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Image à la une. Fukushima, paysages d’un territoire en recomposition

Publié le 21/04/2020
Auteur(s) : Teva Meyer, maître de conférences en géographie et géopolitique - Université de Haute-Alsace

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Les photographies de cette image à la une montrent les paysages du département de Fukushima, entre recomposition par la transition énergétique et omniprésence des signes de la catastrophe et de ses suites. Résidents déplacés, travailleurs payés par l'entreprise énergétique à cause de laquelle ils ont perdu leur emploi, territoires interdits à la résidence et matériaux radioactifs entassés témoignent d'une situation qui ne pourra pas redevenir complètement normale.

Citer cet article

Photographie 1. Les paysage de Fukushima, entre trace de la catastrophe et recomposition énergétique

Teva Meyer — Paysages de Fukushima

Véhicule de Tepco transportant des évacués et panneaux solaires installés par des riziculteurs.

 

Date de la prise de vue : 7 novembre 2019
Auteur de l’image : Teva Meyer
Localisation : sud de la commune de Minamisoma, sur la route de la commune de Namie, département de Fukushima
Droits d'utilisation : creative commons, attribution, usage non commercial, partage sous les mêmes conditions.

 
Localisation des photographies

Teva Meyer — carte de localisation

Le regard du géographe

Traverser l’est du département de Fukushima, c’est se confronter à des paysages animés d’une tension permanente entre exceptionnalité et banalité, entre la revisibilisation de la radioactivité par des pratiques de décontamination et de confinement, et la lente recomposition des activités quotidiennes d’une région frappée par une double catastrophe.

Près de dix ans après le séisme et le tsunami du Tōhoku qui coutèrent la vie à près de 18 000 personnes au Japon, dont 2 529 disparus, et entraînèrent la fusion du cœur des réacteurs 1, 2 et 3 de la centrale de Fukushima Dai-ichi, les paysages du département de Fukushima restent marqués par l’accident nucléaire et les recompositions spatiales qu’il continue d’entraîner.

Sur la photographie 1 de notre image à la une, le véhicule qui passe au premier plan appartient à l’énergéticien Tepco (Tokyo Electric Power Company), exploitant de la centrale accidentée de Fukushima. À son bord se trouvent des résidents des communes évacuées que l’entreprise transporte vers un champ à quelques centaines de mètres de là pour y effectuer des travaux d’élagage. Alors que certains de ces déplacés habitent encore dans des lotissements temporaires et restent coupés de leurs anciens emplois, TEPCO occupe artificiellement une partie de ces populations en la payant pour des missions d’entretien des champs abandonnés par leurs exploitants depuis mars 2011. Au second plan, le parc solaire visible à l’arrière du véhicule appartient à une entreprise fondée par des riziculteurs afin de financer la réhabilitation de leurs terres touchées par la double catastrophe et de répondre au manque à gagner causé par la baisse de  la production agricole.

Depuis l’extension maximale du périmètre d’évacuation le 22 avril 2011, conduisant au déplacement de 160 000 habitants, les territoires interdits à la résidence et à la traversée ont été graduellement rouverts et ne concernaient plus que 371 km² et 42 705 personnes début 2020. Prise en novembre 2019 lors d’une visite avec Hiroshi Miura, président de l’association Nomado qui œuvre pour la restauration de l’agriculture locale à Fukushima, cette photographie concentre les pratiques de réhabilitation post-accidentelle qui participent à revisibiliser durablement la catastrophe dans l’espace.

Un paysage énergétique en recomposition 

Depuis les années 1960, la côte de Fukushima a été dédiée à la production d’électricité nucléaire avec les réacteurs de Fukushima Dai-ichi et Daini, mais aussi, thermique avec les centrales au fioul et au charbon d’Hirono, Nakoso et Haramachi (photographie 2), dont les architectures identiques se confondent.

Photographie 2. Centrale thermique d'Haramachi au nord de Fukushima

Teva Meyer — centrale thermique

 

L’accident de Fukushima a enclenché une transformation complète du paysage énergétique du département, au profit des énergies renouvelables et plus particulièrement du solaire. Le département de Fukushima ambitionne de répondre à 40 % de ses besoins énergétiques par les renouvelables d’ici à fin 2020 et à 100 % en 2040, passant jusqu’à présent d’une production estimée à 400 MWh d’énergie renouvelable au lendemain de la catastrophe à 1,5 GWh fin 2018. Symbole de ce tournant, le site dédié à la centrale nucléaire de Namie-Odaka, dont la construction devait débuter en 2017, a été cédé par son exploitant Tohoku Electric à la municipalité de Namie qui y construit une usine de production d’hydrogène alimentée par un parc solaire.

On ne compte plus aujourd’hui, sur les terrains proches de la côte, les éoliennes et les grands parcs solaires dont la construction a profité des terrains plans rendus disponibles après le tsunami (photographie 3). Si ce développement est stimulé par le support financier des autorités locales et nationales, l’essor des énergies renouvelables s’est appuyé sur l’achèvement de la libéralisation du marché de l’électricité au Japon en 2016. Jusqu’alors, le marché était organisé en dix entreprises privées régionales disposant du monopole de la production, du transport, de la distribution et de la vente d’électricité dans leurs territoires. L’ouverture complète à la concurrence du marché de la production et de la vente a permis l’apparition de petits acteurs locaux. Dans le département de Fukushima, on a ainsi vu la création de coopératives de riziculteurs investissant dans des panneaux solaires afin de réemployer leurs terres dont la salinité encore forte, suite au tsunami, ou la contamination radioactive ne permettait pas l’exploitation normale.

Photographie 3. Panneaux solaires et éolienne dans la préfecture de Fukushima

Teva Meyer — panneaux solaires et éoliennes

 
Des pratiques qui rendent visible la radioactivité

À contrechamp de la première image, à quelques centaines de mètres dans le dos du photographe, se trouve un site de stockage temporaire pour les déchets produits par l’excavation des sols contaminés par l’accident nucléaire. Au total, le ministère japonais de l’Environnement prévoit de déplacer et de conditionner entre 16 et 22 millions de mètres cubes de terre et de matières organiques incinérées. La stratégie adoptée consiste à décaper les sols sur 5 cm, en ciblant en priorité les zones résidentielles et les espaces agricoles, mais en laissant les forêts de côté. On dénombrait au total 1 328 sites de stockage dans le département fin 2019. Organisés selon un schéma identique, les plus grands d’entre eux marquent le paysage de leurs hautes barrières blanches protégeant des big bags noirs empilés (photographie 4).

Photographie 4. Stockage de matériaux radioactifs

Teva Meyer — Big bags noirs

 

À l’entrée de chaque site, on trouve un dosimètre, toujours fabriqué selon un même un modèle avec de grands écrans LCD indiquant en temps réel la dose de radioactivité dans l’air. Au total, 3 595 de ces dosimètres ont été installés dans le département de Fukushima à proximité des écoles, des parcs et des lieux publics, ou au-dessus des routes, à l’image de panneaux de signalisation((Les données des dosimètres sont cartographiées et disponibles ici http://fukushima-radioactivity.jp/pc/)). Ils matérialisent cette tension entre banalité, affichant à la vue de tous des niveaux de radioactivité considérés comme normaux par les autorités, et exceptionnalité de voir le territoire maillé par ces dispositifs techniques inhabituels.

Si le gouvernement japonais prévoit de centraliser ces déchets d’ici à 2022, et pour une période de trente ans, dans un site de stockage de 1 600 ha construit autour de la centrale de Fukushima, l’acquisition des terres a pris du retard. Pour le moment moins de 15 % des terres y ont été acheminées. Ces transports revisibilisent d’une autre manière l’accident dans les paysages. Les routes qui convergent vers la centrale de Fukushima Dai-ichi sont embouteillés de camions-bennes faisant des allers-retours vers les sites temporaires dans le département (photographie 5), réalisant près de 1 600 trajets chaque jour.

Photographie 5. Transport de matériaux radioactifs

Teva Meyer — transport de déchets radioactifs

 

La normalité ambiante qui règne à proximité de la centrale est rompue en se rapprochant de la zone dite « à retour difficile » où la contamination est la plus forte et l’exposition externe peut dépasser les 50 mSv/an((Un mSv est un millisievert. Le sievert (sv) est l’unité de mesure utilisée pour évaluer l’impact des rayonnements sur l’être humain. En France, la dose annuelle moyenne de radioactivité naturelle reçue par une personne est de 2,4 mSv/an et la limite admise pour les travailleurs du nucléaire est de 20 mSv/an.)). Si l’accès et la résidence y sont prohibés, exception est faite pour quelques routes qui traversent la zone, dont les routes 114 et 459. Après décontamination, celles-ci ont été rouvertes à la circulation afin de faciliter les trajets transversaux des habitants déplacés entre leurs lieux de résidence et de travail. La traversée de la route 459 replace l’accident nucléaire au cœur du paysage. L’entrée dans la zone « à retour difficile » (photographie 6) est marquée par un portique sur lequel se trouvent des caméras filmant les passages dans les deux sens. À gauche de la route, des panneaux invitent à « traverser [la zone] aussi rapidement que possible » et interdisent l’entrée aux deux-roues et aux piétons tandis qu’un garde d’une société de sécurité privée surveille. Dans la zone, les chemins perpendiculaires, non décontaminés, sont fermés par des barrières auxquelles s’ajoute, pour les plus grands d’entre eux, un gardien.

Photographie 6. Entrée dans la zone « à retour difficile »

Teva Meyer — route contaminée et panneaux

 

En sortant de la zone pour rejoindre le centre de la commune de Namie, le paysage urbain conserve les marques de la double catastrophe. D’une part, de nouvelles constructions, écoles, crèches, mais surtout lotissements, apparaissent (photographie 7) sans qu’il soit possible de déterminer a priori si ces derniers sont là pour reloger les déplacés du tsunami ou ceux de l’accident nucléaire. De l’autre, la ville se constelle d’habitations et de commerces laissés à l’abandon. À nouveau, il est difficile de différencier ici ce qui relève du double accident ou de la décroissance démographique que connaissait la ville avant mars 2011, perdant près de 10 % de sa population de 2000 à 2010.

Photographie 7. Lotissements récents et panneaux solaires

Teva Meyer — lotissements panneaux solaires

 

Pour compléter sur Géoconfluences

 

Ce terrain a été effectué en parallèle d’une invitation au séminaire de la Maison franco-japonaise de Tokyo (UMIFRE 19 MEAE-CNRS ; IFRJ-MFJ). L’auteur tient à remercier vivement l’IFRJ-MFJ pour son aide financière, ainsi que Rémi Scoccimaro, chercheur à l’IFRJ-MFJ pour son invitation, son soutien sans faille et son accompagnement lors du terrain.

 

Teva MEYER
Maître de conférences en géographie et géopolitique - Université de Haute-Alsace (CRESAT - UR3436)

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Teva Meyer, « Fukushima, paysages d’un territoire en recomposition », image à la une de Géoconfluences, avril 2020.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/fukushima-paysages

 

Pour citer cet article :  

Teva Meyer, « Image à la une. Fukushima, paysages d’un territoire en recomposition », Géoconfluences, avril 2020.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/fukushima-paysages

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