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Image à la une : États-Unis – Mexique, une frontière sanctuarisée, traversée, surveillée

Publié le 17/09/2019
Auteur(s) : Franck Ollivon, docteur et agrégé de géographie, ATER - École normale supérieure
Florence Nussbaum, maîtresse de conférences en géographie - université Jean-Moulin Lyon 3

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Le parc national du Big Bend au Texas n'est séparé du Mexique que par un segment peu profond du Rio Grande. La frontière mexico-étasunienne y prend une forme originale, à la fois sanctuarisée de part et d'autre par la présence d'aires protégées, traversée par les Mexicains cherchant à gagner quelques dollars auprès des touristes, et surveillée, mais de façon peu étroite, par les autorités étasuniennes.

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Franck Ollivon et Florence Nussbaum — frontière états-unis mexique photo  

Date de la prise de vue : 17/12/2014
Auteure de l’image : Florence Nussbaum
Localisation : À l’entrée de Boquillas Canyon, Big Bend National Park, Texas, États-Unis
Droits d'utilisation : creative commons, attribution, usage non commercial, partage sous les mêmes conditions.

 
Croquis de synthèse

Franck Ollivon et Florence Nussbaum — frontière états-unis mexique carte

Le regard des géographes

Aux pieds de la Sierra del Carmen (à gauche sur la photographie), le Rio Grande déploie ses méandres dans le paysage sec et minéral du Big Bend National Park. La photo est prise en direction du sud depuis le Texas, le Mexique se trouve de l'autre côté du fleuve. Loin des polémiques politiques, ce segment de frontière, poreux, est un objet géographique à géométrie variable : sanctuarisée par un parc national, traversée par ses riverains, surveillée par les autorités étasuniennes.

Une frontière sanctuarisée

Si Big Bend n’est pas le seul parc national texan((Plus à l’ouest, le Guadalupe Mountains National Park se trouve à la frontière avec le Nouveau-Mexique.)) ni le seul parc national frontalier étasunien((Les États-Unis comptent six parcs frontaliers avec le Canada. D’est en ouest : Isle Royale, Voyageurs, Glacier, North Cascades, Glacier Bay et Wrangell-St-Elie)), il est le seul parc national établi le long de la frontière entre États-Unis et Mexique. State Park géré par l’Etat du Texas à partir de 1933, devenu parc national (National Park) en 1944, Big Bend – qui tire son nom de la boucle qu’y décrit le Rio Grande – s’étend sur 324 219 hectares et partage ainsi près de 190 km de frontière commune avec le Mexique. Il constitue de ce fait l’un des rares et des plus vastes terrains frontaliers avec le Mexique intégralement possédés par le gouvernement fédéral étasunien.

La patrimonialisation de ce coin de désert aux confins du Texas s’explique par la diversité des formations géologiques et archéologiques qui s’y trouvent, de même que par la richesse de sa flore et de sa faune. Certaines espèces y sont endémiques et le parc constituerait ainsi l’un des rares sites d’observation du western mexican black bear (ursus americanus eremicus) dont le territoire s’étend de part et d’autre de la frontière. Le parc national de Big Bend n’est d’ailleurs qu’une portion d’un ensemble d’aires protégées contiguës de près de 9357 km² qui se prolonge à l’Est avec le Big Bend Ranch State Park, mais aussi au Sud, du côté mexicain, avec le Parque Nacional Cañon de Santa Elena et l’Area Natural Protegida Maderas del Carmen à laquelle appartient l’autre berge du Rio Grande visible sur la photographie (voir croquis de synthèse).

Bien qu’éloigné des principales métropoles texanes – la plus proche, San Antonio, se trouve à près de six heures de route – ce parc frontalier est très fréquenté : le service des parcs nationaux recensait 443 000 visiteurs pour l’année 2017. Outre quatre centres d’accueil (« visitor centers ») et un gîte (« lodge »), le parc propose plusieurs sites de campement dont un certain nombre le long du Rio Grande, signe de l’attrait touristique pour cette « frontière naturelle ». L’une des principales activités du parc consiste d’ailleurs à parcourir la frontière en canoë en descendant sur plusieurs jours le Rio Grande jusqu’à Boquillas Canyon.

Une frontière traversée

Dans ce décor de western, un cheval traverse le Rio Grande sous la supervision d’un rancher. Echappé de l’enclos que l’on aperçoit côté mexicain, il a passé la frontière sans préavis, obligeant son propriétaire à traverser le Rio Grande à son tour pour le récupérer.

Dans le Big Bend National Park, le franchissement de la frontière est chose courante. Ainsi les visiteurs du parc peuvent-ils se rendre côté mexicain via le « Boquillas crossing port of entry » situé trois kilomètres en amont du lieu où la photographie a été prise. Fermé en 2002 puis rouvert en 2013, ce point de passage permet aux visiteurs d’accéder au village de Boquillas del Carmen et de s’offrir ainsi à peu de frais – la traversée en barque coûte 5 dollars – un « dépaysement » en territoire mexicain (Forbes, 2019 ; New York Times, 2018).

À ces traversées Nord-Sud s’ajoutent des traversées Sud-Nord. Comme ailleurs à la frontière entre États-Unis et Mexique, les populations mexicaines résidant à proximité de Big Bend traversent quotidiennement la frontière. Ces traversées parfois périlleuses visent en particulier à profiter de la fréquentation du parc en vendant souvenirs et services touristiques qui jouent tous plus ou moins sur les imaginaires associés à l’autre rive du Rio Grande.

La traversée de la frontière matérialisée par le Rio Grande est donc courante dans les deux sens, à la fois via des points de passage officiels et par des itinéraires plus informels. OpenStreetMap mentionne ainsi trois points de franchissement (« crossings ») – Boquillas, San Vincente et Santa Elena – alors qu’il n’y a qu’un seul point de passage officiellement reconnu, celui de Boquillas((Boquillas et Santa Elena constituent des « crossings » qui historiquement permettaient les échanges entre Mexique et États-Unis. Ils ont été officiellement fermés en 1996 mais cette fermeture n’est vraiment entrée en application qu’en 2002, à la suite des attentats du 11 septembre. Seul celui de Boquillas a rouvert en 2013.)). Le ranchero de la photographie a d’ailleurs franchi la frontière sans rien demander ni aux autorités mexicaines ni aux autorités étasuniennes.

Franck Ollivon et Florence Nussbaum — frontière états-unis mexique photo Franck Ollivon et Florence Nussbaum — frontière états-unis mexique photo

Au détour d’un rocher, deux Mexicains guettent les visiteurs qui longent le Rio Grande sur la Boquillas Canyon Trail pour leur chanter des chansons depuis la rive mexicaine. Ils traversent ensuite le fleuve en barque pour venir récupérer les dons laissés par les visiteurs sur la berge étasunienne. Clichés de Franck Ollivon et Florence Nussbaum, décembre 2014. Licence : creative commons, attribution, usage non commercial, partage sous les mêmes conditions.

Franck Ollivon et Florence Nussbaum — frontière états-unis mexique photo

Sur la rive étasunienne du Rio Grande, des étals improvisés proposent divers objets fabriqués au Mexique. 

Franck Ollivon et Florence Nussbaum — frontière états-unis mexique photo

Une personne traverse à pied le Rio Grande du Mexique vers les États-Unis. 

Clichés de Franck Ollivon et Florence Nussbaum, décembre 2014. Licence : creative commons, attribution, usage non commercial, partage sous les mêmes conditions.

Une frontière surveillée

Faut-il en conclure que l’on aurait là un petit coin de frontière entre États-Unis et Mexique qui échappe à tout contrôle ? De fait, ici, ni poste-frontière ni barbelé et encore moins de mur pour réguler les traversées. On est loin de l’image d’Épinal traditionnellement associée à la frontière entre États-Unis et Mexique.

Le contrôle s’effectue en fait bien plus au Nord. Sur les deux routes qui conduisent au parc, l’US Route 385 à l’Est et la Texas State Highway 118 à l’Ouest, un barrage de la police de l’air et des frontières (US Customs and Border Protection) contrôle les véhicules en provenance du Sud, quelques kilomètres avant les bourgs de Marathon et Alpine. Les postes se situent donc respectivement 56 kilomètres et 106 kilomètres avant l’entrée du parc, ce qui n’empêche pas les agents d’effectuer des contrôles mobiles sur les deux routes d’accès au parc et sur les propriétés privées situées à moins de 40 kilomètres du Rio Grande. Malgré une augmentation significative du nombre d’agents entre 2006 et 2010, ceux-ci peinent encore à contrôler les flux illégaux qui transitent par la frontière de Big Bend (Texas Tribune, 2010). Quant au « port of entry » de Boquillas, le contrôle y est effectué à distance via une procédure dématérialisée : le visiteur passe son passeport dans un scanner avant de répondre par téléphone aux questions que lui pose un agent. Au sein du parc, la surveillance est en fait déléguée aux agents du parc qui sont chargés d’alerter à propos de toute traversée illicite et rappelle le visiteur à ses obligations légales, tant sur son site Internet qu’au sein même du parc. Ici, la frontière n’est donc pas un simple trait mais une large bande de plus de cent kilomètres de large qui obéit à un statut spécifique, en marge du reste du territoire américain.

Alors que les projets de Donald Trump envers la frontière entre États-Unis et Mexique alimentent débats et polémiques, le cas de Big Bend rappelle la mise en garde qu’adressait John Agnew en 1994 contre le « piège territorial » (« territorial trap »). Loin d’être cette ligne de démarcation hermétique entre deux ensembles territoriaux, la frontière est ici dépassée voire contestée par les pratiques spatiales des acteurs en présence.

 

Franck Ollivon et Florence Nussbaum — frontière états-unis mexique panneau

Un panneau rappelle aux visiteurs que tout achat réalisé auprès de ressortissants mexicains est illégal dans les limites du parc et les informent des conséquences de tels achats : « Attention. L’achat ou la possession d’objets obtenus auprès des ressortissants mexicains sont illégaux. Les objets achetés illégalement seront saisis et les contrevenants pourront faire l’objet de poursuites. »
Cliché de Franck Ollivon et Florence Nussbaum, décembre 2014. Licence : creative commons, attribution, usage non commercial, partage sous les mêmes conditions.

 


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Franck OLLIVON
Docteur et agrégé de géographie, ATER à l'ENS de Lyon, Université de Lyon

Florence NUSSBAUM
Agrégée, doctorante en géographie, ATER à l'ENS de Lyon, Université de Lyon

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Franck Ollivon et Florence Nussbaum, « États-Unis – Mexique, une frontière sanctuarisée, traversée, surveillée », image à la une de Géoconfluences, septembre 2019.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/frontiere-usa-mexique-parc-national

 

Pour citer cet article :  

Franck Ollivon et Florence Nussbaum, « Image à la une : États-Unis – Mexique, une frontière sanctuarisée, traversée, surveillée », Géoconfluences, septembre 2019.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/frontiere-usa-mexique-parc-national

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