Image à la une : traverser sous la roche, traverser sur la mer : la continuité routière en Norvège
Bibliographie | citer cet article
Directement du tunnel au ferry, la continuité du réseau routier norvégien par-delà le Sagnefjord.
Date de la prise de vue : 14 août 2014
Auteur de l'image : Camille Girault
Localisation : Traversée du Sognefjord du nord au sud, entre Kaupanger et Lærdal, comté de Sogn og Fjordane.
Le regard du géographe
S’enfonçant de plus de 200 km dans les terres, le Sognefjord est le plus long fjord d’Europe et il est aussi le plus profond de Norvège (1 308 m en dessous du niveau de la mer). Cette immense vallée glaciaire envahie par la mer est en outre ramifiée en de nombreux fjords secondaires de moindre dimension. À l’échelle nationale, ces multiples bras de mer viennent scarifier d’ouest en est un territoire norvégien qui s’étire du sud au nord le long des mers du Nord et de Norvège (doc.2).
Des fjords entre mer, lac et fleuve
Le fjord à traverser est tellement effilé qu’il ressemble à un large fleuve. Mais l’eau si calme et les terres qui l’entourent pourraient faire penser à un lac. Pourtant il s’agit bien d’une étendue d’eau saumâtre, officiellement maritime. Cette confusion est évoquée par le poète français André Suarès à propos du dramaturge norvégien Ibsen : « Le pays des golfes endormis, où la mer pénètre au cœur des montagnes, s’y frayant un chemin de ruisseau : comme une langue de chimère, comme une flamme liquide et bleue, le fjord dort entre les monts à pic, tel un long lac tortueux ; il est mystérieux et profond ; au bas des moraines énormes, ce filet de mer rêve dans le berceau du ravin, pareil à ce peu de ciel qu’on voit couler, entre les toits des maisons, dans les rues des vieilles villes. [1] »
À travers mer et terre, des transports norvégiens qui demeurent en partie maritimes
Pour répondre à l’extrême découpage du littoral et relier les villes et les bourgades, les Norvégiens ont d’abord développé un service de cabotage entre les principales localités de la façade maritime. L’Hurtigruten, cet « Express côtier norvégien » apparaît d’ailleurs depuis plus d’un siècle comme un symbole d’unité nationale par la desserte territoriale offerte et par la régularité du service.
Depuis les dernières décennies du XXe siècle, des aménagements routiers de grande ampleur - en partie financés par la rente pétrolière - facilitent les déplacements terrestres. Si des ponts de plus en plus nombreux et audacieux franchissent les fjords, les navires transbordeurs demeurent des éléments prépondérants du déploiement du réseau routier, à l’image du ferry sur lequel s’apprêtent à embarquer les véhicules qui patientent ici. Nous ne sommes pas sur l’itinéraire E39, la route littorale qui relie Kristiansand à Trondheim, via Stavanger et Bergen, et qui comporte toujours sept liaisons maritimes indispensables à sa continuité. Il s’agit de la route 5, un parcours secondaire à l’échelle du pays, mais néanmoins emprunté par un peu plus de 500 000 voitures par an et dont l’intégrité repose sur la ligne de ferry Mannheller – Fodnes, opérée par la compagnie Fjord1 au titre d’une délégation de service public. Ainsi, quel que soit le nombre de véhicules à faire passer d’une rive à l’autre, les deux ferries se croisent (docs 1 et 3) une cinquantaine de fois par jour, au rythme de trois par heure en journée à un toutes les heures, y compris en pleine nuit, un dimanche de décembre. Pour chaque traversée, le conducteur d’un véhicule de tourisme doit payer 77 couronnes, soit environ 9 euros, somme qui peut paraître élevée aux yeux des touristes mais qui reste très abordable au regard du niveau de vie norvégien, d’autant plus que le tunnel permettant d’accéder à l’embarcadère, lui, est gratuit. Pour les usagers réguliers, des systèmes d’abonnement offrent des réductions pouvant atteindre 40 % sur le trajet en ferry.
Ainsi, en Norvège, tout conducteur éprouve la forte imbrication terrestre et maritime, sans que la mer ne soit un réel obstacle à la mobilité puisque les ferries assurent la continuité routière par-delà les fjords.
Produire l’horizontalité et la continuité dans un paysage de ruptures et de verticalité
Le paysage norvégien est également singulier par la forte verticalité due à sa dimension montagnarde. À l’arrière-plan de l’image et sur le doc. 1, des versants fortement boisés, parfois tachetés de quelques affleurements rocheux, plongent littéralement dans la mer. Le réseau routier norvégien a dû s’adapter aux vallées et interfluves hérités du soulèvement néogène et des différentes périodes de glaciation. Outre les ponts et les traversiers, les tunnels sont par conséquent des aménagements et des services qui ont connu un large succès en Norvège.
Le tunnel d’Amla (Amlatunnelen), boyau de trois kilomètres percé entre Kaupanger et Mannheller, permet depuis 1995 de ramener la traversée maritime à une dizaine de minutes. En effet, en conduisant les véhicules directement à un nouvel embarcadère plus proche de la rive opposée, le temps de transport par ferry est diminué. De même, à quelques kilomètres de Lærdal se trouve le tunnel éponyme (doc. 2) de 24,5 km qui consolide l’itinéraire E16 entre Bergen et Oslo. Depuis son ouverture en 2000, il est le plus long tunnel routier du monde. Ce record d’horizontalité fait en quelque sorte écho aux records de verticalité de la ville de Dubaï. Néanmoins, à la différence des Émirats arabes unis, autre bénéficiaire de la rente pétrolière, la Norvège ne valorise pas ostensiblement ce genre de prouesse.
Bien que l’objectif soit à terme de s’en passer pour les principaux itinéraires à l’échelle nationale, les ferries demeurent pour l’instant indispensables au bon fonctionnement du réseau routier norvégien. En somme, si les ferries, les ponts et les tunnels sont trois moyens d’accélérer le système de transport terrestre par la recherche de lignes droites et horizontales, le nombre des premiers tend à diminuer alors que les seconds ne cessent de se développer : les 127 liaisons maritimes qui demeurent seront peu à peu remplacées par des ponts, les 952 tunnels norvégiens seront bientôt plus d’un millier. La surprise de l’automobiliste sortant du tunnel d’Amla et devant embarquer directement sur un traversier pourrait un jour disparaître. Les fjords et leur imaginaire, eux, demeureront.
[1] Suarès A., 1913, Trois Hommes : Pascal, Ibsen, Dostoïevski, Gallimard, NRF, 384 p.
Documents complémentaires
Doc. 1 - Le traversier Mannheller – Fodnes, un élément à part entière de la route 5 Sogndal- Lærdal |
Doc. 2 - De tunnels en ferry autour du Sognefjord. Source : ViaMichelin.fr, 2015. |
Doc. 3 - La ligne de ferry Mannheller – Fodnes. Source : Google Earth, 2015. Voir le fichier .kmz, latitude 61°9'N et longitude 7°22'E |
Ressources complémentaires
- Bernier X., 2013, « Traverser l’espace », EspacesTemps.net, Travaux.
- Guillaume J., 2006, « Une voie de transport devenue ressource touristique. Le cas très particulier de l’Express côtier norvégien », Cahiers de Géographie Edytem, n°4, pp. 165-172.
- Lie E., Lund C., 2013, « Conception of landscape shaped today’s transport routes », The Research Council of Norway.
-
Vandal A., 1898, Les fjords de Norvège, Plon, réédition 2014, Hachette Livre BNF, 32 p.
- Fjord1, le site de la plus grande compagnie norvégienne de ferries (version anglaise)
-
Vegvesen, le site de l’Administration norvégienne des routes (version anglaise)
Camille GIRAULT,
agrégé de géographie, doctorant,
Laboratoire EDYTEM UMR 5204 CNRS-Université de Savoie, Pôle Montagne - Université de Savoie
Pour citer cet article :
Camille Girault, « Image à la une : traverser sous la roche, traverser sur la mer : la continuité routière en Norvège », Géoconfluences, mai 2015. |
Pour citer cet article :
Camille Girault, « Image à la une : traverser sous la roche, traverser sur la mer : la continuité routière en Norvège », Géoconfluences, mai 2015.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/image-a-la-une-traverser-norvege