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Carte à la une : Miami ville sonore

Publié le 26/06/2015
Auteur(s) : Violaine Jolivet - Université de Montréal

Mode zen

Miami ville sonore est une carte interactive réalisée à partir de la récolte d'échantillons sonores dans la ville de Miami. La carte a été produite pour démontrer l’importance des sons comme composante de notre rapport aux espaces vécus, visités, traversés et permet à l’utilisateur de parcourir à son gré la ville ou de suivre des parcours thématiques commentés qui donnent des indications sur les échantillons sonores et les ambiances écoutées.

Bibliographie | citer cet article

Le regard des enseignants
Miami ville sonore

Sources et conception : V. Jolivet. Réalisation : H. Parmentier
(application de cartographie web : ArcGIS Online, contenus multimédias hébergés sur YouTube
)

Pour accéder à la carte sonore, cliquez sur la carte ci-dessus.

 

La carte présente la localisation de 31 échantillons sonores recueillis par l'auteure entre 2010 et 2012 dans la ville de Miami à l’aide d’un enregistreur à 360°. Des photographies [1] leur sont associées afin de visualiser les contours des espaces urbains, tandis que la carte en fond permet de localiser les échantillons les uns par rapport aux autres et de passer de l’échelle du comté à celle de la ville, du quartier et de la rue [2].

Les échantillons sonores récoltés sont le fruit d’une étape d’un travail de doctorat [3] où les sonorités ont été utilisées comme des géo-indicateurs d’une géographie sensible et sociale de la ville. L’alliance avec le visuel renforce l'approche sensible des ambiances urbaines au sein de différents quartiers et différents types d’espaces urbains (marché, trottoirs, aéroport, nouveaux quartiers, quartiers centraux etc.). Cette carte participe d'une « cartographie sensible qui garde pour fondement certains principes de la cartographie classique, mais s’en émancipe par d’autres aspects. […] La « carte sensible » permet à la cartographie d’avoir un ancrage dans l’espace vécu » (Olmedo, 2015).
Le but est ici de donner à entendre les valses du quotidien dans différents quartiers de Miami et de révéler ainsi les paysages sonores. En effet, la dimension sonore de l’espace géographique ne se limite pas à « une approche simplificatrice qui limite la richesse sémantique de la palette des sons extérieurs à la seule expression de leur niveau sonore et à la gêne éventuelle qu’elle procure » (Chetélat, 2009). La notion de paysage sonore est la traduction de soundscape (contraction entre landscape et sound), terme forgé par le Canadien R. Murray Schafer dans ses travaux novateurs des années 1970, autour des concepts d’environnement et d’écologie sonore. L’étude du paysage sonore est une façon de se renseigner sur les comportements de l’homme vis-à-vis des sons et de l’espace et permet de relever les caractéristiques sonores de l’environnement audible (les musiques, les bruits ou les parlers) résultant d’une relation sensible entre les hommes et leurs espaces vécus (Schafer, 1979).
À Miami, les paysages sonores peuvent fournir un outil utile de compréhension de l’environnement urbain par une approche sensible de la fragmentation spatiale et de la créolisation, c’est-à-dire la mise en relation des cultures (Glissant, 1990). Trois parcours sont offerts aux perceptions et à la sensibilité auditive de chacun.

Parcours n°1 : Miami la cubaine

Le parcours débute (1) à l’aéroport international de Miami, plaque tournante des échanges inter-américains (Girault, 2003) avec plus de 15.3 millions de passagers vers ou en provenance de l’Amérique latine en 2013.
Deux échantillons localisés dans le centre-ville (downtown) confirment les impressions données par l’aéroport : Miami est bien une ville aux circulations intenses. Les sirènes (2) et l’agitation du centre-ville (3) laissent entendre les conversations bilingues (Jolivet, 2015b). Miami est habitée par plus de 65 % d’Hispaniques, dont plus 30 % de Cubano-Américains au dernier recensement (2010).
Pour gagner l’ouest, il faut suivre l'artère principale, la S.W 8th Street, plus connue sous le nom de "Calle Ocho" qui permet de passer par Brickell (4) : il s’agit du centre financier de la ville, dont les tours d’appartements de luxe (high-rise condominiums) et les sièges de banques internationales ont surgi de terre en lien avec la réussite de la communauté cubaine dans les années 1980–1990.
Une fois l’autoroute I-95 traversée, le parcours mène à Little Havana, quartier hispanique à plus de 95 % où, comme l’annonce le son des mariachis, diverses cultures latines se mêlent (5) (Audebert, 2008, Jolivet, 2015a, 2015b). Mais l'empreinte des Cubano-Américains reste forte dans ce qui fut leur premier quartier d’insertion, espace fondateur de l'histoire de la communauté en exil. C'est ainsi que le parc (6) Maximo Gomez (l’un des pères de l’Indépendance cubaine) continue à attirer les Cubains en exil comme les touristes à la recherche de Cuba à Miami. Le bruit typique des dominos qui frappent la table et les conversations animées se font entendre jusqu’à la fermeture du parc le soir.
Le long de la Calle Ocho (7), les Cubains sont souvent propriétaires des boutiques et les classes moyennes ont investi depuis les années 2000 le quartier. La Calle Ocho est le cœur symbolique et la vitrine de la présence cubaine à Miami. Les musiques latines s’échappent des autoradios comme des commerces (8). Les voitures vont bon train sur cette route à trois voies commerçante car même au cœur de la Calle Ocho, Miami est bien une ville de la Sunbelt, conçue pour l’automobile (9). Au bout de Little Havana, presque aux limites de la ville de Miami, un lieu hautement symbolique de l’exil permet de consommer la fameuse coladita, ce petit café très fort et très sucré typiquement cubain (10). Le restaurant « Versailles » doit son nom, non pas à Louis XIV, mais à un quartier résidentiel de La Havane où vivait une partie de la bourgeoisie cubaine. Le « Versailles », ne désemplit pas : de jour comme de nuit, il est un lieu central pour la communauté cubaine où plus ou moins riches viennent partager un repas, un café et bien sûr parler de politique !
Retour enfin vers le centre-ville à bord du bus n°8 (11), qui suit l’ensemble de la S.W 8th street, de la banlieue très cubaine de Westchester au downtown de Miami.

Parcours n°2 : Quartiers centraux et gentrification

Ce parcours commence dans la partie Est de Little Havana, au cœur du « barrio » (quartier pauvre hispanique).  Ici, plus de la moitié de la population est centre-américaine et 35 % vivent en dessous du seuil de pauvreté. Délaissée par les Cubains à partir des années 1980, cette partie de Little Havana a accueilli des vagues migratoires successives et connu un processus de délabrement. Pourtant, depuis les années 1990-2000, ce quartier situé au bord de l’eau et à deux pas du centre, est en pleine reconquête par les élites cubaines qui dirigent Miami. Le bruit des marteaux piqueurs à l’œuvre pour bâtir de nouveaux condominiums (15), puis celui du chant des coqs dans les espaces encore en friche (16), sont ceux d'un quartier en pleine transition.
De l’autre côté de l’autoroute 836 et de la rivière, un autre quartier hispanique : Allapattah permet également de siroter un café cubain accoudé à la ventana, fenêtre offrant un comptoir à même la rue (19). Cette pratique est très courante dans les quartiers hispaniques de Miami (18).
L’échantillon suivant (20) matérialise la fracture induite par le tracé des autoroutes dans le paysage urbain. Ces discontinuités dans le tissu urbain accentuent la sensation d’enclavement et la ségrégation entre les quartiers dits « ethniques » et le reste de la ville ou, comme ici, entre un quartier hispanique et un quartier afro-américain.
L’entrée à Liberty City se fait alors sentir, en rupture avec l’ambiance latine. La communauté afro-américaine est la plus touchée par la crise économique et le chômage. De nombreux petits commerces ont fermé et la crise des subprimes et ses foreclosures  ont fait des ravages (21). Pourtant dans ce lot vide de la 62ème rue, cela fait des années que la municipalité promet de reconstruire des logements sociaux.
De l’autre côté de l’autoroute I-95 (22), on entre dans un autre quartier noir, constitué à partir des années 1980 à la suite de l’arrivée de boat people haïtiens. Bienvenue à Little Haiti (23) où résonnent parfois les tambours (24).
Plus au sud, voici Wynwood, le quartier traditionnellement portoricain (26). Mais de lucratives opérations immobilières ont transformé radicalement ce quartier populaire et de part et d’autre de l’autoroute, de nouvelles appellations ont fleuri : "Design District" et "Midtown". Écoutez (25) l'ambiance de Shops @ Midtown.
En quittant ce mall pour prendre un Jitney (27), on ressent une forte impression de décalage : ces minibus privés qui tentent de pallier le manque de transports publics à Miami relient les quartiers au centre-ville. Ce mode de transport collectif ressemble aux taptap portoprinciens avec des discussions qui s’animent et des autoradios qui crient à tue-tête.

Parcours n° 3 : Miami ville mondiale et fragmentée

Ce parcours débute à l’aéroport international de Miami (1) espace clé de la puissance économique de Miami qui générait 33,5 milliards de dollars de revenu en 2013. Cet aéroport, le premier des États-Unis pour le fret international (devant New York et Los Angeles), est le point crucial de l'économie mondialisée de la métropole, accueillant sans relâche marchandises et passagers.
De l’aéroport, si le visiteur ou le touriste ne gagne pas la plage (municipalité de Miami Beach), il se dirigera sans doute vers le quartier agréable de Coconut Grove (13) et (14), au sud. Ancienne plantation de cocotiers et bastion des ouvriers agricoles noirs, c’est aujourd’hui un quartier trendy dont la marina et les cafés branchés font la renommée malgré la résistance des premiers résidents afro-américains exclus des nouvelles économies et représentations du quartier.
De là, on peut rejoindre le quartier paisible de The Roads (12). Première banlieue de Miami dans les années 1930-1950, The Roads est devenu un quartier recherché par les classes moyennes cubaines, pour sa proximité du centre et ses caractéristiques typiques des suburbs : « calme », voiture et jardinet.
Juste au nord (5) c’est déjà Little Havana, le premier ghetto cubain à Miami fondé à la suite de la victoire de F. Castro en 1959. Ce quartier en pleine gentrification reste encore habité par une majorité de Centre-Américains modestes, notamment à East Little Havana, la prochaine escale (31) pour une petite pause à la cafeteria Libertad.
En suivant la NW 7th Street, on s'enfonce dans la partie la plus pauvre de ce quartier : ici, ni attraction touristique ni échoppe attractive, juste le ballet quotidien des voitures et les cris des enfants s’échappant de la cour de récréation (17).
Les voitures sont aussi omniprésentes au cœur d’Overtown (29). Alors que ce quartier était considéré comme un ghetto afro-américain relativement prospère et bénéficiait d’une vie culturelle reconnue qui lui valut le surnom The Harlem of the South (Dunn, 1997), son centre a été éventré par le tracé des autoroutes lors de l’étalement urbain (1960-1970). Les familles les plus prospères ont alors quitté le ghetto, laissant ce quartier devenir l’un des plus violents et désœuvrés de la ville. La mélodie du marchand de glaces n’arrive pas à couvrir le brouhaha incessant des voitures dans lequel vivent les habitants (30).
De l’autre côté de l’autoroute s’élèvent les hangars d’un des marchés de gros de l’agglomération (28). Les productions agricoles venues de la grande périphérie de Miami et de toute l’Amérique latine sont ensuite reexpédiées dans tout le continent américain.
Puis c’est la variété des populations issues des mobilités migratoires dans ce chaudron ethnique entre cosmopolitisme et ségrégation que les deux échantillons suivants donnent à entendre. D’abord à Allapattah où la concentration des populations dominicaines est la plus forte du comté (19) puis à Little Haiti (22) qui accueille depuis les années 1980 une population haïtienne importante,  encore renforcée par une nouvelle vague migratoire depuis le séisme de 2010 en Haïti.
Le parcours s’achève au centre-ville (2), accueilli par le son des sirènes qui rappellent que les circulations intenses à l’échelle de la ville comme du monde sont aussi au cœur des dispositifs de sécurité à l’ère de la mondialisation néolibérale, dont Miami est un carrefour. L’hyper-mobilité de certains et l’immobilisme forcé d’autres fragmentent un peu plus les territoires urbains de chacun.

Répartition de la population selon les catégories du recensement en 2010 dans le comté de Miami-Dade


 

Notes

Ressources complémentaires :

Ressources bibliographiques :
Ressources webographiques :

 

 

Violaine JOLIVET,

Professeure en géographie à l’Université de Montréal

avec la collaboration pour la réalisation de la carte sonore : Hervé PARMENTIER, AI cartographe, ENS de Lyon

 

 

Pour citer cet article :

Violaine Jolivet, « Miami ville sonore », Carte à la une de Géoconfluences, juin 2015.
URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/carte-a-la-une-miami-ville-sonore

 

Pour citer cet article :  

Violaine Jolivet, « Carte à la une : Miami ville sonore », Géoconfluences, juin 2015.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/carte-a-la-une-miami-ville-sonore

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