Irrigation
L’irrigation est l’apport d’eau à une parcelle agricole. Il s’agit de remplacer l’incertitude et les aléas des précipitations par un contrôle humain sur l’un des éléments fondamentaux de la croissance des végétaux, l'eau. Dans les climats à saisons froides, la saison chaude correspond à l’optimum de croissance de la plupart des plantes, mais aussi au maximum de l’évapotranspiration. En cas de sécheresse ou d’apport d’eau insuffisant, la croissance ralentit ou s’arrête, et les rendements diminuent. C'est particulièrement vrai dans le cas du climat méditerranéen par exemple, où la saison chaude se trouve aussi être la plus sèche (sécheresse estivale). Une agriculture non irriguée est appelée agriculture pluviale.
L’irrigation gravitaire est aussi ancienne que les premières grandes civilisations agricoles : les premiers canaux apparaissent dans les greniers à blé ou à riz de Mésopotamie, de Chine et d’Égypte. Le riz, en particulier, a besoin d’un contrôle strict de l’apport en eau, et notamment d’avoir le pied sous l’eau à un certain stade de sa croissance. En Égypte ancienne, on savait déjà remonter l’eau du fleuve vers les premières pentes à l’aide d’une bascule, le chadouf.
D’autres modes d’irrigation sont permis aujourd’hui par la mécanisation et la motorisation. L’irrigation par aspersion repose sur des rampes droites ou pivotantes. Le goutte-à-goutte, plus économe et plus précis, est plutôt réservé aux cultures plus délicates ou à forte valeur ajoutée, par exemple dans le maraîchage ou l’agriculture urbaine et périurbaine. Dans le cas le plus courant, l’eau est prélevée directement sur l’exploitation par des pompes à moteur, dans les nappes de surface (phréatiques) ou dans les cours d’eau, plus rarement dans les nappes profondes, généralement gratuitement. Dans certaines régions arides, l’agriculture n’est possible que grâce à l’irrigation : déserts saoudiens ou de l’Ouest des États-Unis, fronts pionniers en Égypte ou dans les oasis de l’Ouest chinois… Ailleurs, l'irrigation estivale n'est possible qu'au prix d'aménagements controversés comme les mégabassines en Saintonge, en Gascogne ou dans le Poitou.
L’irrigation a permis une forte hausse des rendements et une stabilisation interannuelle de ces derniers, cruciale pour assurer la sécurité alimentaire des États et les revenus des agriculteurs. Elle a joué un grand rôle dans le productivisme agricole et dans les systèmes intensifs en général (huertas, systèmes agraires nés des révolutions vertes. Toutefois, comme toutes les autres formes de la « grande accélération » liée au prélèvement des ressources naturelles, l’irrigation soulève un certain nombre de questions.
- La première limite est la disponibilité de la ressource en eau. L’agriculture est de loin le premier secteur consommateur d’eau à l’échelle mondiale. Même si une grande partie de l’eau retourne dans l’environnement par infiltration ou évapotranspiration, celle qui s’infiltre est parfois polluée par les intrants. Le réchauffement et l’instabilité climatiques, les conflits d’usage et les conflits environnementaux autour de la ressource en eau (voire les « guerres vertes »), la baisse de la disponibilité (niveau des lacs de barrage et des nappes profondes), remettent en question l’irrigation, surtout quand elle n’est pas régulée ni raisonné.
- La seconde limite est la salinisation des sols. L’eau douce contient toujours une petite quantité de sels minéraux. Les apports excessifs d’eau sur le sol finissent par augmenter la salinité de ce dernier, et par entraîner une baisse des rendements. Comme c’est le cas des intrants, les excès finissent par s’avérer contre-productifs, au point que certaines parcelles doivent être abandonnées, en Inde par exemple (Libourel et Gonin, 2022).
- La troisième limite est la question de la destination de l’eau. Seule une petite partie de l’eau d’irrigation sert à produire de la nourriture directement destinée aux humains. Le coton destiné à produire nos vêtements est une plante très gourmande en eau en début de croissance, même si des variétés génétiquement modifiées beaucoup plus sobres ont été mises au point. Le creusement de mégabassines, parfois en dépit du droit, dans l’Ouest de la France, vise à irriguer du maïs destiné à nourrir du bétail dans le cadre d’un système productiviste contrôlé par les grandes entreprises de l’agrobusiness.
(JBB), juin 2023. Dernière modification : janvier 2024.
Références citées
- Libourel Éloïse et Gonin Alexis (dir., 2022), Agriculture et changements globaux, Neuilly : Atlande, 504 p.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Delphine Acloque, « Frontière désertique, front pionnier et territorialisation. Approche à partir du cas égyptien », Géoconfluences, juin 2022.
- Anne Lascaux, « Carte à la une. La plaine agricole de Berre : essor et déclin d’un espace productif maraîcher français (années 1970-2020) », Géoconfluences, février 2022.
- Anne Lascaux, « La recomposition d’un système agricole méditerranéen au prisme des migrations, l’exemple des cultivateurs marocains dans le Comtat », Géoconfluences, février 2019.
- Silvia Flaminio, « L'eau en Australie : de l'exploitation des ressources à la gestion des milieux ? L'exemple du bassin versant du Gordon en Tasmanie », Géoconfluences, février 2017.
- Sylviane Tabarly, « L'approvisionnement en eau : une préoccupation partagée dans le monde méditerranéen », Géoconfluences, décembre 2012.
- Jean Philippe Tonneau et Sylviane Tabarly, « Les transformations du bassin du São Francisco », Géoconfluences, février 2010.
- Christopher Gomez, « Les grands barrages au Japon, enjeux sociétaux et environnementaux », Géoconfluences, mars 2010.