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Image à la une. Lutte contre l’érosion marine, projet urbain et conflits d’acteurs sur la plage de l’Anse Vata (Nouméa)

Publié le 16/04/2024
Auteur(s) : Julie Picard, maîtresse de conférences - université de Bordeaux, INSPÉ de l'académie de Bordeaux

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Sur la plage de l’Anse Vata, à Nouméa, un projet de réaménagement fait débat. Les travaux s’élevant à plus de 2,2 milliards de francs Pacifique (soit plus de 18 millions d’euros) visent, sur un peu plus d’un kilomètre, à requalifier l’espace de promenade et à enrayer l’érosion de la plage, aggravée par les effets du changement climatique. La suppression de voies de circulation, d’espaces de pelouses et l’arrachage d’arbres ont provoqué le mécontentement de certains habitants.

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aux arbres citoyens

Document 1. « Aux arbres, citoyens… » Panneau, grafitti et action de protestation contre les travaux d’aménagement de l’Anse Vata.

 
  • Autrice du cliché : Julie Picard
  • Date de prise de vue : 7 décembre 2022
  • Localisation : plage de l’Anse Vata, Nouméa sud, Nouvelle-Calédonie. 22°30’ sud ; 166°44’ est.
  • Droits d’usage : photographie libre de droits pour tout usage pédagogique, hors usage commercial.

Le regard de la géographe

Au sud de Nouméa, les plages de la Baie des Citrons et celle de l’Anse Vata constituent des espaces de loisirs fréquentés à l’échelle de la ville. Exposée au sud (plus frais) et aux alizés, l’Anse Vata attire quotidiennement des férus de sports nautiques mais également des jeunes, des familles, habitants de Nouméa ou touristes (métropolitains, australiens, néo-zélandais...). Le phénomène de l’érosion marine s’y est intensifié : selon les experts (SEACOAST, 2019), le talus littoral aurait reculé de plus de six mètres par endroits en sept ans, dégradant la végétation et les infrastructures publiques. Le passage en 2021 des épisodes dépressionnaires Lucas et Niran ont aggravé la situation. Les rapports du GIEC, eux, projettent une élévation des niveaux marins comprise, à Nouméa, entre 50 et 150 centimètres à l’horizon 2150.

Carton de localisation

« Le projet phare » de la municipalité de Nouméa pour lutter contre l’érosion marine

Des mesures d’urgence ont d’abord été prises, puis un vaste projet de réaménagement porté par la municipalité a été voté à l’unanimité en septembre 2021. Les travaux ont été organisés en trois « tranches » thématiques (document 2) :

  • stabilisation du trait de côte par un mur de confortement avec gradines (sur 840 mètres)
  • requalification de la voirie et de l’espace de promenade (document 3)
  • protection durable de la baie avec des ouvrages off shore (brise-vagues) (non encore installés au début de l’année 2024).

Ce projet a rapidement cristallisé les tensions.

document de la mairie

Document 2. Présentation et localisation de la première phase des travaux (2022). Source : Ville de Nouméa via Les Nouvelles Calédoniennes du 3 avril 2022.

Visuel 3D projet

Document 3. Visuels 3D de la futur promenade. Source : Rapport d’étude d’impact environnemental, 2021.

 

Un conflit d’acteurs centré au départ sur les intérêts locaux

Plusieurs groupes d’acteurs se sont mobilisés pour exprimer leur mécontentement en lien avec ce projet, qu’ils estiment engendrer un « bétonnage massif » et être responsable de la déstabilisation des activités économiques locales. Chaque groupe d’opposants a déploré le manque de concertation avec les habitants. La phase de consultation publique lancée au début de l’année 2022 a été jugée trop tardive (les grandes lignes du projet ayant déjà toutes été actées), trop brève et trop compliquée (en raison de problèmes techniques lors du dépôt des remarques sur le site de la mairie).

Les professionnels de sports nautiques ont été les premiers à réagir. Le responsable de l’école de voile et d’autres spécialistes, qui louaient jusqu’ici leur matériel directement depuis leur van ou camion, garé en bordure de plage, ont dû s’excentrer. Les places de stationnement « en épi » côté mer ont été remplacées par des places longitudinales (moins nombreuses), au-delà du nouvel espace de promenade, large d’une dizaine de mètres. Les professionnels doivent donc traverser chaque matin et chaque soir cette promenade avec leur matériel (planches, rames, canoës, voiles, etc.), ainsi que la nouvelle route (réduite à deux voies au lieu de quatre), car ils n’ont plus l’autorisation de stationner côté mer, contrairement aux visiteurs occasionnels.

Des habitants se sont constitués en association au début de l’année 2022 (Association de sauvegarde de l’Anse Vata) en vue de protester contre ces nouvelles conditions de stationnement et de circulation (ils militent pour une piste cyclable délimitée et sécurisée au sein de l’espace promenade), ainsi que pour le reverdissement global du projet urbain. La page Facebook passe de 2 200 membres en févier 2022 à près de 5 900 membres en avril 2023, inégalement actifs.

Via l’appui du réseau social Facebook, les membres de l’association se sont mobilisés sous diverses formes. Une autre association calédonienne, Ensemble pour la Planète (EPLP), a déposé deux recours devant le Tribunal administratif pour tenter, en vain, de faire cesser les travaux. Jusque-là plutôt localistes, pragmatiques, voire contradictoires (entre la demande de pistes cyclables et le refus de réduire la place du stationnement), les arguments des opposants ont peu à peu intégré des revendications écologiques plus larges. 

Une demande plus large de nature en ville qui cristallise les tensions

Sur un total de 286 arbres recensés, 114 ont été abattus, dont 97 cocotiers (SEACOAST, 2019) – qui participaient pourtant à la cartepostalisation (document 6) de l’Anse Vata en tant que « plage tropicale paradisiaque » ((Voir « Anse Vata : des travaux qui font des vagues », entretien avec Antoine Wiplier, trésorier de l’ANG (association Nouméa Glisse) et Thibault Mary, porte-parole de l’association Droit au vélo, 18 février 2022, diffusé sur NC News, (consulté en mars 2024).)) ; si quelques arbres de la plage ont été conservés (25), d’autres ont été arrachés puis transplantés (23 dont 7 banians) et un grand nombre ont été nouvellement plantés, mais de petite taille (182) (document 3). La promenade perd 56 arbres par rapport à 2019 (6 %) et le paysage est radicalement transformé. Les militants ont revendiqué la création d’îlots de verdure supplémentaires et la préservation d’espaces ombragés et de pelouses (document 4). De nombreuses études prouvant que le maintien ou la restauration des écosystèmes côtiers atténue d’une manière générale l’effet des vagues et leur pénétration dans les terres (Magnan & Duvat, 2023), ces arrachages ont été très mal perçus par la population locale.

Banian déraciné à la minipelle

Document 4. Un banian est déterré à la minipelle. Sacs de remblais au premier plan. Plage de l’Anse Vata, cliché de Julie Picard, avril 2023.

 

Des actions collectives ont été organisées par quelques opposants : manifestations (par exemple une cinquantaine de personnes le 4 mars 2023), marches, affichage de slogans et dessins de croix sur les arbres qui allaient être arrachés (document 1), mesures prises à la caméra thermique au niveau des pelouses ombragées et de celles exposées au soleil, publication sur Facebook de photographies de dégradations réalisées sur les récentes marches de béton (document 5), partage d’anciennes cartes postales de la baie (document 7) avec commentaires empreints de nostalgie...

Grafiti

Document 5. Graffiti sur l’espace promenade tout juste réaménagé, extrémité est de l’Anse Vata (publication Facebook, avril 2023). L’inscription « Nimag KNLP » correspond à un pseudonyme retrouvé parmi les utilisateurs calédoniens de Facebook, mais non membre des groupes d’opposition aux travaux.

Carte postale : plage de l'Anse Vata.

Document 6. Carte postale représentant la plage de l’Anse Vata dans les années 1970 ou 1980. Elle a été diffusée dans une publication Facebook en décembre 2022) avec le commentaire suivant : « Gardons bien nos photos anciennes et cartes postales... Elles vont devenir collector ! ».

 

Ces mobilisations ont vu leur argumentaire évoluer en 2023, érigeant la baie de l’Anse Vata en symbole patrimonial de la ville, à protéger. Pour les habitants de longue date, l’ensemble du quartier représente un lieu emblématique, un territoire de mixité et de sociabilité océanien ancien, désormais menacé (voir Boltz, 2023). Le projet de construction d’ici 2025 de deux tours de quinze étages comprenant commerces, bureaux et logements sur le front de mer (document 7) est décrié ; une fois encore, l’association accuse les promoteurs et la municipalité de défigurer le paysage, de risquer d’engorger l’axe littoral, tout comme de ne pas anticiper le problème de la gestion des eaux usées.

Aqua Luna

Document 7. Panneau promotionnel des futures tours Aqua Luna. Cliché : Julie Picard, mars 2023.

 

 

Ces diverses manifestations et mobilisations n’ont ni empêché l’avancée rapide des travaux, ni la profonde et durable recomposition du paysage littoral.

Un site patrimonial symbolique recomposé et stabilisé (jusqu’à quand ?)

À l’heure où le problème de l’érosion marine et de la montée des eaux se mondialise, les approches divergent. Certains auraient préféré voir leur ville opter pour une méthode plus en harmonie avec la nature et donc plus durable (réensablement des plages, revégétalisation, zones tampons...) (Magnan & Duvat, 2023 ; Le Berre, 2017 ; Paskoff, 2010). Ces méthodes ont été envisagées ailleurs, lorsque le site et l’exposition le permettaient, sur la plage de Magenta à Nouméa par exemple, où des palétuviers sont soigneusement replantés notamment à l’initiative de l’association SOS Mangrove, mais aussi sur d’autres littoraux de la Grande Terre et des Îles Loyauté (Garcin & Vende-Leclerc, 2015 ; AFD, 2020). La municipalité de Nouméa, en vue de maintenir (à court et moyen terme) les activités socio-économiques, a fait le choix de méthodes « rigides » et d’une lutte active contre l’érosion en proposant des ouvrages massifs, statiques (mur de confortement, brise-vagues), ainsi qu’une artificialisation de cette partie du littoral. Si le rapport d’étude d’impact environnemental affirme offrir « un espace de liberté » à la plage sableuse (p. 13), il annonce également que la protection contre l’érosion de celle-ci sera effective durant une quinzaine d’années seulement (« à horizon 2035 »). Les effets environnementaux négatifs de ces aménagements s’inscriront donc, eux, sur le long terme.

Ce projet de lutte contre l’érosion marine s’insère dans l’histoire de la littoralisation de l’île. Plus de deux Calédoniens sur trois habitent désormais dans l’une des quatre communes de l’agglomération du Grand Nouméa (plus de 182 000 personnes en 2019), contre un sur deux il y a cinquante ans (Rivoilan, 2020). Une forte pression démographique s’exerce depuis les années 1930-40 (notamment en lien avec le « boom du nickel » des années 1970) sur les littoraux de la capitale et leur artificialisation est ancienne. La multiplication des zones de remblais a permis à Nouméa d’étendre son territoire sur la mer, tout en accentuant sa vulnérabilité face aux risques (Valentin, 2017) ((Sur les remblais, voir aussi un exemple d’exploitation pédagogique, en classe de sixième, troisième ou première : Llantia C., 2022, « Évolution des remblais de la ville de Nouméa », Géorep/OBLIC/Vice-Rectorat, Nouméa, « Cartes à la une », n° 2, avec une carte à l’échelle de Nouméa en annexe (page 4 du PDF).)). Le cas de l’Anse Vata, même à haute valeur symbolique aujourd’hui, ne fait que s’inscrire dans la continuité d’une longue histoire de modification anthropique du trait de côte à Nouméa.

Plusieurs interrogations demeurent à l’issue de cette brève présentation : quel aurait pu être (ou pourrait être ?) le rôle de l’OBLIC (Observatoire du Littoral de Nouvelle-Calédonie), outil d’aide à la décision créé en 2013 ? Qu’en est-il de l’UNESCO, qui a classé une partie des lagons calédoniens au Patrimoine mondial dès 2008 ? La sphère d’acteurs au sein de ce conflit environnemental reste vaste et nécessite une analyse approfondie à plus long terme.

 


Bibliographie

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : cartepostalisation | conflit d'acteurs | conflit environnemental | érosion | France d'outre-mer | littoral.

 

L’autrice remercie chaleureusement Vincent Clément, maître de conférences en géographie à l’Université de la Nouvelle-Calédonie (UNC), pour son accueil, ses conseils et ses relectures.

Julie Picard

Maîtresse de conférences, université de Bordeaux, INSPÉ de l'académie de Bordeaux, laboratoire Passages, UMR 5319.

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Julie Picard, « Image à la une. Lutte contre l’érosion marine, projet urbain et conflits d’acteurs sur la plage de l’Anse Vata (Nouméa) », Géoconfluences, avril 2024.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/anse-vata-noumea

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