Carte à la une. Les "panneaux marron" sur les autoroutes du Massif central, fabrique d'un récit touristique
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Document 1. Derrière la signalisation touristique, une diversité de thèmes à l’échelle du Massif central (septembre 2020). Cette carte a été réalisée à partir du recensement de l’ensemble des panneaux sur les autoroutes situées dans le Massif central ou représentant des objets inscrits dans ce même périmètre. Source : Google Street View, 2020. Accès à la base de données en ligne : https://public.flourish.studio/visualisation/8561270/. |
>>> Le mémoire qui a inspiré le présent article (Laval, 2022) repose sur la constitution d'une base de données recensant 478 panneaux dont on peut voir une visualisation cartographique ici. |
La carte à la une présente les thématiques visibles sur les panneaux touristiques autoroutiers à l’échelle du Massif central. Couramment appelés « panneaux marron », ils sont désignés dans le langage technique par l’expression « signalisation d’animation culturelle et touristique » (SACT).
La carte couvre un espace de 85 000 km2 et 21 départements : le Massif central ((Le périmètre retenu est celui défini par la DATAR en 2006.)), région plus marquée par une diversité paysagère et historique qu’une identité régionale à part entière (Rieutort, 2005). Plusieurs points communs se dressent : un espace surtout rural avec seulement trois agglomérations dépassant 130 000 habitants, la dominante de la moyenne montagne ou encore l’importance du tourisme vert. Les autoroutes de cette région résultent surtout de politiques volontaristes d’aménagement et de désenclavement du territoire. Certaines d’entre elles, notamment l’A75 du nord au sud et l’A89 d’ouest en est, traversent le cœur de cette moyenne montagne, contrairement aux autoroutes alpines par exemple, qui empruntent les fonds de vallée. Elles atteignent ainsi des altitudes uniques à l’échelle européenne, jusqu’à 1 121 mètres au col des Issartets (Lozère).
À cette échelle, l’examen des « panneaux marron » permet d’insister à la fois sur des éléments de récurrence (proximité de l’autoroute, valorisation du patrimoine historique et naturel) mais aussi de différenciation (logiques du concessionnaire, patrimoine retenu à grande échelle). Au-delà de la diversité des thèmes ((Le mot "thèmes" est utilisé dans le vocable autoroutier pour décrire n’importe quel élément représenté sur un panneau d’animation touristique (activité, cours d’eau, monument, région, ville, etc.).)) retenus, cette carte met aussi en scène un « Massif central de carte postale », et un récit idéalisé du territoire et de son passé.
Document 2. Le panneau « Vézelay : patrimoine mondial » (Yonne) au kilomètre 217, sur l’autoroute A6 en direction de ParisArtiste : Floc’h. A6, département de l’Yonne, km 217,3, sens Lyon/Paris. Source : Google Street View, 2023. Situé sur l’autoroute du Soleil, ce panneau illustre le renouvellement de la signalisation touristique d’APRR (Autoroutes Paris-Rhin-Rhône) depuis 2018. Le concessionnaire a souhaité renouveler l’intégralité de son parc de panneaux d’animation, en retenant un modèle « totémique » (6 m de haut, 3 m de large) puis en sollicitant des graphistes professionnels pour une esthétique renouvelée et un graphisme plus fin. La basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay, édifiée au XIIe siècle, représentée en haut du panneau au sommet de la butte, est un lieu important de la chrétienté médiévale, mais aussi un point de départ du pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Elle est inscrite depuis 1979 au patrimoine mondial de l’UNESCO, un critère souvent retenu par les concessionnaires. On devine à l’arrière-plan les deux panneaux suivants, « Chasselux : une épopée millénaire » et « Avallon : ville-jardin », ce qui illustre la récurrence de cette signalisation. |
1. Une signalisation encadrée par une politique d’ensemble et un cahier des charges strict… et sujet aux exceptions
Résultant d’expérimentations sur l’A9 par le ministre de l’Aménagement du territoire Olivier Guichard, les « panneaux marron » sont réglementés par la circulaire interministérielle du 11 avril 1974 concernant la signalisation touristique. Déployer des panneaux d’une couleur minoritaire (mais rappelant le patrimoine) et d’un graphisme original par rapport au reste du code de la route permet, selon le SÉTRA ((Le SÉTRA (Service d'études sur les transports, les routes et leurs aménagements) est devenu au 31 décembre 2013 le Direction infrastructures de transports et matériaux au sein du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA).)), de lutter contre l’hypovigilance des conducteurs (Gay, 1994). Plusieurs types de panneaux existent derrière cette appellation générale à laquelle se rajoute le type E33a pour les parcs naturels : H11 présentant un texte seul, H12 avec une image seule, H13 regroupant un graphisme et sa légende (document 3).
Document 3. Les différents modèles de panneaux d’animation culturelle touristique (exemples à partir de la base de données constituée) |
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Document 3a. Type H11 sur l’autoroute A9. A9, département de l’Hérault, km 150,3, sens Orange/Espagne. Google Street View, 2021. |
Document 3b. Type H12 sur l’autoroute A89. Auteur des pictogrammes inconnu. A89, département de la Loire, km 471,5, sens Bordeaux/Lyon. Google Street View, 2021. |
Document 3c. Type H13 sur l’autoroute A20. Artiste : La Fabrique Créative. A20, département de l’Indre, km 114,0, sens Montauban/Vierzon. DIR Centre Ouest, 2022. |
Document 3d. Type E33a sur l’autoroute A7. Le logo est celui du parc naturel régional. A7, département de la Drôme, km 139,7, sens Marseille/Lyon. Google Street View, 2021. |
Bien que facultative, la signalisation touristique, dont le coût unitaire par panneau peut dépasser 40 000 €, résulte d’une procédure à la fois longue et stricte. Elle est d’autant plus complexe que les autoroutes de cette région font l’objet d’une gestion différenciée, entre concessionnaires privés (APRR, ASF - Autoroutes du Sud de la France) et des gestionnaires publics (DIR - directions interdépartementales des routes) ; ce qui explique l’existence de différents graphismes pour un même thème. L’objet de chaque panneau découle d’un dossier de (pré-)brief, d’une longueur excédant 80 pages parfois, où est recensé l’ensemble des informations attachés à un lieu ou un territoire (lieux, paysages, personnages). En découle une concertation bottom-up pour déterminer ce qui ressort de l’emblématique et du consensuel. Chaque panneau doit être approuvé par un courrier du préfet de Région ainsi que d’autres acteurs dont la liste est parfois fluctuante : les demandeurs et maîtres d’ouvrage, les services locaux de l’État dont celui en charge du tourisme, les chambres de commerces et d’industrie, etc. (encadré 1). De la décision à l’installation, la démarche implique alors environ 15 mois de réflexion et de procédure.
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La réglementation de cette signalisation est très stricte. Ne peuvent être représentés que l’ensemble des éléments jugés remarquables et visibles depuis l’autoroute, sur son emprise ou à 30 km maximum d’une sortie par la route. Sont exclus les objets contrevenant à la sécurité routière dont la lutte contre l’alcool, les éléments relevant de la publicité commerciale et ceux en redondance avec le reste de la signalisation verticale (document 5). La dimension maximale des panneaux est de 20 m2. Seuls 10 panneaux peuvent être placés au maximum sur un tronçon de 50 km, même s’ils peuvent être rapprochés de 150 m. Toutefois, il existe de nombreuses dérogations à cette réglementation, appuyées à la fois par les concessionnaires, les graphistes et les élus locaux auprès du préfet de Région. Elles concernent la possibilité d’installer de nouveaux panneaux dans des zones d’agglomération où les sorties sont souvent rapprochées mais aussi sur d’autres sites jugés emblématiques bien qu’à plus de 60 km d’une sortie parfois.
Document 5. Les thèmes possibles les panneaux touristiques autoroutiers
Ce document de 2013 correspond à la recommandation la plus récente à notre connaissance. Source : SÉTRA (dir.), « Que signaler ? Les thèmes possibles », Signalisation d’animation culturelle et touristique. Signalisation de repérage, 2013 (2e édition), Sourdun : CEREMA, p. 15-30. |
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2. Des panneaux qui narrent le patrimoine et les territoires tout en fabriquant un espace touristique
La signalisation d’animation culturelle touristique repose sur un souci de repérage de l’automobiliste dans l’espace. Cela est d’autant plus important que l’effet-tunnel, marqué par un espacement entre deux sorties dépassant parfois la trentaine de kilomètres dans le Massif central, renforce la dimension de circuit fermé de l’autoroute et comme entité spatiale non appropriée (Dumoulin, Masse & Tremblay, 1999). Présenter ces lieux et territoires environnants permet ainsi de répondre à la question « où suis-je ? » que peut se poser l’automobiliste durant un trajet.
Toutefois, cette même notion de proximité est à la fois floue et relative car aucune distance n’est explicitée. Il s’agit généralement de sites accessibles à partir des routes du prochain échangeur et de leurs branches ; avec le plus souvent un ordonnancement de ces derniers par distance croissante depuis la sortie. Pour caractériser cette proximité spatiale, on peut préciser que 79 % des thèmes indiqués dans le Massif central se situent à moins de 20 km à vol d’oiseau d’une autoroute (documents 1 et 6).
Document 6. Disposition de la signalisation culturelle et touristique sur l’autoroute A20 entre Brive-la-Gaillarde et CahorsL’objectif de ce document est de montrer, à partir de sections intégralement inscrites dans le périmètre de l’étude, à cheval entre deux départements mais aussi entre deux gestionnaires différents, puis de contextes géographiques et autoroutiers divers, la distribution spatiale de la SACT en décembre 2021 et leur ordre d’apparition. Cette réalité, décrite au kilomètre près (un trait équivaut à 1 km peu importe son épaisseur), souligne la distance séparant plusieurs panneaux puis celle entre ces derniers et les sorties. Sources : Autoroutes Sara, Google Street View (en plus de la base de données initiale), 2021. Cette figure englobe d’une part une section de l’A20 gratuite et gérée par la DIR Centre-Ouest (de la sortie 51 à la sortie 53) et d’autre part une autre, payante et concédée à ASF, de ce même axe (de la sortie 53 à la sortie 57). Elle permet, de Brive-la-Gaillarde à Cahors, de couvrir des portions de deux départements, appartenant à deux régions administratives différentes. Sur le tronçon étudié, la disposition de la signalétique par ordre croissant de la distance depuis la sortie n’est pas toujours respectée. Elle l’est parfaitement entre les sorties 54 et 55 et sorties 56 et 57 dans le sens nord-sud puis entre les sorties 56 et 55 dans le sens sud-nord. En revanche, le panneau d’Assier (Lot) est un contre-exemple : il est situé après celui de Gourdon alors que cette dernière est deux fois plus proche par la route qu’Assier. On observe même une redondance du panneau concernant la vallée de la Dordogne, répété dans les deux sens, alors qu’elle a été traversée 25 km auparavant par les automobilistes en provenance de Toulouse. |
À partir de ces panneaux, les gestionnaires et graphistes souhaitent montrer que l’autoroute ne traverserait pas une région de « vide » sur le plan patrimonial. Ce terme, à la fois englobant et réducteur, est évoqué à plusieurs reprises par les différents gestionnaires autoroutiers, ce qui traduit une certaine perception du patrimoine retenu mais également sa hiérarchisation dans une région donnée. La politique d’animation sur autoroute produit alors un certain type d’espace touristique.
De plus, le patrimoine et le tourisme défendus par la politique d’animation touristique sur autoroute repose surtout sur la mise en avant du passé. Les « panneaux marron » tendent à figer dans l’espace et dans le temps une réalité souvent datée mais essentialisée. Au sein du corpus de panneaux considéré, le Moyen-Âge est surreprésenté pour ce qui concerne le patrimoine bâti ; le XIIe siècle étant le plus mis en avant sur ces panneaux. L’époque médiévale est 6 fois plus représentée que la période contemporaine. Ainsi, ces panneaux témoignent d’un récit historique correspondant aux représentations des commanditaires, souvent à partir des sites et des personnages récurrents dans l’imagerie populaire et les programmes scolaires d’autrefois.
3. Retracer « l’essentiel » des lieux et des territoires : un objectif à double tranchant
Les « panneaux marron » doivent être présentés de façon très concise. Il s’agit de concilier la vitesse des automobilistes, élancés jusqu’à 130 km/h, avec les capacités de visualisation et de traitement de l’information par l’œil humain. Cet objectif de concision est pourtant contredit par le niveau de précision croissant des graphismes ces dernières années. Nombreuses sont les astuces pour « compresser » l’information dans un panneau : un logo ou un symbole au lieu d’un texte, l’emploi de cartouches avec un effet de zoom, etc.
La notion d’essentiel constitue un fil rouge à suivre. À l’échelle départementale, il s’agit entre autres de sélectionner les « Tours Eiffel » ((Entretien avec Damien Cercueil, conducteur d’opération de l’animation touristique pour APRR et AREA (Société des Autoroutes Rhône-Alpes.)) du territoire. Celles-ci correspondent aux lieux et territoires jugés à la fois emblématiques pour les habitants, les élus et les gestionnaires autoroutiers, et en retour importants à partager auprès des automobilistes occasionnels. Cette stratégie vaut surtout pour le département de l’Allier, dans le cadre de l’ouverture de l’A79 le 4 novembre 2022 : le conseil général de l’Allier a imposé à ALIAE (Autoroute de Liaison Atlantique Europe) et à l’artiste Cruschiform de mettre en avant les principaux sites touristiques de l’Allier, à l’image des trois villes thermales les plus fréquentées ou du parc animalier du Pal ((La dimension scientifique de la section zoologique du parc permet de signaler ce site, même s’il s’agit aussi d’un parc d’attractions (voir document 5).)). Sur un panneau donné peuvent être regroupés différents éléments qui semblent omettre les rapports d’échelle et la distance métrique entre deux lieux (document 7).
Document 7. Compresser mais altérer l’information géographique, le panneau « Les Monts-Dore / Massif du Sancy » (Puy-de-Dôme) sur l’autoroute A75Artiste : Bernard Thévenet. A75, département du Puy-de-Dôme, km 11,3 (sens Clermont-Ferrand/Béziers). DIR Massif Central, 2022 (document interne). Panneau installé en 2023. Ce panneau présente une richesse informative très resserrée autour de cette région au cœur du PNR des Volcans d’Auvergne, non sans altérer la réalité sur un plan topographique. Ces limites sont décrites par Philippe Rouchon. Alors qu’à vol d’oiseau la distance entre le château de Murol et le puy de Sancy (point culminant du Massif central avec 1 886 mètres d’altitude) s’élève à 11,6 km, celle entre ce même édifice et le lac Chambon à 1,8 km. De même, contrairement à ce que suggère le panneau, il n’existe aucun téléphérique allant du sommet du Sancy au versant est des Monts-Dore ; la cabine de téléphérique n’existant qu’au niveau de la commune du Mont-Dore qui se situe au niveau du versant opposé à celui présenté sur le panneau. Enfin, on identifie de part et d’autre du panneau une famille de randonneurs en tenue estivale face à un skieur dévalant une piste enneigée, afin de montrer que des activités de loisirs sont possibles à toute saison. |
Conclusion
Sur les autoroutes françaises, la signalisation d’animation culturelle et touristique regroupe une large diversité de thèmes, inscrits dans un espace flou où les distances s’avèrent imprécises. Elle offre une image positive des thèmes retenus ; que ce soit par la reconnaissance d’un intérêt touristique de ce dernier ou certaines stratégies de représentation. Ces mêmes panneaux sont ainsi plus ou moins organisés au fil des trajets des automobilistes, ce qui permet de mettre en scène les thèmes retenus. Cette signalisation est alors un dispositif d’intermédiation entre l’autoroute comme espace de circulation fermé et les lieux et territoires voisins.
Bibliographie
- Dumoulin Jacinthe, Masse Michel et Tremblay Jacques, « La signalisation touristique, boussole des automobilistes », Espaces, tourisme et loisirs, 1999, vol. 63, p. 29-49, [En ligne].
- Gay Jean-Christophe, « La mise en décor d'un paysage : la signalisation autoroutière d'animation de la société ESCOTA en Provence-Alpes-Côte d'Azur », L'Espace géographique, 1994, vol. 23, n°2, p. 175-185, [En ligne].
- Laval Florian (2022), La signalisation autoroutière d’animation culturelle et touristique dans le Massif central : un récit spatialisé multiforme, mémoire soutenu le 23 juin 2022 à l’ENS de Lyon, devant un jury composé de Matthieu Adam (EVS – CNRS), Éric Langlois (UMR Territoires – UCA) et Antoine Laporte (EVS – ENS de Lyon).
- Mallet Isabelle, « Représentation de l'identité territoriale et valorisation patrimoniale des territoires », Mémoire(s) de l'espace : configurations spatiales et (re)constructions identitaires, 2009, vol. 3, [En ligne].
- Rieutort Laurent (dir.), Le Massif central. Hautes terres d’initiatives, CERAMAC (hors-série), Clermont-Ferrand : Presses universitaires Blaise Pascal, 2005, 124 p.
- SÉTRA (dir.), Signalisation d’animation culturelle et touristique. Signalisation de repérage, 2013 (2e édition), Sourdun : CEREMA, 60 p.
Filmographie
- Coupy Seb, L’image qu’on s’en fait, 2018, Les Films du Tambour de Soie, Lyon Capitale TV, Bip TV. ISAN n° 0000-0004-4B8E-0000-X-0000-0000-C.
Mots-clés
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Florian LAVAL
Étudiant en M2 FEADéP (Formation à l'Enseignement, Agrégation de Géographie et Développement Professionnel) – ENS de Lyon
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Florian Laval, « Carte à la une. Les "panneaux marron" sur les autoroutes du Massif central, fabrique d'un récit touristique », Géoconfluences, janvier 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/panneaux-marron-massif-central