Carte à la une. Utiliser une application de collecte pour réaliser des cartes et des analyses à partir de ses propres données
Baptiste Ritz, étudiant en géographie - ENS de Lyon
Bibliographie | mots-clés | citer cet article
Document 1. À gauche, exemple de rendu d’une collecte d’inscriptions et d’affiches murales à Lyon, réalisée par 15 étudiants, sur une durée de six mois, répartis en groupes. À droite, Carte réalisée par deux d’entre eux, à l’échelle d’un quartier : le Bas des pentes de la Croix-Rousse.
Cet article explique comment prendre en main une application Open Source de collecte de données sur smartphone, Epicollect5. Initialement conçue pour répondre aux enquêtes épidémiologiques de l’Imperial College de Londres, cette plateforme s’inscrivait alors dans un contexte d’augmentation du nombre d’études utilisant les applications mobiles pour partager des informations à propos des recherches en santé publique (Freifeld et al., 2010). Depuis plusieurs années, Epicollect5 a diversifié son activité et ses utilisateurs par son ouverture au grand public, son téléchargement gratuit et son puissant potentiel. Son site internet affiche ainsi plus de 128 000 projets créés, aux 48 millions de données. Ce grand public peut aisément être constitué d’élèves ou d’étudiants, la dimension pédagogique et participative d’Epicollect5 étant de plus en plus remarquée (Foucaud-Scheunemann, 2018). L’exemple étudié dans cet article est celui d’un travail mené par des élèves de première année de géographie à l’ENS de Lyon, accessible en ligne, sur les inscriptions politiques et militantes dans l’espace public. En un temps limité, ce travail a permis de collecter 1943 affiches, graffitis, autocollants ou collages dans les rues et sur les places de certains quartiers lyonnais. L’objectif de cet article est de montrer que l’utilisation de l’application est adaptable à tous les thèmes et à tous les niveaux d’enseignement.
1. Epicollect5 : une introduction à la collecte de données
Pour les géographes, l’un des points forts d’Epicollect5 est tout d’abord de pouvoir créer sur le terrain un fichier de points générés automatiquement, à partir d’une simple application téléchargeable gratuitement sur smartphone (Iphone ou Android). En effet, l’application va au-delà de la création d'un simple questionnaire (formulaire de collecte), puisqu'elle permet d’associer aux réponses attendues des géolocalisations par arpentage et positionnement satellite (système GPS communément), et s’avère dès lors un outil cartographique à la prise en main facile et intuitive. Quelques étapes assez simples permettent de créer sa propre collecte.
Après s’être connecté sur la plateforme (https://five.epicollect.net/), le processus se décompose en trois phases : la création d’un projet et d’un questionnaire, la collecte de données (en ligne ou hors ligne), et la visualisation des données collectées sur une carte générée par le site.
L’intérêt de ce processus est de pouvoir alterner la discussion collective sur l’objet collecté, dans le contexte d’une classe par exemple, et la démarche individuelle de collecte sur le terrain par les élèves. Tous les projets sont accessibles dans la section « Find Project ».
Créer son projet et le formulaire associé
La première étape consiste en la construction d’un projet, dont les modalités peuvent par exemple être débattues en classe. Il faut pour cela se créer un compte (à partir d’un compte Google ou d’une autre adresse mail), puis cliquer sur « Create a project ». Un nom de projet (unique) ainsi qu’une brève description sont alors attendus. On peut ensuite paramétrer l’accès au projet (un accès « public » permettra aux élèves d’y accéder au moment de la collecte) et d’attribuer si besoin des droits différents aux participants à la collecte (de simple contributeur à éditeur-administrateur du projet).
L’élaboration d’un formulaire de collecte est ensuite requise. Cela s’apparente à la création d’un questionnaire, pour lequel de nombreuses options sont disponibles : jour et horaire précis, questions à choix unique (QCU) ou multiple (QCM), questions ouvertes (valeurs numériques ou zones de texte), mais aussi enregistrements de fichiers « medias » à partir du smartphone (photos, vidéos, sons) qui seront alors hébergés dans la base de données créée au même titre que les autres réponses. Cette fonctionnalité est particulièrement utile si l’on souhaite aussi travailler sur la photo ou l’image plus généralement. Enfin, la géolocalisation est une des questions cruciales à insérer dans le formulaire, notamment dans la perspective de récupérer les points sous forme de coordonnées (latitude/longitude) pour établir une carte. Epicollect permet également de définir les réponses aux questions comme obligatoires ou facultatives, ce qui est une option intéressante dès lors que l’on souhaite que certaines informations soient toujours renseignées. La démarche de création d’un formulaire se prête parfaitement à une discussion collective en classe.
Collecter les données
La collecte des données peut s’effectuer individuellement ou par petits groupes, par le biais de l’application installée au préalable sur le smartphone. Pour retrouver le formulaire de saisie, il faut ajouter un projet et le retrouver grâce à son nom, on peut alors ajouter des entrées au fil de la collecte. Tout dépend de l’objectif visé, mais la représentativité de la collecte est en partie fonction de la quantité de données saisies. La collecte peut s’effectuer hors ligne, mais une connexion internet est nécessaire à la fin de celle-ci pour envoyer toutes les données sur le site.
Document 2. La collecte de données dans l'application. |
Récupération des données et cartographie
Une fois la collecte effectuée, on peut avoir un aperçu des données récoltées en cherchant le projet sur le site web d’Epicollect et en cliquant sur View data, si cette collecte est publique (document 3). On peut dès lors visualiser les données sous deux formes possibles : celle d’une base de données (Table) ou celle d’une carte (Map). La base de données (Table) peut être exportée en format CSV, en vue d’un usage dans un tableur, voire directement dans un système d’information géographique (de type QGIS) ou autre application de cartographie, sous forme de fichiers de points.
Document 3. Page de visualisation des données collectées
Document 4. Carte obtenue à partir d’une collecte en s’appuyant sur le type de message et en utilisant le mode de représentation « clusters » (regroupements).
On peut aussi utiliser la fonction Map d’Epicollect pour explorer les données (document 4). Il suffit de cliquer sur Map pour accéder à l’interface cartographique, soit pour un simple affichage des points selon divers modes de représentation (Clusters, Heatmap, Markers à droite de la carte), soit en interagissant avec les données via quelques options classiques (filtrage en fonction du temps au moyen d’un curseur temporel, distribution des réponses en fonction de variables de catégories…). Chaque élève ou étudiant pourrait ainsi produire ses propres visualisations.
2. L’exemple des inscriptions politiques et militantes à Lyon
Afin d’illustrer ce mode de collecte de données par un cas concret, nous prenons ici l’exemple d’un travail réalisé entre janvier et avril 2023 par les élèves de première année de géographie de l’ENS de Lyon. Celui-ci portait sur les inscriptions politiques et militantes dans l’espace public et avait lieu dans le cadre d’un cours de géomatique. Le travail de terrain s’est déroulé dans certains quartiers de Lyon choisis par les élèves.
Les élèves ont choisi d’étudier le lien entre militantisme et espace public par le prisme des inscriptions. Un resserrement du sujet aux affiches et inscriptions portant un message politique, partisan, propagandiste sous toutes ses formes – y compris activistes, contestataires, communautaires – fut défini, et des espaces à étudier par groupe de trois personnes furent délimités. Il s’agissait alors d’élaborer un questionnaire propre à ce thème, en veillant à choisir des informations qui puissent être aisément collectées sur le terrain, en particulier : la date et l’heure (relevés automatiques), l'identité du collecteur ou de la collectrice, la géolocalisation (relevé automatique), la nature de l’inscription, le type de support, le nombre d’inscription(s) du même type, la dimension de l’inscription, l'état de l’inscription, le caractère militant (ou non), le type de message. La prise de photographies (détaillée et d’ensemble) et la mention de possibles commentaires venaient conclure la collecte d’informations pour chaque inscription.
Document 5. Détail du questionnaire mis en place pour la collecte des inscriptions militantes (chaque « question » est ajoutée depuis le volet de gauche par simple glisser/déposer, avant d’être paramétrée dans le menu de droite). |
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Document 6. Captures d’écran de certains relevés effectués dans le cadre du projet Epicollect « Collecte inscriptions Lyon 2023 », prises le 23 juin 2023 à titre d’exemple pour l’article. |
L’application Epicollect5 s’est révélée efficace et adaptée pour appréhender l’hétérogénéité des messages et de leurs supports. Dans le cas des inscriptions militantes, les étudiants et étudiantes ont ainsi pu collecter et photographier aussi bien des petits autocollants sur des poteaux que des tags ou graffitis occupant des pans entiers de façades. La fonction de géolocalisation permet de créer des objets ponctuels uniquement (cela peut apparaître comme une limite de l’outil, mais facilite en revanche sa prise en main), ce qui n’était pas dommageable ici, l’objectif étant avant tout de situer chaque inscription à quelques mètres près.
Concrètement, lors de la phase de collecte, la plupart des groupes se séparaient par souci d’efficacité, pour se concentrer sur une rue ou sur le côté d’une place. Au final, grâce au travail de 15 élèves (répartis en cinq groupes), ce sont plus de 1 940 inscriptions, autocollants, affiches, qui ont été collectées dans divers quartiers de Lyon. On peut observer sur la carte ci-dessous les informations collectées pour certains quartiers, ici regroupées selon le nombre d’inscriptions dans un espace donné (mode de représentation en clusters).
Document 7. Capture d’écran de la carte générée automatiquement à partir des données collectées sur le projet « Collecte inscriptions Lyon 2023 ».
Parce qu’il s’agissait d’une collecte de données destinées à être réutilisées dans le cadre d’un cours d’analyse de données et de géomatique, les élèves ont ensuite été amenés à importer ces données dans le logiciel QGis (système d’information géographique), afin de réaliser différentes cartes sur les espaces étudiés.
Par exemple, un groupe a travaillé sur les inscriptions politiques et militantes dans le bas des Pentes de la Croix-Rousse, au nord du 1er arrondissement de Lyon, un quartier touristique du centre historique socialement mixte et en cours de gentrification (Collet, 2015). Comme dans d’autres quartiers étudiés, la distribution spatiale des inscriptions a pu être questionnée, révélant des zones de plus ou moins forte concentration. Le document 1 illustre la grande variété des inscriptions, tant dans leur nature et dans le support des inscriptions, que dans les contenus et les messages véhiculés par celles-ci. Plusieurs groupes ont ainsi cherché à analyser les orientations politiques et militantes dominantes ou surreprésentées au sein des quartiers étudiés, par le seul prisme des inscriptions collectées. Sans le développer ici, ces représentations a priori objectives (car issues de collectes exhaustives et des indicateurs quantitatifs qui en dérivent) ont permis de confirmer et d’illustrer des spécificités plutôt bien connues de la géographie du militantisme et plus largement de la géographie sociale de Lyon.
Cet exemple pointe la diversité des analyses spatiales qui peuvent être réalisées à partir d’une telle collecte, indépendamment de la dimension temporelle qui peut également être travaillée (de surcroît ici pour des inscriptions sur la voie publique, par définition éphémères).
Plus généralement, il faut insister sur la possibilité de faire plusieurs usages des collectes réalisées, même les plus élémentaires. Ainsi, la base de données elle-même peut être reprise dans un tableur pour réaliser des analyses statistiques simples, ou être utilisée pour constituer une bibliothèque d’images sur un sujet donné.
Bibliographie
- Collet Anaïs (2015), « Annexe 2. La gentrification des Pentes de la Croix-Rousse : quelques données statistiques », in Rester bourgeois. Les quartiers populaires, nouveaux chantiers de la distinction. Enquêtes de terrain, 2015, éd. La Découverte
- Epicollect, « Free and easy-to-use mobile data-gathering platform », s. d., consulté le 29 mai 2024.
- Foucaud-Scheunemann C. (2018), « EpiCollect5, une application de science participative pour la surveillance des milieux aquatiques », INRAE Institutionnel, 8 janvier 2018.
- Freifeld C. C. et al (2010), « Participatory Epidemiology: Use of Mobile Phones for Community-Based Health Reporting », PLoS Medicine, vol. 7, no 12, 7 décembre 2010.
Mots-clés
Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : cartographie participative | système d'information géographique.
Les auteurs remercient Luc Merchez, maître de conférences en géographie, ENS de Lyon, pour sa supervision et ses relectures.
Marguerite-Marie PUSSIAU
étudiante en géographie à l'ENS de Lyon
Baptiste RITZ
étudiant en géographie à l'ENS de Lyon
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Marguerite-Marie Pussiau et Baptiste Ritz, « Carte à la une. Utiliser une application de collecte pour réaliser des cartes et des analyses à partir de ses propres données », Géoconfluences, octobre 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/epicollect