Carte à la une. Faire de la géographie historique avec le musée des plans-reliefs de Lille
Bibliographie | citer cet article
Document 1. Le plan-relief de Lille. Cliché d'Hervé Théry, 2025.
Le département des Plans-reliefs du Palais des Beaux-Arts de Lille expose des maquettes de villes de l'ancienne frontière nord de la France fortifiées par Vauban, réalisées pour l’essentiel au cours du XVIIIe siècle (celles d’autres régions françaises sont conservée à Paris). De très grande dimension (entre 30 et 50 m²), elles montrent les villes telles qu’elles étaient à l’époque, mais aussi leur environnement, minutieusement reconstitué.
Elles avaient au départ une fonction militaire – d’où l’inclusion des campagnes environnantes, pour les besoins de l’artillerie – puis d’« outils d’expertise à distance pour le roi et son état-major » (Isabelle Warmoes, 2008). Aujourd’hui, elles nous ouvrent une fenêtre sur l’histoire du des Flandres françaises et belges et permettent de mesurer à quel point ces villes ont changé en deux siècles et demi, au cours desquels la région a vécu les mutations des révolutions industrielle et urbaine.
Des plans-relief au service du pouvoir royal et de son état-major
La collection rassemble des maquettes des villes fortifiées par Vauban à la suite de la conquête de la région par les armées de Louis XIV. Son secrétaire d’État à la guerre, le marquis de Louvois, avait demandé en 1668 à Vauban de faire exécuter le premier plan-relief, celui de Dunkerque. Par la suite, une série d’autres maquettes ont été réalisées, ce qui permit à Vauban de répondre à Louvois en 1695 « Il y a un relief de Namur dans les Tuileries ; je vous demanderai d’avoir la complaisance d’y venir avec moi. Je vous ferai toucher au doigt et à l’œil tous les défauts de cette place, qui sont en bon nombre, et en même temps vous ferai apercevoir comment se pourrait corriger celui qu’on m’impute ».
Une échelle unique de « un pied pour cent toises » (soit environ 1/600) avait été adoptée et en 1743 deux ateliers entièrement ont été consacrés à leur construction créés à Béthune et à Lille avant d'être transférés à Paris en 1756, d'abord au Louvre, puis dans les combles des Invalides, à partir de 1777. Elles sont formées de plusieurs tables assemblées, dont la dimension permet aux artisans d'accéder à leur centre, et constituées d’une structure de lames de bois de différentes épaisseurs, taillées de façon à reproduire le relief. Cette base est recouverte de carton, sur lequel sont collés du sable fin pour les sols et de la soie hachée pour la végétation. Les bâtiments sont taillés dans des blocs de tilleul décorés avec du papier gravé ou peint, la végétation est faite en chenilles de soie torsadée dans des fils de fer.
Document 2. La collection des plans-reliefs et les deux lignes du pré-carré de Vauban. D'après une carte du Département des plans-reliefs du Palais des beaux-arts de Lille. Réalisation : Jean-Benoît Bouron, Géoconfluences 2025.
La collection comporte sept places fortes situées dans le nord de la France : Calais, Bergues, Bouchain, Lille, Aire-sur-la-Lys, Gravelines et Avesnes. S’y ajoutent sept autres situées aujourd’hui en Belgique (cédées lors du traité d’Utrecht, qui mit fin à la guerre de Succession d’Espagne), Charleroi, Ath, Ypres, Tournai, Menin, Audenarde et Namur. La place forte de Maastricht, aux Pays-Bas, complète la collection.
Les premiers plans en relief avaient été conçus pour accompagner les travaux de fortification des places fortes des Flandres espagnoles conquises lors de la guerre de Dévolution (1667-1668) : instruments de travail sommairement exécutés, elles représentaient le projet, les réalisations en cours puis les fortifications achevées. Par la suite, leur fonction a changé, ce qui a amené à élargir le champ et à soigner davantage leur rendu, car destinées à un public choisi. Comme le précise ensuite Isabelle Warmoes :
« Désormais réalisés pour représenter les places fortes quelques années après l’achèvement des campagnes de fortification menées dans les villes représentées, les plans-reliefs sont devenus la mémoire des travaux exécutés, matérialisant la mise en défense du territoire à ses frontières. Véritables outils d’expertise à distance pour le roi et son état-major, ces plans en relief révélaient de manière immédiate le détail des fortifications et l’inscription de chaque place forte dans son territoire. […] Un inventaire dressé par Vauban en 1697 indique qu’en moins de trente ans, 144 maquettes ont été confectionnées, représentant 101 sites fortifiés ».
Isabelle Warmoes , « Le musée des Plans-reliefs », Artefact 7 | 2017
Un exemple, le plan-relief de Tournai
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Document 3. Plan-relief de Tournai en Belgique, conservé à Lille (1701). Échelle 1/400, dimensions 6,54 x 5,80 = 38 m², composé de 11 tables, construit sous la direction de Montaigu, nettoyé au laser en 1996, restauré en 2018. Cliché d'Hervé Théry, 2025. |
Le plan-relief de Tournai, ville aujourd’hui située dans le Hainaut, en Belgique, a été commandé par Louis XIV au début de la guerre de succession d'Espagne (1701–1714). Les fortifications visibles sur le plan-relief avaient été construites par Vauban, puis elles ont été détruites à partir de 1781 par l'héritier d'Autriche, le futur Joseph II. Ce dernier avait d’ailleurs visité incognito en 1777 la galerie des plans-reliefs, alors installés au Louvre.
Ce plan-relief a une particularité : certains de ses bâtiments, comme sa cathédrale, ont été représentés à une échelle différente du reste pour donner encore plus de relief à la ville. Dès lors, le plan-relief devient un objet ambigu : précis – les microreliefs sont transcrits avec justesse – mais pas toujours exact, pour renforcer son effet visuel.
Toutefois, il s’en est fallu de peu que ces réalisations ne soient oubliées, et c’est à la suite d’une polémique politique que la présentation d’une partie d’entre à Lille a été mise en œuvre.
Polémique politique et tribulations d’une collection
Les plans-reliefs avaient été transportés sous Louis XVI à l'hôtel des Invalides et ils y ont sombré peu à peu dans l'oubli jusqu’à ce que Pierre Mauroy, Premier ministre (1981-1984) et maire de Lille (1973-2001), ne découvre que « ces fragiles maquettes de papier, de soie et de bois dormaient dans l'oubli et la poussière des greniers des Invalides », comme il le raconte dans ses Mémoires (2003).
Au titre de la décentralisation culturelle, son gouvernement les avait alors fait transférer à Lille, mais en 1986 Jacques Chirac, alors maire de Paris et futur Premier ministre, avait contesté leur transfert, arguant de leur fragilité et de leur importance historique. La polémique avait enflé entre gauche décentralisatrice et droite centralisatrice et Pierre Mauroy en était venu à placer jour et nuit des policiers municipaux auprès des plans-reliefs, avertissant qu'en cas « d'opération de force […] la population en serait immédiatement informée par les sirènes » (France 3 régions, 1986).
La polémique est nationale et relayée notamment par Le Monde (Lore, 1986), qui relève les arguments de Pierre Mauroy en faveur de sa ville : le nombre de maquettes de villes de la région, l'attachement de Vauban à Lille, où il vécut vingt ans, et la volonté de la ville de les mettre en valeur. Malgré cela, François Léotard, ministre de la Culture sous le gouvernement Chirac, avait ordonné leur rapatriement aux Invalides. En mars 1987, il a finalement été décidé de confier à Lille la partie de la collection représentant les villes du Nord. Une quinzaine de restauratrices se sont affairées à dépoussiérer, décrasser et consolider les 400 mètres carrés (pesant douze tonnes) de la collection des plans-reliefs, qui a été exposée à l'Hospice général jusqu’à l'inauguration de la salle actuelle au Musée des Beaux-arts, en 1997.
Lille n’a donc qu’une partie des plans-reliefs. Les autres sont à Paris, à l’Hôtel des Invalides, où sont exposés ceux de places françaises des côtes atlantique et méditerranéenne (Bayonne, Brest, Cherbourg, le Mont-Saint-Michel, Toulon…) et de quelques places étrangères (Genève, Huningue, Ypres…). Au total, selon ce qui est indiqué par le musée parisien, « de 1668 à 1870, 260 plans-reliefs (représentant 150 sites fortifiés implantés aux frontières du royaume et jusque dans les anciennes possessions françaises) ont été construits ». Une partie a toutefois été détruite ou n’a pas été conservée.
Cela offre donc deux lieux où emmener des élèves voir des plans-reliefs. À défaut de pouvoir le faire, il reste la solution d’utiliser le site IGN « Remonter le temps » en comparant l’image aérienne actuelle à la carte de Cassini (XVIIIe siècle). Cet outil permet, de n’importe où dans le monde, de mesurer l’évolution des villes et de leur proche environnement. Dans le cas de Lille, accessible en cliquant ici, les fortifications, qui entourent toute la ville sur la carte de Cassini, sont encore bien visible sur l’image satellite actuelle, de même que la citadelle.
Document 4. Le plan-relief de Menin (Menen) en Belgique, conservé à Lille. Cliché d'Hervé Théry, 2025.
Bibliographie
- AFP et France 3 régions, « Lille : la restauration des plans-reliefs, un défi à la hauteur de leur histoire rocambolesque », 12/6/2020,
- France 3 régions Lille, « L'affaire des plans reliefs : la guerre des tranchées », 1986,
- Lore Jean-René, « La polémique sur le transfert des plans-reliefs, Lille se mobilise », Le Monde, 22 avril 1986.
- Manca Isabelle, « Quand Paris et Lille se disputaient les plans-reliefs des villes du Nord aujourd'hui restaurés », Le Journal des Arts, 17/3/2019,
- Mauroy Pierre, « Mémoires : vous mettrez du bleu au ciel », 2003, Plon.
- Musée des Plans-Reliefs de Paris
- Warmoes Isabelle, « Le musée des Plans-reliefs », Artefact 7 | 2017,
- Warmoes Isabelle, « La rationalisation de la production cartographique à grande échelle au temps de Vauban », CFC n° 195, mars 2008.
Hervé THÉRY
Directeur de recherche émérite au CNRS-Creda, professeur à l’Universidade de São Paulo (USP-PPGH)
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Hervé Théry, « Carte à la une. Faire de la géographie historique avec le musée des plans-reliefs de Lille », Géoconfluences, avril 2025.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/plans-reliefs-lille