Pétrole
Jean-Benoît Bouron, agrégé de géographie, responsable éditorial de Géoconfluences - DGESCO, ENS de Lyon.
Appartenant au groupe des énergies fossiles non renouvelables, le pétrole est un hydrocarbure liquide. Il résulte de la dégradation de matières organiques dans une roche-mère située entre 2 500 et 5 000 mètres de profondeur, migrant vers la surface pour se retrouver piégée dans une roche-réservoir. Par rapport au bois et au charbon, le pétrole dispose de deux atouts : d’une part, il dégage une bien plus forte valeur énergétique par unité de poids ou de volume, d’autre part sa forme liquide en facilite l‘extraction, le traitement, le transport et l’usage. C’est donc l’énergie phare de la Seconde révolution industrielle, basée sur le moteur à explosion (navire, automobile, avion) et la pétrochimie (plastiques, peintures, colorants...). Mais comme pour le charbon et le gaz, sa combustion ou sa dégradation libère dans l’atmosphère une énorme masse de dioxyde de carbone (CO2), jusqu’ici emprisonnée à grande profondeur, un gaz à effet de serre contribuant massivement au dérèglement climatique.
Son processus de génération explique la grande variété géographique des gisements : localisation, composantes physico-chimiques des liquides, profondeur, taille, structure, accessibilité... Celle-ci détermine les possibilités d’exploitation, les différences entre réserves probables, prouvées et possibles et les coûts d’exploitation. Certains gisements qui affleurent à la surface des sols au Moyen-Orient sont ainsi connus dès l’Antiquité et utilisés pour les lampes à huile. On trouve sur le marché mondial plusieurs types de pétroles aux prix différents : WTI Texan, Arabian Light saoudien, Brent européen, Urals russe, extra-lourd vénézuélien... Par contre, une partie non négligeable du pétrole reste piégée dans la roche-mère : seulement 35 % à 40 % des volumes de pétrole sont aujourd’hui extraits des gisements exploités. Dans le cas du pétrole de schiste, sa présence est si diffuse dans la roche-mère que les gisements n’entrent en exploitation que fort récemment grâce à deux innovations techniques majeures, les forages horizontaux et la fracturation hydraulique (Carroué, 2022a). Les gisements du bassin permien aux États-Unis et de l’Alberta au Canada ont contribué à hisser ces deux pays parmi les tous premiers producteurs mondiaux (Carroué, 2022b).
Il existe aujourd’hui 30 000 gisements rentables, de toute taille, dans lesquels on distingue 60 « super-géants » de 700 millions de tonnes de réserves et 440 « gisements géants » de 70 millions de tonnes de réserves. Constituant un nouveau front pionnier, l’exploitation du pétrole offshore débute dans le golfe du Mexique dans les années 1950 puis en mer du Nord dans les années 1970, pour représenter aujourd’hui un tiers de la production mondiale et 20 % des réserves. Elles assurent la prospérité de pays tels que la Norvège, qui a acquis une expertise dans l’industrie pétrolière en mer (Guillaume, 2024). Malgré sa diffusion géographique, la moitié de la production mondiale de pétrole demeure dominée par les États-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite et le Canada, et 62 % des réserves sont contrôlées par seulement cinq États (Venezuela, Arabie saoudite, Canada, Iran et Irak).
Comme pour toutes les ressources extractives, la géographie du pétrole est un rapport dynamique entre une ressource localisée, les technologies disponibles, l’état d’un marché (offre/demande, prix, concurrence d’autres énergies, capitaux disponibles) et un contexte politique et géopolitique. Du fait de ses spécificités, le pétrole représente des enjeux géopolitiques et géostratégiques majeurs. Ainsi, Premier Lord de l’Amirauté en 1911, Churchill fait basculer la Royal Navy du charbon vers le fuel, offrant à celle-ci une mobilité sans pareil ; par suite, le partage des gisements du Moyen-Orient entre le Royaume Uni, la France et les États-Unis devient un enjeu majeur dans les années 1920. Dans les années 1960, la création de l’OPEP témoigne de la montée des revendications souveraines des pays producteurs face à la domination des puissances et des firmes occidentales. Dans les décennies 1980–90, l’intérêt croissant pour l’offshore se traduit pour de nombreux pays par une « course à la mer », notamment dans le but d’étendre les ZEE aux limites du plateau continental, comme le prévoit la Convention de Montego Bay. En 2022, les pays occidentaux mettent la Russie sous embargo afin de réduire ses rentrées de devises alimentant la deuxième phase de l’invasion de l’Ukraine, commencée en 2014.
La dépendance de l’humanité au pétrole est telle qu’en dépit des efforts faits en direction d’une transition énergétique, on n’en a jamais autant produit qu’actuellement. La production de plastique, en particulier, devient un débouché croissant pour l’industrie pétrolière, dont les intérêts sont protégés par de puissants lobbies secondés par les États producteurs (Loïzzo, 2023). Localement, les entreprises ont les moyens de financer l’acceptation des projets pétroliers par du mécénat et des promesses d’emploi (Buu-Sao, 2023). L’âge industriel est l’histoire d’un transfert massif de pétrole de la lithosphère vers l’atmosphère (des particules fines et CO2), l’hydrosphère (soupes de plastique dans les océans) et la biosphère (microplastiques ingérés quotidiennement par les êtres vivants, humains compris).
Laurent Carroué et (JBB), décembre 2025.
Références citées
- Buu-Sao Doris (2023), Le capitalisme au village. Pétrole, État et luttes environnementales en Amazonie. CNRS éditions. Lire aussi le compte-rendu d’une conférence de l’autrice sur La Clé des Langues – espagnol (en français).
- Carroué Laurent (2022a), « Le boom des hydrocarbures non conventionnels dans le Bassin permien (Texas et Nouveau-Mexique, États-Unis) », Géoconfluences, juin 2022.
- Carroué Laurent (2022b), « La révolution du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis : enjeux technologiques, territoriaux et géostratégiques », Géoconfluences, juin 2022.
- Guillaume Jacques (2024), « Sous pression de la géopolitique de l’énergie, la Norvège, tiraillée entre ses intérêts et ses convictions », Géoconfluences, mai 2024.
- Loïzzo Clara (2023), « Quel bilan pour la COP 28 ? », Géoconfluences, décembre 2023.
Pour aller plus loin
- Laurent Carroué, Géographie de la mondialisation. Crises et basculements du monde, Coll. U, Armand Colin, Paris, 2019.
Des études de cas sur le site partenaire, Géoimage du CNES
- États-Unis. Alaska : Prudhoe Bay, les hydrocarbures du Grand Nord entre épuisement, relance et développement durable
- Royaume-Uni - Aberdeen ; un cluster pétrolier à vocation mondiale en transition vers l’éolien offshore et les énergies marines
- Arabie saoudite : Al-Hafuf et le champs d’Uthmaniyah, des piliers de la production mondiale d’hydrocarbures







