Image à la une. D’un site touristique patrimonial à un territoire contrôlé par les singes, Lopburi en Thaïlande
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Document 1. Temple (phra) de Prang Sam Yod à Lopburi (Thaïlande). Le temple est devenu un refuge pour les singes qui ont envahi la ville historique.
- Lieu de prise de vue : Vue du trottoir face au temple de Prang Sam Yod à Lopburi (Thaïlande). 14,80292°N ; 100,614113°E
- Date : 28 juillet 2024
- Droits d’usage : photographie libre de droits pour l’usage pédagogique dans la classe
- Autrice : Sonia Laloyaux.
La Thaïlande est un des principaux pays touristiques à l’échelle mondiale : c’est la onzième destination mondiale avec 36 millions d’entrée en 2024 (OMT, 2025). La découverte culturelle du pays attire de nombreux étrangers. Les temples (phra) font partie, par leur histoire, leur architecture et leur beauté, de ces sites d’exception. C’est le cas à Lopburi, dans le centre du pays, à proximité d’Ayutthaya, l’un des incontournables du tourisme culturel en Thaïlande. À Lopburi est riche de plusieurs de ces monuments (document 2), parmi lesquels le temple de Prang Sam Yot.
Néanmoins, ce site touristique connaît un déclin certain, du fait d’une présence envahissante du nombre de singes, présence animale qui lui a d’ailleurs donné le surnom de « cité des singes ». Les singes font partie de ces animaux adaptés aux environnements anthropisés, et particulièrement aux environnements urbains, tels les rats et les pigeons. Ce sont ce que les philosophes canadiens Sue Donaldson et Will Kymlicka (2011) ont appelé des animaux liminaires résidents, qui ont un statut intermédiaire entre les animaux domestiques et les animaux sauvages. Ces animaux, sans être domestiqués, vivent dans l'espace urbain, en liberté, à proximité des humains. Ils sont souvent perçus comme une nuisance en raison de leur prolifération.
Document 2. Le temple Prang Sam Yot à Lopburi
Le regard de la géographe
Cette photographie est celle du temple de Prang Sam Yod à Lopburi. La ville de 22 000 habitants (Guide Vert Thaïlande, 2025) est située dans la région Centre de la Thaïlande, à 150 kilomètres au nord de Bangkok. Connue internationalement comme la ville aux singes, Lopburi possède un passé important puisqu’elle fut capitale du Siam à plusieurs reprises, en particulier sous Narai le Grand, au XVIIe siècle. Les macaques crabiers y pullulent. Le macaque crabier, aussi appelé macaque de Java ou macaque à longue queue, est l’espèce de singe la plus répandue en Asie du Sud-Est. Ces singes ont une alimentation omnivore et sont considérés comme une espèce invasive. Ils ont une histoire longue et diverse d'interactions avec l'espèce humaine, avec des considérations qui vont de nuisible agricole à animal sacré des temples. À Lopburi, on en dénombre entre 3 000 et 6 000 (Harmer, 2024 [1]). Ceux-ci sont essentiellement concentrés autour de Prang Sam Yod, un ancien temple khmer et principale attraction de la ville.
Un temple occupé par des singes
Le temple de Prang Sam Yod, datant du XIIIe siècle, est un temple khmer qui était à l’origine un sanctuaire du bouddhisme. Il a servi aussi de temple dédié à Shiva. Le principal bâtiment est composé d’un ensemble de trois prangs (des tours qui sont caractéristiques de l’architecture de l’Inde du nord, puis adoptées par les Birmans, les Khmers et les Thaïs), reliés par un corridor. Pour éviter que les singes n’entrent et ne dégradent cet espace sacré, l’accès est désormais protégé par des grilles, elles-mêmes renforcées par un grillage plus fin.
Ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas le temple en lui-même mais ses occupants, que l’on peut facilement observer si l’on zoome sur la photographie, même si la couleur du pelage des singes se confond avec celle de la pierre. Lopburi est traditionnellement la cité des singes. Les singes sont vénérés en Thaïlande. Ils sont considérés comme des descendants d'Hanuman, le roi des singes. Chez les bouddhistes, ils sont le symbole de la sagesse comme avec les trois singes : le muet, l'aveugle et le sourd.
Document 3. Détail du temple et vue sur les singes
Cliché de Sonia Laloyaux, juillet 2024.
Un site touristique traditionnel
Cette ancienne capitale royale de Thaïlande attire d’ailleurs les touristes autant pour ses vestiges architecturaux que pour ses colonies de singes. La Thaïlande est une des principales destinations touristiques à l’échelle mondiale depuis les années 1980. À partir de la fin des années 1950, le pays a connu un essor touristique remarquable (Peyrou, 1992). Le développement d’infrastructures comme l’aéroport de Bangkok, mais aussi la présence des Américains dans la région, expliquent les débuts de la fréquentation touristique. Pour autant, la décennie 1970 connaît un certain ralentissement du fait du manque d’investissements. À la fin de cette décennie, le Tourism Authority of Thailand, agence dépendant du ministère du tourisme, réorganise l’activité et met les moyens pour développer le tourisme, avec en particulier des actions de promotion. La contribution de ce secteur au décollage économique du pays est de l’ordre de 15 % du PIB, grâce à la reprise et l’augmentation de la fréquentation touristique. Ainsi, en 2024, cette fréquentation était de 35 millions de visiteurs étrangers, rattrapant presque celle d’avant la crise de covid-19 (40 millions en 2019). Au-delà de l’activité balnéaire, la Thaïlande a un patrimoine culturel riche et diversifié, valorisé et en partie protégé. Reconnaissant la diversité culturelle et naturelle de la Thaïlande, l'UNESCO a, par exemple, inscrit sept biens du pays sur la Liste du patrimoine mondial, dont trois sites naturels et quatre d'importance historique et culturelle (les parcs historiques de Sukhothaï et d’Ayutthaya, le site archéologique de Ban Chiang, la ville ancienne de Si Thep), tous intégrés à des circuits touristiques. La ville de Lopburi fait partie des sites généralement visités. Mais, la situation s’est complexifiée. Les singes ne sont plus une simple attraction touristique, amusant les touristes étrangers, adultes et enfants. Ils sont devenus une contrainte pour les habitants, les aménageurs, les commerçants, les organisateurs de visites. Ainsi, les discussions avec l’une des guides touristiques, en juillet 2024, nous ont permis de comprendre que la prolifération des singes était préoccupante, non seulement pour l’activité touristique, source d’emplois et de revenus, mais aussi pour la population locale.
L’événement perturbateur de la crise de la covid-19
Pendant la pandémie de covid-19, avec la fermeture des frontières et la disparition des touristes, les singes qui étaient nourris par les visiteurs dans le temple de Prang Sam Yod ont commencé à voler dans les rues, les commerces et même les habitations, et à attaquer les habitants. Ils ont formé des meutes, voire des « gangs » si on peut se permettre cet anthropomorphisme, pour chercher de la nourriture et contrôler différents territoires dans la ville. Avec la multiplication des singes, se sont ajoutés les désagréments des déjections et des odeurs, pour les populations locales comme pour les touristes.
Le résultat en est, dans un premier temps, la volonté de protéger les habitations et commerces avec des grillages, de se barricader ; puis dans un second temps l’abandon de certaines rues, de bâtiments entiers, comme c’est le cas tout autour du temple de Prang Sam Yod, « où les habitants et commerçants ne se sentent plus en sécurité et chez eux » (guide touristique, 2024). Par endroits, les bagarres entre bandes de singes rivales, leur appropriation et occupation de l’espace, font que certains territoires, comme un ancien cinéma, sont interdits aux humains.
Même si la plupart des habitants s’oppose au fait de s’en prendre aux singes, un programme de stérilisation a été mis en place. Les autorités thaïlandaises ont stérilisé 500 singes en 2020 et poursuivent cette politique depuis. Cela reste néanmoins insuffisant. D’autres actions ont été mises en place, comme la disposition de cages avec des appâts. L’objectif étant d’emprisonner les animaux et de les déplacer vers des lieux plus éloignés de la ville, comme les forêts. Mais, c’est oublier l’intelligence des singes qui observent leurs congénères capturés et ne se font plus attraper (Courrier International, 2024).
Plusieurs espaces de la ville dont certains temples, le stade, des habitations, des rues aux alentours, etc. ont subi ces invasions. La cohabitation est devenue une lutte quotidienne pour les humains. Les habitants sont désormais armés de frondes ou de pistolets à air comprimé pour effrayer les singes.
Les photographies ci-dessous permettent de voir des immeubles détériorés (vitres cassées, grillages aux fenêtres et au-dessus des terrasses), voire totalement abandonnés, des commerces fermés (les grilles sont baissées et, cela, définitivement).
Document 4. Vues autour du temple, un site abandonné
Complexe commercial chinois abandonné (le bâtiment de face), hôtel en vente (pancarte rouge sur le deuxième cliché), petits commerces fermés… les alentours du temple n’inspirent pas la sérénité et sont totalement abandonnés. Clichés de Sonia Laloyaux, juillet 2024.
Les singes contrôlent le site ; les touristes le contournent
En juillet 2024, accéder au temple se faisait d’abord en passant par la guérite d’un surveillant qui distribuait à chacun des rares visiteurs (12 présents entre 11h et 11h30) une longue baguette de bois pour éloigner les singes et rappelait des consignes de sécurité, comme rester en groupe, ne pas sortir de nourriture, ne pas agiter d’appareil photo, de téléphone… et bien sûr ne pas s’approcher des singes. Nous avions déjà eu l’occasion de visiter ce site en 2002. À l’époque, même si les singes étaient déjà présents, on ne ressentait pas le même sentiment d’inquiétude voire d’angoisse. En une vingtaine d’années, la reproduction effrénée des singes leur a permis de prendre possession du territoire, de « faire la loi », au détriment des activités résidentielles, commerciales et touristiques.
Document 5. Photographie du parking, des cars de touristes de plus en plus rares
Les quelques cars de touristes qui s’arrêtent encore à Lopburi emmènent les visiteurs vers l’ancien palais royal, qui est aujourd’hui un musée. Clichés de Sonia Laloyaux, juillet 2024.
Aujourd’hui, les agences de voyage redoutent de plus en plus l’agressivité des singes et mettent plus rarement la ville de Lopburi dans leurs propositions de circuits. Ainsi, la guide touristique qui nous suivait n’était pas rassurée et répétait que c’était la dernière fois qu’elle passait par Lopburi, que les risques de morsures n’étaient pas rares ; et que, même, si l’hôpital privé prenait bien en charge l’éventuel blessé, c’était au minimum une demi-journée de perdue dans le circuit. Les touristes ressentaient tous, en visitant le site, des sentiments désagréables dominés par la peur. Cette attractivité déclinante se retrouvait aussi dans le fait que le parking destiné à l’accueil des cars de touristes était quasiment désert, ce qui n’était pas le cas en 2002, lors de notre première venue.
Des projets immobiliers ou économiques sont aujourd’hui suspendus, voire totalement annulés, comme celui d’un complexe commercial chinois, à côté du temple, l’investisseur n’ayant pu faire aboutir son projet à cause de la crise de la covid-19 et de la prolifération des singes (guide touristique, juillet 2024).
Conclusion
Le problème de la prolifération d’animaux liminaires dans les villes se retrouve ailleurs à travers le monde. C’est le cas de villes indiennes comme Agra ou Delhi (plus de 25 000 singes), mais on peut aussi penser aux goëlands à Nice ou Marseille, ou encore aux pigeons à Venise.
Pour autant, rares sont les villes où les sites touristiques qui se trouvent en difficulté de développement en lien avec ces « perturbateurs sauvages ». Les singes crabiers, même si leur présence est encore tolérée à Lopburi, avec même des temps de vénérations comme lors du Festival d’Hanuman, appartiennent de plus en plus à cette frange du monde animal qui semble ne mériter ni l'affection apportée aux animaux domestiques, ni le respect dû aux animaux sauvages. Pour autant, loin de céder la place, certainement du fait de ces traditions bouddhistes, ils semblent gagner et participent à la perte de vitesse de ce site touristique.
Bibliographie
Références citées
- Collectif, 2025, Guide Vert Thaïlande, Michelin Travel Partner, 516 p.
- Courrier international, « La police thaïlandaise se dote d’une unité antimacaques pour mâter les singes agressifs », 29 mars 2024.
- Donaldson Sue et Kymlicka Will, Zoopolis. Une théorie politique des droits des animaux (2011), traduit de l’anglais par Pierre Madelin, Alma éditeur, Paris, coll. « Essai-Sociétés », 2016, 404 p.
- OMT (Organisation mondiale du tourisme, UNWTO), « Global and regional tourism performance », consulté en mars 2025.
- Peyrou Bruno, 1992. « Le tourisme en Thaïlande », Cahiers d'outre-mer, n° 177, 45e année, janvier–mars, p. 55–76.
Pour aller plus loin
- Ech-Charrat Mahira, « Lopburi, la ville assiégée par les singes tente de reprendre le contrôle », www.thailande-fr.com, 18 mai 2022.
- Harmer Jerry, 2024. « Une ville de Thaïlande tente de contrôler la population de singes sauvages », The Associated Press.
- Mérieau, Eugénie, 2018. Idées reçues sur la Thaïlande, Le Cavalier Bleu, 152 p.
Mots-clés
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Sonia LALOYAUX
Docteure en géographie, chercheuse associée (laboratoire TVES, Université de Lille), professeure d’histoire-géographie, académie de Lille.
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Sonia Laloyaux, « Image à la une. D’un site touristique patrimonial à un territoire contrôlé par les singes, Lopburi en Thaïlande », Géoconfluences, mars 2025.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/lopburi-singes