Image à la une. San Juan (Porto Rico), maritimisation et mise en tourisme
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Document 1. Vue sur le port maritime, au sud de la baie, depuis les hauteurs du Vieux San Juan. Au premier plan, la vieille ville d’architecture espagnole. Au deuxième plan, la baie et le port de San Juan. Au troisième plan, la ville et les montagnes.
- Auteur du cliché : Jonathan Fieschi
- Lieu de prise de vue : San Juan, Porto Rico
- Date : 7 avril 2023
- Droits d’usage : photographie libre de droits pour tout usage pédagogique, hors usage commercial.
Document 1bis. Carte de localisation de la prise de vue.
Le regard du géographe
Dès sa création en 1508, la ville de San Juan se tourne vers la mer. En effet, la baie ainsi que son port, en raison de leur site d’abri sur l’île de Porto Rico et de porte d’entrée dans la Caraïbe, revêtent dès la colonisation espagnole (1508-1898) un rôle de verrou stratégique qu’il convient de protéger. Le passage sous domination (1898) puis association (1952) étatsunienne, ainsi que les différentes politiques endogènes menées pour développer et dynamiser la ville et l’île, ont renforcé la maritimisation de la ville de San Juan, l’accompagnant d’une forte touristification du littoral et de la ville coloniale. Si la maritimisation et la mise en tourisme de San Juan servent son dynamisme, elles sont aussi le vecteur de fortes inégalités visibles à l’échelle de la ville et dans les relations de l’île avec les États-Unis.
La baie de San Juan, un port dynamique
La maritimisation des activités et de l’économie de San Juan se lit fortement à travers son port actuel, héritier de l’époque coloniale mais aussi des politiques de développement portuaire et industrielles initiées après 1940 dans le cadre du développement d’échanges privilégiés avec les États-Unis puis la Caraïbe. Sa position stratégique ainsi que ces politiques font du port de San Juan un pôle et un hub régional dynamique.
Prise depuis le Vieux San Juan, cette photographie (document 1) montre l’importance de la maritimisation de la ville et de ses activités.
- On identifie au premier plan, derrière les arbres, différents bâtiments tournés vers la mer dont à gauche le bâtiment officiel des douanes de l’US custom board.
- Au deuxième plan, l’activité portuaire se démarque fortement avec un quai de croisière en développement et surtout le port de commerce qui entoure l’est et le sud de la baie avec ses quais à conteneurs, grues et porte-conteneurs.
- Ces principaux terminaux de conteneurs jouxtent, au dernier plan, l’agglomération de San Juan – identifiable par ses immeubles – et ses 300 000 habitants, ainsi que les grands axes qui font le tour de l’île entre mer et montagnes, lesquelles peinent ici à émerger des nuages à l’arrière-plan.
Différents facteurs, visibles sur cette image, expliquent cette forte maritimisation. Tout d’abord, le site de la baie de San Juan, visible au deuxième plan, est d’une grande importance pour comprendre la géographie mais aussi l’histoire de la ville de San Juan et ce, à plusieurs échelles. À grande échelle (localement), ce site protégé et vaste est le lieu idéal pour établir un port dès la colonisation espagnole et, depuis, le développer. À plus petite échelle, cette baie et son port sont l’une des portes d’entrée principale vers toute la Caraïbe, que ce soit pour y défendre sa présence, intercepter les flux commerciaux du canal de Panama ou touristiques du premier bassin de croisière mondial (Turbout, 2019).
Ensuite, les montagnes, en réalité une série de mornes, visibles au dernier plan et caractéristiques des îles de la Caraïbe, sont un facteur limitant le développement d’infrastructures et d’axes transversaux. Le relief accentue le phénomène, courant en situation coloniale et post-coloniale, de littoralisation des activités, des réseaux et des infrastructures de l’île.
Enfin, comme l’illustre la présence du port et du bureau des douanes, les politiques de développement du XX-XXIe siècle ont conforté la maritimisation, dans ce territoire ayant de statut d’« État libre associé » des États-Unis. Ainsi les politiques de maritimisation, d’industrialisation et de touristification de la ville menées dès les années 1940, ont conduit à lier développement du port industriel et de croisière aux activités (industrie pharmaceutique et électronique, agro-industriel, tourisme balnéaire) et aux réseaux routiers de l’arrière-pays.
Le port de San Juan présente un fort dynamisme. C’est le deuxième port commercial des Antilles après celui de Kingston. Avec 27 docks commerciaux, il a ainsi accueilli plus de 2,6 millions de conteneurs en 2018 (ASMUL, 2020). Ce port est aussi un port important pour les exportations avec 100 millions de dollars d’exportations pour le principal terminal en 2018.
Toutefois, le port et le bureau des douanes reflètent aussi la dépendance de l’île aux échanges, en particulier avec les États-Unis. Porto Rico a toutefois su diversifier une partie de ses partenaires commerciaux au sein de la Caraïbe, notamment par le transbordement de marchandises, en relation avec le trafic provenant du canal de Panama. D’ailleurs, dans un contexte de concurrence régionale suite à l’élargissement du canal de Panama – effectif depuis 2016 – et au développement du tourisme de croisière, le port de San Juan doit s’adapter pour rester compétitif face aux autres ports qui cherchent eux aussi à gagner en attractivité. Un projet de développement a été annoncé début 2023 par le gouverneur de l’île. Il vise à draguer la baie pour approfondir et élargir les canaux de navigation afin d’accroître la productivité du port avec l’accueil de navires porte-conteneurs plus importants. Il s’agit notamment d’attirer les cargo néopanamax. Ce développement vise aussi à accroître les capacités d’accueil des grands navires de croisière dans une ville fortement touristifiée.
Une mise en tourisme productrice d’inégalités
Trois millions de touristes entrent sur l’île chaque année (chiffre de 2022), un flux en augmentation après une chute liée à la crise Covid. 94 % d’entre eux proviennent des États-Unis (ONU Tourisme, 2024).
Toutefois, la mise en tourisme profite au Vieux San Juan – ancienne ville coloniale et lieu de prise des photographies – et à la côte nord de l’île, et oublie l’intérieur de la ville du Nouveau San Juan. Un terminal de croisière, visible sur le document 1, borde le vieux San Juan. Quatre terminaux permettent ainsi d’accueillir les croisiéristes venus visiter la vieille ville en quelques heures, se baigner sur les plages de la côte nord de la ville, ou acheter les produits détaxés dans les magasins d’usine (outlets) qui bordent les quais. Le port de croisière de San Juan est le plus grand des Antilles et le 21e mondial avec plus de 1,3 millions de croisiéristes (AtlasSocio, 2020). Cela s’explique à la fois par la touristification de San Juan et de Porto Rico mais aussi par sa situation géographique. En effet, porte d’entrée sur la Caraïbe, elle est un point central pour relier les grandes Antilles aux Petites Antilles, notamment depuis Miami.
Le tourisme de croisière bénéficie aussi du différentiel de richesse et de l’harmonisation légale avec les États-Unis. Les touristes nord-américains trouvent à Porto-Rico une destination à bas coût et dépaysante tout en restant dans un cadre légal et géographique proche du leur. Les Portoricains ont d’ailleurs voté en majorité en faveur du rattachement complet aux États-Unis (Théry, 2021), même si le processus d'intégration a subi des revers depuis. San Juan seconde ainsi, en tant que port de départ (pour les touristes venus depuis l’aéroport) ou d’escale, le port de Miami pour les plus grandes compagnies maritimes du bassin (Royal Carribean par exemple).
Le Vieux San Juan, site patrimonialisé et fortement touristifié
Document 2. La côte nord de San Juan vue depuis la forteresse El Morro. Au premier plan, les murs de la forteresse El Morro. Au deuxième plan, le vieux San Juan (on devine notamment le cimetière), sa ville coloniale et ses fortifications, avec en contrebas le quartier défavorisé de la Perla. Au troisième plan, le littoral touristique du Condado.
Situé sur un îlet (Isleta de San Juan), le vieux San Juan, ancienne ville coloniale, est aujourd’hui intégré dans le San Juan National Historic Site, zone protégée de 30 hectares inscrite depuis 1966 dans le registre national des lieux historiques et depuis 1983 sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette zone patrimoniale protégée comporte différents éléments issus de la période coloniale hispanique qui participent grandement à l’attractivité touristique et surtout excursionniste de San Juan. Tout d’abord les fortifications, vestiges de l’importance stratégique du port et de l’île dès sa colonisation en 1508 par Ponce de Leon, bordent la vieille ville. À l’intérieur, la vieille ville coloniale se dessine avec ses bâtiments colorés à l’architecture coloniale espagnole typique accueillant en rez-de-chaussée, commerces et restaurants-bars. L’esplanade de la citadelle Felipe del Morro, principal site militaire et touristique de la vieille ville, reste toutefois un site apprécié des locaux qui viennent s’y reposer ou faire du cerf-volant. Pourtant, à quelques mètres en contrebas des remparts, le quartier coloré et populaire de la Perla concentre les formes de précarité. Si le clip Despacito de Luis Fonzi a renforcé son attraction touristique en 2017, le quartier – dont une partie à été fortement endommagée par le cyclone Maria en septembre 2017 – reste encore à l’écart des flux touristiques principaux.
Les résidences et complexes hôteliers se concentrent sur le bord de mer (document 2, à l’arrière-plan) du nouveau San Juan – relié depuis le Vieux San Juan par un pont. Transats, bars de plage, hôtels avec piscines s’alignent ainsi le long des plages de sable blanc depuis le Condado (les seuls bâtiments verticaux sur le document 2) sur toute la façade nord de l’île et marquent l’organisation de cette partie de San Juan. En effet, même si des accès permettent d’atteindre les plages, ces complexes rendent lisibles les inégalités socio-spatiales à l’œuvre, en formant une sorte de barrière visible entre la mer et le reste de la ville, où des dents creuses viennent émietter le bâti urbain de certains quartiers limitrophes.
Bibliographie
- AtlasSocio (2020), « Classement des ports du monde par nombre de croisiéristes », mai 2020.
- ASMUL (2020), “Puerto Rico, el muelle de carga de mayor exportación”, revue ASMUL, 2020.
- Burgos, A. E. E. (2023). “Los distritos “M” y la producción colonial del espacio: rompiendo silencios para entender la desigualdad en San Juan”. Contemporánea, 16(2), 11–40.
- ONU Tourisme (2024), Dashboard (sic) des données sur le tourisme de ONU Tourisme.
- San Juan Port, San Juan Puerto Rico Cruise Terminal.
- Théry Hervé (2021), « Les territoires ultramarins des États-Unis au cœur de la première ZEE mondiale », Géoconfluences, avril 2021.
- Turbout Frédérique (2019), « Le tourisme de croisière 2018 », Atlas Caraïbe, université de Caen.
- UNESCO, « La Fortaleza et le site historique national de San Juan à Porto Rico ».
- VisitTheUSA.fr, “San Juan National Historic Site Porto Rico”.
Mots-clés
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Jonathan FIESCHI
Professeur agrégé d’histoire-géographie, académie de la Guadeloupe
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Jonathan Fieschi, « Image à la une. San Juan (Porto Rico), maritimisation et mise en tourisme », Géoconfluences, septembre 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/san-juan-porto-rico-maritimisation-touristification