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La pandémie de covid-19, regards croisés de géographes

Publié le 23/06/2020
Auteur(s) : Catherine Biaggi, inspectrice générale de l’éducation, du sport et de la recherche - Ministère de l'Éducation nationale
Laurent Carroué, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, directeur de Recherche à l’IFG - université Paris VIII
Michel Foucher, géographe, ambassadeur et essayiste, titulaire de la chaire de géopolitique appliquée - Collège d’études mondiales (FMSH, Paris).
Jean-Christophe Gay, professeur des universités - IAE Nice, université Côte d’Azur
Alain Gascon, Professeur émérite des universités - Institut français de géopolitique-Université paris 8. Ancien chargé de cours à l’INALCO
Cynthia Ghorra-Gobin, rédactrice en chef de L'Information géographique, directrice de recherche émérite - CNRS-CREDA
Christine Lauer, IA-IPR d'histoire-géographie - Académie de Lyon
Hervé Théry, directeur de recherche émérite au CNRS-Creda - professeur à l'Université de São Paulo (PPGH-USP)
Emmanuel Vigneron, professeur des universités - Montpellier
La pandémie de Covid-19 qui touche l'humanité depuis 2019 a soulevé des interrogations chez chacun de nous, y compris parmi les géographes. Plusieurs d'entre eux ont accepté de prendre la plume pour livrer à Géoconfluences leur regard sur la crise.

Citer cet article

Introduction : des échelles pour comprendre

Plus que jamais, l’épidémie d’infection à coronavirus rend visible par l’espace les faits sociaux que la géographie interroge et ce à toutes les échelles : mondiale, européenne, nationale, locale et jusqu’à la plus fine.

Du reste, plus l’échelle s’affine, plus les disparités économiques et les grands courants de la mondialisation s’expriment dans des inégalités sociales qui se traduisent en chiffres mais aussi en faits et qui concernent toutes celles et tous ceux qui habituellement ne se voient pas ou peu. L’épidémie agit ici comme un puissant révélateur de l’organisation de l’espace géographique. Elle met en évidence les interactions multiples entre les territoires à différentes échelles.

L’extraordinaire flux d’informations reçu au quotidien impose des questionnements et les grilles de lecture du raisonnement géographique, pour lire et comprendre les évolutions en cours.

Des commentaires, des cartes et des statistiques produites ici ou là, affleurent les notions et le vocabulaire des géographes : mondialisation, clusters, mobilités, frontières, environnement, inégalités, disparités et jusqu’à cette recommandation de « distanciation sociale » qui concerne l’organisation de l’espace à l’échelle de chaque individu.

Au passage de ces flux d’informations, nous entendons aussi, souvent, l’évocation d’épidémies plus anciennes, parfois proches, parfois lointaines sinon très lointaines. Elles permettent de situer l’événement observé aujourd’hui dans le cours de l’histoire des hommes et invitent à la recherche de correspondances qui peuvent aider à comprendre ce qu’il se passe sous nos yeux. En outre si la question « où » est bien la question centrale de la géographie, « où depuis quand » est une question qui vient immédiatement à la recherche des ruptures et des discontinuités qui font toute la géographicité des choses.

Ce qui est ici présenté dans une série d’articles courts, se veut avant tout une invitation à faire de la géographie par l’expérience en s’obligeant à regarder le monde « à chaud » tout en s’imposant la distance nécessaire pour mettre en perspective ce qui se déroule sous nos yeux. C’est d’abord la question des échelles qui est au centre des différentes contributions des géographes que nous avons sollicités. Ces auteurs, habitués à manier les échelles spatiales et temporelles, ont vu dans les événements inédits liés à cette pandémie l’omniprésence de cette catégorie de pensée qui est l’outil de travail du géographe. Contraction de « l’habiter » pour 4 milliards d’habitants en confinement, renforcement des frontières étatiques, réduction des mobilités humaines et en même temps circulation rapide d’un virus qui témoigne du bouclage du monde, révélateur brutal des inégalités sociales à l’intérieur des sociétés et des limites politiques, ont donné à penser aux auteurs de ces contributions.

Être géographe, c’est écouter et regarder le monde pour le rendre intelligible. Ce sont ces regards que des géographes, portés par un même souci de pédagogie et de partage ont accepté de produire, en proposant des analyses de l’épidémie de Covid-19 à partir de leurs propres champs de recherche. Comme on le verra, ces regards se croisent, se répondent et dans leur diversité, manifestent l’unité de la géographie.

  • Emmanuel Vigneron, spécialiste de la géographie de la santé, propose une analyse de l’épidémie de Covid-19 en plusieurs articles par la référence de plusieurs échelles de temps et d’espaces (lire).
  • Michel Foucher, ambassadeur et spécialiste des frontières, livre une lecture politique et géopolitique de l’épidémie, à travers la question des frontières (lire).
  • Hervé Théry, spécialiste du Brésil, propose à travers l’analyse de la diffusion de l’épidémie quelques pistes de relecture du territoire brésilien et de ses inégalités (lire).
  • Laurent Carroué, spécialiste de la mondialisation, montre comment la crise a bouleversé en profondeur le fonctionnement économique d'un monde interrelié (lire).
  • Jean Christophe Gay explique les importantes différences dans la manière dont l'épidémie a touché la France d'Outre-Mer (lire) ; il montre également comment la pandémie redéfinit la notion de limite dans la géographie de notre quotidien (lire).
  • Cynthia Ghorra-Gobin dément l'idée que la pandémie signerait la fin des métropoles en rappelant leur rôle toujours central et leur capacité de résilience (lire).
  • Alain Gascon, spécialiste de la Corne de l'Afrique, étudie le cas éthiopien rattrapé par une pandémie à laquelle on a longtemps pensé qu'il échapperait (lire)
  • Suivront les analyses d'Elisabeth Dorier, Édith Fagnoni, Michel Lussault, Christian Grataloup, ainsi que le regard d’un élu, David Valence, maire de Saint-Dié-des-Vosges, et d’autres encore…

Il ne s’agit pas d’un recueil d’articles scientifiques ayant suivi le long processus éditorial indispensable à l’écriture savante : les contributeurs de cette sélection de textes – forts des nombreux travaux qu’ils ont menés et publiés – ont accepté au contraire de nous livrer une pensée en cheminement, des hypothèses, des pistes, des fils à tirer pour penser en géographe la crise actuelle et ses conséquences. Ils l’ont fait en dépit des contraintes liées au confinement et dans un temps très court qui est celui de l’urgence à mettre leurs compétences au service d’une meilleure compréhension de l’événement. Nous les en remercions.

Notre pari est que le croisement fécond de leurs regards sera avant tout utile aux professeurs des collèges et lycées ainsi qu’à ceux du supérieur ; nous espérons que ces analyses les aideront à mieux répondre aux ambitions de leur mission d‘éducation citoyenne et aux finalités de notre discipline, qui sont d’aider à lire et à comprendre le monde sans déterminisme ni désespérance.

 

Catherine BIAGGI,
Inspectrice générale de l’éducation, du sport et de la recherche

Christine LAUER,
IA-IPR, histoire-géographie, Académie de Lyon

Emmanuel VIGNERON
Professeur d’aménagement du territoire et de géographie de la santé, Montpellier

Pour Géoconfluences, mai 2020.

 


Emmanuel Vigneron : Les épidémies en Europe, temps longs, temps courts

Le temps long des épidémies

Les épidémies font partie de l’histoire des hommes. S’intéresser à l’épidémie d’aujourd’hui conduit à évoquer des épidémies plus anciennes. C’est en partie parce qu’on pense à juste titre y trouver des clefs de compréhension pour ce qu’il se passe aujourd’hui ; c’est sans doute aussi parce que le Covid-19 réveille des peurs qui ont tenaillé nos ancêtres au moins jusqu’au milieu du XXe siècle (voir bibliographie en fin d’article).

Parmi les grandes épidémies qui ont touché l’Europe, cinq au moins sont demeurées très présentes dans la mémoire européenne : la peste d’Athènes qui dura de -430 à -426, la peste de Justinien qui sévit en Europe de 541 à 767, la Peste Noire entre 1347 et 1351 mais qui en fait se prolongea ici et là jusqu’au XIXe siècle, la peste de Marseille en 1720 qui en est une réactivation venue de l’étranger et la grippe dite « espagnole » en 1919. Ce sont les épidémies qui ont laissé le plus de traces mais il y en eu des centaines ou des milliers d’autres depuis le néolithique. On considère en effet que les épidémies qui, à l’origine, sont pour les trois quarts des zoonoses, datent de la cohabitation des animaux et des hommes. Elles seraient apparues voici environ 5 000 ans à la fin du néolithique à la faveur du développement du commerce lointain en relation avec le transport à roue. En témoignerait l’apparition des tombes collectives puis de l’incinération vers -2000 ans (Guilaine et Zammit, 2001 ; Zammit, 2005).

Parfois ces épidémies se mélangent quelque peu dans la mémoire des hommes ou bien se font écho. Aujourd’hui, à propos de l’épidémie, on évoque essentiellement en France la peste de 1348 et la grippe de 1918, secondairement celle de 1720 à Marseille. C’est une démarche semblable qui poussa Daniel Defoe à publier en 1722 le Journal de la Peste, récit de celle de Londres en 1664-1665, tandis que l’épidémie née à Marseille en 1720 menaçait l’Angleterre. Le père de Robinson Crusoé voulait ainsi rappeler aux Anglais ce qu’elle avait été chez eux il n’y a pas si longtemps, et avec un petit ouvrage paru séparément (Defoe, 1722), les inviter à se préparer à la survenue d’une nouvelle « Great Visitation ».

Plus localement, les épidémies ont laissé beaucoup d’empreintes dans le paysage comme des croix votives, ou d’anciens villages et hameaux abandonnés. Le plus spectaculaire de tous ces sites est certainement le calvaire de Plougastel-Daoulas ou Kroaz ar vossen, la croix de la peste. C’est un ex-voto de la peste de 1598 édifié dans les premières années du XVIIe siècle. D’autres sont aussi très spectaculaires tels la croix de la Ferrière dans les Côtes-d’Armor ou de Kaysersberg dans le Haut-Rhin. 

Calvaire épidémie Calvaire épidémie À gauche, Frouzet, Saint Martin de Londres, Hérault. Cliché © Studio Nono. Avec l'aimable autorisation de l'auteure.
À droite, Valentine, Haute-Garonne. Cliché : Société archéologique de Valentine (source). 

D’autres sont plus modestes, parfois destinées à éloigner l’épidémie autant des troupeaux que des hommes. On les retrouve partout en France comme à Frouzet, un hameau de bergeries de Saint-Martin-de-Londres au nord de Montpellier dans l’Hérault. La croix porte plusieurs dates qui correspondent sans doute à des épidémies et, barrant l’entrée du hameau, conjure l’entrée de nouvelles épidémies, voire épizooties. Le milieu du XIXe siècle avec son militantisme catholique a favorisé les croix destinées à conjurer le choléra comme ci-dessus à Valentine dans la Haute-Garonne où la croix fut érigée en 1856. Elles ne doivent cependant pas être confondues avec les croix des missions, marques de christianisation imposées par des prédicateurs. Cela n’est pas toujours possible d’autant que les missions fréquentes à partir du XVIIe siècle évoquaient souvent les épidémies et autres calamités s’abattant sur les mauvais pratiquants dans une pédagogie de la peur. De nombreuses chapelles aussi ont été édifiées au cours des siècles, souvent en périphérie des villes et des bourgs, pour conjurer la peste ou remercier d’avoir été épargnés ou encore se prémunir de celles à venir en manifestant sa piété. 

 
L’inscription des temps épidémiques dans la ville contemporaine : l’exemple de Lyon

À Lyon, la peste a sévi sous forme épidémique cinq fois au moins dans le deuxième quart du XVIIe siècle, en 1628 (la plus ancienne, lire Lucenet, 1981), 1631, 1637, 1639 et 1642. La dévotion à Marie, avec une procession annuelle, est organisée dès 1643. D’abord fixée au 8 septembre, elle passe en 1852, pour de simples raisons météorologiques, au 8 décembre. La même année est inaugurée la statue sur la vieille chapelle de Fourvière qu’on voit encore aujourd’hui, intégrée à la basilique de la fin du XIXe siècle. Le même jour de 1852, une vieille tradition d’illumination des façades par de petites bougies posées dans des verres, les lumignons, est reprise sous l’influence des mouvements catholiques alors très actifs dans la cité. La fête devient annuelle, puis se laïcise progressivement et devient, pour tous, la Fête des Lumières. Chaque année Lyon perpétue ainsi, souvent sans le savoir, mais dans un curieux mélange de religion et de fête laïque, le souvenir d’une peste de… 1642. En se promenant dans la ville, on trouve aussi de nombreux témoins architecturaux des épidémies passées (Michel et al., 1936 ; Rey, 1989).


 

Ici et là, les paysages contemporains sont également animés par des usages locaux qui sont encore vivaces comme la confrérie des Charitables de Béthune-Beuvry. Elle a été fondée lors d’une épidémie de peste en 1188 et est encore en service en ces temps de Covid-19 ainsi que d’autres de la même région des Hauts-de-France : La Bassée, Festubert, La Buissière, fondées lors d’autres épidémies. Il s’agit pour ces confréries d’hommes en noir de veiller à l’ensevelissement des morts et d’accompagner tous les défunts au cimetière, notamment les plus démunis et sans famille. Cette vieille tradition se perpétue encore ces jours ci.

 
Question de masques : les leçons de l’histoire
masques masques masques

On rappellera l’épisode de la grippe A H1N1 en 2010 : un alarmisme généralisé, une mobilisation de très grande ampleur et toute militaire des services de santé, des points presse ministériels quotidiens et d’allure tout aussi martiale, d’énormes dépenses engagées, une faible adhésion des Français et de beaucoup de leurs médecins au principe de la vaccination, une fronde des médecins de base délaissés par les autorités. Prudent, le gouvernement procéda cependant à l’achat massif de masques de protection à l’instar de ceux que l’on se mit à porter au XVIIe siècle, contre la peste à Marseille (ci-dessus à gauche), inspirés de ce que l’on avait porté en Italie au siècle précédent (Manget, 1721 ; Carrière et al., 2016).  Ces masques rappellent aussi ceux que l’on portait en 1918-1919 contre la grippe espagnole à Paris (ci-dessus au milieu).

Tout cela pour une épidémie qui finalement ne tua presque pas ou du moins pas plus que les grippes saisonnières habituelles. Quoiqu’il en soit, les masques font partie de l’arsenal de lutte contre la propagation de l’épidémie et s’ils ne furent pas utiles en 2010, ils l’auraient bien été en 2020. Les « stocks stratégiques » n’avaient pas été entretenus depuis 2012 semble-t-il.


 
La crise actuelle des coronavirus

Les épidémies (de épi, au-dessus de, et démos, le peuple) ont ceci de caractéristique qu’elles s’abattent brutalement sur la population. Mais elles ne naissent pas non plus de rien et elles ont des prémisses qu’on peut reconstituer.

Ainsi, l’épidémie actuelle de SARS-CoV-2, responsable de la maladie pandémique Covid-19 (CoronaVIrus Desease de 2019) est l’une de celles transmises par un coronavirus (CoV) et qui sont encore en petit nombre, donc mal connues. Le premier coronavirus identifié est celui qui fut la cause d’une épidémie de bronchite infectieuse aviaire en 1930 qui décima les poulaillers du Dakota du Nord. On découvrit un virus similaire en 1965, puis d’autres encore qui furent réunis en 1968 au sein d’une nouvelle famille de virus, les Coronavirus. Cependant, jusqu’au début des années 2000, la recherche est restée peu développée car les trois souches humaines alors repérées n’étaient pas considérées comme « bien méchantes », simplement responsables de rhumes banals et bien moins graves en tous les cas que les virus de la grippe.

En 2002, les choses sont devenues beaucoup plus inquiétantes. Ce fut d’abord l’épidémie de syndromes respiratoires aigus sévères liés au coronavirus (SARS-CoV). Apparue dans le sud de la Chine, elle s’est répandue dans 29 autres pays qui étaient en relation étroite avec elle. Avec quelques 8 000 personnes infectées, la maladie s’est avérée mortelle dans 10 % des cas d’infection et a duré 18 mois. Malgré sa forte létalité, elle est heureusement restée de faible importance et limitée à quelques établissements hospitaliers ou hôteliers et à quelques familles, en raison de la faible transmissibilité du virus. Ce n’est que plus tardivement que l’on a mis en évidence l’origine de la transmission à l’homme par la consommation de civettes (famille de mammifères dont la genette, en France, est l’un des représentants), elles-mêmes contaminées par des chauves-souris.

En 2012, en Arabie Saoudite, un autre virus, le MERS-CoV (pour Meedle East Respiratory Syndrom lié au Coronavirus) a provoqué une mortalité très élevée, de l’ordre de 35 % des personnes contaminées. En 2020, l’épidémie n’est pas considérée comme éteinte. Ainsi que le signalait l’OMS le 29 mars 2019, pour la période allant de 2012 au 28 février 2019, le nombre total de cas de MERS confirmés en laboratoire notifiés à l’OMS à l’échelle mondiale s’établit à 2 374, dont 823 décès. La liste des pays où des cas ont été constatés a été publiée par l’OMS en mars 2019. En dehors de l’Arabie Saoudite où près de 80 % des cas humains ont été décomptés, 26 autres pays ont signalé des cas : Algérie, Allemagne, Autriche, Bahreïn, Chine, Égypte, Émirats arabes unis, États-Unis, France, Grèce, Italie, Jordanie, Koweït, Liban, Malaisie, Oman, Pays-Bas, Philippines, Qatar, Corée du Sud, Iran, Royaume-Uni, Thaïlande, Tunisie, Turquie et Yémen. Citer ces pays , c’est comme dessiner au tableau une carte des liaisons aériennes les plus soutenues entre les pays du Golfe et le reste du Monde et l’appeler « les insiders de la mondialisation ».

Le SARS-CoV-2, responsable de la pandémie de Covid-19 qui est apparue en Chine en décembre 2019, s’étend dans le monde entier mais très inégalement. Au 31 mars 2020, le site le plus référencé, celui de l’université Johns Hopkins à Baltimore, permet de distinguer les pays les plus atteints aux différents stades de l’épidémie, en gardant à l’esprit que la liste des cas, comme celle des décès, dépend fortement de la déclaration des États et de leur capacité comme de leur volonté de détecter ou non les cas.

 
45 jours d'épidémie* : les 15 pays les plus touchés du monde
  17 mars 2020 2 mai 2020 Population 2019
Pays Infections confirmées Décès Infections confirmées Décès
États-Unis 6 421 108 1 107 815 65 244 333 516 432
Espagne 11 748 533 216 582 25 100 46 438 422
Italie 31 506 2 503 207 428 28 236 61 302 519
Royaume-Uni 1 957 56 178 545 27 583 63 421 628
France 7 730 175 167 346 24 594 69 861 344
Allemagne 9 257 24 164 316 6 736 82 801 531
Russie 114 0 124 054 1 222 146 584 604
Turquie 47 1 122 392 3 258 82 801 420
Iran 16 169 988 96 448 6 156 82 801 633
Brésil 321 1 92 630 6 434 206 977 000
Chine 80 884 3 226 82 875 4 633 1 440 000 000
Canada 478 5 56 343 3 537 36 155 487
Belgique 1 243 10 49 517 7 765 11 289 853
Pérou 117 0 40 459 1 124 32 207 685
Pays-Bas 1 708 43 40 434 5 003 17 045 144
Total 197 220 7 932 3 374 657 240 051  
Pays déclarants : 164   199    

*45 jours d'enregistrement de l'épidémie entre le moment où elle est devenue pandémie et la date d'écriture de ce texte.

Source : https://coronavirus.politologue.com
Ces données sont une compilation des données proposés par le CSSE (The Johns Hopkins University)
https://gisanddata.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html
Données accessibles via :
https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/coronavirus-covid19-evolution-par-pays-et-dans-le-monde-maj-quotidienne/

 

Sans doute ces chiffres sont-ils inexacts. Les biais d’observation sont nombreux. Ils doivent en outre être rapportés à la population, avec laquelle ils ne sont pas seulement liés, tant s’en faut, et redressés de bien d’autres manières aussi pour apprécier l’intensité locale réelle de l’épidémie. Les facteurs de confusion sont trop nombreux pour que les statisticiens modélisateurs puissent s’y plonger sans risques. C’est la question d’une culture de la démarche scientifique qui est posée ici. Si elle ne manque pas aux épidémiologistes bien sûr, elle peut faire défaut à ceux qui, à travers le monde, sont chargés de recueillir et de diffuser les données. Lorsque leur comportement est guidé par des ruses politiques, il finit toujours par être éventé.

On ne rappellera jamais assez l’indispensable distance critique à apporter à la lecture de chiffres. Deux exemples à l’appui :

  • Il a beaucoup été dit qu'en Chine, l’effectif des morts a été volontairement sous-estimé, mais en France le nombre de morts en EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) n’a commencé à être annoncé officiellement que très tardivement (à partir 1er mars 2020 alors que l’épidémie sévissait depuis plusieurs semaines), ce qui est un non-sens… Mais en temps d’épidémie, le comptage n’est jamais facile ni sans effets directs sur l’état d’esprit des populations.
  • Comparer des nombres de morts n’a pas non plus beaucoup de sens. La première cause de l’importance du nombre est évidemment l’importance de la population. Il faut donc calculer des taux, c’est-à-dire le rapport d’un évènement observé à la population concernée par cet évènement. Compter les morts n’est pas non plus si simple. Quels morts ? Où ? À l’hôpital ? Chez eux ? Dans les maisons de retraite ? Mais comment assurer qu’ils sont bien morts du coronavirus ou d’une surinfection bactérienne liée, ce qui n’est déjà pas la même chose ? Et tous les âges ne sont pas également atteints, la létalité de la maladie infectieuse varie considérablement d’un âge à l’autre… Il faudrait donc calculer des taux ajustés sur l’âge (ou taux standardisés), pour apprécier valablement les différences d’intensité de la maladie ici et là, en fonction des écarts de l’âge moyen de la population d’un pays à l’autre. 

Entre la déclaration des États et les choix de représentation opérés par les médias, les chiffres de l’épidémie sont donc à considérer avec toute la prudence qui s’impose s’agissant d’un phénomène d’une telle ampleur.

 

Bibliographie

Références citées
  • Carrière Charles, Rebuffat Ferréol et Courdurié Marcel, Marseille ville morte, la peste de 1720, Jeanne Laffitte, 352 p., 2016.
  • Defoe Daniel, Journal de l’année de la peste. L’édition de référence, toujours disponible en poche (Folio) reste celle-ci : Daniel Defoe, Journal de l’année de la peste, trad. de l’anglais par Francis Ledoux, préf. Henri H. Mollaret, Paris, Gallimard, 1982.
  • Defoe Daniel, Due Preparations for the Plague, as well as Soul as Body, London, 1722.
  • Guilaine Jean et Zammit Jean, Le Sentier de la guerre. Visages de la violence préhistorique. Paris, Seuil, 2001, 378 p.
  • Lucenet Monique, Lyon malade de la Peste. Lyon, Sofedir, 1981, 23 p. Initialement publié en 1965 en six fascicules par les Albums du Crocodile, une vieille revue médicale lyonnaise.
  • Manget Jean-Jacques, Traité de la Peste, Genève, 1721.
  • Michel Lucien,  Duclos Jean (Illustration) et Lacassagne Jean,1936. « Hôpitaux de pestiféreux ». Les Albums du Crocodile, quatrième Année - N° IV - In-8° en feuillets agrafés de 32 pages.
  • Rey Monique : La peste jadis en Lyonnais, Beaujolais et Forez. Lyon, hôtel de Gadagne, 1989. 55 p. Catalogue d’une exposition au Musée Gadagne. Comme les milliardaires d’aujourd’hui, Thomas II de Gadagne investit au XVIe siècle une partie de sa fortune dans la construction d’un pavillon pour pestiférés dans l’ancien Hôpital de Saint Laurent des Vignes (au pied de l’entrée du tunnel de Fourvière).
  • Zammit Jean. « Les conséquences écologiques de la néotithisation dans l'histoire humaine », Bulletin de la Société préhistorique française, tome 102, n° 2, 2005. p. 371-379.
Pour aller plus loin

Sur chacune des épidémies majeures évoquées dans ce texte, il est aisé de se documenter tant les études scientifiques sont abondantes. Elles se doublent d’œuvres littéraires et les auteurs célèbres sont nombreux à avoir consacré à tel ou tel épisode un ouvrage réussi. On trouvera toujours intérêt à mettre en parallèle un récit contemporain de chaque épisode avec des présentations plus récentes qui marquent les dernières avancées de la recherche et avec un texte littéraire.

  • Pour camper le décor on se référera à l’ouvrage classique de Jean Delumeau : La peur en Occident (XIVe-XVIIIe siècles). Paris, Fayard, col. Pluriel, 607 p.
  • Ou bien : Delumeau J. et Lequin Y., 1987, Les Malheurs des Temps – Histoire des fléaux et des calamités en France. Paris, Larousse, 1987. 519 p.
  • On lira aussi ces ouvrages majeurs : Pierre Chaunu, La Mort à Paris, XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1978, 543 p.,
  • Ainsi que Michel Vovelle, La mort et l’occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard 793 p. (voir 2e partie)
  • Et pour comprendre les attitudes humaines face à l’épidémie : Philippe Ariès, L’Homme devant la mort, Paris, Le Seuil, 1977, 642 p.

Voir aussi

  • Jean-Noel Biraben, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens. 2 volumes. In 8 brochés 452 p. et 416 p., éditions Mouton, 1975 et 1976. Tome 1 : « La peste dans l'histoire » ; tome 2 : « Les hommes face à la peste ».
  • Jacques Ruffié et Jean-Charles Sournia, Les épidémies dans l'histoire de l’Homme. Paris, Flammarion, « Nouvelle bibliothèque scientifique », 1984, 280 p.
  • Mirko Grmek, Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale. Paris, Payot, 1983, 527 p.
  • Michel Signoli (dir.), Peste : entre épidémies et sociétés. Florence : Firenze University Press, 2007, 411 pages.
  • Michel Signoli, La peste noire. PUF, coll. « Que sais-je ? », n° 4148, Paris, 2018, 128 p.
  • Kyle Harper, Comment l’empire romain s’est effondré. Le climat, les maladies et la chute de Rome, trad. Philippe Pignarre, La Découverte, 2019, 544 p.

Références par grande épidémie

Sur les cinq grandes épidémies qui sont demeurées très présentes dans la mémoire européenne les références majeures sont les suivantes :

Sur la peste d’Athènes (en fait une épidémie de typhus), la référence la plus classique est le texte grec de Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, dont on trouvera une édition moderne aux éditions R. Laffont, 1990, (Traduction, introduction, notes par Jacqueline de Romilly). Le récit de Thucydide est l’un des textes les plus importants de l’histoire de la médecine occidentale et on en compte à travers les siècles d’innombrables éditions et commentaires. L’une des grandes analyses récentes de ce texte fondateur se trouve dans M. Grmek, 1999, Histoire de la pensée médicale en Occident, Paris Seuil 3 vol. 382, 253 et 428 p.

Sur la peste de Justinien, probablement en Occident la première épidémie de peste au sens vrai, qui a ravagé le bassin méditerranéen et ses périphéries et qui a duré plus de deux siècles entre 541 et 767, on lira les textes de Grégoire de Tours dans son Histoire des Francs. On lira également le texte du plus grand historien du VIe siècle Procope de Césarée au Livre II des Guerres de Justinien. Comme étude universitaire récente, la référence est encore J.-N. Biraben dans Histoire de la pensée médicale en Occident, collection dirigée par M. Grmek en 1999.

Sur la Peste Noire qui submergea l’Europe entre 1347 et 1352, on lira, au sein d’une bibliographie immense, un état des recherches actuelles dans Isabelle Séguy et Guido Alfani, « La peste : bref état des connaissances actuelles », Annales de démographie historique, no 2,‎ 2017, p. 15-38. La référence est ici encore Biraben (1999, voir ci-dessus). On lira aussi Audoin-Rouzeau, Frédérique (2003), Les chemins de la peste. Le rat, la puce et l’homme, Rennes, Presses Universitaires de Rennes ; et le tout récent Michel Signoli, La peste noire. PUF, coll. « Que sais-je ? », n° 4148, Paris, 2018, 128 p.

Sur la Peste de Marseille. Là encore, la littérature scientifique ou les récits abondent. La référence la plus détaillée écrite par un contemporain de l’événement est Bertrand, Jean-Baptiste, Relation historique de la peste de Marseille en 1720, Cologne : Pierre Marteau, 1721. La grande référence contemporaine est celle de Charles Carrière, Marcel Coudurié et Ferréol Rebuffat, Marseille ville morte : la peste de 1720, Marseille, Jean-Michel Garçon, 1988 (1ère éd. 1968) que l’on complètera par l’excellent : Michel Signoli et Stéfan Tzortzis, « La peste à Marseille et dans le sud-est de la France en 1720-1722 : les épidémies d’Orient de retour en Europe », Cahiers de la Méditerranée/ 96 | 2018.
On pourra lire le Chateaubriand des Mémoires d’outre-tombe (Livre XXXV, chap.14) ou, plus vivant, Le Temps des amours de Marcel Pagnol.

Sur la grippe dite « espagnole » de 1919, pandémie mondiale mais qui concerna au premier chef l’Europe même si elle eut de nombreux prolongements, parmi de très nombreux ouvrages et récits on lira Pierre Darmon, « Une tragédie dans la tragédie : la grippe espagnole en France (avril 1918 – avril 1919) », Annales de démographie historique, n° 2,‎ 2000, p. 153-175. Le récent centenaire de l’épidémie a provoqué la parution de quelques ouvrages commémoratifs, synthèses de travaux connus mais dispersés parmi lesquelles La Grande Grippe. 1918. La pire épidémie du siècle, de F. Vinet. Paris, Vendémiaire, 259 p.

Un ouvrage récent, du même auteur :

  • Emmanuel Vigneron, La santé au XXIe siècle. À l'épreuve des crises. Éditions Berger Levrault, 448 p., 2020

 

Emmanuel VIGNERON,
Professeur d’aménagement du territoire et de géographie de la santé, Montpellier

Publié le 12 mai 2020.

 


Michel Foucher : La réaffirmation des frontières en Europe et dans le monde

La diffusion très rapide du virus SARS-CoV2 vient de nous rappeler la fonction prophylactique et donc protectrice de la frontière internationale en période de catastrophe.

Les frontières dans le monde et en Europe : état des lieux à la mi-2020

En dehors de l’Union européenne, plus de cent-dix pays dans le monde ont pris en mars des mesures drastiques de fermeture des ports, aéroports et frontières terrestres, soit complètes, soit ciblées sur les foyers du virus. Les nationaux de retour – touristes et travailleurs migrants – sont soumis à des quarantaines plus ou moins contraignantes. Les considérations géopolitiques ne sont pas négligées : les pays dépendant de la Chine (Iran, Laos) et de la Turquie (Albanie) ont maintenu des relations aériennes ; le Maroc, l’Algérie, le Nigéria conservent leurs liaisons avec le continent africain. La Chine a repris ses liaisons avec ses principaux partenaires économiques. Cependant, les États-Unis ont fermé les deux frontières les plus actives du monde avec le Canada et le Mexique aux trafics non essentiels. Le Japon a arrêté ses relations avec 73 pays, surtout en Europe et en Asie ; la Corée du Sud a imposé un contrôle sanitaire strict aux passagers provenant de Chine, d’Iran et d’Italie, avec une quarantaine de deux semaines, et a incité les Coréens du Sud à reporter leurs voyages. Toutes ces dispositions rappellent que les États exercent le monopole des moyens légitimes de circulation, exprimé par le passeport et, parfois, le carnet jaune de vaccination. Et comme la diffusion du virus suit les grands axes du transport aérien, l’arrêt de plus de 90 % du trafic est le premier effet de cette politique d’interruption des chaînes de contamination.

Dans l’Union européenne, lors du Conseil européen du 17 mars 2020, 30 États ont décidé ensemble de restreindre de manière temporaire l’accès aux frontières extérieures de l’Union et de l’espace Schengen (sauf l’Irlande), avec des mesures variables pour les travailleurs frontaliers et saisonniers. Le fondement en est le constat, partagé par toute l’Union européenne, que dans les régions d’interactions fortes pour les Européens (Amérique du Nord, Proche Orient, Afrique, Russie) le SARS-coV-2 est apparu ou a été traité plus tardivement. La délivrance de visas a été suspendue. Pour les frontières intérieures, l’enjeu a été de trouver une gestion harmonisée du rétablissement des contrôles sanitaires, qui ont été établis par 27 pays. Pour la France, ces restrictions s’appliquent aux frontières terrestres jusqu’au 31 octobre 2020, ainsi qu’aux collectivités d’outre-mer. Il s’agit de mesures provisoires, qui n’ont pas entravé la prise en charge de patients français par les hôpitaux du Bade-Wurtemberg et du Luxembourg, forme inédite de coopération transfrontalière. Rappelons ici que les sujets de santé publique ne sont pas une compétence de l’Union et qu’ils relèvent de la seule responsabilité nationale. Les reproches adressés à la Commission sont donc sans fondement juridique. Mais en dépit des différences d’organisation et de culture, les gouvernements s’inspirent des bonnes pratiques de leurs voisins. L’hôpital de Cerdagne, mis en service en 2014 à la frontière franco-espagnole, est le seul groupement européen de coopération territoriale ; il offre des services d’urgence à une population de 32 000 personnes, et quatre fois plus en saison touristique.

Un retour des frontières

Au-delà de la pandémie, comment interpréter le retour des frontières constaté depuis quelques années ? Contrairement à ce que l’on croit souvent, cette réaffirmation des frontières, quand elles ne sont pas réduites à des murs mais envisagées en tant que limites, est une bonne nouvelle. Car une frontière a une histoire, c’est une institution issue de conflits et de négociations, de décisions et de traités. La frontière internationale délimite le périmètre de l’exercice d’une souveraineté et elle est l’un des paramètres de la définition de la citoyenneté. Ce en quoi elle est également un marqueur symbolique d’une distinction entre le dedans et le dehors, nécessité anthropologique fondatrice de toute interaction, de toute ouverture vers l’extérieur : Hestia et Hermès, la déesse du foyer et le dieu vagabond et passe-frontières de la mythologie grecque. « Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c’est se perdre et cesser d’être. On se connaît, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre » (Vernant, 2004).

C’est là, aux portes d’entrée terrestres, aériennes ou portuaires, que s’exercent une série de fonctions – fiscalité, contrôle, sécurité, santé – qui, pour être devenues moins visibles, n’en demeurent pas moins actives et sont à nouveau exhumées en cas de crise : menaces terroristes ou de conflit armé et, en 2020, pandémie. La surprise d’un retour est donc à la mesure de la profondeur d’un refoulement. Il en est de même pour l’idée de nation et de souveraineté, trop longtemps mises à l’écart en raison, soit de la confusion entre sentiment national et nationalisme, entretenue par les fédéralistes, soit de l’obstacle qu’elles opposeraient au libre marché. Un seul exemple à propos de la langue française, ingrédient majeur d’identité. Les lois visant à la protéger dans l’espace public (Toubon 1994-1996 et Marini 2004-2017) ont été menacées d’être jugées contraires au droit européen de libre circulation des produits (Foucher, 2020). Comme la langue, la frontière est un symptôme d’un état du monde et de la place qu’on a choisi d’y occuper.

Abolir les frontières serait faire disparaître les États, au prétexte qu’ils seraient une échelle dépassée dans un monde globalisé dominé par la marchandise matérielle et immatérielle. La réduction des appareils d’État à la portion congrue a été l’objectif final recherché par les « mondialisateurs » (Foucher, 2013). De même que la logique d’une unification européenne fondée sur le seul marché se heurte tous les jours à la réalité des appartenances et des cultures nationales. Il faut donc plaider pour une ouverture raisonnable et contrôlée, notamment pour sauvegarder la maîtrise des valeurs qui nous distinguent et des intérêts qui nous sont stratégiques, c’est-à-dire vitaux.

Pour que le monde d’après ne ressemble pas à celui d’avant, en pire, il convient de veiller à ce que la pluralité des échelles de référence soit sauvegardée, pour que le niveau planétaire ne balaye pas tout sur son passage, au profit des firmes américaines du numérique et du parti communiste chinois, fortement liés et alliés de 2001 (entrée de Pékin à l’OMC), jusqu’au début de l’année 2020. Les autres niveaux scalaires – États-nations, régions et métropoles, ensembles plus intégrés – doivent réaffirmer leur place dans le monde tel qu’il a l’inconvénient d’être car il n’est pas spontanément favorable aux sociétés démocratiques ouvertes et aux économies avancées. Dès lors qu’il s’agit de frontières, le sujet est moins l’enveloppe ou le tracé qui la définit que la place qu’elle symbolise dans la vie collective. Le contenu importe plus que le contenant, qui n’est que symptôme à décrypter, un premier pas vers une amélioration. Cette réaffirmation des frontières est l’occasion de nouveaux réglages, selon une nouvelle hiérarchie des échelles, lesquelles sont disponibles dans la boîte à outils de nous autres géographes, enseignants, dans notre mission d’éducation citoyenne.

Bibliographie indicative

  • Foucher, Michel (2013), La bataille des cartes, analyse critique des visions du monde, François Bourin éditeur, 2013
  • Foucher, Michel (2020), Atlas des mondes francophones, éditions Marie B, Collection Lignes de Repères, mars 2020.
  • Vernant, Jean-Pierre (2004), La traversée des frontières, Le Seuil.
Publications récentes de l’auteur

Ouvrages publiés en 2020

  • Les frontières, CNRS éditions, collection Documentation photographique, janvier 2020.
  • Le retour des frontières, CNRS éditions, 2e édition, juin 2020.

Articles publiés en 2020

  •  « Nous devrons apprendre à repenser nos limites territoriales », Michel Foucher, Le Monde, 21 avril 2020 ;
  • « Les frontières ont toujours eu une fonction prophylactique », L’hebdo le 1, n° 393, 22 avril 2020 ;
  • « Un monde sans limites est un monde barbare », L’Obs, n° 2895, 30 avril 2020

 

Michel FOUCHER,
Géographe, ambassadeur et essayiste, titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d’études mondiales (FMSH, Paris).

Article écrit le 4 mai 2020 et publié le 12 mai 2020.

 


Hervé Théry : Les cartes de l’épidémie de Covid-19 au Brésil révèlent les inégalités

Ce texte reprend en partie et met à jour le contenu d'un article publié sur le blog Covid-Am de l'Institut des Amériques : « Covid-19 au Brésil : aggravants, scénarios et risques  ».

Partie d’Asie et après avoir atteint l'Europe, l'épidémie de Covid-19 déferle au Brésil en ce début du mois de mai 2020. Le nombre de cas connus est déjà préoccupant. Officiellement il se monte le 6 mai à 125 218 cas confirmés et 8 536 décès enregistrés (tableau ci-dessous). Ces chiffres sont manifestement sous-estimés car une très grande partie de la population vit dans l’informalité et ne fréquente le système de santé qu’en dernier recours, le plus souvent dans des établissements publics mal équipés pour faire face à la crise.

Si imparfaits qu’ils soient, ces chiffres montrent néanmoins que l’épidémie n’atteint pas de la même façon les régions et les groupes sociaux, car les facteurs de contagion et la mortalité due au SARS-CoV-2 sont fortement influencés par des caractéristiques socio-démographiques, or le Brésil est marqué par de très fortes inégalités. Comme on dispose sur celles-ci de données plus solides, il est possible de recourir à la cartographie pour estimer les facteurs susceptibles d'aggraver la contagion par le Covid-19.

L’analyse des cartes qui suivent fait craindre que le pire soit à venir, d’autant plus que des tensions très vives sont apparues entre les États fédérés, qui ont décidé des mesures de confinement, et l’État fédéral, qui a une politique beaucoup plus hésitante, en grande partie parce que le président de la République n’a pas pris la mesure de la gravité de la situation, ou a choisi de la minimiser.

 
Cas confirmés et décès enregistrés dans les principaux États brésiliens au 2 mai 2020
État Cas confirmés Décès Mortalité
São Paulo 31 772 2 627 57
Rio de Janeiro 11 139 1 019 59
Ceará 8 370 663 73
Pernambuco 8 643 652 68
Amazonas 6 683 548 132
Pará 3 863 309 36
Maranhão 4 040 237 33
Bahia 3 495 123 8
Espírito Santo 3 086 114 28
Paraná 1 514 93 8
Minas Gerais 2 118 89 4
Paraíba 1 169 76 19
Rio Grande do Sul 1 666 65 6
Alagoas 1 441 64 19
Rio Grande do Norte 1 392 61 17

Source : https://covid.saude.gov.br

 

Pour analyser ces données, on a choisi d’utiliser des anamorphoses, des cartes où les territoires sont déformés en fonction d’une caractéristique statistique. La carte ci-dessous utilise ce procédé pour représenter les États brésiliens en fonction de leur population, donnant une image du territoire dans laquelle la région du Sudeste et celle du Nordeste prédominent largement (à l’inverse de la répartition géographique en fonction de la surface où c’est l’Amazonie qui domine). Cette carte présente le nombre de cas confirmés et de décès. Elle fait apparaître trois zones critiques, le Nordeste, le Sudeste (principalement Rio de Janeiro et São Paulo) et l'État d'Amazonas. Les deux premières sont aussi les régions les plus peuplées, il y a donc une certaine logique à ce qu’elles soient les plus touchées en nombres absolus. La forte contamination dans l'État d'Amazonas en revanche, en particulier à Manaus, sa capitale, est peut-être liée à la présence de la zone franche où sont implantées de nombreuses entreprises asiatiques, les allers-retours de leurs expatriés ayant pu importer le virus.

Cas connus et décès enregistrés au 3 mai 2020
cas et décès par habitant carte Brésil  

Les quatre cartes ci-dessous cherchent des ressemblances avec d'autres anamorphoses. Les cartes permettent de comparer la répartition des phénomènes, de détecter des corrélations qui permettent de supposer une relation, ce sont des hypothèses causales. Les co-incidences ne sont généralement pas des coïncidences, elles permettent de proposer des pistes d’explication, d’envisager des relations de cause à effet, qui devront être ensuite confirmées par une analyse systématique.

En l’occurrence, on voit qu'il existe une très forte parenté entre l’anamorphose basée sur les décès et celle de la répartition des protestants pentecôtistes (appelés au Brésil evangélicos). Une autre similitude, un peu moins nette globalement mais très forte dans la région du Nordeste, se dégage entre la carte de la répartition des très pauvres (personnes gagnant moins de ½ salaire minimum, c’est-à-dire moins de 80 euros par mois).

Quatre anamorphoses
Cas de Covid, pauvreté et évangéliques au Brésil  

La carte ci-dessous confirme cette différenciation, très tranchée. La couleur de fond attribuée à chaque État est graduée (du jaune clair au brun foncé) en fonction de la proportion des personnes qui gagnent moins d'un demi-salaire minimum : c'est bien dans le Nordeste que cette proportion est la plus forte.

Les taille des cercles portés sur chaque État indique le nombre de personnes ayant déclaré au dernier recensement (en 2010) être de religion evangélica (protestants pentecôtistes) et la couleur du cercle, graduée du jaune clair au vert sombre, leur proportion dans la population : c'est dans le Sudeste, et en particulier à São Paulo, qu'ils sont les plus nombreux, mais c'est en Amazonie que leur proportion est la plus élevée, ce qui expliquer les taux élevés dans cette région peu peuplée, notamment l'État d'Amazonas.

Facteurs d'aggravation
Cas de Covid, pauvreté et évangéliques au Brésil  

L’analyse cartographique semble donc proposer la conclusion suivante : en dehors du foyer de l’Amazonas, probablement expliqué par les relations économiques avec l’Asie, deux facteurs semblent se corréler fortement à la distribution des cas et des décès au Brésil, d’un côté les conditions sociales et la pauvreté, d’un autre l’importance des églises évangéliques. Ils n’expliquent pas tout, comme on le voit dans le cas de l’État de Santa Catarina qui a le plus de cas déclarés que ceux de Bahia et du Piauí alors qu’il compte peu de pauvres et peu d’évangélistes… Peut-être est-ce simplement parce que cet État à l’administration bien organisée détecte mieux les cas de Covid-19 que d’autres ? Ce serait à vérifier, la carte détecte les disparités, elle incite à chercher leurs causes.

On comprend bien comment la pauvreté est un élément d’aggravation de la crise, d’autant que ce facteur joue dans la plupart des pays, tant en Amérique latine qu’en Amérique du Nord. Mais pourquoi une forte proportion d'evangélicos serait-elle un facteur d'aggravation de la contagion ? Parce que beaucoup d'entre eux nient la gravité de l'épidémie, continuent à tenir leurs cultes en pensant que la protection divine suffira pour leur éviter de tomber malades. Ils sont incités en cela par le président de la République, lui-même évangélique et victime d’une sorte de « complexe du miraculé », qui ne cesse de minimiser la pandémie et ses victimes laissant entendre que « Dieu reconnaîtra les siens ».

C'est pour le moins imprudent si l'on en croit les scénarios établis spécifiquement pour le Brésil par l'étude de l'Imperial College, même s’il faut évidemment les prendre avec prudence, comme toute projection.

 
Les scénarios de l'Imperial College
Scénario Restrictions Cible et effets Nombre de personnes infectées Nombre de décès
1 Intenses et précoces Toute la population, interactions réduites de 75 % dès 60 décès par jour 11,5 millions 44 200
2 Intenses et tardives Toute la population, interactions réduites de 75 % dès 480 décès par jour 49,5 millions 206 100
3 Modérées, intenses seulement pour les personnes âgées Réduction des interactions de 41 % pour la population de moins de 70 ans et de 60 % pour les plus de 70 ans (moyenne 42,2 %) 113 millions 471 700
4 Modérées Réduction des interactions de 41% 143 millions 576 000
5 Aucune Aucune mesure de confinement 182,8 millions 1 100 000

Source : The global impact of Covid-19 and strategies for mitigation and suppression, Walker p.G.T. et al., Imperial College Covid-19 Response Team. Cité par Jean-Yves Carfantan, « Le Président joue à la roulette russe », Blog Brésil : politique, économie, société, https://www.istoebresil.org/

 

 

Or la gestion de la crise pandémique est tout sauf une démonstration d’unité politique. Le gouvernement fédéral et les gouverneurs des États ont de graves désaccords sur la conduite à tenir et en particulier sur l’opportunité et la durée du confinement. De ce fait, le Brésil partage avec la Biélorussie, le Turkménistan et le Nicaragua le douteux privilège de faire partie – selon le Financial Times, de l'« alliance des autruches », celle des pays dont les dirigeants s'obstinent dans le déni du Covid-19.

Son président Jair Bolsonaro a d'abord prétendu que ce n'était qu'une « petite grippe », comme d’autres dirigeants dans le monde, puis s’est entêté à minorer la gravité de l’épidémie. Il s’est ensuite opposé aux mesures de confinement décidés par les États, avant de devoir reconnaître qu'il y avait réellement un sérieux problème puis de déclarer, le 28 avril (en faisant un jeu de mots sur son second prénom, Messias) : « Et alors ? Je suis désolé, mais que voulez-vous que je fasse ? Je suis un Messie, mais je ne fais pas de miracles ». La presse – qu’il attaque régulièrement, comme le fait le modèle auquel il se réfère constamment, Donald Trump – n’a pas manqué de dénoncer son aveuglement, comme le montrent les nombreuses caricatures dont il a fait l'objet (exemple ci-dessous).

Bolsonaro et les morts du Covid-19

Et alors ?

Voir d'autres caricatures sur https://fonte83.com.br/e-dai-de-bolsonaro-e-tema-das-charges-desta-quarta-veja/.

 

Devant cette incurie, beaucoup de Brésiliens (habitués depuis des années à ne pas trop compter sur les services publics) ont décidé d'agir par eux-mêmes. C'est notamment le cas des habitants de la favela Santa Marta, à Rio de Janeiro, qui ont publié l’appel suivant :

«

« Nous avons eu l'idée de faire nous-mêmes le processus d'assainissement de la favela ! Nous avons obtenu les premiers dons et avons déjà commencé volontairement à réaliser, avec l'équipement de sécurité approprié, cette action préventive pour désinfecter les rues, ruelles, ruelles et funiculaire du morne Santa Marta. » 

Source : Wikifavelas.com.br.

»

Avec le matériel qu’ils ont pu se procurer grâce à ces dons, ils désinfectent eux-mêmes les chemins par où passent les travailleurs qui doivent aller travailler pour gagner, au jour le jour, un peu d'argent pour nourrir leur famille. Bel exemple, qui mérite d'être soutenu, et preuve qu’au Brésil, comme ailleurs, la crise actuelle remet en pleine lumière des populations « invisibles » en situation normale.

Les habitants des favelas se débrouillent seuls

Appel Covid Favelas Brésil

Source : Wikifavelas.com.br.

 

Hervé THÉRY
Directeur de recherche émérite au CNRS, Creda, UMR 7227, professeur à l’Universidade de São Paulo (USP/PPGH)

Publié le 12 mai 2020.

 


Laurent Carroué : Mondialisation et démondialisation au prisme de la pandémie de Covid-19. Le grand retour de l’espace, des territoires et du fait politique

Version abrégée. Retrouvez le texte intégral de cet article en cliquant ici.

En quelques mois, l’épidémie de coronavirus, partie de Wuhan en Chine, est devenue une pandémie. Pour en limiter les effets, plus de la moitié de l’humanité s’est retrouvée soit confinée, soit limitée dans ses déplacements alors que des centaines d’Etats accéléraient la fermeture de leurs frontières. En quelques semaines, pour des millions d’élèves et de parents, la mondialisation a quitté le rayonnage des concepts ou des notions pour devenir une réalité tangible et sensible. Et la géographie est alors apparue comme une incontournable boîte à outils pour rendre plus intelligibles notre monde contemporain et ses dynamiques.

Les mobilités et leur interruption, révélatrices du fonctionnement du Monde

Globalement, la pandémie a suivi deux logiques de diffusion dans l’espace mondial. Initialement, une diffusion traditionnelle par « proximité de voisinage », en tache d’huile, en Chine même, puis dans le voisinage asiatique immédiat (Corée du Sud, Japon, Vietnam…). Ensuite la diffusion planétaire très rapide de la pandémie a été portée par les liens réticulaires de « proximité fonctionnelle » tissés par la mondialisation entre des territoires souvent très éloignés géographiquement les uns des autres mais associés, donc articulés et interdépendants. À l’échelle mondiale, cette diffusion fut en quelque sorte, dans un premier temps du moins, une « pandémie par le haut » ; socialement et géographiquement. On trouve ainsi au premier rang de ces territoires les grandes métropoles mondiales interconnectées par le plus rapide des vecteurs : le transport aérien.

Par la suite jouèrent d’autres systèmes. Ainsi, dans de nombreux pays d’Afrique sud-saharienne, aux réseaux branchés sur la Chine se superpose le séjour à Londres, Paris ou autres des élites politiques ou économiques nationales. Il semble avoir joué un rôle important dans la diffusion de la contamination (Nigéria, Bénin, Côte d’Ivoire, Gabon, Soudan du Sud, Botswana, Burkina Faso, R. D. C…). Citons aussi, comme facteur de diffusion, le fait religieux dans sa dimension socio-territoriale : secte coréenne de Shincheonji de Jésus autour de Daegu, rassemblements piétistes Tablighi Jamatt à Kuala Lumpur et Lahore, rassemblement évangéliste de Mulhouse, sectes ultraorthodoxes en Israël… En Iran, l’aveuglement des autorités politiques et religieuses chiites a débouché sur une catastrophe sanitaire. Enfin, on ne peut comprendre la rationalité des stratégies de Donald Trump, président des États-Unis, ou de Jair Bolsonaro, président du Brésil, si on évacue l’importance politique et idéologique des mouvements évangélistes qui ont contribué à leur accession au pouvoir et qui se trouvent dans leurs premiers cercles (voir le texte d'Hervé Théry ci-dessus).

Restrictions de déplacements, confinement des populations et fermetures des frontières se traduisent par l’émergence de nombreux cloisonnements. Ils sont à géométrie, intensité et temporalité variables, selon les espaces et les niveaux d’échelles considérés. Ils débouchent tous cependant sur un effondrement spectaculaire historiquement inédit des mobilités humaines et matérielles. Des milliards d’individus font une expérience sans précédent : la rétraction de l’activité sociale et économique sur une échelle microspatiale de l’ordre du kilomètre ou de la dizaine de kilomètres. L’humanité se fragmente en centaines de millions de micro-cellules de base mises en relation par une explosion des flux d’information immatériels, portés par les réseaux numériques, le télétravail et de nouveaux types de comportements sociaux et de consommation culturelle.

Dans le transport aérien, un épisode inédit voit la fermeture des aéroports et la suspension de tous les vols internationaux édictée par les États. Alors que le prix du kérosène s’effondre de -70 %, tous les plus grands hubs aéroportuaires sont transformés en parking pour accueillir quelque 16 200 appareils, dont 33 % en Europe, 26 % en Amérique du Nord et 22 % en Asie Pacifique. Entre avril 2019 et avril 2020, le nombre de vols dans le monde recule de plus de 80 %, de plus de 90 % en Europe. À Roissy et Orly, le trafic passager s’effondre de -98 % et les mouvements d’avions de -94 %. Seul le fret aérien résiste (-16 %). Par contrecoup, la filière amont de l’industrie aéronautique, tout particulièrement Boeing et Airbus, est frappée de plein fouet. Les usines font face aux annulations de commandes et à la désorganisation de leurs chaînes de production.

Carte restrictions aux voyages dans le monde

Source: UNWTO (OMT) : Type of travel restriction by destination in  “Covid – 19. Related Travel Restrictions. A global Review for Tourism”, Third Report, 8 may 2020.   

 

Dans le transport maritime, la situation est beaucoup plus contrastée et dépend des types de navires, des produits transportés et des lignes. Au Havre comme dans de nombreux ports, les « blank sailings » – ou annulations d'escales – se multiplient et le trafic de conteneurs recule d’un tiers sur un an. La promiscuité à bord et les escales dans les centres de commerce actifs font des bateaux des foyers possibles de propagation de la pandémie, comme cela s'est vu à bord des navires de croisière (Diamond Princess, Ruby Princess…) Ces contraintes touchent aussi les flottes militaires avec deux porte-avions au moins concernés, l’USS Theodore-Roosevelt immobilisé à Guam avec 4 800 membres d’équipage après une escale contaminante au Vietnam, et le Charles-de-Gaulle avec 1 900 marins à Toulon après une escale contaminante sans doute à Chypre. L’enjeu géostratégique est en tout point considérable puisque c’est toute la question du maintien des capacités opérationnelles des systèmes de défense – classiques et nucléaires – qui se trouve brutalement posée. Un cauchemar pour les états-majors du monde entier, qui ravive ainsi parfois les réflexions sur les thématiques d’une menace bactériologique.

Le système mondial questionné : économies terrassées et interdépendances révélées

Ce sont en définitive tous les systèmes d’économie de transferts – remises des migrants, recettes touristiques, rentes minières et énergétiques… – qui entrent en crise alors qu’ils jouent aux échelles mondiale, continentale ou nationale un rôle majeur dans les territoires et les sociétés. Les débats sur la question de la tenue des vacances estivales en France et en Europe en sont un bel exemple.

La paralysie des économies, le confinement et la fermeture des frontières frappent aussi de plein fouet les systèmes migratoires, internationaux et nationaux. À l’échelle internationale, les remises des migrants, qui s’élevaient à 554 milliards de dollars en 2019, devraient reculer de plus de 20 % dans l’année 2020 du fait des pertes d’emplois et de revenus. Les vagues de rapatriement par leurs autorités nationales de dizaines de milliers de travailleurs ou commerçants soudainement bloqués à l’étranger (Inde, Gabon, Cameroun, Tanzanie, Égypte…) ont bien mis en lumière les réseaux de cette « mondialisation par le bas ». En Chine, seulement 123 millions de travailleurs migrants étaient actifs au premier trimestre 2020, soit 51 millions de moins (-30 %) qu’au dernier trimestre 2019 ; beaucoup étaient restés bloqués dans leurs provinces intérieures d’origine ou interdits de travail. Dans de nombreux pays d’Afrique sud-saharienne, l’isolement forcé des capitales de leur arrière-pays (Conakry, N’Djamena, Monrovia, Abidjan…) désorganise les bassins productifs.

De même, selon l’Organisation Internationale du Tourisme, plus de 70 % des États ont totalement fermé leurs frontières aux touristes internationaux début mai 2020, en particulier en Europe (83 %) et en Amérique du Nord et du Sud (80 %), devant l’Asie Pacifique (70 %), le Moyen Orient (62 %) et l’Afrique (57 %). Au total, le nombre de touristes internationaux pourrait reculer de -60 % à -80 % en 2020. Rappelons que 100 à 120 millions d’emplois sont en jeu et entre 900 et 1 200 milliards de dollars de recettes de transferts. Le recul des recettes fragilise de nombreux pays, souvent dépendants (Maroc, Égypte, Tunisie, Grèce, Maurice, Seychelles…).

 L’effondrement de la demande et la paralysie des chaînes d’approvisionnement ébranlent aussi les marchés des matières premières (tableau ci-dessous). En Arabie saoudite, la réduction de la production conjuguée à la baisse des prix se traduit par un recul par trois des recettes fiscales de l’État. Dans les pays dit du « Sud », les pays pétroliers (Nigéria, Gabon, Angola, Golfe persique…) ou miniers (Namibie, Zambie, Mozambique, Botswana…) sont frappés de plein fouet. Dans l’agriculture, l’impact de la désorganisation des exportations de produits périssables est considérable (fruits, légumes…). Les clusters horticoles des Pays-Bas, de Tanzanie ou de Colombie sont à l’arrêt quasi-complet du fait de l’effondrement des exportations.

 
Le recul du prix des matières premières et du transport maritime (% sur un an)
  Recul en %   Recul en %
Acier -12 Caoutchouc -31
Blé -19 Thé -35-5
Volaille -21 Laine -37,5
Lait -24 Porc -38
Molybdène -26 Lithium -44,5
Gaz naturel -30 Pétrole -48
Charbon -30 Baltic Dry -57

Source : Tradingeconomics.com, mai 2020 

 

La pandémie éclaire aussi l’organisation de la division internationale du travail, dont l’analyse des chaînes de valeur qui composent l’organisation des tissus productifs internationaux n’est qu’un élément. Elle organise en effet l’espace mondial selon une intégration asymétrique, dans laquelle les rapports et rivalités de puissances et les logiques d’interdépendances s’expriment de manière exacerbée.

Dès janvier - février 2020, la crise démontre l’extrême dépendance des pays occidentaux et d’Asie de l’Est et du Sud-Est à l’économie chinoise, dont la base productive occupe une place nodale dans de nombreuses filières stratégiques (composants, équipements télécoms, pharmacie…), du fait de l’arrêt des exportations chinoises. En Chine, en janvier - février 2020, la production industrielle recule de -14 %, les ventes de détail de -24 %. Par rapport à la fin 2019, les exportations reculent de -40 % et les importations de -20 %. En mars 2020, les volumes de fret aérien à l’import-export reculent de -77 % et de -26 % dans le transport maritime. Le choc est donc très brutal pour la première puissance industrielle et commerciale mondiale. Par la suite, c'est la faiblesse de la demande qui a empêché la reprise de l'économie, en Chine mais aussi pour tous les grands exportateurs manufacturiers : Vietnam, Thaïlande, Malaisie, Singapour, Philippines... Les exportations vers les États-Unis et l’Europe représentent 30 % du PIB vietnamien, 12 % en Malaisie et en Thaïlande. Au total, l’OMC s’attend à un recul de 13 % à 32 % du commerce mondial en 2020.

La pandémie a surtout mis en lumière la grande faiblesse des chaînes mondiales de valeur éclatées entre de nombreux pays. Les mutations de la mondialisation dans la décennie 1990 (chute du rideau de fer, ouverture de la Chine, libéralisation financière, nouvelles technologies) ont permis aux firmes transnationales de pousser très loin la division internationale du travail afin de réduire en particulier les stocks et les coûts d’approvisionnement. Mais en perdant souvent toute maîtrise dans le choix des fournisseurs et dans l’organisation des chaînes logistiques du fait de la dilution des réseaux en cascades mobilisant des milliers de fournisseurs.

Dans ce contexte, les Français ont découvert lors des pénuries de médicaments ou de matériels médicaux et de protection, l’état de délabrement de leur appareil industriel et de leur tissu productif. Sur 254 nouveaux médicaments autorisés en France par l’Agence du Médicament l’an dernier, seuls 20 sont fabriqués en France, contre 46 au Royaume-Uni et 36 en Allemagne. Ce constat reflète une situation de dépendance beaucoup plus large puisque les deux tiers de la valeur des biens manufacturés achetés par les ménages français sont importés de l’étranger. Ils ont découvert aussi que depuis des décennies les grandes multinationales pharmaceutiques se procuraient 60 % à 80 % des principes actifs entrant dans la fabrication de leurs médicaments en Asie, pour l’essentiel en Chine et en Inde.

Dans ce contexte, un certain nombre de débats ont été ouverts : la criticité d’un certain nombre de produits est réévaluée et la sécurisation de leur production et des approvisionnements posée (garantie de disponibilité, stocks stratégiques…). On reparle même parfois de politique industrielle et de souveraineté économique et technologique.

Les acteurs au pied du mur, le grand retour de l'État

Le profond et brutal choc économique et social bouleverse les cadres d’action des firmes transnationales dont beaucoup sont très fragilisées par la crise, en faillite ou au bord du gouffre.. Selon les estimations de la CNUCED, les flux annuels d’investissements directs étrangers (IDE) devraient reculer de 35 %. Dans ce contexte, de très nombreuses firmes sont contraintes de recourir à leur État de référence pour obtenir des aides et socialiser leurs pertes. D’autant que les marchés financiers sont eux aussi très perturbés. Par rapport au dernier trimestre 2019, la valeur de la capitalisation boursière mondiale fond de -21 % pour tomber à 73 961 milliards de dollars (tableau ci-dessous). 

 
Le fort recul de la valeur de la capitalisation boursière mondiale
(milliards de dollars)
  4e trim. 2019 1er trim. 2020 Différence Diff. en %
Capitalisation mondiale 93 328 73 961 -19 366 -20,8
Amériques 40 855 31 794 -9 061 -22,2
Asie 31 021 25 606 -5 415 -17,5
Europe, Proche et Moyen Orient 21 451 16 561 -4 890 -22,8
Valeur des transactions 21 509 32 473 10 963 + 51

Source : WFE 

 

À la crise sanitaire s’ajoute une crise économique et sociale aigüe. Partout les économies sont mises à l’arrêt ou tournent en sous-régime. Les pertes économiques sont considérables comme en témoignent les reculs des produits nationaux ou des valeurs ajoutées. Dans l’Union européenne, c’est le plus grave recul depuis 1995, date de création des séries statistiques.

Bien renseigné, l’exemple des États-Unis est d’une grande clarté alors que l’ambition hégémonique trumpienne (« America first ») aboutit à un effondrement sanitaire, médical et social. La crise met en lumière la fragilité d’un système socio-économique reposant en particulier sur une hyperflexibilité du marché du travail, la faiblesse traditionnelle des systèmes d’amortissement et l’accès dual aux soins, qui repose principalement sur des prises en charge d’assurance privée par l’employeur. Un taux de chômage de 20 % signifie que 25 millions de personnes perdent leur couverture santé. À ceci s’ajoute un pilotage présidentiel délétère, voire catastrophique.

 
Les États-Unis, une puissance fragile ? Un profond choc économique, social et fiscal

Selon les données publiées par le CBO, le Congressional Budget Office, au second trimestre 2020, le choc économique et commercial est très violent : la richesse créée, saisie par le produit national brut, plonge de -40 %. Du fait du blocage à la fois de l’économie étasunienne et mondiale, les exportations de biens et de services de la première puissance économique mondiale  reculent de -70 % et les importations de -60 %.

Les conséquences sociales sont dévastatrices. Entre avril 2019 et avril 2020, le taux d’activité de la population tombe de 62,8 % à 60,2 %, soit son niveau de 1973, du fait du retrait de nombreuses personnes du marché du travail. La population active tombe de 162,54 à 156,48 millions de personnes, soit un recul de -6,43 millions. Ce processus n’empêche pas pour autant le taux de chômage d’exploser de 3,6 % à 15,8 % entre janvier et mai 2020, pour atteindre son plus haut niveau historique depuis la Grande Dépression des années 1930. Il est particulièrement élevé chez les jeunes de 16 à 19 ans (31,9 %), chez les Latinos (18,9 %) et dans une moindre mesure les Noirs (16,7 %). Il est vrai que l’emploi total recule de 152,7 à 129 millions (-23,7 millions de postes détruits, -15,5 %) et que le nombre d’heures travaillées s’effondre de moitié. On comprend dans ces conditions qu’en deux mois, plus de 36 millions d’Américains aient fait une demande d’allocation-chômage et que Donald Trump minimise la crise pour relancer la machine. 

Du fait de la paralysie du pays, les deux grosses locomotives tirant l’économie tombent en effet en panne. Jouant un rôle de premier plan en représentant 70 % du PIB tout en étant massivement dopée à la dette, la consommation des ménages s’effondre de -40 %. Alors que l’investissement recule de -52 %. Rappelons qu’en 2018, 40 % des Américains ne disposaient pas de plus de 400 dollars d’économie en cas d’urgence, sans vendre ou emprunter. Enfin, les dépenses des collectivités territoriales baissent de -22,5 %. Dans ces conditions, les recettes fiscales reculent de -55 % en avril alors que mécaniquement le déficit public explose. La seule dette fédérale doit dépasser les 101 % du PIB.


 

Selon l’Organisation internationale du travail, 81 % des 3,3 milliards d’actifs dans le monde sont affectés par les mesures de confinement et l’arrêt des économies. Les pertes horaires liées à l’arrêt des activités correspondent à la disparition d’environ 200 millions d’emplois entre avril et juin 2020. La crise sanitaire et ses corollaires économiques et sociaux ne font qu’exacerber les conditions préexistantes d’inégalité.

Document 2. Le taux de chômage aux États-Unis : une rupture spectaculaire

Taux de chômage aux Etats-Unis  

 

Dans les pays développés, la situation est alarmante. En France, entre le 2 mars et le 5 mai, le nombre de salariés placés en chômage partiel passe de 4 000 à plus de 12 millions, soit plus d’un salarié sur deux (documents ci-dessous). Au Royaume-Uni, 7,6 millions de personnes, soit 24 % de la population active, sont soit licenciées, soit au chômage partiel, soit connaissent de fortes réductions d’heures de travail et de salaires. Sont touchés en priorité les petits salaires (50 % à moins de 10 £/heure) et les moins qualifiés (40 %), du fait en particulier du fort dualisme du marché du travail.

Chomage partiel en France pendant coronavirus  
 
L’explosion du nombre de salariés français en chômage partiel

Chomage partiel en France pendant coronavirus par département carte  

 

Bien que mal documentée, la situation est sans doute encore pire dans les « Suds », en particulier du fait de la faiblesse des filets de sécurité sociale. Alors que le travail dans l’économie informelle est évalué à deux milliards de personnes, soit 60 % des actifs mondiaux, on assiste à une très forte fragilisation du travail informel comme en Afrique sud-saharienne, en Amérique latine ou en Asie du Sud et du Sud-Est. En Inde, les mesures très brutales et violentes de confinement annoncées le 25 mars 2020 ont piégé des centaines de millions de migrants ruraux travaillant souvent dans l’informel dans les grandes métropoles tout en les privant de ressources. En Thaïlande, qui connaît sa pire récession depuis la crise financière asiatique de 1997, on estime que 27 millions de travailleurs informels du tourisme, de la restauration, du divertissement et des services ont perdu leur emploi. En conséquence, la Banque mondiale estime que 50 millions de personnes pourraient basculer en 2020 dans l’extrême pauvreté.

Document 5. Le surendettement des États-Unis : une société et une économie à crédit

Endettement états-unis

Document 6. États-Unis : la montée de la dette fédérale depuis 1940 (% PIB)

Dette fédérale états-unis 1940-2020

Nous insisterons enfin sur les enjeux monétaires, fiscaux et financiers trop peu traités en géographie alors qu’ils conditionnent largement les dynamiques géopolitiques, géoéconomiques et territoriales. L’arrêt des économies se traduit par une explosion de la dépense publique. À la fin avril 2020, l’Italie ou l’Allemagne mobilisent l’équivalent de 35 % du PIB (aides, baisses d’impôts, prêts, garanties…). Au Royaume-Uni, l’effort budgétaire est de 104 milliards de livres (réductions d’impôts, subventions, dépenses publiques nouvelles…) et de 330 milliards de livres de garantie de l’État pour prêt aux entreprises. Le tout s’accompagne de pertes fiscales considérables : 100 milliards d’euros sur 2020-2024 en Allemagne. Et donc d’une explosion historique de l’endettement public : la dette publique française doit passer de 98 % à 115 % du PIB entre 2019 et 2020 et le déficit budgétaire franchira les 9 %.

Conclusion

Une approche géographique de la pandémie de coronavirus démontre que la mondialisation n’est pas réductible à la seule échelle mondiale. Elle repose sur des territoires – locaux, régionaux, nationaux, continentaux – bien différenciés. Dans ceux-ci, deux niveaux d’échelle sont actuellement survalorisés : le micro-local et le national. Cette pandémie confirme aussi que cette mondialisation n’est en rien universelle, tant elle est révélatrice des inégalités humaines face à la maladie et à la mort. Elle rappelle que 8 % de la population mondiale bénéficie de 86 % de la richesse, alors que 73 % de la population mondiale ne dispose que de 2,4 %.

La pandémie révèle enfin une profonde crise de l’architecture géopolitique mondiale. Au delà de la rivalité États-Unis/Chine, c’est un monde a-polaire qui s’est affirmé durant quelques mois tant l’absence d’un quelconque leadership a été flagrante. Les puissances chinoise et étatsunienne en sortent fragilisées, l’Union européenne parcellisée, les puissances émergentes (Brésil, Russie, Inde, Afrique du Sud…) renvoyées à leurs graves faiblesses internes. Dans ce contexte, le système international de gouvernance collective, symbolisé par l’OMS, a été largement pris en défaut. Enfin, loin d’être réductibles à de simples gadgets, jamais les grands enjeux d’un véritable développement durable - en particulier ceux tenant à la santé et à l’éducation, en référence aux 17 grands objectifs du Millénaire - n’ont été posés avec une telle acuité à une telle échelle. Le pangolin du marché du Wuhan contraint l’humanité à penser universalité.

Version abrégée. Retrouvez le texte intégral de cet article en cliquant ici.

Bibliographie indicative

Sources et pistes
Publications récentes de l’auteur
  • Laurent Carroué, Atlas de la mondialisation. Une seule terre, des mondes, Coll. Atlas, Autrement, 2em ed, Paris, 2020.
  • Laurent Carroué, Géographie de la mondialisation. Crises et basculements du monde, Coll. U, Armand Colin, Paris 2019.

Sur Géoconfluences

Sur le site Géoimage du CNES

 

Laurent CARROUÉ
Inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, directeur de Recherche à l’IFG - Université Paris VIII.

Texte publié le 27 mai 2020.

 


Jean-Christophe Gay : L’épidémie de Covid-19 en France d’outre-mer

Le 15 juin 2020 débutait une nouvelle phase de déconfinement en France. Avec cette troisième étape, les visites en ÉHPAD peuvent reprendre et l’ensemble des restaurants et cafés rouvre. Tout le pays passe en zone verte, sauf la Guyane et Mayotte. Comment expliquer que ces deux départements d’outre-mer, à plusieurs milliers de kilomètres l’un de l’autre, se retrouvent dans une telle situation ? Comment se sont déroulés cette pandémie et le confinement de la population en France d’outre-mer (FOM) ?

Une épidémie plus tardive et moins virulente qu’en métropole

Au premier abord, l’épidémie semble bien moins virulente en FOM qu’en métropole, dans un rapport de 1 à 20, avec seulement 63 décès pour 2,8 millions d’habitants, soit 22 décès par million d’habitants, contre 440 décès par million d’habitants en métropole (carte ci-dessous).

La situation en FOM le 15 juin 2020

carte des cas covid-19 outre mer français

 

Les premiers cas ont été détectés tardivement en FOM, puisque c’est seulement le 1er mars qu’on les dépiste à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Le 4 mars, cinq résidents, dont trois enseignants et un pasteur de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, sont confirmés. Ils ont tous participé au fameux rassemblement évangélique qui s'est tenu à Mulhouse du 17 au 24 février, un des principaux foyers de la pandémie en France. Le lendemain, c’est au tour de la Martinique d’être touchée. La Réunion est concernée le 11 mars tout comme la Polynésie française. Le lendemain, c’est la Guadeloupe, suivie de Mayotte deux jours plus tard. La Nouvelle-Calédonie est atteinte le 18 mars et Saint-Pierre-et-Miquelon le 4 avril, alors qu’à Wallis-et-Futuna aucun cas n’a été confirmé jusqu’à aujourd’hui. On constate la rapidité de cette diffusion, provenant pour l’essentiel de personnes venant de métropole, mais également de quelques passagers de paquebots de croisière présentant des symptômes du covid-19 et débarqués dans les Antilles françaises. Hormis dans le Pacifique, le confinement débute comme en métropole le 17 mars et se termine le 11 mai, toutefois il semble moins suivi en Martinique et en Guadeloupe, où les autorités prennent des mesures plus coercitives à l’approche du weekend pascal, avec la fermeture de tous les commerces, y compris alimentaires. Les liaisons aériennes ont été interrompues, ce qui a plongé de nombreux étudiants ultramarins suivant leurs études en métropole dans la détresse, confinés dans des conditions très difficiles et dans l’impossibilité de retrouver leur famille.

Des situations très différenciées

Au 15 juin 2020, la morbidité due au coronavirus est partout beaucoup plus faible en FOM qu’en métropole, mais les différences sont considérables, notamment entre d’une part les collectivités françaises du Pacifique, très peu touchées, et d’autre part, les départements français d’Amérique, Saint-Martin ou encore Mayotte (graphique ci-dessous). Une première explication tient à la distance à la métropole. Les échanges extérieurs de personnes et de marchandises de la FOM se faisant essentiellement avec la métropole, la distance et l’intensité des mobilités avec celle-ci jouent un rôle fondamental. Ce n’est pas un hasard si Wallis-et-Futuna, la plus isolée des collectivités ultramarines, n’a pas été touchée par le virus.

Taux de mortalité due au covid-19

nombre de morts par million d'habitants

 

D’autres facteurs interviennent et vulnérabilisent différemment la FOM. Ainsi, la Martinique et la Guadeloupe connaissent aujourd’hui un vieillissement accéléré de leur population. La part des plus de 60 ans en Martinique dépasse désormais celle de métropole, avec 25,8 % contre 25,1 % en 2016, la Guadeloupe étant un peu en retrait avec 23,5 %. Cette situation nouvelle est un défi pour ces deux DOM, car il faut créer un parc d’Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (ÉHPAD) et augmenter l’offre en soins à domicile. En 2015, la Guadeloupe ne compte que 35 places en ÉHPAD pour 1 000 personnes de plus de 75 ans contre 122 en métropole selon le rapport parlementaire des députées Atger et Bareigts sur le Grand âge dans les outre-mer (Assemblée nationale, 6 février 2020). Paradoxalement, ce sous-équipement a peut-être sauvé des vies par un moindre regroupement qu’en métropole des personnes très âgées et donc très fragiles face au virus.

Dans les Antilles, la question coloniale a resurgi lors du déconfinement avec une affiche de la préfecture de la Martinique sur la « distanciation sociale » qui crée un tollé aux Antilles et en métropole (ci-dessous). Publiée le 22 mai sur les réseaux sociaux, elle est retirée le lendemain face à une polémique qui monte et qui accuse les services de l’État de racisme et de colonialisme, révélant la sensibilité du sujet aux Antilles. Jean-Luc Mélenchon parle de « honte » quand d’autres expliquent qu’il s’agit d’images insultantes. En Polynésie française, on a aussi cherché à trouver des équivalents locaux aux distances métriques : le ministère du tourisme recommande un espace de « six cocos » entre deux personnes, tandis que le Conseil économique, social et culturel (CESEC) invite à un écart de « douze tupa », des crabes de terre (ci-dessous), sans que cela fasse polémique, mais le contexte communautaire est bien différent de celui des Antilles.

Les cinq ananas et la distanciation sociale en Martinique

distanciation physique 5 ananas

Source : préfecture de la Martinique

Les douze tupa et la distanciation sociale en Polynésie française

distanciation physique 12 tupas

Source : Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française (CESEC)

Une épidémie non maîtrisée en Guyane et à Mayotte

Intéressons-nous maintenant aux deux collectivités qui ont focalisé l’attention depuis trois mois et dans lesquelles l’état d’urgence sanitaire a été prolongé jusqu’au 30 octobre 2020. Mayotte a inquiété dès le début de l’épidémie, d’autant que ce jeune département connaît aussi une épidémie meurtrière de dengue depuis plusieurs mois. Le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Mistral y arrive le 4 avril pour une mission de soutien logistique dans le cadre de l’opération « Résilience ». Venu de La Réunion, le bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM) Champlain rejoint également Mayotte avec à son bord, outre des équipements de protection, une citerne d’oxygène liquide et de l’alcool pur pour fabriquer du gel hydro-alcoolique.

Mayotte est le seul territoire ultramarin en rouge sur la première carte préparant le déconfinement, fin avril, alors que la Guyane est en vert. Dans ce DOM, la situation s’est détériorée tardivement. Le 11 mai, le déconfinement débute en Guyane, mais on constate tout de suite des rassemblements et une baisse de la vigilance. Concomitamment, l’épidémie s’intensifie au Brésil et gagne du terrain dans l’État fédéré voisin de l’Amapa. La commune frontalière d’Oiapoque devient un foyer épidémique pour la Guyane, malgré la fermeture de la frontière le 19 mars. Le 10 juin, un reconfinement partiel dans 14 communes, dont l’agglomération de Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni, est décidé. Les réunions de plus de dix personnes sont interdites tout comme la circulation du samedi 21 heures au lundi 5 heures, avec une autorisation de circuler pendant une heure dans un rayon d’un kilomètre autour de son domicile. Le reste de la semaine, le couvre-feu est établi de 21 heures à 5 heures. Les élections municipales du 28 juin sont reportées contrairement à Mayotte où elles sont maintenues. Un reconfinement général est désormais envisagé sur l’ensemble du territoire guyanais et de nouveaux moyens sont dépêchés pour combattre le virus, avec la mise en place d’un hôpital de campagne à Cayenne dans les prochains jours en cette fin de mois de juin.

Si la population dans ces deux départements est très jeune, plusieurs facteurs les fragilisent. Nous avons choisi six indicateurs permettant d’aborder la situation des deux départements et de la comparer à la métropole (tableau ci-dessous). Tout d’abord le confinement est très difficile à appliquer par une chaleur accablante et quand une part importante de la population occupe des logements de fortune. En Guyane, près de la moitié de la population est concentrée dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). À Mayotte, cette part atteint les deux tiers, et un logement sur trois n’a ni l’eau ni l’électricité. Il s’agit donc d’« habitations de fortune ». Kawéni, avec 12 000 habitants, est le plus grand bidonville de France. Deux tiers de sa population occupent un logement considéré « sans confort ». La promiscuité y est très forte et il est nécessaire d’aller chercher à manger tous les jours. Les règles de confinement ont peu été respectées avec des rassemblements importants, notamment le soir pour assister à des combats de mouringués, variante locale de la capoeira brésilienne, ou dans les mosquées avec le ramadan, période propice aux rassemblements. Le système de santé y est très médiocre, ce qui a nécessité des dizaines d’évacuations sanitaires (évasan) vers La Réunion, alors que les premières évasan de la Guyane vers la Martinique ont été organisées le 18 juin. Dans un tel contexte on peut s’étonner que l’épidémie n’ait pas été plus virulente, d’autant qu’il existe des facteurs de comorbidité avec de graves pathologies associées à l’obésité, comme le diabète, l’hypertension artérielle, et l’hypercholestérolémie. L’obésité est un vrai fléau, atteignant d’abord les populations les plus défavorisées et touchant 47 % des Mahoraises !

 
Quelques indicateurs d’inégalité sociale
  Chômage  (en %) en 2018 IDH en 2010 Population vivant dans un QPV en 2016 (en %) Population masculine en surpoids ou obèse (en %) Population féminine en surpoids ou obèse (en %) PIB/hab. (en euros) en 2018
Guyane 19 0,750 43 48 48 15 300
Mayotte 35 0,637 66 52 79 9 200
Métropole 8,8 0,883 7 54 44 33 000

Sources : INSEE, ministère de l’Outre-Mer, ministère de la Cohésion des territoires, Agence française de développement (AFD) et Méjean et al. (dir.), 2020.

 

Une épidémie en période référendaire en Nouvelle-Calédonie

À l’opposé, le confinement a été de courte durée dans l’océan Pacifique et l’épidémie n’a eu que peu de conséquences sanitaires. Il a débuté le 20 mars en Polynésie française et a été allégé à partir du 20 avril, sauf à Tahiti et Moorea où on a attendu le 29 avril. Les « archipels » ont totalement été déconfinés à partir du 13 mai, rappelant que les 60 cas confirmés de covid-19 n’ont concerné que Tahiti et Moorea. L'alcool a été interdit pendant un mois. Sa vente a repris à compter de lundi 20 avril, mais uniquement pour le vin, la bière et les autres alcools de moins de 15°.

La Nouvelle-Calédonie a été le territoire français au confinement le plus court, débutant le 24 mars pour s’achever à partir du 20 avril. Seuls 21 cas y ont été recensés. Pourtant l’épidémie a eu d’importantes conséquences… politiques. Il faut dire que le contexte actuel est tendu, entre le premier et le deuxième référendum d’autodétermination, et à la suite des élections provinciales de 2019, lors desquelles la droite modérée a essuyé une défaite cinglante au profit de non-indépendantistes beaucoup moins accommodants. Paradoxalement, la question de l’épidémie s’est manifestée très tôt, puisque dès la fin janvier dans les îles Loyauté les croisiéristes australiens sont persona non grata. Une banderole « Stop aux paquebots » est déployée à Maré. La crise du virus H1N1 de 2009 revient dans les mémoires, avec la crainte que les croisiéristes contaminent la population, un épisode en partie à l’origine de l’arrêt définitif des croisières à Ouvéa il y a plus de dix ans. Plus profondément, ces virus rappellent l’introduction par les Occidentaux, à partir de la fin du XVIIIe siècle, de microbes ou de virus allogènes à l’origine d’épidémies meurtrières (rougeole, variole, grippe, etc.) ou de pathologies dégénératives du type tuberculose ou syphilis, dont le bilan démographique a été catastrophique, au point qu’on prédit à la fin du XIXe siècle la disparition des populations océaniennes.

En conséquence, dès le 1er février, les navires de croisière ne peuvent plus accoster à Maré. Le grand chef coutumier du district du Wetr prend la même décision à Lifou. La grande chefferie de l’île des Pins en fait de même. Ces îles, qui accueillent annuellement plus de 100 000 croisiéristes chacune, se privent pour une longue période d’une source de revenus fondamentale. L’épidémie envenime le débat politique, les indépendantistes accusant la droite et le haut-commissaire d’instrumentaliser la crise en assurant que sans la France, jamais la Nouvelle-Calédonie n’aurait pu s’en sortir. Des dissensions apparaissent également au sein des indépendantistes. La date du prochain référendum, prévu initialement le 6 septembre 2020, devient également une pomme de discorde. La droite loyaliste de L’Avenir en confiance, qui a gagné les élections provinciales, souhaite en finir au plus vite, car la période référendaire lui semble inhiber le développement économique de la Nouvelle-Calédonie. Inversement, la droite modérée de Calédonie ensemble et les indépendantistes souhaitent son report qui ne peut pas aller au-delà du 4 novembre, c’est-à-dire deux ans après la première consultation. Le Premier ministre propose de le repousser au 4 octobre, afin de permettre la venue des 250 délégués chargés de veiller à sa régularité. Or il existe un risque de ne pas pouvoir réunir et acheminer ces observateurs sur place dans des délais compatibles avec le contrôle sanitaire strict des frontières mis en place par le gouvernement néo-calédonien, à savoir deux semaines de quarantaine à l’hôtel auxquelles sont également soumises les missions des organisations internationales, dont celle de l’ONU pour le référendum. Appelés à donner un avis, les élus du congrès de la Nouvelle-Calédonie se sont prononcés pour une date plus tardive, le 25 octobre. Une affaire à suivre.

Qu’elle soit intervenue sur le terreau de la précarité ou dans un climat politique et économique délétère, avec les déconvenues de l’industrie du nickel en Nouvelle-Calédonie, cette crise sans précédent a des conséquences considérables, notamment sur la fréquentation touristique. De la Caraïbe au Pacifique, on attend désormais le retour des touristes avec impatience.

Bibliographie

Sur Géoconfluences

 

Jean-Christophe GAY
Professeur des universités, IAE de Nice, université Côte d’Azur

Publié le 23 juin 2020.

 


Jean-Christophe Gay : Réflexions microgéographiques sur les limites dans la vie quotidienne au temps du covid-19

Dans notre essai sur les limites spatiales (Gay, 2016), nous proposions trois catégories anthropologiques pour les comprendre à toutes les échelles, correspondant à leurs trois fonctions. Nous distinguions ainsi les limites d’appropriation, des limites d’organisation et de protection. Nous montrions que de nombreuses limites combinaient en fait deux voire trois fonctions (fig. 1). L’épisode pandémique que nous sommes en train de vivre apporte du grain à moudre à notre réflexion sur la tomogenèse, la production de limites (Gay, 2013), à rapprocher de l’activité aphrogène (d’aphro « écume ») développée par le philosophe Peter Sloterdijk (2003). Par ce court texte, nous voudrions ouvrir quelques pistes qui nous semblent fructueuses.

Les trois fonctions des limites

schéma limites JCGay

Source : J.-Ch. Gay, 2016.

 
Les distances interpersonnelles

Depuis le début de l’épidémie, il est beaucoup question de « distanciation sociale », syntagme qui semble être la traduction de social distancing, que les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), principale agence fédérale étatsunienne de santé publique, expliquent ainsi : « also called “physical distancing,” means keeping a safe space between yourself and other people who are not from your household. To practice social or physical distancing, stay at least six feet (about two arms’ length) from other people who are not from your household in both indoor and outdoor spaces (Également appelée « distanciation physique », elle signifie garder un espace de sécurité entre vous et les personnes ne faisant pas partie de votre foyer. Pour respecter la distanciation sociale ou physique, restez à au moins six pieds, soit la longueur de deux bras [environ 1,83 m, NDT], des personnes ne faisant pas partie de votre foyer, aussi bien en extérieur qu’en intérieur). » (www.cdc.gov). Le choix de cette traduction littérale est malheureux, d’abord parce qu’il utilise le terme « distanciation », qui dans son acception la plus courante signifie le rejet de relations entre les classes sociales, rendant l’expression pléonastique. Ensuite, et plus fondamentalement parce que les télécommunications actuelles permettent des relations sociales intenses même à distance. Il aurait été préférable et plus simple d’évoquer le respect des « distances physiques » ou des « distances de sécurité ».

Les situations sociales sont des situations spatiales et s’intéresser à l’espace personnel c’est prendre en compte le contexte social. Or, les modèles éthologiques ont influencé nombre d’auteurs, tel Edward Hall (1966) qui a fait de l’espace personnel une aire aux frontières invisibles entourant le corps, un territoire qui nous suit et nous protège. « Se laisser marcher sur les pieds » c’est se laisser faire, donnant ainsi une valeur concrète au verbe « empiéter », qui est le fait de déborder sur le territoire de quelqu’un avant d’être, par extension, le fait de s’arroger les droits de quelqu’un. On a assimilé cet espace personnel à une bulle, une coquille, un anneau, une aura… Ainsi Konrad Lorenz (1903-1989) affirme que « quiconque a l’habitude de voyager par train, a pu observer que les gens de la meilleure éducation ont un comportement atroce envers les étrangers lorsque la défense territoriale de leur compartiment de chemin de fer est en jeu » (1963, p. 270). Cet instinct de propriété est à relativiser car la distance entre les individus dépend du contexte. Plus la relation entre les partenaires est intime et plus la distance est proche : ne nomme-t-on d’ailleurs pas « proches » les parents ou amis intimes.

Dans certaines situations de crise, comme durant les épidémies, ces distances interpersonnelles sont régulées par la loi et les États. Mais ce ne sont pas les seules. Par exemple, aux États-Unis, les protestations contre l’avortement devant les cliniques qui le pratiquent ont donné lieu à un arrêt important de la Cour suprême en 2000 (Hill v. Colorado), appelée « bubble law », parce que cette loi crée deux bulles. La première (fixed buffer zone) trace virtuellement une zone de 100 pieds (30,54 m) entre les manifestants et les entrées des cliniques, pour protéger les docteurs et les patientes, harcelés par les sidewalk counseling (conseils de trottoir), une stratégie des militants anti-avortement qui cherchent par le dialogue et d’autres moyens de pression à faire revenir sur leur position les femmes qui souhaitent se faire avorter et les praticiens qui font ces interruptions volontaires de grossesse. La seconde (floating buffer zone) est de huit pieds (2,44 m) et interdit toute pénétration de manifestants, peu importe l’objet de leur action, dans la bulle mobile entourant les personnes ou leur véhicule entrant dans la clinique (Mitchell, 2005, p. 78-79).

Durant les crises sanitaires du SRAS et de la grippe A, on a vu les pouvoirs publics et les institutions prendre des mesures et donner des conseils sur les bonnes distances à respecter entre les individus. Par exemple, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommandait en 2009 de se tenir à plus d’un mètre des personnes présentant les symptômes de la grippe H1N1 ou d’éviter de se trouver dans des lieux bondés. Cette distance est celle qui a été retenue par la France, mais aussi par la Chine, le Danemark ou Singapour, alors que d’autres pays ont opté pour des distances plus importantes lors de la pandémie du covid-19. En Australie, en Belgique, en Grèce, en Allemagne, en Espagne, au Portugal ou à Monaco on conseille de se tenir à au moins 1,5 m des autres. En Suisse, en juin 2000, cette distance a été ramenée de 2 m à 1,5 m. Aux États-Unis, unité impériale oblige, elle est de six pieds (1,83 m). Pour rendre plus concrètes ces distances et surtout pour apporter une dose d’humour dans une période tragique, différents équivalents locaux ont été trouvés, comme un alligator en Floride ou sept pan bagnats à Nice (cf. notre texte sur la pandémie du covid-19 en outre-mer). Toute une série de marquages au sol (lignes, cercles, croix…) ont été peints pour matérialiser ces distances.

Si de nombreux États ont donc décidé, par sécurité, de rajouter quelques décimètres aux recommandations de l’OMS, la question de la densité d’occupation de certains lieux a fait l’objet de choix de la part des autorités locales, comme les plages où les règles d’usage et de dispersion des plageurs, telles que décrites par N. Ashcraft et A. Scheflen (1976) ou par P. Haggett (2001) ont été modifiées. Après la phase des « plages dynamiques » en début de confinement en France, c’est-à-dire l’utilisation de la plage uniquement comme lieu de déambulation ou d’accès à l’eau avec bannissement de la présence statique, différents dispositifs sont apparus pour inciter à un espacement important avec notamment des sacs posés sur les galets de la plage de Camporosso (fig. 2). Les jauges des salles ont été revues à la baisse à partir de surfaces minimales d’occupation découlant des distances de sécurité définies. En France, une surface minimale de 4 m² doit permettre de garantir une distance minimale d’un mètre autour d’une personne, dans toutes les directions. Dans un État fédéral comme l’Australie, la figure 3 montre la diversité des règles dans les huit États fédérés et territoires du pays, avant le reconfinement du Victoria début juillet 2020.

Repères d’espacement sur une plage de Camporosso (Ligurie, Italie)

Jean Christophe Gay — Distances physiques plage ligurie

Cliché : M. Gay, juillet 2020

Les restrictions liées au covid-19 en Australie au 1er juin 2020

Jean Christophe Gay — Restrictions en Australie

Source : 9 News

Assouplissement des restrictions liées au Covid-19 par État

Situation au 1er juin 2020

NSW : Nouvelle-Galles du Sud
VIC : Victoria
QLD : Queensland
TAS : Tasmanie
SA : Australie-Méridionale
ACT : Territoire de la capitale australienne
WA : Australie-Occidentale
NT : Territoire du Nord

Dining out : repas à l'extérieur
People at home : personnes à domicile
Outdoor groups/activities : groupes ou activités en extérieur
Regional travel : voyages régionaux
Beauty salons : salons de beauté
Indoor gyms : salles de sport
Museums, galleries, libraries : musées, galeries, librairies
Weddings : mariages
Funerals : enterrements
Places of worship : lieux de culte

Le masque et d’autres limites

Nous faisons appel à de multiples microlimites au quotidien. Il faut se protéger de diverses manières, en se vêtant, en construisant des abris, des tentes, des huttes, des maisons, des clôtures ou en utilisant des armures. La science-fiction a imaginé des exosquelettes. Les boucliers d’antan sont maintenant biologiques ou thermiques. Les vêtements viennent en renfort de notre peau et prêtent main forte à un corps conçu à l’époque classique comme une enceinte close, avec ses vigiles sensibles que sont nos sens (Vigarello, 2014, p. 35-36), mais néanmoins poreuse. Leur évolution et leur diversité reflètent le souci de se protéger du chaud, du froid, du sec ou de l’humide et l’appréciation sociale de ces éléments naturels. Mais face aux épidémies, les sociétés ont dû concevoir d’autres dispositifs avec les connaissances qu’elles avaient sur l’origine du mal. Face à la recrudescence de la peste, du XVIe au début du XVIIIe siècles, il a fallu s’organiser pour lutter contre cette « haleine du diable », ces « vapeurs vénéneuses » remontant des enfers et provoquées par la colère de Dieu. On s’est par exemple barricadé. Rappelons-nous que pour se protéger de la peste en 1720-1722, les Comtadins construisirent une muraille de 27 km de long, de près de 2 m de haut et 60 cm de large. Ce « mur de la peste » fut hélas inefficace et entre un cinquième et un quart de la population du Comtat Venaissin mourut. À une échelle plus fine et plus couramment on a utilisé des barrières olfactives avec des parfums utilisés pour repousser les exhalaisons putrides annonçant le danger. On portait ainsi des cuirasses et des casques odorants (Muchembled, 2017, p. 197) formant une bulle invisible autour des individus. Le costume du médecin de peste n’en est qu’une variante. Enrobé d’odeurs prophylactiques contre les miasmes, il se veut être totalement hermétique avec ses gants, ses lunettes, sa tige pour toucher ou repousser les malades et son masque en forme de bec d’oiseau (voir le texte d’Emmanuel Vigneron).

Si l’épidémie de SIDA a fait du préservatif un objet usuel, la plus fine des protections que l’on met sur la peau, le masque est devenu le symbole de la lutte épidémique à partir du XXe siècle. La découverte des microbes au XIXe siècle, l’épidémie de peste qui arrive en Mandchourie en 1910 ainsi que celle de la grippe espagnole de 1918-1919, sont à l’origine des masques tels que nous les connaissons aujourd’hui. Mais si les sociétés occidentales n’ont pas gardé la mémoire de cette grippe, il n’en va pas de même au Japon, où l’on utilise couramment les masques de protection depuis celle-ci et le tremblement de terre de Tokyo de 1923. Mais les débats que son port obligatoire a généré démontrent son autre fonction, organisationnelle celle-ci.

En français ou en anglais, l’usage d’un même mot pour les évoquer cache cette ambivalence. En chinois, les deux fonctions ne sont pas confondues : le masque de théâtre ou de déguisement s'appelle 面具=面 (visage) + 具 (outil). C’est un objet pour changer d'identité, se cacher, être un autre. Il doit couvrir tout le visage ou au moins la moitié du visage. Le masque contre les maladies s'appelle 口罩=口 (bouche) + 罩 (couverture), en cohérence avec les œillères (眼罩=眼 yeux + 罩 couverture) ou les cache-oreilles (耳罩=耳 oreilles + 罩 couverture). Il en va de même en japonais, avec le 覆面 (fukumen) qui sert à masquer son identité et qu’on utilise pour des masques à braqueurs ou pour désigner des vitres fumées de voiture. Il y a aussi le 仮面 (kamen) qui est le masque de festival, le 仮 (ka) renvoyant à quelque chose de temporaire, un moment où l’on a une autre identité. Enfin, pour les masques chirurgicaux que l'on porte depuis la pandémie, c'est le katakana masuku マスク qui l'emporte dans l'usage quotidien.

Le masque synonyme de frasques libertines et celui du soignant relèvent de deux principes tomogènes différents. Celui-là renvoie à un souci d’organisation ou de désorganisation du monde par la dissimulation ; celui-ci découle d’un souci de protection par la barrière constituée par le tissu. De la sorte, la controverse autour de l’obligation du port du masque dans certains lieux pendant la pandémie de covid-19 alors que la loi de 2010 interdit « le port de cagoules, de voiles intégraux (burqa, niqab…), de masques ou de tout autre accessoire ou vêtement ayant pour effet de dissimuler le visage » et que la loi anticasseurs de 2019, résultant du mouvement des « Gilets jaunes », crée « un délit de dissimulation volontaire du visage », tient dans le fait que le français ou l’anglais nomme de la même façon des objets aux fonctions très différentes, mais qui peuvent interagir. On peut faire l’hypothèse que l’usage marginal du masque en Occident avant la pandémie de covid-19 et son dénigrement tiennent dans le fait que l’importance du visage croît à l’aune de la place des individus dans la société. Plus celle-ci serait forte et plus masquer son visage aurait des conséquences sur les relations sociales.

Si le port du masque apparaît comme une protection efficace et une forme de politesse quand on est malade en Asie orientale, où l’on peut évoquer une véritable culture du masque (figure 4), il est synonyme de duperie en Occident. L’expression « jeter le masque » signifie se montrer sous son vrai jour. Erving Goffman démontre que la vie publique contraint de porter un masque virtuel que nous ôtons lorsque nous revenons à notre domicile (Goffman, 1967, p. 118). La domination masculine dans certaines sociétés impose aux femmes de se couvrir, parfois complètement, car la manifestation des signes de la féminité, telle que la chevelure, fait surgir des tensions dans des sociétés organisées autour d’un autocontrôle des pulsions différent des sociétés occidentales (Elias, 1939). Plus positivement, Roger Caillois avait sous-titré « le masque et le vertige » son maître ouvrage Les Jeux et les hommes (1958), dans lequel il montre pour les jeux de simulacre et de vertige que l’extase, les transes, les ivresses et les masques sont des éléments essentiels de la fête et de l’existence collective. 

Dans le métro de Tokyo avant l’état d’urgence sanitaire déclaré le 7 avril

Jean Christophe Gay — Masques dans le métro tokyo japon

Cliché : J.-Ch. Gay, 29 février 2020.

 

D’innombrables microlimites sont apparues dans notre quotidien avec cette pandémie, comme ces rubans de balisage ou Rubalise® qui sont venus condamner certains espaces pour éviter la promiscuité ou l’usage d’équipements à risque, ainsi que séparer les flux de piétons ou de clients. Le polyméthacrylate de méthyle (PMMA), plus connu sous le nom de Plexiglas®, a vu sa production bondir. Les usines fonctionnent à plein régime depuis deux mois. Les fabricants sont débordés, les délais de livraison se sont fortement allongés et la pénurie s’est installée, au point de proposer des produits légèrement colorés. Ce polymère est désormais partout présent dans les espaces collectifs, qu’ils soient privés ou publics (bureaux, services publics, cantines, pharmacies, etc.). Il est le principal matériau des visières antiprojections (face shields) et des masques transparents portés par certains soignants, commerçants ou serveurs. Il vient en urgence équiper les open spaces et se rajouter aux Hygiaphones, nom déposé en 1965, mais dispositif né lors de l’épidémie de grippe de 1945 qui contamina nombre d’agents de la SNCF, et qui contraint cette dernière à rechercher une solution pour protéger ses guichetiers, suivie par les PTT. À ces raisons sanitaires sont venues se rajouter des raisons sécuritaires quelques décennies plus tard. Cette installation munie d’un film vibrant, qui laisse passer le son mais pas les microbes, a connu son heure de gloire des années 1960 aux années 1980. Jadis synonyme d’une bureaucratie déshumanisée (cf. la chanson Hygiaphone du groupe Téléphone en 1978), elle n’a jamais été autant désirée. Le groupe Fichet qui le fabrique reconnaît une très forte augmentation de la demande (+ 40 % entre mars et mai) pour ce produit vieillissant tombé en désuétude avant que le covid-19 ne lui offre une nouvelle vie, dans les mairies ou les bureaux de poste notamment.  

Dans un grand magasin de la Côte d’Azur en juillet 2020

Jean Christophe Gay — exemple sens de circulation dans un magasin

Cliché : J.-Ch. Gay, juillet 2020.

 
La revanche de l’automobile

Avec la pandémie, les transports publics sont devenus anxiogènes. L’obligation du port du masque et la promiscuité font du TGV, du train de banlieue, du bus, du tramway ou du métro des lieux de grande vigilance sanitaire. Ces espaces clos et collectifs inquiètent et plus de deux mois après la fin du confinement ils sont encore loin d’avoir retrouvé leur fréquentation habituelle. Cette désaffection n’est peut-être que passagère, mais elle témoigne d’une certaine défiance au profit de l’automobile, qui semble être la grande gagnante pour le moment de la pandémie. Encombrante, polluante et gourmande en énergie fossile, cette dernière n’a pas la faveur des défenseurs de l’environnement, qui se sont lancés dans une guerre aux véhicules à moteur diesel et aux SUV, l’abréviation de Sport Utility Vehicle.

On en oublierait que l’automobile est aussi synonyme de liberté, d’intimité et de sécurité. N’est-elle pas une cage de Faraday dans laquelle on peut se réfugier en toute tranquillité en cas d’orage ! Plus ordinairement, elle est une sorte de cocon ou de bulle, vécue comme un lieu sûr ou un sanctuaire (Fraine et al., 2007, p. 208). Elle est le premier habitacle de l’intimité de l’adolescent depuis plus d’un demi-siècle aux États-Unis où, précocement grâce aux drive-in, on peut y manger ou voir un film sans en sortir. Elle est le théâtre des premiers flirts dans ces lieux réservés aux amoureux que l’on nomme lover’s lane. En Italie du Sud, c’est le lieu fréquent de moments de tendresse et d’amour des jeunes couples en quête de sexualité mais sans appartement, en raison de la décohabitation familiale tardive, dans un contexte de crise économique chronique et de chômage touchant plus de 40 % des jeunes dans le Mezzogiorno. Selon Durex, les Italiens seraient les champions du monde de l’amour en voiture : 82 % d’entre eux ont déclaré y avoir eu des relations charnelles, contre 52 % des Français et 24 % des Japonais (2005 Global Sex Survey results, p. 19). La via Manzoni à Naples est devenue la « strada dell’amore » avec ces files de véhicules stationnés calfeutrées à l’aide de feuilles de journaux (Alison, 2012).

Le « drive » s’est démultiplié avec la pandémie. Il a pris de l’ampleur dans le commerce alimentaire, où il avait déjà fait ses preuves avec la vente en ligne. Il est apparu également dans le secteur non-alimentaire (bricolage, ameublement…). Les centres de dépistage du covid-19 se sont multipliés, notamment en formule drive. On reste aussi dans son véhicule pour d’autres services drive comme ceux que proposent les médiathèques et les bibliothèques. Après un effondrement des ventes d’automobiles, celles-ci repartent fortement, dopées par les aides des États. L’engouement pour les résidences secondaires et la quête d’une résidence principale en dehors des villes, à la suite du confinement, laissent présager un bel avenir à cette unité véhiculaire qui fait partie des territoires de notre moi.  Elle semble nous protéger des maladies que nos concitoyens propagent, à la différence des transports collectifs qui les mettent en commun. Dans un monde du « sans contact », l’automobile renforce nos limites individuelles et rassure.

Je remercie Ran Zhao (université de Ningbo) et Sophie Buhnik (Institut français de recherche sur le Japon, Maison franco-japonaise, Tokyo) pour leurs éclairages sur les mots chinois et japonais signifiant « masque ».

Bibliographie

  • Alison I., 2012,  “Park and Ride: Young Italians are reviving the once popular pastime of car sex”, The Independent, 28.1.12.
  • Ashcraft N. et Scheflen A. E., 1976, People Space. The Making and Breaking of Human Boundaries, Garden City (New York), Anchor Press.
  • Caillois R., 1958, Les Jeux et les hommes. Le masque et le vertige, Paris, Gallimard.
  • Elias N., 1939, Über den Prozess der Zivilisation (tome 1), trad. française, 1973, La Civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy.
  • Fraine G. et al., 2007, “At home on the road? Can drivers’ relationships with their cars be associated with territoriality?”, Journal of Environmental Psychology, vol. 27, n° 3, pp. 204-214.
  • Gay J.-Ch., 2013, « Les traversées du quotidien », EspacesTemps.net [En ligne], mis en ligne le 23 septembre 2013.
  • Gay J.-Ch., 2016, L’Homme et les limites, Paris, Anthropos/Economica.
  • Goffman E., 1967, The Presentation of Self in Everyday Life, trad. française, 1973, La Mise en scène de la vie quotidienne. La présentation de soi, Paris, Minuit.
  • Haggett P., 2001, Geography. A Global Synthesis, Londres, Prentice Hall.
  • Hall E. T., 1966, The Hidden Dimension, 1971, trad. française, La Dimension cachée, Paris, Le Seuil.
  • Lorenz K., 1963, Das sogenannte Böse zur Naturgeschichte der Agression, 1969, trad. Française, L’Agression, une histoire naturelle du mal, Paris, Flammarion.
  • Mitchell D., 2005, “The S.U.V. model of citizenship: floating bubbles, buffer zones, and the rise of the ‘purely atomic’ individual”, Political Geography, vol. 24, pp. 77-100.
  • Muchembled R., 2017, La Civilisation des odeurs, Paris, Les Belles Lettres.
  • Sloterdijk P., 2003, Schäume. Sphären III, 2005, trad. française, Écumes, Paris, Hachette.
  • Vigarello G., 2014, Le Sentiment de soi. Histoire de la perception du corps, Paris, Le Seuil.

 

Jean-Christophe GAY
Professeur des universités, IAE de Nice, université Côte d’Azur

Publié le 3 septembre 2020.

 


Cynthia Ghorra-Gobin : La pandémie n’annonce pas la fin des métropoles

En France, les métropoles sont associées au développement économique et au principe de la connexion aux flux d’informations, de connaissances scientifiques et d’échanges internationaux. Elles se présentent comme les principales contributrices au PIB national et à l’inscription du pays dans la globalisation. Mais elles sont à présent perçues comme l’avant-poste du libéralisme économique et certains les opposent systématiquement aux territoires non-métropolitains jugés plus compatibles avec les modes de vie souhaités par une partie de la société. Ce récit d’une métropole limitée à sa seule dimension économique peut toutefois être revisité en rappelant le point de vue des chercheurs anglo-américains et en s’appuyant sur l’expérience de la pandémie.

La pandémie de Covid-19 peut représenter un moment privilégié pour se doter d’un imaginaire autorisant la prise en compte explicite de la complexité de la métropole. Et si la pandémie est reconnue comme un risque inhérent à la mondialisation et à la globalisation (Ghorra-Gobin, 2017), elle ne peut être combattue par sa simple remise en cause. En effet mondialisation et globalisation sont indissociables de leur lien avec la révolution numérique et se présentent comme des processus irréversibles. Certes les flux liés aux échanges commerciaux et au tourisme traditionnel seront moins intenses à l’avenir mais cela n’entraîne pas pour autant une démondialisation ou une démétropolisation. Il s’agit plutôt d’une étape majeure qui conduit à une maîtrise raisonnée des processus de mondialisation.

Aussi ce texte suggère-t-il de réaffirmer l’articulation de la métropole à plusieurs échelles à l’heure où la politique nationale s’inscrit dans une politique de différenciation territoriale et la reconnaissance avec d’autres pays européens d’un futur vaccin comme un « bien public mondial » (Festa et al., 2018). Il considère la métropole comme la figure symbolique d’une plus grande maîtrise de la mondialisation en même temps qu’elle réaffirme son ancrage local, c’est-à-dire dans les territoires.

La multidimensionalité des processus de métropolisation

La métropolisation fait référence à un ensemble de processus relevant de différents registres. Elle résulte de la restructuration économique liée à l’internationalisation du marché du travail qui s’instaure progressivement à partir des années 1980-90 et qui privilégie dans certains pays un ancrage dans l’économie de la connaissance après une phase industrielle. Elle participe également d’un processus de reterritorialisation et de reconfiguration spatiale de la ville, comme peuvent en témoigner l’invention de mots nouveaux par les chercheurs anglo-américains : edge city et cluster. Le premier renvoie à la concentration spatiale d’emplois en dehors de la ville-centre et à l’émergence de nouvelles polarités sur le territoire métropolitain. Le second traduit par l’expression « grappe d’entreprises » – que l’État encadre en France sous la forme de « pôle de compétitivité » – met en évidence le principe de la proximité spatiale des entreprises et des individus relevant d’un même secteur économique depuis qu’il est reconnu que la recherche exige d’être intégrée dans la production. La proximité spatiale serait en quelque sorte le garant de l’innovation (Massard et Torre, 2004).

L’idée d’une reconfiguration spatiale de la ville a été reprise par les experts du recensement aux États-Unis qui ont reconnu qu’elle ne se limitait pas uniquement à la grande ville et qu’elle concernait également les petites. Aussi le recensement différencie les « aires métropolitaines » des « aires micropolitaines ». Les premières s’organisent à partir d’une ville centre dont le chiffre de population est supérieur à 50 000 habitants alors que la population de la ville centre des secondes s’échelonne entre 10 000 et 50 000 habitants. En d’autres termes la reterritorialisation en lien avec la mondialisation touche l’ensemble des villes et non uniquement les grandes, et même dans certains cas les territoires ruraux (Bouba-Olga & Grossetti, 2019). Les conséquences de la crise actuelle sur les configurations spatiales de ce qu’on pourrait appeler les « micropoles » françaises ne sont pas encore connues, mais elles pourraient être importantes. D’où l’idée de mettre l’accent sur le principe d’une coopération interterritoriale entre les différents territoires issue de processus de reconfiguration spatiale (ibid.).

Quant aux politistes, ils insistent sur les avantages de la « mise en institution » de la métropole qui, au travers d’un Conseil métropolitain, se donne les moyens de mener une politique concernant les infrastructures, le social et l’environnemental. Il n’est plus question de se limiter au territoire d’une commune mais de construire une stratégie politique incluant l’ensemble des communes du territoire métropolitain et parfois aussi des territoires adjacents ou environnants. La trajectoire d’une métropole s’inscrit bien entendu dans la perspective du développement économique mais, en tant que structure spatiale et sociale, elle est également jugée fragile et vulnérable en raison des inégalités sociales et des risques liés à la non-prise en compte de l’environnement (biodiversité et changement climatique).

Le chercheur Myron Orfield qui dans le cadre de l’Institute of Metropolitan Opportunity (Université du Minnesota) a étudié des situations métropolitaines aux États-Unis insiste sur le rôle d’un Conseil métropolitain pour assurer la stabilité sociale et environnementale de la métropole. À Minneapolis-St Paul (Minnesota), le Conseil métropolitain a adopté le principe de la péréquation fiscale qui autorise les communes riches à redistribuer une partie de leurs recettes au bénéfice des communes pauvres. Ce qui permet de réduire en partie les effets de la ségrégation sociale et spatiale et d’éviter que la métropole se réduise au schéma de « la ville à trois vitesses » (Donzelot, 2010). Cette péréquation existe également dans les métropoles et intercommunalités françaises mais elle est rarement signalée dans les travaux sur l’institutionnalisation de la métropole.

À l’heure où certains d’entre nous réfléchissent au « monde d’après », il est temps de prendre distance avec la controverse franco-française opposant territoires métropolitains et territoires non-métropolitains pour reconnaître la multidimensionnalité de l’entité métropolitaine et des processus qui ont conduit à son avènement. Cette nouvelle posture permettrait de mieux saisir la nature de ses ancrages multiples (local, national, européen et mondial) et tout son potentiel à conforter dans un contexte de transition écologique.

Renforcer le local en ne perdant pas de vue le global

Pour aborder cette perspective rappelons que l’expérience du confinement a suscité et amplifié une autre question : celle de la biodiversité en ville. Flaminia Paddeu et d’autres ont fait l’éloge du recours à l’agriculture urbaine et la période de confinement lors de la pandémie de 2020 a validé le principe des circuits courts dans les flux de l’approvisionnement alimentaire des métropoles.

La question de l’agriculture urbaine est généralement associée à des périodes de crise. Elle a suscité des travaux menés notamment par le Cirad au titre de la « sécurité alimentaire » lors de la crise financière mondiale de 2008. L’essai de Nicolas Bricas dans la deuxième édition du Dictionnaire critique de la mondialisation (2012) souligne l’ampleur de la mobilisation sociale soulevée dans les métropoles des pays émergents. L’agriculture urbaine découle de la vulnérabilité urbaine (Pulliat, 2017).

En s’inscrivant dans la recherche de circuits courts pour assurer l’approvisionnement alimentaire des villes et métropoles, l’agriculture urbaine questionne la morphologie urbaine : la trame des espaces publics et la forme du bâti. Ce point de vue est remarquablement bien présenté par les géographes (Paddeu, 2020 ; Pulliat, 2017 ; Reveyaz et Poulot 2018). Dans le contexte de la pandémie qui a fait naître des craintes au sujet de la pénurie alimentaire, il est temps de s’interroger sur notre dépendance aux importations agricoles. En Île-de-France, l’agriculture urbaine concernerait déjà 73 hectares et à Paris 12 hectares, rappelle Paddeu qui insiste pour faire de l’agriculture urbaine une piste pour le « monde d’après ». Ce chiffre est certes encore très faible (0,01 % de la superficie agricole utile) mais rien n’empêche de réfléchir à un accroissement des superficies cultivées en milieu périurbain.

Renforcer l’ancrage spatial et local d’une métropole prenant en compte les territoires environnants au travers de l’agriculture urbaine et de circuits courts ne signifie pas remettre en question les flux à l’échelle mondiale, à condition de ne pas prétendre à l’autarcie. Toute politique visant à réduire la vulnérabilité de la métropole et à renforcer son autonomie peut être perçue comme des éléments d’un programme visant la régulation de la métropolisation. Elle présenterait l’avantage, en outre, de se traduire par l’invention de nouveaux liens avec les territoires environnants ou adjacents.

Retravailler cette articulation entre les différentes échelles dans une politique de transition écologique suppose en outre l’instauration de nouvelles modalités de dialogue avec les citoyens. Il s’agit de faire passer le statut du Conseil de la métropole d’une simple structure technocratique à celle d’une instance de codécision, comme pourrait l’incarner la métropole du Grand Lyon où depuis 2020 le Conseil de la métropole est élu par ses habitants.

Conclusion : la métropole, figure résiliente de la politique nationale

Réaffirmer le local de la métropole en ne perdant pas de vue le niveau global se comprend comme le ressort d’une politique de maîtrise de la métropolisation dans un contexte marqué par une pandémie. La métropole représenterait alors une figure résiliente pour « le monde d’après » où l’État adhère au principe de la différenciation. Il revient aux élus métropolitains et locaux ainsi qu’aux préfets régionaux de décider de l’extension du port de masques et des mesures réglementaires visant tout rassemblement. Mais rien n’empêche les responsables métropolitains de s’emparer sur le mode explicite d’une politique de la santé se différenciant du système de soins caractérisé par l’offre hospitalière et la médecine de ville pour insister sur le volet de la prévention. Une politique de la santé ne se limite pas à un programme en faveur de la pratique du vélo comme mode de déplacement privilégié, elle va jusqu’à inclure le choix de mesures visant à réduire les inégalités écologiques, comme l’indique la récente étude du Cerema pour la métropole de Lyon (Badin et al., 2020).

Si dans le « monde d’après », la métropole assure au niveau local un engagement pour le volet de la santé préventive dans sa politique d’aménagement urbain et l’invention d’une agriculture urbaine et périurbaine au travers d’une politique de coopération interterritoriale, son caractère multidimensionnel et non limité au seul registre économique serait renforcé. Elle ne remettrait pas en cause le principe de sa connexion aux flux de la globalisation, elle déclarerait une ambition de régulation. La pandémie n’annonce pas la fin des métropoles ; elle se présente comme une opportunité pour réaffirmer son ancrage local et développer une politique de cohérence territoriale, ce qui permet de réduire sa vulnérabilité et d’offrir une plus grande résilience face à toute forme de crise.

Quelques références

 

Cynthia GHORRA-GOBIN
Directrice de recherche émérite CNRS-Creda, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3

Publié le 5 octobre 2020.

 


Alain Gascon : Éthiopie et Corne de l’Afrique : coronavirus, élections et guerres

Proche des clusters du virus identifiés dès le printemps 2020 en Égypte, au Yémen et au Kenya, la Corne de l’Afrique est, depuis l’été 2020, affectée par la pandémie. Celle-ci a d’abord atteint la capitale et les villes d’Éthiopie où le port du masque s’est généralisé ainsi que le montrent les photos de presse et la télévision. Le Premier ministre Abiyy Ahmäd, prix Nobel de la paix 2019, craignant qu’elle ne gagne les hautes terres densément peuplées, a décidé du report des élections prévues en mai 2020, d’abord en septembre, puis le 5 juin 2021. Elles ont finalement été organisées dans la précipitation le 21 juin 2021. Passant outre, le président de la région-État du Tigré, au nord, a organisé le vote en septembre 2020. Entré en rébellion début novembre 2020, il accuse le gouvernement fédéral d’avoir retardé le scrutin dans le but d’affaiblir son parti, héritier du Front populaire de libération du Tigré (FPLT) qui chassa Mängestu en 1991 et s’est retranché dans son sanctuaire régional. Toutefois, la pandémie menace ; dès le printemps 2020, on l’a signalée à Djibouti (Mohammed Ismaël et al., 2020), sans doute venue par le port, l’aéroport et les bases militaires étrangères implantées sur son territoire. Or, unique fenêtre maritime de l’Éthiopie, la cité-État est désormais reliée à Addis Abeba par une voie ferrée électrifiée, une autoroute et à l’ensemble du pays par le réseau routier. Ethiopian Airlines a, en outre, fait de la capitale un hub qui desservait toute l’Afrique jusqu’à la chute récente du trafic aérien. Dans la Corne, la transition urbaine, soutenue par le vif essor démographique, accélère la mobilité et les regroupements de la population. Aux migrants ruraux s’ajoutent les réfugiés parqués dans des camps aux frontières et les déplacés internes chassés par les troubles internes et maintenant par la guerre au Tigré. Tous ces intenses mouvements « browniens » contribuent à la diffusion de la pandémie dans un contexte économique et sanitaire précaire. De plus, les peuples portent encore les stigmates des conflits et des sévères famines, épizooties et épidémies subis tout au long du XXe siècle. Au début de 2020, on a pensé que l’Afrique sub-saharienne et donc la Corne et l’Éthiopie, résistaient au déferlement de la vague mondiale de la Covid-19 (Marzin, 2020). Le « retard » de la pandémie y était-il dû à l’isolement, au cloisonnement du relief, aux contrastes climatiques, à des facteurs génétiques ou culturels propres aux populations (Caramel ; Soy ; Rich, 2020) ? Ce court article, fruit de 50 ans de recherches en Éthiopie où je fus témoin des épidémies de choléra et de sida, n’a qu’une portée rétrospective et n’est absolument pas prospectif.

Carte Éthiopie

Carte de localisation de l'Éthiopie.

« La montagne la plus peuplée du monde » (Jean Gallais, 1989)

« L’empire du milieu » de la Corne de l’Afrique (Gascon, 2002) s’enracine sur les hautes terres couronnées d’énormes volcans et fracturées par le Rift et de formidables canyons, un relief compartimenté qui freine la diffusion du virus. Elles surmontent les périphéries basses, chaudes et arides (littoraux, triangle Afar, Ogadén, confins soudanais), que parcourent, entre piémonts et vallées des fleuves pérennes, des éleveurs nomades. Épargnés par le paludisme et la trypanosomiase, les étages « tempérés » et froids, au-dessus de 1800-2000 m, — un tiers du territoire — regroupent 80 % des 112,1 millions d’Éthiopiens (deuxième État africain le plus peuplé) et des 3,5 millions d’Érythréens (P&S, 2019). Sur ces plateaux se pressent des foyers compacts de peuplement (plus de 250 habitants/km2, jusqu’à 600). Au nord de la capitale, on pratique, depuis l’Antiquité, la céréaliculture à l’araire, alors qu’au sud-ouest dominent les plantations de café et de faux-bananiers (Ensete ventricosum) et de tchat (Catha edulis), au sud-est. Les paysans dépendent, surtout au Nord, des pluies d’été erratiques dont les irrégularités sont à l’origine des disettes récurrentes. Ces conditions difficiles aggravées par les guerres et les endémies, n’ont pas empêché le quadruplement de la population depuis 1970 !

Lors de la soudure pendant les pluies, les paysans sous-alimentés qui se pressent sur les hautes terres, certes compartimentées, seraient un terrain propice à la propagation du virus. En saison sèche, les fortes amplitudes thermiques journalières freineraient sa diffusion, mais les récoltes, les grandes célébrations religieuses et les pèlerinages sont l’occasion de regrouper des foules. Les pasteurs nomades, dispersés sur de vastes piémonts, fréquentent régulièrement les marchés et les points d’eau. Les témoignages oraux et écrits (chroniques royales, vies de saints, mémoires des missionnaires et récits de voyageurs) rapportent les ravages des endémies (lèpre, tuberculose, gastro-entérite, malaria) et des vagues épidémiques : pestes animales, choléra, — et même la grippe dite « espagnole » rapportée du front par le Bataillon somali — que les autorités politiques, religieuses et coutumières, tant à l’échelon national que régional et local, combattent comme elles le peuvent…

Deux mille ans d’encadrements

Les Éthio-Érythréens, chrétiens monophysites [täwahedo] — environ 60 % de de la population — des plateaux du Nord et musulmans, dans les périphéries basses et les montagnes de l’Ouest, de l’Est et du Centre-Ouest, partagent une histoire millénaire faite de maladies, de famines et de guerres. La tradition faisait obligation aux negus de secourir, usant des « techniques d’encadrement » (Gourou, 1986 ; Taillard, Sautter, Durand-Dastès, 1984), les victimes des calamités. Ce furent ces mêmes cadres, entre-temps formés aux techniques d’éducation et de santé calquées sur le modèle européen, qui menèrent la résistance à la menace coloniale. Ainsi, en 1970, face au choléra, le gouvernement prescrivit les vaccinations tandis que l’Église éthiopienne organisait des prières publiques. Lors des grandes famines (1974 et 1985), les juntes militaires d’Éthiopie et de Somalie et les fronts rebelles mobilisèrent les associations communautaires, votives, funéraires, claniques et confrériques d’entraide, mais n’hésitèrent pas à expulser les ONG étrangères récalcitrantes. Depuis la chute de la dictature, le pouvoir éthiopien a réhabilité les encadrements traditionnels afin de lutter contre le sida. Il a démenti la rumeur qui attribuait la fabrication du virus aux étrangers ou à la colère de Dieu. Des émissions didactiques à la télévision et des affiches, jusque dans les taxis, expliquaient comment prévenir l’épidémie.

Désormais, les populations exigent l’ouverture de dispensaires, cliniques et postes de santé à mesure que s’étoffe le réseau des pistes et des routes si bien que l’Éthiopie, selon la BBC, était parmi les États africains les plus aptes à lutter contre la pandémie (Soy, 2020). Les églises pentecôtistes (Dewel, 2014), qui gagnent constamment du terrain et représentent aujourd’hui près de 20 % des Éthiopiens,  fortement implantées à Addis Abäba et dans le Centre et le Sud-Ouest, ainsi que les diasporas en Europe, aux États-Unis et dans le Golfe soutiennent l’amélioration du système de santé. Il demeure insuffisant dans les camps de réfugiés, de déplacés et de migrants et dans les villes submergées par l’exode rural, notamment la capitale qui compte, maintenant, 5 millions d’habitants. En 2010, 92 % de ses habitants avaient accès à l’eau potable (Guitton, 2012), mais la municipalité n’est pas capable de traiter les ordures et les eaux usées (Bjerkli, 2013 ; Pierrat, 2019). En outre, la rénovation urbaine « à la hache », en éliminant l’habitat spontané, a dispersé dans la ville les populations les plus précaires, fragiles face au virus (Healthcare, 2020). Il est à craindre que l’extension du réseau ferré et la reprise du trafic aérien n’y augmente encore les occasions de contagion et il est sûr que la guerre au Tigré qui mobilise l’armée et les milices, qui a détruit l’habitat et les infrastructures et a chassé des milliers de réfugiés, ne manquera pas de provoquer la recrudescence de la pandémie.

Le « lion éthiopien » entravé

Mälläs Zénawi (1991-2012) a ouvert l’économie de l’Éthiopie sur le monde. Étroitement encadré par l’État et financé par les IDE (investissements directs étrangers), ce développement, à marche forcée, attire les industriels en leur fournissant de l’électricité abondante et à bas prix et une main d’œuvre bon marché et docile. Bien desservis, les parcs industriels et urbains sont censés pourvoir à l’emploi à la fois des diplômés et des ruraux qui affluent des hautes terres. Depuis 15 ans, le gouvernement revendique un taux de croissance économique annuel à deux chiffres pour le « lion éthiopien », supérieur au rythme de l’essor démographique du pays. Il pourrait, en effet, compter 200 millions d’habitants en 2050 car, en 50 ans, la mortalité infantile a été divisée par cinq et l’espérance de vie à la naissance dépasse 65 ans (Bulac 2017 ; P&S, 2019). La jeunesse de sa population (40 % de moins de 15 ans) explique sans doute sa résistance à l’épidémie, de même que son régime alimentaire frugal qui, marqué par les interdits (porc, gibier) et les jeûnes (deux jours par semaine et avant chaque fête religieuse), limite les cas d’obésité, facteur de comorbidité du Covid-19. Jusqu’à présent, l’Éthiopie a évité une crise des ciseaux, en en limitant les conséquences, mais les périphéries urbaines, qui accueillent l’exode rural, s’étalent, ainsi qu’on l’observe dans la capitale et sa conurbation (Gascon et Dewel, 2019 ; Bezuneh, 2013). Pour beaucoup de jeunes, Addis Abeba n’est que la première étape pour rejoindre les diasporas du Moyen-Orient, d’Europe et des États-Unis. En fait, l’ouverture administrée et brutale de l’économie continue et amplifie ainsi le basculement, entamé dès Menilek (1889-1913), du centre des pouvoirs vers le corridor de développement Addis Abeba-Dirré Dawa-Djibouti.

Depuis plus d’un an, l’Éthiopie, en proie à de profondes mutations économiques et sociales qui se traduisent par une course souvent meurtrière au foncier, affronte la pandémie. Selon l’Université J. Hopkins (Le Monde 2021), tout en étant le cinquième État le plus touché d’Afrique (Reuters, 2021), elle aurait échappé à la flambée subie par l’Afrique du Sud (Caramel, 2021). Entre avril et mai 2021 en Éthiopie, on serait passé de moins de 260 000 malades à près de 350 000, mais la moyenne « glissante sur 7 jours » des décès, en baisse tendancielle, se tiendrait entre 3 800 et 3 900. Ces données concernent les villes, mais qu’en est-il des régions reculées, des camps de déplacés et de réfugiés et des quartiers précaires ? On ne sait rien, non plus, de l’état sanitaire de l’armée fédérale, des miliciens et des maquisards car, depuis la guerre au Tigré, les informations sont surveillées (Gascon, 2021). Mais, j’ai constaté que la télévision éthiopienne avait abordé la question de l’infection alors que rien ne filtre sur la situation sanitaire en Érythrée et en Somalie. Les « raisons logistiques », invoquées officiellement pour reporter, une fois encore, les législatives, recouvrent, sans doute, la précarité de la situation épidémiologique et aussi l’instabilité persistante du Tigré. Ainsi, le lion éthiopien n’est-il pas près de rejoindre les « tigres asiatiques » parmi les pays émergents.

Bibliographie

Alain GASCON
Pr. honoraire, Institut français de géopolitique-IFG Lab-Université Paris 8. Ex-chargé de cours à l’INALCO.

Publié le 23 juin 2021.

 


 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Collectif, « La pandémie de Covid-19, regards croisés de géographes », Géoconfluences, mai-octobre 2020.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/pandemie-de-covid-19-regards-croises-de-geographes