Carte à la une. Tour de France 2023 : derrière la carte, un espace sportif
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Document 1. Parcours du Tour de France 2023, masculin et féminin |
Le parcours du Tour de France 2023 a été dévoilé le 27 octobre 2022 à Paris : il s’élancera de Bilbao et se terminera sur les Champs Élysées. Entre ces deux lieux, 3 404 kilomètres divisés en 21 étapes sont prévus. Sur une emprise spatiale réduite à 23 départements, le parcours de 2023 est caractérisé par une omniprésence d’étapes montagnardes et une certaine linéarité qui va du Pays Basque aux Vosges. Le parcours féminin reliera quant à lui Clermont-Ferrand à Pau en huit jours et 956 kilomètres.
Si la géographie de ce tracé demeure incomplète, l’espace du Tour questionne le territoire français lui-même, son aménagement et l’histoire de la « grande boucle ». La complexité du choix des parcours réside dans une utilisation variable du territoire (Boury, 1997) ; la succession des étapes se veut sportivement attrayante, tel un feuilleton dont l’intrigue ne doit pas être résolue trop tôt (Barthes, 1957) : les étapes les plus difficiles sont par conséquent placées dans la deuxième partie de l’épreuve.
1. Des particules de France à la possibilité d’un espace : un parcours diagonal débordant
La carte du Tour 2023 dresse une géographie à première vue embryonnaire du pays que celle du Tour Femmes complète d’une certaine manière dans le sud du Massif central. Cette édition est celle avec l’emprise géographique la plus faible de l’histoire de l’épreuve : avec seulement 23 départements visités, contre 29 en 2022, 31 en 2021 et 32 en 2020, le parcours traverse l’hexagone du Pays Basque aux Vosges avec la montagne comme centre : la stratégie des organisateurs consiste en un sens à montrer un grand nombre de sites de montagne dans une logique autant sportive que paysagère, quitte à ne visiter qu'une part succincte du territoire national. Le tracé coupe d’une certaine manière la France en deux, en diagonale et en débordant d’entrée de jeu à l’étranger dans une certaine continuité territoriale. L’évolution est marquée depuis les premiers tracés du tour, qui longeaient les frontières nationales et s’aventuraient peu à l’intérieur, sauf pour les départs et les arrivées à Paris (encadré 1).
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Malgré cette géographie minimaliste, plusieurs records jalonnent le nouveau parcours tout en proposant des nouveautés. En effet, jamais le Tour n’avait eu autant de sites d’accueil, les organisateurs ayant fait le choix de limiter les doublons arrivée-départ (Bilbao et Saint-Gervais Mont Blanc), soit dans une logique de promotion accrue de la ville d’accueil de la première étape, soit pour faciliter la logistique et limiter les transferts en territoire de montagne. 40 sites sont donc programmés pour 2023, contre 39 en 2022 et 2021, 21 en 1947 et 6 en 1903. Il apparaît alors une certaine opposition entre la réduction spatiale du parcours et la multiplication du nombre de sites, douze d’entre eux étant inclus pour la première fois pour le parcours masculin, quatre pour le parcours féminin ((Tour de France et Tour de France Femmes confondus dans le second cas ; l’un des nouveaux sites du parcours masculin ayant été utilisé par le parcours féminin en 2022, le Markstein (Vosges).)). Parmi ces sites, la ville de Moulins, préfecture de l’Allier, accueille pour la première fois une étape alors qu’elle était le dernier chef-lieu départemental métropolitain à ne jamais l’avoir fait, comme une forme de finitude des accueils. La France d’outre-mer, elle, reste absente, alors que la Corse a été traversée en 2013.
Les possibilités d’accueil et de tracé sont telles qu’en montagne, trois nouvelles ascensions sont également programmées ((Considérant uniquement les difficultés de première et deuxième catégorie et hors catégorie, les côtes les moins difficiles (troisième et quatrième catégorie) n’étant pas comptabilisées ici.)) : la côte de Vivero, au Pays Basque, puis les cols de la Croix Rosier et du Feu, respectivement dans le Rhône et en Haute-Savoie. En un sens, le Tour, qui est un spectacle télévisuel autant qu’une épreuve sportive, semble ne jamais avoir fini de découvrir de nouveaux lieux, tout en les montrant à ses suiveurs, y compris dans un département massivement traversé comme la Haute-Savoie, en explorant davantage le massif du Chablais, comme en 2022. De même, le caractère central des montagnes dans l’épreuve se retrouve dans le nombre accru d’ascensions de deuxième, première et hors catégories : elles sont 30 dans l’édition 2023, un record (23 en 2022, 27 en 2021 et 29 en 2021). Leur localisation est d’ailleurs répartie sur l’ensemble des massifs : du Jura, avec une seule ascension, aux Alpes, avec treize ascensions en quatre étapes dont un contre-la-montre. Les Pyrénées accueillent six ascensions en trois étapes, le Massif Central quatre en trois étapes et les Vosges cinq en une seule ((Le total ainsi calculé donne 29 ascensions, la trentième étant au Pays Basque et hors des Pyrénées. Le Jaizkibel, escaladé lors de la deuxième étape en Espagne, fait géographiquement partie de la chaîne pyrénéenne.)). Cela témoigne d’une volonté de mettre en avant chacun des massifs en y dessinant des étapes-clefs : des hauts-lieux de la course peuvent alors être produits, peu importe le massif. C’est le cas des arrivées en altitude ((En réalité au sommet de la dernière difficulté, sans descente. L’arrivée au Markstein déroge à cette règle car elle est située après un faux-plat sur la route des Crêtes des Vosges après le passage au sommet du Platzerwasel. L’arrivée la plus haute se situe à Courchevel, à 2010 mètres, sans clore une ascension.)) présentes dans quatre des cinq massifs traversés, et favorisé par un aménagement ancien des montagnes françaises.
2. Infrastructures sportives et aménagement, une extension du domaine du Tour
Les infrastructures utilisées sont importantes dans le bon déroulement du Tour moderne : sept hectares sont en effet nécessaires à la tenue d’une arrivée en plaine ((Dans le cahier des charges de l’épreuve masculine. L’épreuve féminine s’accommode d’aires d’arrivées plus restreintes du fait du plus faible nombre de véhicules logistiques.)) et une largeur de route importante est nécessaire afin d’éviter au maximum les accidents. Thierry Gouvenou, en charge du tracé chez ASO, l’organisateur du Tour, évoquait récemment la difficulté croissante de tracer le final de certaines étapes en raison de la multiplication des aménagements urbains, face auxquels il est nécessaire de s’adapter (Bremond, 2022). Les nombreuses chutes du final vers Pontivy en 2021 ont confirmé cette difficulté et amènent les organisateurs à repenser leur approche des étapes en plaine. En montagne, les infrastructures des stations sont également utilisées pour accueillir le Tour, quand d’autres apparaissent comme une contrainte. Le cas du Puy de Dôme, de retour 35 ans après sa dernière apparition dans la grande boucle, peut en être l’exemple : en l’occurrence, la venue de l’épreuve était rendue impossible par l’aménagement d'un train à crémaillère, le Panoramique des Dômes : une fois celui-ci achevé, en limitant l’accès des voitures et la logistique, la programmation d’une arrivée est rendue à nouveau possible ; la contrainte devient alors contingence.
Parmi ces contingences, le Tour 2023 emprunte des routes qui ne sont pas accessibles à tous ni à tous les moyens de locomotion, ce qui rend un peu plus exceptionnels certains passages. Si le cas du Puy de Dôme est notable, ceux du circuit automobile de Nogaro et de l’altiport de Courchevel – celui-ci nécessitant des aménagements complémentaires, n’en sont pas moins intéressants. Le premier permet d’éviter le micro-espace du centre-ville, délicat à aménager pour l’événement, et d’avoir une route large au revêtement de bonne qualité pour un sprint massif. Le second inclut des pentes très prononcées – de même que le Puy de Dôme et le col de la Loze –, ce qui ajoute à l’aspect logistique un intérêt sportif et pittoresque non négligeable. Dans le cas de la Loze, l’aménagement d’une piste cyclable menant à 2 304 mètres d’altitude a posé d’infinies difficultés, la pente allant jusqu’à 24 % : il s’agit en fait de goudronner… une piste de ski, comme un appel du pied de la collectivité aux organisateurs. Le premier passage en haut de ce col en 2020 avait d’ailleurs éparpillé tous les concurrents, arrivant un à un au sommet. De manière générale, l’utilisation de ces installations peut être vue comme un parallèle moderne aux vélodromes, très utilisés dans le Tour d’avant-guerre, tout en s’inscrivant dans une continuité : Paris-Nice avait fait étape sur le circuit de Magny-Cours en 2014 ; le Tour a pris ses quartiers sur l’aérodrome de Mende à six reprises, deux sur l’altiport de Peyresourde-Balestas et une sur celui de Megève.
Enfin, le Tour peut prendre des contours de ressource territoriale (Pecqueur et Gumuchian, 2007) ou de levier de mise en visibilité de certains sites : l’arrivée à Montignac-Lascaux dans le Tour Femmes et le départ de Vulcania sur la course masculine vont dans ce sens. Par le passé, le Futuroscope avait été site-étape dès 1986 avant son ouverture, puis à cinq autres reprises, dont deux fois en tant que grand départ du Tour. Cap’Découverte (près de Carmaux, dans le Tarn) l’avait été en 2003 et la Grotte Chauvet 2 ((Le site-étape était alors nommé « Caverne du Pont d’Arc », nom de l’établissement jusqu’en 2019.)) en 2016, tels des ouvertures en mondovision. Le Puy du Fou (1993, 1997 et 1999) et Disneyland (1994) ont aussi obtenu leur étape. Le cas de Vulcania s’inscrit dans une volonté politique de la région Auvergne-Rhône-Alpes de valoriser le site et d’attirer de nouveaux visiteurs. Dès lors, le Tour est utilisé par les collectivités comme un outil de développement, jouant ici pleinement son rôle de promotion patrimoniale et territoriale. Localement, le coût pour une petite collectivité est élevé : il faut débourser 65 000 à 160 000 € pour obtenir une étape, sans compter les importantes dépenses liées à la mise en conformité pour les besoins de l’épreuve (Ouest-France, 2021). Les retombées économiques, elles, sont difficiles à mesurer, et surtout très variables selon les situations locales (Journal des maires, 2018).
3. La « plateforme » Tour de France : entre réutilisations territoriales et clins d’œil du Tour au Tour
En parcourant le territoire français, le Tour crée un espace singulier qui lui est propre, comme un isolat permis par le sport. En témoigne aussi en un sens sa privatisation de l’espace public à des fins événementielles. Cette « plateforme » spatiale a une histoire qui est valorisée dès qu’une occasion se présente : le tracé 2023 n’échappe pas à cette règle. Les organisateurs rendent volontiers hommage à Raymond Poulidor en proposant une étape reliant Saint-Léonard-de-Noblat au Puy de Dôme, la première ayant été son lieu de vie et le second le lieu où il fut le plus proche du maillot jaune en 1964.
En parallèle, l’avènement du Tour féminin permet autant d’expérimenter des lieux et d’en réutiliser, peu importe la course. Si les deux épreuves n’ont pas la même temporalité, des similitudes se retrouvent : le kilométrage d’épreuve contre-la-montre est le même, le parcours est partagé sur 56 kilomètres entre Hèches et le col du Tourmalet. L’exercice solitaire de l’épreuve féminine, autour de Pau, reprend d’ailleurs une partie du même exercice autour de la ville du Tour masculin 2019 dans le sens inverse. Les hauts-lieux sportifs sont par conséquent construits en des lieux similaires d’une course à l’autre.
Si la logique peut vouloir que ce soit l’épreuve masculine, forte de ses 120 ans et 110 éditions, qui inspire l’épreuve féminine – comme c’est le cas avec l’enchaînement Aspin-Tourmalet ou la Super Planche des Belles Filles en 2022, l’inverse est aussi vrai : la pénultième étape du tracé masculin 2023 s’achève au Markstein, là où s’achevait la pénultième étape du Tour Femmes 2022. En l’occurrence, l’enchaînement Petit Ballon-Platzerwasel a été le moment clef de l’étape féminine, même si le tracé demandait d’escalader le Grand Ballon par la suite. En faisant ce clin d’œil, l’organisateur assoit la légitimité des deux épreuves et innove dans l’approche qui est faite du massif vosgien : le Markstein devient la troisième arrivée au-delà des 1 000 mètres d’altitude dans le massif, onze ans après la première à la Planche des Belles Filles, et quarante-trois après la dernière au Ballon d’Alsace. Au cœur du massif, la station alsacienne rompt avec l’isolement relatif de la station haut-saônoise et sa visite devenue habituelle au passage du Tour dans les Vosges.
Conclusion
Dans l’introduction de sa thèse, Paul Boury écrit que « l’espace du Tour de France ne présente aucun élément permanent même s’il s’appuie sur certaines constantes. Chaque année, il donne naissance à un espace particulier ». Cet espace est complexe et en permanente redéfinition ; il est appréhendé par les acteurs locaux et approprié par des suiveurs toujours aussi nombreux pendant les quatre semaines de compétition et au-delà. Dès lors, l’épreuve sportive fait plus qu’occuper l’espace, elle « habite un territoire » (Vigarello in Nora, 1992), bien que celui-ci soit à première vue restreint et incomplet.
Bibliographie
- Barthes Roland (1957), « Le Tour de France comme épopée », in : Mythologies, Éditions du Seuil, Paris, 239 pages, p. 103–113.
- Boury P. (1997), La France du Tour. Le Tour de France, un espace sportif à géographie variable, L’Harmattan, Paris, 444 pages.
- Bremond Gaspard (2022), « Tour de France 2023. À cause des aménagements urbains, les sprints en ville menacés de disparition ! », Ouest France, 27 octobre 2022.
- Journal des maires (2018), « Ville-étape du Tour de France : cela en vaut-il la peine ? »
- Pecqueur Bernard, Gumuchian Hervé (2007), La ressource territoriale, Economica, Paris, 252 pages.
- Ouest-France (2021). « Tour de France. Combien ça coûte aux villes d’accueillir une étape ? », 24 juin 2021.
- Vigarello Georges, « Le Tour de France » in Nora P. (dir., 1994), Les lieux de mémoire en France, volume 3 : Traditions, Gallimard, Paris, 988 pages, p. 885–925.
- Van der Straeten Antonin (2021), Images du Tour de France : de l’espace vécu à l’imaginaire géographique d’un événement patrimonial, mémoire de master 2 Géosphères, Université Savoie Mont Blanc, Le Bourget-du-Lac, 165 pages.
Pour aller plus loin
- Sur le site partenaire Planet-Terre : La géologie le long du Tour de France 2023, avec un guide à técharger : Tour de France 2023, aide au commentaire géologique [PDF, 134 p.]
Mots-clés
Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : contrainte | lieu | haut-lieu et géosymbole | station.
Antonin VAN DER STRAETEN
Doctorant en géographie, laboratoire Edytem UMR 5204 – Université Savoie Mont Blanc
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Antonin van der Straeten, « Carte à la une. Tour de France 2023 : derrière la carte, un espace sportif », Géoconfluences, juin 2023.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/tour-de-france-2023