Cette déception a été un des éléments déclencheurs de plusieurs manifestations sociales, en 2011 et en 2018 notamment, qui provoquèrent la paralysie de l’île pendant plusieurs semaines. Les Mahorais demandèrent plus de sécurité, de contrôles aux frontières, et d’égalité avec le reste de la France, et revendiquèrent une amélioration de leurs conditions de vie, ce qui devait passer par le contrôle des prix des denrées de première nécessité, la revalorisation des salaires, et celle des minima sociaux.
Malgré ces indicateurs défavorables à l’échelle de la France, Mayotte reste considérée comme un îlot de prospérité dans son environnement régional, ce qui explique son attractivité pour des exilés en quête d’une vie meilleure.
1.3. Mayotte, le rêve français des migrants dans l’océan Indien
Aux yeux des migrants, Mayotte est devenue une sorte d’Eldorado de l’océan Indien (Leone et al., 2014). La pression migratoire actuelle est particulièrement forte en provenance des îles voisines (les Comores et Madagascar) et, depuis peu, de la côte est-africaine. Ainsi, à Mayotte, en 2017, 45 % de sa population est de nationalité étrangère (Insee, 2019). Pour d’autres sources (INED, 2018), les natifs de l’archipel sont aujourd’hui minoritaires. Cette part importante d’étrangers est majoritairement due à une immigration clandestine difficilement tarissable. Au péril de leur vie, fuyant la misère économique de leur pays, certains migrant n’hésitent pas à embarquer dans des kwassa-kwassa, des petites barques de pêche, souvent surchargées, empruntant un trajet de 70 km en plein océan, entre Anjouan et Mayotte (Wu-Tiu-Yen, 2015).
Les causes de cette migration sont nombreuses mais la principale est économique. Il existerait sur l’île « un marché d’emploi » (encouragé par certains locaux) pour les migrants illégaux, notamment dans l’agriculture, la pêche et le bâtiment, pour un salaire supérieur à 400 € en moyenne, ce qui est considérable puisque le salaire moyen aux Comores est de 64 $ (64,28 €, source) et de 33 $ (33,14 €) à Madagascar (source). Certains migrants viennent également à Mayotte pour des raisons sanitaires, en raison des insuffisances du système de santé dans leur pays d’origine. On compte aussi des futures mères espérant accoucher à Mayotte afin de bénéficier de conditions d’accouchement bien meilleures et de conditions de vie plus favorables pour l’enfant à naître, certaines avec l'espoir que l'enfant à naître acquerra la nationalité française à sa majorité.
1.4. La question du logement, révélatrices des tensions sociales à Mayotte
La question du logement est un point d’entrée privilégié dans celle des vulnérabilités sociales à Mayotte.
Il y a une cinquantaine d’années, le paysage mahorais était dominé par des cases traditionnelles construites en bois et terre cuite avec, en guise de toit, des feuilles de cocotier ou de raphia. Depuis la fin des années soixante-dix, du fait de la volonté de l’État de lutter contre l’habitat indigne et insalubre et de répondre à la demande de logements décents, on assista progressivement à l’émergence de bâtiments plus modernes, construits avec des matériaux manufacturés.
Au cours des deux dernières décennies, en dépit de l’évolution tendant vers une modernisation des logements, d’autres types de logements que l’on pourrait qualifier d’illégaux ont gagné l’ensemble de l’île. En 2017, l’INSEE a estimé ces logements illégaux à plus de 40 % à Mayotte (Insee, 2019b). Certains espaces ont été investis dans des zones fortement exposées aux risques (document 4), d’autant que les cases sont autoconstruites avec des matériaux de récupération et dépourvues de fondations.
Document 4. Le bidonville de Kawéni (Mamoudzou)Les matériaux de récupération témoignent de l’autoconstruction et de la précarité des logements, le risque de « décasage » et la pauvreté se cumulant pour décourager les occupants d’investir plus d’argent. Les fortes pentes et les sols dénudés laissent présager un fort risque de glissement de terrain en cas de fortes pluies. Le bidonville relève à la fois de l'habitat informel et du logement précaire. Cliché : Fahad Idaroussi Tsimanda, avril 2019. |
Entre 2016 et 2019, faisant face à une crise sociale plus profonde avec son lot de problèmes affectant l’île (vols, homicides, etc.), une partie des Mahorais se dirent excédés (La 1e/AFP, 2018) et s’estimèrent laissés pour compte par l’État. La montée des tensions prit la forme de routes barrées par « des coupeurs de route », de bus scolaires caillassés, ou encore de bagarres entre bandes rivales dans les établissements scolaires. Ce sentiment fut aussi à l’origine de tensions intercommunautaires avec, d’un côté, les mouvements de « coupeurs de route » initiés par des Comoriens et, de l’autre, des décasages initiés par des Mahorais, créant ainsi un climat délétère (Richard, 2018).
2. Spatialiser l’informalité et comprendre les facteurs de vulnérabilité
Cette section a pour objectif de présenter plusieurs résultats issus de l’évaluation de la vulnérabilité des migrants comoriens à Mayotte. Il s’agit ici d’identifier et de spatialiser les bidonvilles de Mayotte, les secteurs investis par les migrants comoriens et de comprendre les différents facteurs de vulnérabilité dont sont victimes ces derniers.
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2.1. Identification et spatialisation des quartiers informels de Mayotte
Les quartiers informels de Mayotte se situent essentiellement dans l’est de l’île, dans les communes de Mamoudzou, et celle qui lui sont limitrophes (document 6). Ainsi 23,6 % des personnes sondées mentionnent la ville de Kawéni, suivi de Koungou avec 17,9 %, Combani 7,9 %, Dzoumogné 7,8 %, Kahani (Ouangani) avec 6 % Lavigie (Petite-Terre) 5,7 %, Iloni 4,8 %, Bandrélé avec 4,5 %. Les localités restantes ont une fréquence en-dessous de 3 %.
Document 6. Quelques exemples de bidonvilles recensés à MayotteSource : IGN 2019, ITF 2019. Réalisation : Fahad Idaroussi Tsimanda, 2019. |
Pour comprendre le processus d’implantation géographique actuelle de cette population d’origine comorienne, il convient de faire un lien avec l’histoire de l’industrie sucrière pendant la colonisation (document 7). De 1845 à 1904, les colons faisaient appel à des travailleurs de la région (Afrique et des îles voisines). Suite à l’effondrement de l’industrie sucrière après les deux cyclones de 1898, ces travailleurs restent en place. Pendant longtemps, les migrants débarqués à Mayotte rejoignaient préférentiellement ceux qui étaient installés depuis de longues années.
Document 7. Le peuplement de Mayotte et les sites d’anciennes usines sucrièresSource : relevés de terrain, Fahad Idaroussi Tsimanda, 2022. |
Plus récemment, après 1975, les activités économiques de Mayotte se sont structurées autour de la capitale économique de l’archipel, Mamoudzou. Les migrants recherchent donc les centres économiques de l’archipel, mais ils dépendent de la disponibilité d’un foncier accessible, donc s’installent plutôt en périphérie des villes. Les nouveaux arrivés s’installent préférentiellement à proximité de leur famille ou de connaissances. C’est ainsi, à l’issue de ce processus, qu’un quartier d’habitat spontané voit ainsi le jour.
2.2. La question foncière au centre des tensions sociales
Les tensions récentes, évoquées plus haut, pourraient faire penser à une dégradation de l’image des Comoriens et de leur rejet croissance par les Mahorais. En fait, les violences contre les migrants sont anciennes. Ainsi, en 2003, l’incendie du bidonville d’Hamouro (commune de Bandrélé, Mayotte) ciblait des familles comoriennes (Decloitre, 2003). Les migrants sont aussi l’objets de violences verbales. Les résultats issus de notre enquête démontrent que 45,9 % des Comoriens interrogés disent avoir été qualifiés de voleurs ; 11 % d’envahisseurs « colonisateurs » ; 7,3 % de profiteurs ; 1,3 % de personnes violentes ; Soulignons toutefois qu’un tiers (33,2 %) n’ont subi aucun préjugé ; 1,3 % ont en subi d’autres.
L’occupation illégale des terrains par les exilés, à laquelle ils sont contraints pour se loger, contribue également à tendre leurs rapports avec les Mahorais. Par exemple, en 2016, à Kawéni, une famille a dû verser une importante provision à l’huissier pour pouvoir récupérer son terrain qui était occupé par des migrants, et permettre le début des opérations de démolition (Deleu, 2018). Ceci a pu être interprété par la population locale comme un affront de la part de ces occupants illégaux, et comme un abandon de la justice.
À la fin de l’année 2021, une décision de justice retoqua la décision préfectorale de démonter plusieurs bidonvilles à Miréréni et Combani (Cimade, 2021), ce qui a été considéré par plusieurs collectifs mahorais comme un affront et une spoliation de leur terre. Cette décision de justice a provoqué de vives tensions entre les Mahorais et la Cimade, une association de défense des migrants. Certains vont jusqu’à l’accuser de « trafic d’êtres humains » (Mérot, 2022) et la tension est telle que l’association est contrainte de son local mahorais (Cimade, 2022).
Les migrants Mahorais sont aussi victimes des préjugés à leur encontre en raison de leur grande pauvreté. Les résultats issus de notre enquête dans les quartiers informels indiquent que 72,5 % des personnes interrogées disent percevoir un revenu mensuel compris entre 0 et 200 euros, 19,9 % d’entre eux disent toucher un revenu mensuel compris entre 200 et 500 euros, 6,3 % touchent un salaire compris 500 et 800 euros. Seulement 1,3 % des personnes interviewées disent toucher un salaire de plus de 800 euros mensuels.
2.3. Une grande précarité du logement ressentie et observée dans les bidonvilles
C’est la nature même de l’habitat informel qui explique sa plus grande vulnérabilité face aux aléas climatiques. Les constructions sont réalisées sans ordonnancement, rapidement (il s’agit d’occuper le terrain le plus vite possible pour réduire le risque d’expulsion). Ainsi, 84,5 % des personnes sondées affirment que leur maison ne possède aucune fondation. Les matériaux de récupération, qu’il s’agisse de tôles (souvent rouillées), de bois, ou encore de contre-plaqué, ne sont pas solides. Cette situation s’explique avant tout par le fait que les occupants ne sont pas propriétaires de ces terrains. Ainsi, 10,4 % des enquêtés disent louer le terrain occupé, 31 % disent avoir un droit d’usage sur le terrain et 58,5 % affirment squatter le terrain. Il est logique de ne pas investir des sommes importantes dans des matériaux plus solides lorsqu’on vit dans la menace d’une expulsion, d’autant qu’il s’agit de familles à très faibles revenus. Le peu qu’elles gagnent est dépensé dans l’achat de denrées alimentaires.
Les logements sont de très petite taille : 65 % des maisons ont une superficie égale ou inférieure à 16 m2. 19 % des habitations sont composées d’une seule pièce, 54 % en possèdent deux, 24 % sont composées de 3 pièces et seulement 2,5 % sont composées de 4 pièces et plus. Avec une occupation moyenne de 6 personnes par foyer, on constate la forte densité et même la surpopulation des logements.
Concernant le confort des maisons, sur une échelle de 1 (absence totale de confort) à 5 (très confortable), 62 % des personnes sondées donnent une note inférieure à 3 (note de moyennement confortable), pour juger la qualité du confort dans leur case. Mais leurs critères d’évaluation sont sans doute peu exigeants : 94,3 % des habitations ne sont pas raccordées directement au réseau électrique.
Le manque d’accès à l’eau potable est également un problème partagé par une très grande majorité d’habitants des bidonvilles. Parmi les ménages interrogés, 95,9 % n’ont pas accès à l’eau courante au sein de leur maison. Dans ces marges urbaines, à l’écart de toute politique publique, et de toute connexion aux réseaux d’adduction d’eau potable et d’assainissement, plusieurs familles sont contraintes de parcourir plusieurs kilomètres pour se ravitailler en eau. En effet, 31,6 % des enquêtés disent faire un aller-retour de 16 à 30 minutes pour acheminer l’eau chez elles, 21,2 % cheminer pendant 5 à 15 min, et 17,7 % doivent marcher pendant 31 minutes à une heure. Parmi les ménages qui ne sont pas raccordés à l’eau, 48,1 % se ravitaillent sur des bornes fontaines monétiques (BFM), 20,6 % à la rivière, 16,8 % dans des puits. Et une fois l’eau ramenée à la maison, son stockage et sa conservation peuvent faire défaut. De surcroît, cette eau peut être à l’origine de plusieurs maladies (dengue, diarrhée, choléra, typhoïde, etc.) En cela, l’absence et ou le manque d’accès aux l’eau est aussi un facteur de vulnérabilité sanitaire.
Tous ces indicateurs de la vulnérabilité sociale et économique se cumulent. Ainsi, du fait de l’extrême pauvreté, 70,9 % des personnes interrogées affirment avoir déjà subi la famine. 88,6 % des ménages interrogés affirment ne pas réussir à mettre de l’argent de côté contre 11,4 % qui parviennent à faire des économies.
Conclusion
Restée dans le giron français après l’indépendance des Comores en 1975, Mayotte a connu un développement socio-économique rapide, provoquant un déséquilibre à l’échelle de sa région, sans pour autant combler l’écart avec les autres régions françaises. Du fait de ce différentiel de développement, Mayotte attire la convoitise de ses voisins (et notamment, des habitants de l’Union des Comores) en quête d’une vie meilleure. Cependant, une fois sur place, les migrants sont confrontés à une toute autre réalité.
Les contraintes économiques les poussent à investir les zones marginalisées, entraînant une marginalité subie et des facteurs cumulés (économiques, sociaux, sanitaires) de vulnérabilité. En outre, la mauvaise image véhiculée sur les Comoriens à Mayotte contribue à leur stigmatisation et, indirectement, à leur vulnérabilisation.
Cette vulnérabilité a pour principal fondement le manque de ressources économiques et le difficile accès aux moyens de subsistance (eau, nourriture, soins), lui-même aggravé par la nature des logis. Ces derniers sont précaires et surpeuplés, construits de manière illégale et informelle dans des zones fortement exposées aux aléas naturels. De fait, les migrants occupent des terrains dont la durée d’occupation est incertaine du fait de l’absence de titre de propriété ou de location, prouvant leur droit d’occupation du terrain et celui d’y bâtir un logement. Sur le plan de l’urbanisme, cette situation entraîne donc la construction de maisons peu solides, pouvant être endommagées à la suite d’un événement naturel.
La conclusion de cette étude est donc que les facteurs de vulnérabilité s’enchevêtrent les uns les autres, se cumulent et se renforcent avec, à la base, une pauvreté économique et un manque de logements solides, formels et durables.
Bibliographie
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Mots-clés
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Fahad IDAROUSSI TSIMANDA
Docteur en géographie, université Paul-Valéry-Montpellier 3, LAGAM (Laboratoire de Géographie et d’Aménagement de Montpellier)
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Fahad Idaroussi Tsimanda, « Migrer pour un bidonville. La vulnérabilité socio-économique des migrants comoriens à Mayotte », Géoconfluences, janvier 2023.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/inegalites/articles/migrants-comores-mayotte