Image à la une. Le bocage, une réponse à la désertification du Sahel ?
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Document 1. Déprimage d’un champ de mil avant montaison dans le périmètre bocager de Tankouri à Guiè (aménagé entre 1998 et 2000), Burkina Faso. Le déprimage est une technique ancienne qui consiste à pâturer les céréales et leurs adventices quand elles sont au stade herbacé avant la montaison (sortie et allongement de la tige qui portera l’épi).
- Auteur du cliché : association Terre Verte
- Lieu de prise de vue : site de Tankouri, village de Guiè. Localisation : 12.8167, -1.6018
- Date : août 2021.
- Droits d’usage : photographie libre de droits pour tout usage pédagogique, hors usage commercial.
Le nom Sahel a plusieurs étymologies, et l’une d’elles le relie à un mot arabe signifiant « frontière » ou « rivage » ; c’est donc une interface, un écotone. Le toponyme désigne une zone semi-désertique de transition au sud du Sahara, entre le désert saharien et le domaine tropical humide, sur 6 000 kilomètres, de l’Atlantique à la mer Rouge, du Sénégal à l’Érythrée.
Une désertification en grande partie d’origine anthropique
Si la désertification saharienne est un processus ancien, datant du Néolithique, la désertification sahélienne s’est fortement accentuée depuis un siècle avec les activités humaines et le changement climatique.
S’il faut nuancer les témoignages des colonisateurs européens, enclins à dénigrer les pratiques traditionnelles locales pour mieux imposer les leurs, certains modes de gestion du milieu se sont avérés destructeurs. Ainsi, des pratiques comme l’écobuage (débroussaillement par le feu), qui peuvent être durables ailleurs, avec des faibles densités humaines et en milieu humide, sont néfastes en milieu semi-aride. Le surpâturage et les incendies (pour la chasse ou la régénération des prairies), ont mis à mal des milieux fragiles, entraînant une désertification et une dégradation des sols, lesquels sont le support de tout écosystème comme de tout système agraire (Diébré, 2004).
Au XXe siècle, tous ces processus se sont accélérés, comme ailleurs dans le monde, sous l’effet de l’intensification de l’anthropisation. Les activités humaines ont sollicité les milieux naturels comme jamais auparavant. La limite entre Sahara et Sahel se serait déplacée de 250 kilomètres vers le sud en un siècle (Bouquet, 2017) ! Les causes sont multifactorielles, mais la responsabilité anthropique est de loin le facteur dominant, en raison de l'intensification des feux de brousse depuis le XXe siècle. Ce n’est pas le Sahara qui avance, mais les zones forestières qui reculent par la dévégétalisation des sols où l’eau ne s’infiltre plus mais ruisselle, entraînant finalement le sol fertile avec elle.
Ce processus de dégradation du Sahel s’est accéléré à partir des années 1960 jusqu’à ce jour (Banque mondiale, 2022). Les populations étant de plus en plus nombreuses, on est entré dans une logique d’augmentation de la production et de la consommation, ce qui s’est fait au détriment du milieu naturel par :
- La coupe du bois pour la cuisine et les constructions traditionnelles
- Les feux de brousse qui privent le sol de sa source d’humus
- La dégradation du sol par l’agriculture extractiviste, vivrière ou commerciale
- Le surpâturage par la divagation des animaux qui ne permet pas aux arbres et à la savane de se régénérer
Il en résulte de grands dommages pour l’environnement et par voie de conséquence pour les populations : pénurie d’eau, perdue par ruissellement et par assèchement des nappes phréatiques, disparition de la flore et de la faune, famines et paupérisation du monde rural.
Document 2. Montage d’images satellitaires montrant la localisation cumulée des feux de brousse pour l’année 2023
Source : NASA, libre de droits pour l’usage pédagogique, voir le site FIRMS.
Document 3. Feu de brousse au Burkina Faso
Cliché : Terre Verte, 2011.
Document 4. Processus de désertification et d'embocagement au Sahel
Le bocage comme réponse à la dégradation des sols
À cette dégradation des sols, en grande partie d’origine anthropique, on peut opposer des trajectoires opposées, d’aggradation des sols. Cela a déjà pu être le cas par le passé, dans des conditions environnementales dégradées. Ailleurs en Afrique, les Kabyé du Togo, les peuples du Plateau Bamiléké au Cameroun, acculés et sans autre issue que la remise en cause de leur relation avec leur environnement, ont su trouver des solutions adaptatives, notamment la conversion bocagère des paysages agropastoraux.
Document 5. Les périmètres bocagers réalisés au Burkina Faso depuis 1995
2 155 hectares de bocage ont été réalisés depuis le début du programme, bénéficiant à 721 familles, soit environ 7 000 personnes. Données Terre Verte, carte de JB Bouron, Géoconfluences, 2024.
Document 6. L’exemple d’un périmètre bocager : Bangue Goudin (80 hectares)
Le périmètre Bangue Goudin à Kamsé (commune de Pissila) a été réalisé en 2017–2018 et il bénéficie à vingt-huit familles. Coordonnées géographiques : 13,02°N ; 0,93°W.
Comme dans ces exemples passés, les sociétés rurales sahéliennes actuelles se trouvent ainsi à la croisée des chemins, entre des traditions souvent inadaptées au nouveau contexte et une modernité restant à imaginer. C’est dans ce contexte que s’insère la multiplication des initiatives techniques et organisationnelles menées par les institutions, les associations locales et les ONG.
Parmi ces initiatives, l’embocagement des terres agricoles au Sahel ou « bocage sahélien », consiste en un maillage de haies vives entourant chaque champ (document 1 et documents ci-dessous). Doublées de diguettes en terre, ces haies vives permettent de garder la totalité de l’eau pluviale dans chaque champ : cette eau n’en sortira que par l’infiltration vers les nappes phréatiques ou par l’évapotranspiration. Ce dispositif, que nous appelons le « ruissellement zéro », permet une végétalisation efficiente de l’espace rural sahélien et sa reconquête par les paysans afin d'atténuer l'action érosive des eaux de la mousson et de maintenir la biodiversité d’un milieu extrêmement fragile.
Sa mise en œuvre par l’association Terre Verte au Burkina Faso s’articule autour d’associations inter-villages propriétaires de fermes pilotes, elles-mêmes chevilles ouvrières de l’aménagement proprement dit du bocage au profit des paysans rassemblés en copropriétés foncières rurales coutumières (Baudin, 2023).
Encadré 1. Présentation de l’association Terre Verte
Terre Verte est une association française créée en 1989 pour soutenir l’initiative de la ferme pilote bocagère de Guiè au Burkina Faso. Depuis 2001, elle s’est installée à Ouagadougou pour y animer progressivement un réseau d’associations inter-villages qui travaille à la conception et à la mise en œuvre d’un bocage spécifique aux régions sahéliennes pour endiguer les phénomènes de désertification qui les menacent. En plus de trente ans de recherche-action, Terre Verte a pu développer une approche holistique et innovante de la mise en œuvre des solutions techniques.
Pour plus d’informations
Les paysans disposent alors d’un cadre de travail amélioré, assurant de bons rendements et durablement productif. Les arbres sont introduits dans l’axe du champ et les arbustes dans les haies vives, pour ne pas gêner les travaux de culture attelée ou motorisée. La culture en zaï (encadré 2) permet de régénérer les sols avant de les préserver par une rotation culturale incluant la jachère pâturée avec une clôture électrique, ainsi que d’autres techniques innovantes (gestion des adventices par écrasement au rouleau FACA, document 9, ou par sarclage localisé, document 10).
Document 7. Champs bocagers à Guiè au Burkina Faso
Cliché : Terre Verte, août 2014.
Document 8. Détail d’un champ cultivé en zaï avec la rangée d’arbres centrale et les haies arbustives autour
Cliché : Terre Verte, juin 2021.
Document 9. Maîtrise des adventices par écrasement au rouleau FACA dans un champ de sorgho au Burkina Faso
Cliché : Terre Verte, août 2023. Il s’agit d’écraser les adventices (on ne parle plus de « mauvaises herbes ») : le temps qu’elles se redressent, le sorgho a poussé et finit par leur faire de l’ombre.
Toute action environnementale doit s’inscrire dans le temps et se circonscrire à un espace bien défini, afin d’aller en profondeur dans la connaissance des problèmes et dans la mise en œuvre des solutions ; ce que s’attachent à faire les fermes pilotes bocagères du Sahel, pour mettre en place ce « green new deal rural » qui s’est rattaché en 2018 à la Coordination Nationale Burkinabè de l’Initiative de la Grande Muraille Verte pour le Sahara et le Sahel et qui suscite l’intérêt d’organisations telles que l’IRD, le CIRAD ou le CORAF (Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricoles) ou le WOCAT (World Overview of Conservation Approaches and Technologies).
Encadré 2. La technique du zaï
Le zaï est une technique traditionnelle de culture des céréales originaire de la région nord-ouest du Burkina, le Yatenga. Elle consiste à concentrer l'eau et les nutriments autour de la plante cultivée en creusant durant la saison sèche des trous de 30 cm de diamètre et de 15 à 20 cm de profondeur. Du compost bien mûr y est déposé et recouvert d’une petite quantité de terre au bord de laquelle on sèmera la céréale (mil, sorgho ou maïs) dès les pluies de mai-juin, souvent insuffisantes.
En localisant l’eau et le compost, cette technique permet de garantir l’implantation précoce des cultures qui profiteront pleinement de la mousson et résisteront aux poches de sécheresse.
Cette technique permet de récupérer une terre dégradée tout en en tirant une bonne récolte dès la première année. C'est aussi une assurance de récolter de quoi vivre, quels que soient les aléas climatiques.
Document 10. Sarclage localisé sur zaï à Guiè au Burkina Faso
Cliché : Terre Verte, juillet 2022.
Bibliographie
Références citées
- Banque mondiale (2022). Région du G5 Sahel : Rapport National sur le Climat et le Développement. CCDR Series. Washington, DC: World Bank. Licence : CC BY 3.0 IGO.
- Baudin Frédéric (2023). Wégoubri, un bocage au Sahel. Entretiens avec Henri Girard, CEM, première éd. 2017.
- Bouquet Christian (2017). « Le Sahara entre ses deux rives. Éléments de délimitation par la géohistoire d’un espace de contraintes », Géoconfluences, décembre 2017.
- Diébré Régis (2004). Cartographie des feux de brousse au Burkina Faso de l’année 2002 à l’aide d’images ABHRR de NOAA LAC. Rapport final, Ouagadougou, mai 2004.
Pour aller plus loin
- Cécile Dardel et al., « Chapitre 6. Entre désertification et reverdissement du Sahel ». Les sociétés rurales face aux changements climatiques et environnementaux en Afrique de l’Ouest, édité par Benjamin Sultan et al., IRD Éditions, 2015.
- Organisation des Nations Unies, Sécheresse, désertification et reverdissement au Sahel, 2021.
- Un site : www.eauterreverdure.org et une adresse : info@eauterreverdure.org
- Des vidéos :
Mots-clés
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Henri GIRARD
aménageur rural, président de l’association Terre Verte
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Henri Girard, « Image à la une. Le bocage, une réponse à la désertification du Sahel ? », Géoconfluences, novembre 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/bocage-sahelien