Vous êtes ici : Accueil / Articles scientifiques / Dossiers thématiques / Les systèmes socio-écologiques face aux changements globaux / Articles scientifiques / Un exemple de restauration écologique fondée sur la réintroduction et l’interventionnisme, l’île de Tiritiri Matangi (Nouvelle-Zélande)

Un exemple de restauration écologique fondée sur la réintroduction et l’interventionnisme, l’île de Tiritiri Matangi (Nouvelle-Zélande)

Publié le 13/11/2025
Auteur(s) : Andréa Poiret, indépendante, formation en géographie et en patrimoine et musées - université Paris I Panthéon-Sorbonne

Mode zen PDF

Modifiée par les Maoris depuis leur arrivée, puis entièrement défrichée pour l'élevage par les colons européens, Tiritiri Matangi, toute petite île proche d'Auckland, fait l'objet depuis les années 1970 d'une politique de restauration environnementale. Loin d'un retour à un état antérieur, cette politique repose sur une gestion intégrée. Il s’agit de composer avec des contraintes écologiques, l'impératif de sauvegarde des espèces endémiques à l'échelle nationale, et l’accès aux visiteurs, dans une optique de sensibilisation à l'environnement.

Bibliographie | mots-clésciter cet article

L’île de Tiritiri Matangi est située dans le golfe de Hauraki, à trente kilomètres au nord-est d'Auckland, la capitale économique de la Nouvelle-Zélande. Elle accessible en environ une heure trente de ferry depuis le centre de la métropole. Avec une superficie de seulement 2,2 km² (220 hectares), Tiritiri Matangi constitue un petit territoire insulaire emblématique des politiques néo-zélandaises de conservation. En plus de la présence permanente de deux gardes (rangers), de nombreux visiteurs peuvent également séjourner sur l’île en réservant un lit dans un refuge, la Bunkhouse. Occupée par les Maoris du XIIe ou XIIIe siècle au XIXe siècle, l’île a ensuite été colonisée par les éleveurs néo-zélandais et défrichée. L’introduction d’expèces exogènes a, comme ailleurs en Nouvelle-Zélande, entraîné la disparition de nombreuses espèces, dont une partie était endémiques sur Tiritiri Matangi. C’est dans ce contexte qu’un projet de restauration écologique a émergé après la fin de la concession octroyée aux agriculteurs et aux éleveurs.

Tiritiri Matangi ne saurait être considérée comme un espace « vierge » : il s’agit d’un site de restauration écologique inscrit dans un contexte post-colonial, où l’enjeu n’était pas de reconstituer un état écologique antérieur, mais de concevoir un nouveau système socio-écologique, construit sur des choix assumés, des arbitrages et des objectifs contemporains. Il ne s’agit donc pas d’une restauration écologique « rigoureuse » au sens classique du terme, mais plutôt de la création d’un écosystème de substitution, partiellement inspiré de l’écosystème originel. Ce système repose sur des décisions explicites — notamment le choix de la référence écologique — et remet en question la notion même de nature « authentique ». Profondément réaménagé, il vise à accueillir des espèces indigènes menacées, tout en demeurant structurellement dépendant d’une gestion humaine active et continue.

Document 1. L’île de Tiritiri Matangi en Nouvelle-Zélande

Carte de JBB Nouvelle-Zélande

Localisation : -36°S, 175°E.

En parallèle, Tiritiri Matangi constitue un exemple emblématique de valorisation touristique et de marketing territorial. Dans un pays se revendiquant souvent, dans sa communication, comme le « pays des oiseaux », la richesse aviaire de l’île s’inscrit dans une stratégie nationale de promotion de la biodiversité. Chaque année, entre 30 000 et 32 000 visiteurs découvrent ce site qui joue un rôle important dans la sensibilisation du public aux enjeux de conservation.

Ainsi, plus qu’un retour à un état naturel, la reforestation de l’île relève d’un processus de renaturation, visant à restaurer certaines fonctions écologiques dans un environnement marqué par une occupation humaine ancienne et des transformations profondes. L’écosystème qui en résulte, bien qu’opérationnel sur le plan de la conservation, reste largement façonné par l’action humaine, tant dans sa structure que dans son fonctionnement.

En quoi la renaturation d’une île constitue-t-elle un moyen efficace de conservation de la biodiversité à l’échelle nationale ? Permet-elle de prévenir, arrêter et inverser la dégradation des écosystèmes ?

1. Un environnement inscrit dans une histoire écologique

L’insularité de Tiritiri Matangi joue un rôle important dans la fragilité de ses écosystèmes, notamment en raison de la présence d’espèces endémiques vulnérables. Toutefois, les trois kilomètres de mer qui la séparent de l’île principale (« mainland ») facilitent la protection principalement des espèces terrestres incapables de traverser cette barrière naturelle, ce qui limite la préservation à ces seules populations. Cet isolement naturel permet en revanche une gestion efficace de l’écosystème, en rendant possible l’éradication des prédateurs invasifs et en freinant l’introduction d’espèces nuisibles, ce qui favorise la sauvegarde des espèces indigènes (Pryde, 1997).

1.1. De l’abattis-brûlis à l’élevage intensif

Avant l’arrivée des premiers humains au XIIe ou au XIIIe siècle, l’île de Tiritiri Matangi était probablement entièrement boisée. Les premiers occupants d’origine polynésienne qui ont édifié la culture maorie en Nouvelle-Zélande ont profondément modifié l’environnement. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’île a été façonnée par des pratiques agricoles traditionnelles, incluant le défrichage et la culture sur brûlis, visant à cultiver des plantes vivrières et des fougères indigènes. Ces pratiques ont souvent été qualifiées de dégradation par les autorités coloniales, qui cherchaient à discréditer les usages traditionnels pour imposer leurs propres modes d’exploitation. Il convient cependant d’être prudent dans ce jugement, car sur une île de cette taille, l’impact cumulatif de la culture sur abattis a probablement été important, mais ces usages peuvent aussi représenter un mode d’aménagement durable du territoire.

Après la prise de possession par le gouvernement néo-zélandais en 1841, l’île fut louée pour l’élevage, ce qui a achevé la destruction de la forêt par l’introduction de lapins, chèvres, porcs, ovins et bovins. L’activité agricole et l’arrivée des Européens ont aussi introduit de nombreuses espèces exogènes : rats, souris, hermines, opossums, lapins, hérissons et autres prédateurs, qui ont décimé certaines des plus grandes espèces d’oiseaux du pays (Galbraith, Cooper, 2013). À l’échelle de la Nouvelle-Zélande, depuis l’arrivée des humains, au moins 51 espèces d’oiseaux, trois espèces de grenouilles, trois espèces de lézards, une espèce de poisson d’eau douce, une espèce de chauve-souris, quatre espèces de plantes, ainsi que de nombreux invertébrés ont disparu, principalement à cause de la chasse, de la déforestation et de l’introduction de prédateurs. Ces espèces, qui étaient endémiques à l’archipel, se sont complètement éteintes.

1.2. Reforestation et réintroduction d’espèces

En 1971, le bail agricole accordé aux éleveurs fut résilié par le gouvernement et l’île fut désignée réserve scientifique et naturelle (Mitchell, 2013). Selon la Loi néo-zélandaise sur les réserves de 1977, ces espaces visent à « protéger et préserver à perpétuité pour la recherche scientifique, l’éducation et dans l’intérêt national, les associations écologiques, communautés végétales ou animales, types de sols, phénomènes géomorphologiques et autres éléments d’intérêt similaire » (Department of Conservation, 2013). En Nouvelle-Zélande, un sanctuaire écologique est défini comme un site où les prédateurs introduits sont exclus ou contrôlés afin de permettre la restauration des écosystèmes natifs et la réintroduction d’espèces menacées.

Le premier plan de gestion de Tiritiri Matangi, élaboré en 1982, visait une reforestation créant un « sanctuaire ouvert » permettant au public d’observer certaines espèces rares et menacées de la région dans leur environnement naturel. Grâce à un financement initial du Fonds mondial pour la nature (WWF), le zoologiste John Craig et le biologiste Neil Mitchell lancent un programme de reboisement avec l’aide de bénévoles, tout en réintroduisant des oiseaux et des reptiles rares sur l’île (Lindsay, Craig, Low, 2008 ; Baling, Marleen et al., 2013). Leur vision était celle d’un « sanctuaire ouvert », plaçant les humains au cœur du projet, en les invitant à participer à sa création et à son évolution (Department of Conservation, 2013). Dès l’origine du projet de restauration, l’accent est porté sur l’accessibilité du site au public, dans une optique d’éducation à l’environnement, mais aussi de mise en valeur assumée de la ressource touristique : 30 000 touristes fréquentent le site chaque année. Cette définition néo-zélandaise du sanctuaire (ouvert, ou touristique) est donc très éloignée du concept français (ou du « mythe » pour citer Laslaz, 2007) de la réserve intégrale inaccessible au public.

Entre 1984 et 1994, environ 280 000 arbres et arbustes, répartis en 30 espèces indigènes, furent plantés (Lindsay et al., 2008 ; Galbraith & Cooper, 2013 ; Forbes & Craig, 2013). La majorité des plantes provenaient de graines locales cultivées sur l’île, à l’exception de quelques espèces originaires de l’île principale (Mainland) ou d’autres îles côtières telles que Cuvier, Hen, Little Barrier et Rangitoto. En 1997, environ 60 % de l’île était couverte d’une forêt en régénération (Department of Conservation, 2013).

À la suite de cette réhabilitation végétale, certaines espèces ont colonisé naturellement l’île par dispersion, tandis que d’autres ont été réintroduites par interventions humaines ciblées. En trois décennies, la biodiversité insulaire s’est considérablement enrichie : depuis les années 1970, le nombre d’espèces indigènes est passé de 186 à 260 (+39 %), tandis que celui des espèces exotiques a augmenté de 153 à 251 (+64 %) (Department of Conservation, 2013).

Certaines zones, notamment des prairies, ont été volontairement laissées ouvertes afin de préserver les sites archéologiques et de maintenir des biotopes essentiels pour des espèces terrestres comme les lézards et le takahē (Mitchell, 2013). En plus de leur rôle écologique, ces espaces ouverts remplissent également une fonction paysagère et touristique, en offrant des vues dégagées sur le golfe de Hauraki, en particulier autour du Tiritiri Matangi Visitor Centre (Department of Conservation, 2013).

Document 2. Forêt secondaire et fermeture progressive du paysage sur Tiritiri Matangi

Forêt - photo Andréa Poiret

Cliché d’Andréa Poiret, 2025.

Pour enrayer le déclin des espèces menacées, de nombreux sanctuaires exempts de prédateurs ont été créés en Nouvelle-Zélande depuis les années 1980. Le succès du projet de conservation de Tiritiri Matangi a encouragé la mise en place de projets similaires dans le golfe de Hauraki (Galbraith, 2013), notamment sur Motuihe, Motuora et Motutapu. La terre la plus proche, située à la pointe de la péninsule de Whangaparāoa, le parc régional Shakespear, est devenu en 2011 un sanctuaire clôturé à l’abri des mammifères susceptibles d'occasionner des dégâts, favorisant ainsi l’immigration des oiseaux depuis Tiritiri vers le continent adjacent. En 1993, l’éradication du rat polynésien Rattus exulans (kiore en maori) fit de l’île un refuge sans prédateurs (Graham, Veitch, 2002). Le retour abondant des oiseaux permit même des déplacements vers d’autres sanctuaires en cours de création. La première relocalisation fut celle de six tīeke (saddlebacks) transférés au Mont Bruce. Depuis, huit autres espèces d’oiseaux ont été réintroduites depuis Tiritiri vers divers sanctuaires à travers le pays.

Tiritiri Matangi a été reconnue comme un exemple officiel de réussite dans le cadre de la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes (2021–2030). Cette réserve naturelle ouverte est gérée par l’association Supporters of Tiritiri Matangi Incorporated, sous la supervision du Department of Conservation. L’ensemble des acteurs contribuent à une stratégie de préservation active, située à l’opposé d’un « laisser-faire » environnemental.

1.3. Mettre en place un écosystème fonctionnel

À partir de 1997, l’objectif de la protection évolue : il ne s’agit plus seulement de reboiser, mais de restaurer un écosystème indigène fonctionnel, représentatif du golfe intérieur, capable de soutenir une diversité d’espèces, notamment d’oiseaux menacés. Sept espèces d’oiseaux avaient été introduites : saddleback (tīeke), kiwi tacheté, stitchbird (hihi), takahē, robin de l’île du Nord, whitehead et pāteke (sarcelle brune), rejoignant le kākāriki, déjà déplacé en 1974. Parmi les espèces non aviaires introduites figurent des lézards (60 tuataras ou sphénodons en 2003, le gecko de Duvaucel en 2006) et le grand insecte wetapunga en 2011 (Baling, Marleen et al., 2013).

En tout, douze espèces d’oiseaux ont été transférées entre 1974 et 2013 (Parker, 2013). L’île affiche un excellent bilan en matière de réintroductions aviaires réussies (Parker, 2013 ; Pryde, 1997 ; Armstrong & Ewen, 2013 ; Forbes & Craig, 2013). Ce succès explique qu’il reste aujourd’hui peu d’espèces terrestres candidates à une nouvelle introduction sur le site. Dans la restauration de l’avifaune de Tiritiri Matangi, les assemblages contemporains d’espèces présents sur d’autres îles du Golfe de Hauraki, telles que Hauturu (Little Barrier), Mokohinau, Great Barrier et Hen and Chickens, servent de modèle de référence pertinent. En s’appuyant sur ces exemples, un écosystème composite, à la fois représentatif et complémentaire de la région du Golfe de Hauraki, a pu être construit.

Document 3. Un robin de l'Île du Nord (gauche) et un Takahe (droite)

oiseau/bird - photo Andréa Poiret

Clichés d’Andréa Poiret, 2025.

oiseau/bird - photo Andréa Poiret

Bien que l’objectif fût de restaurer un écosystème fidèle au climax écologique du golfe intérieur, cette ambition ne fut pas appliquée strictement : aucune objection ne fut formulée à la présence du takahē, espèce endémique de l’Île du Sud, ni à la création de zones humides artificielles, ni à l’introduction future du kōkako de l’Île du Nord, dont l’habitat naturel est normalement beaucoup plus étendu. D’ailleurs, les caractéristiques exactes de l’avifaune terrestre originelle restent incertaines : elle comprenait probablement plusieurs espèces aujourd’hui présentes, mais aussi d’autres désormais absentes, telles que le kākāriki à couronne jaune, le miromiro (tomtit), le kākā, la bécassine et la caille de Nouvelle-Zélande.

Ainsi, à Tiritiri Matangi, plutôt qu’à recréer un état de référence, on vise plutôt un « écosystème de substitution », un système recréé par les humains qui reflète en partie la structure et les fonctions de l’écosystème originel tout en en différant sur certains aspects, et qui sert de sanctuaire à la flore et à la faune indigènes menacées. Toute restauration écologique reste une intervention anthropique impliquant des choix délibérés, notamment celui de la référence écologique retenue, des acteurs et des modes de gestion. L’exemple de Tiritiri Matangi relativise l’idée d’une restauration « authentique » au profit d’une diversité d’approches adaptées aux contextes et objectifs spécifiques.

Cette période a également vu la naissance d’une communauté de centaines de bénévoles, toujours active aujourd’hui, organisée sous l’association Supporters of Tiritiri Matangi (SoTM), fondée en 1988, partenaire du Department of Conservation (DOC) pour la gestion de l’île (Galbraith, 2013). Ces bénévoles contribuent activement à la gestion de l’écosystème et à la diffusion de son histoire par des visites guidées.

2. Une mission délicate : veiller sur des écosystèmes construits et entretenus

Dans un écosystème entièrement reconstitué et dont l’objectif est la préservation d’espèces endémiques en danger d’extinction : il ne s’agit pas de laisser la sélection naturelle faire son œuvre. La gestion de l’île repose sur un volontarisme actif pour veiller au maintien de toutes les espèces introduites et réintroduites, et en particulier de très nombreux bénévoles.

2.1. La réintroduction d’espèces, un équilibre fragile

En tant qu’île exempte de prédateurs, Tiritiri Matangi joue un rôle clé dans les programmes de conservation à grande échelle, en offrant un refuge sûr, qu’il soit permanent ou temporaire, à des espèces ou populations menacées ailleurs (Baling, Marleen et al., 2013). L’enrichissement de sa biodiversité a fait de Tiritiri Matangi une source importante pour la recolonisation d’autres sanctuaires, notamment par le biais de translocations d’espèces aviaires qui avaient disparu ou étaient gravement menacées dans ces zones (Parker, 2013). Ces échanges durables, vers et depuis l’île, s’inscrivent dans des plans intégrés visant à créer et maintenir des populations viables à l’échelle nationale.

Au-delà des introductions destinées au repeuplement, des déplacements d’individus ciblés sont donc également mis en œuvre afin de maintenir la diversité génétique des populations insulaires. Ce maintien est crucial pour des espèces aux effectifs réduits, telles que le kōkako ou le takahē, qui sont particulièrement vulnérables à la dépression de consanguinité. La gestion de la diversité génétique est toutefois plus délicate chez les espèces plus abondantes, comme le tīeke ou les whiteheads, en raison d’effets de densité-dépendance limitant leur croissance. Pour préserver la diversité génétique et la viabilité des populations, plusieurs stratégies sont appliquées : transfert d’œufs entre populations, déplacements ciblés d’individus, et suivi rigoureux des signes de dépression de consanguinité, phénomène déjà observé chez le hihi (Notiomystis cincta). Un transfert génétique significatif a été réalisé en 2010 en collaboration avec la Zoological Society of London. Par ailleurs, des signes de perte de diversité ont été détectés chez le korimako (bellbird) et le robin de l’île du Nord, sans que des effets négatifs notables n’aient été observés jusqu’à présent.

La réussite de la restauration écologique repose, à Tiritiri Matangi, sur une gestion environnementale active et interventionniste. En effet, l’île ne présente pas la totalité des habitats ni les ressources trophiques indispensables au maintien durable de toutes les espèces résidentes, et ses ressources en eau douce sont parfois limitées. Pour pallier ces déficits, plusieurs petits barrages ont été aménagés afin de répondre aux besoins croissants en eau de la faune locale. Cette gestion active inclut également la mise à disposition d’abreuvoirs, le nourrissage complémentaire, ainsi que l’installation de nichoirs et d’abris destinés à certaines espèces d’oiseaux. Par ailleurs, la configuration paysagère actuelle reflète un aménagement réfléchi visant à accueillir et sensibiliser les visiteurs (document 4).

Document 4. Abreuvoirs à oiseaux à proximité des aménagements destinés aux touristes

abreuvoirs - photo Andréa Poiret

Clichés d’Andréa Poiret, 2025.

abreuvoirs - photo Andréa Poiret

Document 5. Le nourrissage des oiseaux

nourrissage - photo Andréa Poiret

5a. Mélange de sucre et d'eau pour nourrir les oiseaux

nourrissage - photo Andréa Poiret

5b. Le nourrissage des oiseaux.

nourrissage - photo Andréa Poiret

5c. Bellbird. Clichés d’Andréa Poiret, 2025.

Le nourrissage est essentiel pour le hihi (stitchbird), en raison de la concurrence avec les tūī et les bellbirds et du peu d’habitat disponible. Il s’agit d’un mélange visant à imiter le pollen : du sucre dilué dans de l’eau, la raffinerie industrielle néo-zélandaise Chelsea faisant don de tonnes de sucre. Le nourrissage constitue également un outil de sensibilisation très apprécié des visiteurs. L’eau, rare sur l’île, est distribuée via des abreuvoirs utilisés par de nombreuses espèces, surtout en été, qui représentent aussi des points d’observation (et de photographie) privilégiés (document 5). Enfin, des nichoirs ont été installés pour le hihi, le tīeke (saddleback) et le rifleman.

Certains habitats et espèces présents actuellement, ainsi que d’autres éventuellement introduits à l’avenir, ne font pas partie de l’écosystème originel de l’île, mais remplissent des fonctions importantes en matière de sensibilisation. Des espèces particulièrement rares, comme le takahē (classé « en danger critique au niveau national ») ou le hihi ou stitchbird (« en danger au niveau national »), sont essentielles pour la sensibilisation, car elles sont très difficiles à observer ailleurs. Leur présence sur Tiritiri Matangi permet de mettre en lumière leur situation à l’échelle nationale, ce qui constitue pour l’association une justification suffisante pour maintenir une espèce sur l’île — à condition que sa présence n’ait pas de conséquences négatives sur l’écosystème ou sur d’autres espèces.

2.2. La valorisation touristique et la sensibilisation environnementale comme leviers de préservation

En Nouvelle-Zélande, la participation du public à des projets de restauration écologique est désormais fréquente (Hardie-Boys 2010), avec des bénévoles souvent organisés en collectifs locaux, ce qui constitue un moyen efficace de transmettre les principes écologiques à une partie du public. Cette orientation vise à contribuer à la sensibilisation du public tout en générant une fréquentation susceptible d’influencer la perception de la nature. En effet, l’île accueille chaque année entre 30 000 et 32 000 visiteurs. Une partie d’entre eux peut séjourner au refuge, un hébergement collectif comprenant quinze lits répartis en trois chambres, une cuisine équipée, deux douches et deux toilettes. En 2025, le tarif est de 48 $NZ par adulte et 37 $NZ par enfant (environ 23 et 18 €). Un service de ferry relie l’île au terminal d’Auckland et à Gulf Harbour, et des visites guidées y sont organisées par les membres de l’association.

Document 6. Sentier aménagé pour le public

sentiers aménagés - photo Andréa Poiret

Clichés d’Andréa Poiret, 2025.

sentiers aménagés - photo Andréa Poiret

La décision de maintenir l’accès du public confère ainsi à l’île un rôle pluriel : conservation, recherche, éducation, mais aussi destination touristique (Armstrong & Ewen, 2013 ; Thorogood et al., 2013). La participation du public au projet ne se limite pas à renforcer les liens existants entre les communautés scientifique et civile ; elle favorise également une meilleure compréhension des concepts écologiques au-delà des cercles professionnels et scientifiques (Galbraith, 2013). L’augmentation de la sensibilisation et de l’engagement de la communauté dans les actions de conservation constitue un objectif central de la Stratégie pour la biodiversité de Nouvelle-Zélande (Bennett 1995 ; Worboys et al., 2001). Selon Soulé (1995), encourager des visions positives à travers la participation est fondamental pour faire évoluer la compréhension et les valeurs écologiques. Tiritiri Matangi est ainsi un centre d’apprentissage dédié à la flore, à la faune et à l’écologie néo-zélandaises. L’île assume ce rôle grâce à son programme éducatif destiné aux écoles, ainsi qu’en accueillant des projets de recherche scientifique. Certaines activités de gestion sont guidées par les besoins de l’éducation et de la recherche. Par exemple, des nichoirs et abris sont mis à disposition de certaines espèces à des fins d’étude, et la signalétique explicative près du centre des visiteurs pour servir de ressource pédagogique.

Tiritiri Matangi est un modèle emblématique de conservation collaborative, reproduit dans l’ensemble du golfe de Hauraki et au-delà (Baling, Marleen et al., 2013 ; Forbes, Craig, 2013). Bien que géré par une agence gouvernementale — d’abord le Hauraki Maritime Park Board (1970–1987), puis par le Department of Conservation de Nouvelle-Zélande (DOC) depuis 1987 — le projet a toujours reposé sur les contributions volontaires et l’implication du public (Galbraith 1990 ; Galbraith & Hayson 1994 ; Craig et al. 1995 ; Galbraith 2009 ; Forbes, Craig, 2013). En tout, l’île a accueilli plusieurs dizaines de milliers de bénévoles œuvrant pour la conservation. L’association Supporters of Tiritiri Matangi fédère une grande équipe de bénévoles qui participent à diverses activités, allant du travail sur le terrain au guidage des visiteurs. Tous les bénévoles doivent être membres de cette association. Le guidage est l’une des missions les plus populaires et nécessite une formation de six sessions avant de devenir guide officiel. Il est également possible de participer à l’accueil en boutique, où les bénévoles aident à la gestion des stocks et au service des visiteurs. De nombreux travaux généraux sont aussi proposés, tels que l’entretien des sentiers, la taille de la végétation, le désherbage, la construction de nichoirs ou encore le nettoyage, parfois avec des formations assurées par le DOC. Des week-ends de travail sont organisés régulièrement pendant les jours fériés. Ces événements sont ouverts aux membres, à leurs familles et à leurs amis, sous réserve d’adhésion. Une partie de ces bénévoles sont des retraités.

Le Department of Conservation (DOC) propose également un programme de bénévolat de sept jours permettant d’aider les deux gardes (rangers) qui sont les seuls occupants permanents de l’île. Nommés pour trois ans, qui travaillent par rotations de dix jours consécutifs suivis de quatre jours de repos. En 2025, l’un d’eux y réside de manière permanente avec sa femme et leurs deux enfants. Le rôle des bénévoles présents à leur côté consiste à réaliser diverses tâches d’entretien général telles que l’entretien des sentiers et des panneaux signalétiques, incluant le débroussaillage des chemins et des accès, le désherbage, le nettoyage des abreuvoirs, de la maison commune (bunkhouse) et du centre des visiteurs, et le réapprovisionnement en eau sucrée. Le DOC prend en charge le transport en ferry et l’hébergement en maison commune sur l’île. Un tel degré d’organisation relève du volontourisme plus que du tourisme de découverte.

Document 7. Le travail bénévole sur l’île

bénévole - photo Andréa Poiret

Guide bénévole devant un groupe de visiteurs.

bénévole - photo Andréa Poiret

Bénévole DOC en train de nettoyer les points de nourrissage, Clichés d’Andréa Poiret, 2025.

À Tiritiri Matangi, les effets négatifs du tourisme sur la faune restent peu documentés. Budowski (1976) distingue trois types de relations entre tourisme et conservation : conflit, coexistence et symbiose. L’afflux de visiteurs sur l’île entraîne une forte pression durant la saison de reproduction des oiseaux, ce qui peut engendrer des conflits (Lindsay et al., 2008). Pour être durable, la relation entre tourisme et conservation doit favoriser la « symbiose » plutôt que le « conflit » (Budowski, 1976). L’implication du public est essentielle (Craig, Stewart, 1994), et les expériences directes avec la nature renforcent souvent l’engagement en faveur de sa protection (Ceballos-Lascurain, 1996), même si une véritable symbiose reste difficile à atteindre (Higham & Lück, 2002).

Conclusion

Des projets de conservation insulaires réussis, comme celui de Tiritiri Matangi, servent de modèles nationaux pour la création de sanctuaires. Ces îles offrent un refuge sécurisé aux espèces menacées, encouragent leur reproduction et leur réintroduction ailleurs (Pryde, 1997), tout en sensibilisant le public grâce à l’accueil de visiteurs et bénévoles. La sanctuarisation juridique garantit une gestion stricte, limitant les activités humaines destructrices et permettant des actions concrètes de restauration écologique (reboisement, lutte contre les invasifs, réintroduction d’espèces). Elle préserve les fonctions écosystémiques essentielles, soutient la recolonisation des zones environnantes, et renforce la résilience des écosystèmes face aux changements climatiques.

Le cas de Tiritiri Matangi invite à reconsidérer la notion même de sanctuarisation, particulièrement dans le contexte néo-zélandais. Tiritiri Matangi ne relève pas d’une protection stricte d’un espace « naturel » au sens classique, mais bien d’une opération de renaturation, fondée sur des choix humains, des références écologiques reconstruites et une gestion continue. Loin d’être figée ou exclue des dynamiques sociales, cette île constitue un exemple d’écosystème restauré au service de la conservation de la biodiversité indigène.

Mais au-delà de sa dimension écologique, le projet repose sur une mobilisation collective exemplaire : chercheurs, institutions, ONG, bénévoles et visiteurs y participent activement, illustrant un modèle de gouvernance partagée. Le rôle central du tourisme dans ce dispositif mérite une attention particulière. Comme dans de nombreux parcs et sanctuaires en Nouvelle-Zélande, la fréquentation touristique est pleinement intégrée à la stratégie de conservation. L’accueil de plus de 30 000 visiteurs par an, l’offre d’hébergement sur place, les visites guidées et les outils pédagogiques permettent à la fois de financer une partie de la gestion, de sensibiliser le public aux enjeux de la biodiversité, et de construire une image valorisante de la nature néo-zélandaise. Pour les participants, il s’agit aussi, selon un schéma propre au fonctionnement du volontourisme, de construire une image valorisante de soi en tant que bénévole et touriste responsable.

Tiritiri Matangi incarne ainsi les tensions contemporaines entre restauration écologique, impératifs de gestion, exigences touristiques et attentes sociétales. À l’échelle néo-zélandaise, elle s’inscrit dans une dynamique plus large où la renaturation devient un outil de préservation autant qu’un levier d’adhésion publique, dans un pays qui a fait de la biodiversité une composante clé de son identité territoriale et de sa diplomatie environnementale.


Bibliographie

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : brûlis | climax | conservation | densité-dépendance | écosystèmes | endémisme | espèce exogène | référence écologique | restauration écologique | volontourisme.

 

Remerciements
L'autrice tient à remercier chaleureusement le DOC, en particulier les employés et les bénévoles rencontrés sur l'île de Tiritiri Mantangi.

 

Andréa POIRET

Indépendante, formation en géographie et en patrimoine et musées - université Paris I Panthéon-Sorbonne

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Andréa Poiret, « Un exemple de restauration écologique fondée sur la réintroduction et l’interventionnisme, l’île de Tiritiri Matangi (Nouvelle-Zélande) », Géoconfluences, novembre 2025.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/changement-global/articles-scientifiques/restauration-ecologique-tiritiri-matangi-nouvelle-zelande