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Image à la une. Bicentenaire de la Promenade des Anglais à Nice : images et représentations d’une artère touristique emblématique

Publié le 22/05/2025
Auteur(s) : Anthony Clément, professeur agrégé de géographie - lycée Henri-Matisse (Vence) et Université Côte d'Azur (Nice)

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Le bicentenaire de la Promenade des Anglais replace un objet géographique, le front de mer aménagé, dans une perspective historique : il commémore l'invention d'une pratique et d'un lieu touristiques qui ont été souvent reproduits depuis. C'est surtout à la communication mise en œuvre par la municipalité de Nice que s'intéresse cet article, montrant comment cette historicité est mise en scène par les images.

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Peinture au sol

Document 1. Peinture au sol réalisée à l’occasion des festivités du bicentenaire de la Promenade des Anglais

  • Auteur du cliché : Anthony Clément
  • Lieu de prise de vue : Nice, quai des États-Unis, extrémité orientale de la Promenade des Anglais, 43,69°N ; 7,27°E
  • Date : 31 août 2024
  • Droits d’usage : photographie libre de droits pour l’usage pédagogique dans la classe

Présentée par la municipalité de Nice comme « l’un des joyaux emblématiques de la ville » ((Site officiel de la ville de Nice, « 200 ans de la Promenade des Anglais ».)), la Promenade des Anglais a fêté en 2024 ses 200 ans. Cette célébration a donné lieu à une communication et un ensemble de manifestations ayant pour objectif de mettre en images la dimension iconique de la plus célèbre artère niçoise.

Le regard du géographe

En retenant 1824 comme année de naissance de la Promenade des Anglais, la mairie de Nice s’attache à commémorer l’achèvement des travaux transformant en promenade littorale un modeste chemin de terre de quelques centaines de mètres qui longeait le littoral et reliait le quartier des hivernants britanniques au centre de la ville. Cette voie nouvelle répondait alors à une demande des Anglais installés à Nice, souhaitant « cheminer » (le nom donné par les Niçois à la Promenade, camin dei Inglés, la désigne alors comme « chemin des Anglais ») afin de bénéficier des aménités offertes par l’environnement méditerranéen : l’admiration du paysage et les bienfaits du climat sur la santé, tout en facilitant l’accès aux mondanités de la vieille ville. La Promenade des Anglais devient alors un lieu originel du tourisme.

Sa physionomie n’a eu de cesse d’évoluer, en s’élargissant et en se prolongeant tout au long des XIXe et XXe siècles pour atteindre aujourd’hui 7 kilomètres de long, reliant l’aéroport à l’Ouest à la pointe de Ruba Capeu à l’Est, le long de la Baie des Anges. Cette Promenade revêt aujourd’hui l’apparence d’un front d’eau parfaitement banal et conforme aux logiques urbanistiques des villes balnéaires : un littoral dominé par les usages récréatifs, un espace public maîtrisé dans son aménagement et une « vitrine » du rayonnement urbain. Toutefois, la célébration de ce bicentenaire permet de saisir l’épaisseur temporelle de la Promenade des Anglais : une renommée hivernale dès le milieu du XIXe siècle (des villas et des hôtels sont construits pour accueillir des aristocrates anglais et russes notamment, la demande étant accrue par le développement du chemin de fer, qui arrive à Nice en 1864) et l’évolution des usages pour faire de cette Promenade un espace adapté aux loisirs balnéaires estivaux, modèle maintes fois dupliqué dans le monde (par exemple au Cap, voir Perrat, 2023).

La photographie de la peinture réalisée à même le sol, au niveau du quai des États-Unis, à l’occasion des célébrations du bicentenaire de la Promenade (les 30, 31 août et 1er septembre 2024) illustre une communication municipale détournant les codes de l’art urbain. Aux fresques informelles se substitue ici une mise en images de la Promenade des Anglais, avec une gamme de couleurs et une esthétique soigneusement maîtrisées, présentant un message facilement compréhensible.

Cette prise de vue proche du sol permet d’identifier plusieurs fonctions de la Promenade :

  • Un espace de déambulation piétonne, comme l’indique l’odonyme « promenade » ;
  • Un lieu touristique, la partie nord de la Promenade accueillant plusieurs établissements hôteliers de luxe (le célèbre Negresco est reconnaissable sur la peinture à son dôme et son enseigne) ;
  • Un lieu de démonstration et de représentation, où se déroulent manifestations sportives, culturelles et artistiques tout au long de l’année (Carnaval, marathon, tournoi international de pétanque, courses cyclistes, etc.), justifiant de fait la célébration de ce bicentenaire sur la Promenade elle-même ;
  • Un axe de circulation pour les flux motorisés et cyclistes, sur des voies visibles à l’arrière-plan. La rangée de plots métalliques blancs révèle la forte dimension sécuritaire de l’aménagement récent de la Promenade après le traumatisme de l’attentat du 14 juillet 2016 : l’espace dédié au cheminement piéton est strictement séparé de la voie routière (Emsellem et al., 2021).
Document 2. Affiche pour le bicentenaire de la Promenade des Anglais en 2024

Affiche

Source : mairie de Nice.

L’affiche de la Mairie dédiée au bicentenaire (document 2) présente une Promenade des Anglais segmentée en deux périodes distinctes. Dans la partie gauche, l’année de naissance, 1824, consacre déjà la Promenade comme lieu de « tourisme » (terme apparu en anglais en 1811), c’est-à-dire pratiqué par des « touristes » (terme apparu en anglais en 1769), aristocrates réalisant le Tour d’Europe (Knafou et Fournier, 2023). La Promenade est alors porteuse de pratiques spatiales socialement privilégiées. Le choix des concepteurs de l’affiche s’est plutôt orienté vers la représentation d’un imaginaire de la fin du XIXe siècle et de la « Belle-Époque » : les silhouettes des promeneuses et promeneurs font référence aux costumes et accessoires (robes, ombrelles, chapeaux) portés par les hivernants britanniques installés sur la Côte d’Azur, qui ont bâti la réputation et le toponyme de cette Promenade. Ces codes vestimentaires se retrouvent dans les publicités anciennes vantant les bienfaits de « l’hiver à Nice » à une clientèle aisée, échappant par le train à la grisaille londonienne à la faveur d’un ciel bleu azur (document 3). Sur la plage, des embarcations en bois, les pointus, témoignent d’activités maritimes traditionnelles comme la pêche. Le tourisme du XIXe siècle ne fait pas de la plage un espace de baignade. À Nice, la Promenade se suffit à elle-même : elle est l’expérience touristique des hivernants à elle seule, à l’instar des promenades littorales du « premier âge touristique » (Debié, 1993).

Document 3. Affiche d’Hugo d’Alesi pour la compagnie de chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée en 1892

L'hiver à Nice

Domaine public (source).

Sur la partie droite de l’affiche du document 2, la déambulation aristocratique laisse place à une mixité des usages de l’espace urbain et une diversité des flux : les sportifs en mouvement (joggeurs) côtoient les familles et cyclistes de tous âges. Sur la plage, les parasols remplacent les pointus comme marqueurs d’un tourisme aujourd’hui massifié et internationalisé, au même titre que l’avion au décollage. La représentation des « chaises bleues » est un indispensable, tant ce mobilier urbain est devenu objet de marketing territorial : s’y asseoir est une étape obligée de l’expérience touristique niçoise. Ce diptyque publicitaire tend donc à faire de la fréquentation touristique de la Promenade une activité intemporelle : l’objectif est de dresser une continuité entre des époques pourtant très différentes du point de vue des pratiques socio-spatiales.

L’affiche est encadrée par des feuilles de palmiers, végétation introduite sur la Côte d’Azur dans la seconde moitié du XIXe siècle. Utilisés en ornement dans les opérations d’embellissement et d’urbanisme, les palmiers délimitent aujourd’hui encore l’espace piétonnier de la Promenade des Anglais avec les voies de communication routière. Ils participent pleinement au décor de la métropole touristique et donc d’une standardisation du front de mer niçois par le biais d’une cartepostalisation, déjà à l’œuvre à la fin du XIXe siècle comme en témoigne la publicité de 1892. Dans la partie inférieure de l’affiche de 2024, l’axe de circulation est orné de haies de laurier-rose, espèce endémique du milieu méditerranéen. Les rubans dans les airs nourrissent enfin une image de liberté et de mouvement accompagnant les déambulations sur la Promenade.

Hors champ, derrière le personnage féminin au centre de l’affiche, la partie Nord de la Promenade des Anglais est urbanisée en continu. De nombreux édifices sont emblématiques de la « fabrication » de cet espace touristique jalonné de lieux de villégiature (la villa Masséna, les palaces Ruhl et Negresco) et de loisirs (opéra, restaurants, cafés). En 2021, un large périmètre a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en reconnaissance des spécificités de « la ville de la villégiature d’hiver de Riviera ». Le ministère de la Culture salue alors Nice comme l’« archétype » de ces pratiques touristiques séculaires (communiqué, 2021).

La municipalité niçoise s’appuie sur cette filiation pour célébrer le bicentenaire de la Promenade des Anglais. On peut y voir une communication officielle qui fige ce lieu dans une représentation convenue, qui laisse peu de place à une diversité d’usages et de populations. La Promenade des Anglais relève donc d’un haut lieu (Debarbieux, 2003) ou d’un géosymbole (Bonnemaison, 1981) : intimement liée à l’invention du tourisme à l’aube du XIXe siècle, elle en est aujourd’hui le support de pratiques mondialisées et standardisées.

Document 4. La Promenade des Anglais à Nice en hiver

La promenade des Anglais

Au centre à droite : immeuble Le Méridien, construit en 1976, situé au 1 Promenade des Anglais ; un peu plus loin l’hôtel Le Negresco, ouvert en 1913. Cliché du Danois William John Gauthier, 13 janvier 2023, sous licence CC BY-SA 2.0 (source).


Bibliographie

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : cartepostalisation | front d’eau | haut lieu touristique | haut lieu et géosymbole | lieu touristique | littoral | marketing territorial | odonyme | tourisme | touriste.

 

Anthony CLÉMENT

Professeur agrégé de géographie, lycée Henri-Matisse (Vence) et Université Côte d'Azur (Nice).

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Anthony Clément, « Image à la une. Bicentenaire de la Promenade des Anglais à Nice : images et représentations d’une artère touristique emblématique », Géoconfluences, mai 2025.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/promenade-des-anglais-a-nice

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