Mégafeux, du vocabulaire médiatique à la caractérisation scientifique
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En 2022, le magazine Géo écrivait : « À l'heure où la planète semble chaque jour s'enfoncer dans un scénario climatique plus apocalyptique que la veille, les mégafeux se multiplient dans le monde, sous l'effet du réchauffement climatique ». Les incendies qui ont ravagé plusieurs régions du monde en 2025, l’Espagne et le Portugal, mais surtout l’Aude en France au cours de l’été, ainsi que la région de Los Angeles, en Californie en janvier 2025, ont ravivé le débat récurrent depuis quelques années sur ces feux de grande intensité, se propageant sur des espaces importants et causant souvent des dégâts catastrophiques, surtout lorsqu’ils touchent des zones aménagées et peuplées, comme les périphéries de grandes agglomérations. Cette actualité est répétée au cours des dernières années : Amazonie en 2019, Australie en 2019-2020, Sibérie en 2019, 2020, 2021, Canada en 2023, Gironde en 2023, Grèce en 2023 et 2024 ou encore au nord du Japon et en Corée en février-mars 2025 et, comme évoqué plus haut, plusieurs autres régions du monde en 2025... Dans son ouvrage Quand la forêt brûle (2022), la philosophe Joëlle Zask affirmait que « le phénomène des mégafeux agit comme un révélateur de notre rapport à la nature », comme symptôme spectaculaire du réchauffement climatique qu’il contribue à accélérer. Pourtant, si ces événements font la une des médias grand public, un rapide tour d’horizon de la littérature scientifique sur le sujet en montre bien la complexité. Il existe en effet peu de consensus sur l’objet mégafeu, ni de définition universellement acceptée du phénomène et encore moins sur ses causes et mécanismes. Le lien, souvent invoqué, avec le changement climatique existe de façon certaine, mais il est loin d’être simple. Nous proposons donc ici, d’abord de définir plus précisément l’objet du débat, puis d’en décrire le fonctionnement et d’en explorer les processus déterminants.
1. Mégafeux. De quoi parle-t-on ?
Dans un premier temps, il serait utile de préciser les termes utilisés pour parler des feux et incendies de végétation en général. Le terme générique anglais wildfire n’a pas vraiment d’équivalent en français. En France, on parle principalement de feu de forêt, notamment dans le cadre des plans de prévention des risques d’incendies de forêts (PPRIF) ou dans le langage des médias. En réalité, le terme couvre une large gamme de type de végétation, comprenant aussi maquis, landes, broussailles, parmi lesquels les vraies forêts sont minoritaires (document 1). C’est dans ce sens qu’il faut entendre la notion de feux de forêt dans une grande partie du monde, en particulier les forêts de type méditerranéen et les forêts boréales en Europe (document 2) et en Amérique. Dans les espaces tropicaux, certaines forêts peuvent brûler, mais ce sont surtout des formations de type savane qui prennent feu, d’où le terme de feu de brousse (document 3). Les régions de steppe et de prairie peuvent aussi connaitre des incendies importants. Dans ces différents cas, l’expression adaptée serait feu de végétation. Cependant, des feux touchent aussi souvent des étendues tourbeuses. De façon générique, nous parlerons donc ici de feu ou d’incendie de biomasse.
Document 1. Évolution des surfaces brûlées à l’échelle mondiale, entre 2002 et 2022, selon les types de végétation concernés

Source : Global Wildfire Information System, ourworldindata.org / CC BY, adapté par Jean-Benoît Bouron pour Géoconfluences, 2025.
Document 2. Moyenne annuelle des surfaces brûlées (en hectares) dans les principaux pays concernés en Europe
| Surfaces brûlées en hectares | Portugal;Ukraine;Espagne;Italie;Grèce;Turquie;Bosnie-Herzégovine;Albanie;Roumanie;Monténégro;Croatie;France;Bulgarie | |||
| 96360;88167;79570;55802;50318;48225;33181;23969;22889;16216;15755;13765;13588;12311 | #e31e51 |
Source des données : Copernicus EFFIS Statistics portal.
Document 3. Les espaces des feux de brousse en Afrique soudano-zambézienne et à Madagascar

Distribution des feux enregistrés par les données MODIS en 2018. Source : Ballouche, 2019.
Si la notion de mégafeu ou méga-incendie est mal définie dans la littérature scientifique, il serait prétentieux de vouloir ici lui donner une délimitation définitive. De fait, le terme est surtout en usage courant dans les médias et les outils d’information du grand public, repris ensuite par les interfaces d’intelligence artificielle. « Les mégafeux sont des incendies de grande ampleur qui se propagent rapidement, dévastant des étendues considérables de terres forestières et menaçant les communautés environnantes » nous dit le site futura-sciences.com (consulté le 14 mars 2025).
Dans la littérature scientifique, la notion de méga-incendie est encore considérée comme un concept émergent utilisé pour décrire les incendies extrêmes par leur taille, leur comportement ou leurs effets, mais sa signification reste ambiguë (Linley et al., 2022). Si le terme a pu apparaitre dans la presse ou le monde des assurances dès les années 1980, il semble bien que sa première utilisation scientifique date de 2005 (Williams et al., 2005). Pourtant, Tedim et al. en 2018, puis Stoof et al. en 2024, notent encore que le désaccord sur les paramètres utilisés pour définir un méga-incendie rend ce terme problématique et ambigu. Selon les auteurs, ces incendies sont définis par divers paramètres, notamment la taille des surfaces concernées (Godfree et al., 2021), leur comportement (French et al., 2016), leur résistance au confinement, le dépassement des capacités des moyens de lutte mobilisés (Tedim et al., 2015, Rigolot et al., 2020) ou encore leurs conséquences socio-économiques ou environnementales (Groisman et al., 2017).
Comme le laisse entendre le préfixe méga (du grec μέγας), l’étendue des surfaces brûlées par l’incendie est un critère majeur dans sa qualification. Pourtant, sur ce critère non plus il n’y a pas de consensus : à partir de 1 000 hectares en Europe, 10 000 aux États-Unis, voire 100 000 dans certaines études en Australie. D’après Linley et al. (2022), 10 000 ha serait le seuil de taille le plus couramment admis, pour des feux résultant d’un ou de plusieurs événements d’inflammation liés. Ces auteurs introduisent aussi deux termes supplémentaires – gigafire (> 100 000 ha) et terafire (> 1 000 000 ha) – pour les incendies d’une ampleur encore plus grande que les mégafeux. Le calcul de ces surfaces diffère cependant selon les sources. Dans les études consultées, il y a finalement peu de grands incendies d’un seul tenant qui couvriraient de telles superficies. Le terme mégafeu est, en fait, appliqué à une grande variété de situations, allant de regroupements d’incendies concomitants dans l’espace et le temps, à des événements distincts qui se sont succédé dans une région, et jusqu’à parfois la somme des incendies sur toute une saison des feux.
De plus, la taille d’un incendie ne dit rien de ses impacts. Outre leurs effets sur l’environnement, la biodiversité, les paysages et les biens, sans parler des victimes potentielles, ces feux se caractérisent par leur comportement qui dépasse tous les efforts de contrôle. C’est pourquoi Stoof et al. (2024) suggèrent que, le terme méga-incendie étant largement utilisé comme un terme émotif, ambigu et informel, il vaudrait mieux réserver son utilisation aux médias grand public. Pour autant, le terme de fire exceptional event, de plus en plus utilisé par les services américains de lutte contre les catastrophes naturelles, s’il a bien un sens pratique, ne semble pas plus satisfaisant pour toute la communauté scientifique. Des termes alternatifs semblent pouvoir être celui de Very large fires (VLFs), incendies de très grande ampleur, de plus de 5 000 ha d’après Barbero et al. (2015), ou celui d’extreme wildfire event (EWE), événement de feu de forêt extrême, proposé par Tedim et al. (2018). Ce dernier est conçu en tant que phénomène socio-écologique défini à la fois comme processus et résultat.
2. Comment cela fonctionne-t-il ?
Comme tous les feux et incendies de biomasse, les mégafeux obéissent à un certain nombre de déterminants impliquant les éléments de ce qu’on appelle le triangle du feu : un combustible, un carburant, une étincelle. Nous proposons ici de les décliner ainsi :
- des facteurs de prédisposition, généralement le type de végétation et le climat, parfois certains modes d’utilisation des sols ;
- des facteurs d’éclosion, naturels (foudre, éruption volcanique, ignition spontanée) ou anthropiques (causes accidentelles, imprudence, malveillance) ;
- des facteurs d’extension, principalement la structure et la composition de la végétation, mais aussi le vent et la topographie.
Ainsi, les forêts denses humides équatoriales sont peu prédisposées aux incendies car le climat y est pluvieux toute l’année et la végétation toujours verte, donc non-combustible. En revanche, les forêts méditerranéennes qui subissent des étés chauds et secs et sont en partie composées de résineux, tout comme les forêts boréales, sont plus exposées, car prédisposées au feu. À l’échelle mondiale, ce sont toutefois les milieux de type savane ou les formations arbustives et herbeuses (maquis, landes, steppes, prairies…) qui fournissent l’essentiel des surfaces brûlées (documents 1 et 3). Les facteurs de déclenchement des incendies sont souvent d’origine anthropique mais en proportion très variable selon les types de milieux et les régions. En France, d’après la Base de données des incendies et feux de forêt (BDIFF), 90 % des départs de feux ont pour origine les activités humaines. Ailleurs dans le monde, ce pourcentage peut être encore plus élevé comme pour les feux de brousse des savanes soudaniennes d’Afrique de l’Ouest, mais beaucoup moindre dans les forêts boréales du Canada. Au Québec, 80 % des feux de forêt seraient dus à la foudre.
Les conditions d’extension, donc de propagation, des feux sont un facteur important pour comprendre le fonctionnement des incendies de très grande ampleur. La structure de la végétation est l’élément déterminant, notamment le caractère plus ou moins continu de la biomasse combustible (arborée ou herbeuse) qui permet ou pas la propagation du feu après son éclosion. Les forêts boréales offrent ainsi une bonne prise aux grands feux, de même que certaines formations méditerranéennes assez denses comme les maquis du Portugal et de Grèce (document 2) ou le chaparral californien. En revanche, les savanes soudano-zambéziennes d’Afrique, qui sont certainement les milieux qui brûlent le plus au monde (document 3), sont surtout affectées par de très nombreux feux de brousse d’extension, comparativement, plus modeste ; cela, principalement en raison de la discontinuité de la strate graminéenne combustible et la forte fragmentation d’un paysage savanicole très anthropisé (Caillault et al., 2015 ; Ballouche, 2019). Les savanes sahéliennes, où la strate graminéenne est indigente et très discontinue, ne brûlent que très peu. Le vent, souvent cité comme facteur de propagation des feux, ou la topographie ont, en fait, un rôle secondaire : aggravant mais jamais cause première des incendies. D’autres facteurs climatiques et météorologiques, comme la sécheresse et la température, peuvent jouer un rôle plus direct en renforçant les conditions de prédisposition. Contrairement à ce qui est souvent écrit dans la presse, des facteurs comme la chaleur ou le vent contribuent au déclenchement ou à l’extension des feux mais n’alimentent pas les flammes : c’est le combustible qui joue ce rôle.
Les conditions d’occurrence des incendies de très grande ampleur ne se réduisent pas à ces facteurs plus ou moins naturels. Une fois ces conditions réunies, pour qu’un évènement hors norme justifiant la qualification de méga-incendie se produise, d’autres modalités de comportement du feu et de réponse à ce comportement entrent en jeu. Celles-ci interviennent en amont de l’évènement, comme pendant et après.
En amont, les interventions humaines participent à tous les niveaux dans le déclenchement et la propagation des incendies, comme dans la lutte contre eux. En favorisant les déclenchements mais aussi en les limitant par la prévention et la sensibilisation sur le terrain, et en agissant sur les conditions de propagation au travers de la gestion du combustible par le défrichement, le débroussaillement ou des pares-feux… L’une des définitions des mégafeux est leur résistance au confinement et leur capacité à échapper au contrôle. Par conséquent, les mesures de prévention mises en œuvre, et la gestion du feu une fois déclenché, notamment les moyens de lutte mobilisés, sont essentielles. De la même façon, le caractère extrême ou hors normes de tels incendies se mesure à leurs effets sur les enjeux exposés, qu’il s’agisse des biens et des personnes ou des environnements touchés, comme la biodiversité et les paysages. Cela ne résulte pas seulement de l’intensité ou de l’ampleur de l’incendie mais bien plus souvent de l’exposition et de la vulnérabilité des enjeux et du manque de mesures pour atténuer cette vulnérabilité, voire de l’insuffisance des moyens de lutte ou d’intervention.
3. Quelles dynamiques ?
Après la mise au point sur ce que sont les incendies de grande ampleur et les facteurs qui interviennent dans leur fonctionnement, il est aussi nécessaire de s’interroger sur les forçages en jeu dans ce fonctionnement et donc les évolutions qui peuvent en résulter. D’après Tedim et al. (2018), le comportement et les effets des mégafeux résultent de l'interaction complexe entre de nombreux facteurs, que l’on peut distinguer en fonction de leur échelle d’action. Ces auteurs distinguent, d’une part, les processus macro, agissant à l'échelle globale ou régionale, comme les forçages climatiques, et, d’autre part, les processus et conditions locaux, qu’ils soient d’ordre biophysique (météorologie, structure de la végétation) ou humains (gestion du risque). Ces forçages sont parfois distingués en forçages descendants, qui opèrent de manière relativement homogène sur de grands espaces, et en forçages ascendants, qui interviennent sur les conditions du déclenchement et de la propagation des feux et qui hétérogénéisent spatialement leur activité (Arseneault et al. 2023).
Parmi les facteurs descendants, on compte les grands types climatiques, avec leurs modes de variabilité, et les tendances climatiques décennales ou séculaires. Des liens entre l’activité des feux aux l’échelles globale et régionale et des phénomènes cycliques comme l’ENSO ont clairement été établis mais l’hypothèse la plus souvent discutée est celle du rôle du changement climatique global. Pour de nombreux auteurs, ce changement climatique semble clairement accroître le risque de feu, notamment celui des incendies de grande ampleur (Barbero et al. 2015, Wu et al. 2021, UNEP 2022, Burton et al. 2024). Le rapport d’experts, diffusé en 2022 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP) et le centre d’information et de données GRID-Arendal, prévoit une augmentation mondiale des incendies extrêmes pouvant atteindre 14 % à l’horizon de 2030, 30 % d’ici à 2050 et 50 % à la fin du siècle. Ce rapport constate que le risque sera élevé même dans des régions peu touchées par les feux incontrôlés, comme l'Arctique. À l’échelle globale, des études comme celle de Burton et al. (2024) démontrent, en utilisant un ensemble de modèles d'incendies, que le changement climatique explique de plus en plus les schémas régionaux de superficies brûlées, avec une augmentation mondiale de 15,8 % pour la période 2003-2019, et surtout avec une contribution grandissante du climat dans la dynamique de feux sur cette période. Aux États-Unis, en Australie ou au Canada, ainsi qu’en Europe, les mêmes tendances sont prédites pour le XXIe siècle (Barbero et al., 2015 ; Groisman et al., 2017 ; Hanes et al., 2019 ; Arseneault et al., 2023). Pour la France, de nombreuses projections des effets du changement climatique sur l’activité des incendies au XXIe siècle, confirment une augmentation générale attendue de l’exposition potentielle aux feux dont l’amplitude varie selon les scénarios du GIEC et les horizons temporels (Pimont et al. 2023) (document 4). Pour autant, en France, les grands feux pris en compte dans cette étude sont ceux supérieurs à 100 ha.
Document 4. Évolution des zones potentiellement sensibles aux incendies de forêts en France d’ici au milieu du XXIe siècle

Source : carte IFN, IGN AEE et Météo France, Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique, mai 2010.
Si la plupart des simulations projettent une augmentation attendue de l’exposition aux feux en lien avec le changement climatique, dans pratiquement tous les milieux, cela ne veut pas forcément dire que les incendies, et à fortiori ceux de grande ampleur, vont augmenter dans les mêmes proportions. Comme le montre le document 1, la tendance mondiale des surfaces brûlées serait même à la baisse. Sur le terrain, il faut en effet prendre aussi en compte le rôle des facteurs ascendants qui sont bien plus importants dans la dynamique réelle des incendies. L’article de Burton et al. (2024), qui établit un effet du changement climatique sur la dynamique des feux, montre aussi que des facteurs de forçage humains ont, en revanche, contribué à réduire la superficie brûlée de 19,1 % au cours de la période d’étude (2003-2019). Comme nous l’avons vu plus haut pour les feux de brousse en Afrique de l’Ouest, dans de nombreuses régions du monde, la dégradation du couvert végétal ou plus généralement sa fragmentation limitent le développement d’incendies de grande ampleur. Dans des pays relativement proches par leurs climats et leurs types de végétation – le Portugal, l’Espagne et le Maroc – la taille des surfaces brulées annuellement est très différentes, en raison même de l’état du couvert végétal. Comme s’en prévaut l’Agence Nationale des Eaux et Forêts marocaine (ANEF), le Maroc se distingue au niveau méditerranéen par le taux le plus faible de surface incendiée par rapport à sa superficie forestière totale, mais cela n’est qu’en partie dû aux « mesures stratégiques d’attaque précoce des feux » de l’agence. L’état très fragmenté de la forêt au Maroc y contribue aussi grandement. En revanche, au Portugal, pays le plus touché par les feux de forêt en Europe, de vastes régions vidées de leur population par la déprise agricole et en grande partie reboisées en pins et en eucalyptus offrent une prise idéale aux grands incendies (document 2). On comprend bien ainsi pourquoi les forêts boréales avec leur vaste extension de résineux sont particulièrement exposées. Cependant, même dans ce cas, au Canada, Arseneault et al. (2023) montrent que la dynamique des feux est fortement influencée par les conditions d’humidité locale ou la nature des forêts, à dominance de résineux ou de feuillus. Les paysages comportant une proportion élevée de jeunes forêts offrent aussi une plus grande résistance à l’allumage et la propagation des feux que les vielles forêts.
Un autre élément remarquable est la vulnérabilité des aires protégées aux incendies de grande ampleur. C’est un fait avéré en Afrique de l’Ouest que la densité des feux de brousse est généralement bien plus élevée dans les parcs nationaux et autres réserves, qu’en dehors de ceux-ci (Caillault et al. 2015). En Australie, les feux de l’été 2019-2020 ont particulièrement touché les parcs nationaux du Sud-Est du pays. On a principalement évoqué à cette occasion les conséquences sur la faune par mortalité directe ou encore par perte d'habitat et de sources de nourriture. Pourtant, les aires protégées, par le fait même que la végétation y est souvent plus dense et plus fournie que dans les espaces environnants, offrent de fait une plus grande vulnérabilité aux incendies de grande ampleur (document 5).
Document 5. Les incendies de 2020 dans le Sud-Est de l’Australie

Image du satellite Aqua de la NASA du 4 janvier 2020 montrant les incendies dans le Sud-Est de l’Australie (données MODIS et VIIRS) avec la situation des principaux parcs nationaux : Wollemi Nat. Park, Blue Mountains Nat. Park et Alpine Nat. Park. Source : NASA Earth Observing System Data and Information System (EOSDIS).
On voit ainsi comment, parallèlement à l’augmentation des températures et des sécheresses, les changements d’affectation des terres peuvent soit limiter les conditions favorables aux feux, soit fournir au feu un combustible plus fourni et plus inflammable, et être un facteur clé des incendies. Par exemple, en 2017, Andela et al. ont constaté que la superficie brûlée mondiale aurait diminué de près de 25 % au cours des 18 années précédentes, l’expansion et l’intensification de l’agriculture ayant été les principaux facteurs de cette baisse. En même temps, dans le domaine méditerranéen, en Europe comme en Amérique du Nord, la déprise agricole, le recul du pâturage et du pastoralisme ou la perte des pratiques traditionnelles de brûlage ont permis l’expansion des maquis, garrigues et forêts sur les zones abandonnées et une accumulation de combustible, augmentant ainsi le risque d'incendies de grande ampleur (Rouet-Leduc et al., 2021). Les boisements et reboisements, à la fois à des fins de sylvicoles et de restauration, ont aussi créé des peuplements homogènes d'espèces inflammables telles que les pins et l'Eucalyptus.
Les incendies de grande ampleur se définissent aussi par leur capacité à échapper à la maîtrise des sociétés qui y sont confrontées. La gestion du risque et celle du feu une fois déclenché sont finalement le dernier maillon de cette chaîne dynamique. Une plus grande exposition de l’habitat, une perception inadéquate du risque, une mauvaise organisation de la lutte contre l’incendie et une préparation insuffisante des communautés vulnérables sont autant d’éléments qui peuvent expliquer le développement des événements de feu exceptionnels. Les incendies d’Hawaï en 2023 ou ceux de Los Angeles en janvier 2025 illustrent bien cet état des choses. Dans ce dernier cas, de vives critiques ont été émises sur les infrastructures de lutte contre le feu : bouches d’incendie vides et réserves d’eau insuffisantes, retardant l’attaque précoce des feux, absence de débroussaillage, baisse du budget des pompiers… On a même découvert l’existence de sociétés privées de pompiers dont les services étaient réservés aux plus riches ! (Le Monde du 11 janvier 2025). Les conséquences d’un tel incendie sont certes de grande ampleur et exceptionnelles – une trentaine de morts et des milliers de déplacés, au moins 23 000 ha de forêt brûlés, des milliers de bâtiments partis en fumée, et des pertes économiques estimées entre 250 et 275 milliards de dollars – mais on est bien loin là de la catastrophe naturelle due uniquement au changement climatique (document 6).
Document 6. L'incendie de Palisades, dans l’agglomération de Los Angeles, en janvier 2025

Cliché du département de la forêt et de la protection contre les incendies de Californie (Cal Fire), le 8 janvier 2025. Licence Creative Commons BY-NC. Nombreuses photos du même événement prises par les pompiers de Californie (CAL FIRE_Official) sur cette page.
Plus largement, si l’expression de Joëlle Zask sur l’Anthropocène qui serait devenu « pyrocène » a un sens, il convient de plus en plus de dépasser les visions trop déterministes des incendies de grande ampleur et de les concevoir comme un phénomène socio-écologique complexe. Wu et al. (2021), s’appuyant sur une étude approfondie des tendances régionales et mondiales en matière de dynamiques d’incendies de végétation et de surfaces brulées, soulignaient l’importance d’inclure dans les modèles de feux les changements socio-économiques et démographiques, dans un contexte de changement climatique. Dans cette perspectives, les politiques environnementales et de gestion du risque sont peut-être l’élément clé à renouveler, en étant davantage axées sur la prévention des incendies plutôt que sur leur suppression. Un regard critique sur ces politiques est certainement nécessaire. Moreira et al. (2020), suggéraient un changement de paradigme : l'efficacité des politiques ne devant pas être principalement mesurée en fonction de la superficie brûlée, mais plutôt en fonction des dommages et pertes socio-écologiques évités (Rigolot et al. 2020). Il serait, aussi, crucial de reconnaitre et mieux prendre en compte les modes « traditionnels » de gestion des feux dans les différents contextes culturels.
Conclusion
Avec les réserves nécessaires sur le terme de mégafeu lui-même, la conclusion de cet article ne peut évidemment être univoque.
La plupart des projections du changement climatique, qu’il s’agisse de rapports d’experts ou d’études scientifiques, suggèrent une augmentation de l’exposition au risque d’incendie dans toutes les régions du globe au cours des dernières et des prochaines décennies, souvent accompagnée d’un allongement de la saison favorable aux feux. Malgré leur caractère nécessaire, les facteurs de prédisposition et d’éclosion, le climat et les activités humaines, qui sont invoqués dans ces projections, ne sont jamais suffisants pour expliquer le développement d’incendies de grande ampleur. Ce sont en revanche les facteurs d’extension des incendies et ceux qui déterminent leurs conséquences, environnementales et socio-économiques, qui semblent être la cause essentielle des dynamiques complexes que connaissent ces feux. Une compréhension sérieusement fondée sur les processus de leur fonctionnement, de leur fréquence et de leur distribution spatiale reste difficile à cerner et les données disponibles en ce qui concerne leur gravité sont encore limitées.
Comme l'écrivaient, en 2016, S. Doerr et C. Santín, les perceptions largement répandues dans les médias et certains rapports d’experts selon lesquelles les feux de forêt seraient un problème qui s'accélère, et l'idée associée d'une augmentation de leur fréquence, de leur gravité et des dégâts qui en résultent, doivent être mieux circonstanciées. Malgré d'importantes exceptions, les preuves quantitatives disponibles ne soutiennent pas toujours ces tendances perçues. Les sources d'incertitude susceptibles d'affecter la fiabilité des projections relatives aux feux relèvent autant des scénarios climatiques et des modèles de relations climat-incendie que de l'influence de l’état des combustibles, des rétroactions feu-végétation et des facteurs anthropiques des relations climat-végétation-incendie (Dupuy et al., 2020 ; Rigolot et al., 2020). La superficie mondiale brûlée a globalement diminué au cours des dernières décennies, notamment en raison de la dégradation et de la fragmentation des couverts végétaux dans beaucoup de régions.
Paradoxalement, s’il semble, en première approximation, qu’il s’agisse d’un problème global, en relation avec des forçages globaux, cette échelle n’est peut-être pas la plus pertinente pour comprendre le phénomène des mégafeux, autrement dit des incendies de grande ampleur. Une approche géographique qui combine les différentes échelles spatiales, qui dépasse les déterminismes simplificateurs et qui intègre tous les facteurs humains (socio-économiques, politiques et culturels) reste encore à développer pour proposer une vision holistique de l'événement d’incendie exceptionnel en tant que phénomène socio-écologique.
Bibliographie
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Mots-clés
Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : climat | dérèglement climatique global | ENSO | forçage | formation végétale | mégafeu | risque.
Aziz BALLOUCHE
Université d’Angers, UMR ESO 6590 CNRS
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Aziz Ballouche, « Mégafeux, du vocabulaire médiatique à la caractérisation scientifique », Géoconfluences, septembre 2025.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/changement-global/articles-scientifiques/megafeux-du-vocabulaire-mediatique-a-la-caracterisation-scientifique



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