Image à la une : le temps suspendu. Regard sur un paysage urbain lyonnais pendant le confinement
Bibliographie | citer cet article
Photographie 1. Lyon Sud vu depuis Jean-Macé. Voir l'original de l'image en grand : cliquez ici. |
Lieu de prise de vue : Appartement au-dessus de l’avenue Berthelot et de la gare Jean-Macé, 7e arrondissement de Lyon (voir carte).
Date : 23 avril 2020 à 8h42.
Droits d’usage : photographie libre de droits pour tout usage.
Auteur anonyme.
Le regard du géographe
Pendant le confinement qui a eu cours en France comme dans de nombreux pays du monde lors de la pandémie de Covid-19, de mars à mai 2020, de nouvelles pratiques géographiques que l’on pourrait qualifier de domestiques sont apparues. Il s’agissait pour les enseignants d’inventer des façons dont les élèves pourraient faire de la géographie chez eux, mais loin de leur écran devant lequel ils passaient déjà beaucoup de temps en raison de la continuité des enseignements à distance. Parmi ces pratiques, la cartographie des espaces du confinement (l’appartement, la maison, le jardin) a donné lieu à des productions intéressantes (voir cette brève). Mais ce fut aussi l’occasion de regarder par la fenêtre pour s’exercer au croquis ou à l’analyse de paysage. Cet exercice n’est pas sans rappeler la très expérimentale Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de Georges Perec (1975) dans laquelle l’auteur décrit tout ce qu’il voit depuis la terrasse d’un café, y compris chaque bus qui passe. Je m’y suis essayé depuis la fenêtre de mon appartement à Lyon.
La vue est prise en direction du sud, depuis le 7e étage d’un appartement donnant sur l’avenue Berthelot, un important axe routier ouest-est. Elle témoigne du paradoxe suivant : dans ce quartier marqué par la vitesse et les mobilités (vitesse des changements urbains, mobilités des navetteurs), le confinement a créé un espace d’immobilité et de (relatif) silence.
L’avenue Berthelot est un axe routier à deux voies traversant la ville en sens unique en direction des Alpes. En temps normal, la circulation automobile y est continue, et encore plus dense aux heures de pointe. L’avenue est longée par la voie de tram de la ligne T2 reliant la gare Perrache au campus de l’université Lyon 2 à Bron. Implantée en hauteur au-dessus de l’avenue Jean Jaurès, la gare de Jean-Macé est située sur une ligne reliant Perrache aux villes du sud de la région (Vienne, Valence…). La gare représente environ 650 000 passagers par an. La place Jean Macé elle-même correspond à une station de métro sur la ligne B, dont le tracé est nord-sud, et au terminus de plusieurs lignes de bus. Cette ligne transporte 46 millions de voyageurs par an et sa saturation est telle que l’exploitant prévoit de l’automatiser pour augmenter sa capacité de moitié d’ici 2023 (SYTRAL, 2018). En temps normal, ce lieu est donc un lieu de transit pour de très nombreux navetteurs passant d’un mode de transport à un autre, train, métro, tram, bus, auxquels il faut ajouter les piétons, cyclistes et automobilistes. Leurs trajets vont de la mobilité longue en TER à la mobilité très courte à pied. Mais pendant le confinement, par exemple à 8h42 ce jeudi 23 avril 2020, les rares trams roulent presque à vide, les voitures se font rares, les quais de gare sont déserts et la circulation piétonne est nulle. Seuls les trains de marchandises ont continué de circuler, en particulier des convois de citernes qui rappelaient l’existence d’une crise de surproduction pétrolière et les problèmes de stockage qui en ont découlé (Carroué, 2019).
Derrière la gare Jean-Macé, au second plan, s’étend une friche sur un terrain appartenant à la SCNF et attenant à la halle SERNAM, qui, d’après le site de la mairie d’arrondissement, « figure dans de nombreux manuels d’architecture pour ses fameux poteaux en « V » conçus par son architecte Bernard Lafaille ». Lieu d’exposition hors les murs pendant les biennales d’art contemporain, elle est vide le reste du temps. Après le confinement, elle a été transformée en lieu éphémère géré par une association soutenue par la SNCF et proposant activités culturelles, café et restauration en plein air, sous un nom géographique très à la mode : « Territoires ». Au moment du cliché, la friche est déserte. Elle permettait, pendant le confinement, l’observation quotidienne d’une colonie de lapins urbains dont les galeries souterraines ont miné le terrain.
À l’instar du paysage visuel, le paysage sonore est également modifié par le confinement. Le chant des oiseaux redevient perceptible ainsi que le bourdonnement des insectes : des ruchers sont installés sur un terrain proche appartenant à la SNCF et il semblerait que le printemps 2020 soit exceptionnel pour l’apiculture, en raison de la diminution des nuisances touchant les abeilles. Par moments, l’avenue normalement très passante est parfaitement silencieuse. Les ingrédients d’une urbanité d’habitude si marquée s’effacent et, oserait-on dire « provincialisent » ce paysage visuel et sonore.
À l’arrière-plan de la photographie s’étend un quartier qui connaît de rapides mutations urbaines. La cohabitation entre deux formes d’urbanisme y montre bien comment évolue le tissu urbain : la mutation en cours s’y fait progressivement, par touches plutôt que par aplats, laissant apparaître en palimpseste, au milieu du bâti récent, les anciennes formes d’occupation du sol. Au sud de Jean Macé, dans les quartiers situés de part et d’autre de l’avenue Jean Jaurès, il s'agissait de bâtiments vastes et de faible hauteur, hangars, espaces de vente dédiés aux professionnels du bâtiment (robinetterie, éclairage, serrurerie…), ou à la location de voitures. Le hangar de Richardson et celui de Hertz en attente de destruction, sont visibles sur la photographie 1. Ce type d’occupation recule depuis au moins deux décennies : plus au sud, le site Descartes de l’ENS de lettres et sciences humaines, inauguré en l’an 2000 après la relocalisation de l’École depuis Fontenay-aux-Roses, a été construit sur le site d’une ancienne usine métallurgique (Naselli, 2018). Ce bâti en voie de disparition est complété par un tissu ancien d’immeubles d’habitation dont les plus vétustes font aujourd’hui l’objet d'une réhabilitation. Leur rez-de-chaussée est occupé par des boutiques, par des cafés et des bistros, les cartes de ceux-ci et les contenus de celles-là évoluant avec le quartier. Les immeubles de bureaux construits depuis les années 1990 sont déjà nombreux et continuent à se multiplier. Ces lieux de passage et de travail sur une avenue très passante sont restés vides et silencieux pendant le confinement.
Photographie 2. Un immeuble rénové, avenue Jean Jaurès, style années 1930.L’immeuble voisin, de la même époque, est en cours de rénovation. Le cliché est pris en semaine en février vers 18 h : sortie de bureaux, cyclistes et poussettes. Cliché libre de droits. |
La forme urbaine la plus récente, visible sur l’image, consiste en de grandes opérations urbaines, réalisées à l’échelle de tout un quartier, sur d’anciennes friches industrielles. C’est le cas de la ZAC du Bon-Lait et de la ZAC des Girondins. De nouvelles rues sont tracées puis ouvertes à la circulation, et des bâtiments sortent de terre selon les normes contemporaines : mixité fonctionnelle (commerce, logements et bureaux) et sociale (en tout cas affichée), et performance énergétique sinon environnementale. Le paysage typique du quartier est fait de palissades et de grues, des panneaux vantant au badaud les mérites supposés des futurs bâtiments (photographies 3 et 4).
Photographies 3 et 4. Terrains vagues, palissades et panneaux
Date de prise de vue : 23 septembre (portrait) et 9 octobre 2019 (paysage). Images libres de droits. La lettre « G ! » dans un cœur rose et blanc est le logo de la ZAC des Girondins (voir carte de localisation). Tout chantier connaît des périodes de calme apparent et des périodes de changements rapides. Si le confinement a interrompu l’activité, elle a repris de plus belle depuis. |
|
Photographie 5. Panorama sur Lyon depuis Jean Macé, orienté du sud-est (à gauche) au sud-ouest (à droite)Cliché du 23 avril 2020. Cliché libre de droits. Voir l'original de l'image en grand : cliquez ici. |
Ces constructions contribuent nettement à la verticalisation du quartier, les immeubles remplaçant les terrains vagues, signe du retour des tours d’habitations dans les métropoles (Mollé, 2019). La tour « Regard sur la ville » sur la photographie 1 en est un exemple ; le panorama de la photographie 4 permet également d’observer les tours résidentielles de la Confluence (tour BelvY, tour Ycone), émerger de la mer de toitures. Sur ce panorama, du sud-est au sud-ouest, on compte au moins une bonne vingtaine de grues, dont les silhouettes métalliques témoignent à elles seules des transformations urbaines en cours dans cette partie de la métropole régionale, et de la verticalisation de sa skyline.
|
Photographie 6. « Regards sur la ville », verticalisation et végétalisation du bâtiUne tour résidentielle de 14 étages et une façade végétalisée symbolisent deux grandes tendances l’architecture et de l’urbanisme dans les secteurs « vitrines » de la métropole : verticalisation et végétalisation. Cliché libre de droits. >>> Sur cette tour d’habitation et celles citées dans le texte ci-dessus, voir la figure 8 de l’article de Geoffrey Mollé. |
Comme le reste de l’activité de la ville, ces chantiers ont été suspendus le temps du confinement. Sur la photographie 1, les quatre rames de TGV stationnées sur les voies (on en a compté jusqu’à sept garées ici) sont une bonne image de ce que fut le confinement : une mise à l’arrêt des mobilités à toutes les échelles, du piéton à l’avion (Carroué, 2020). Cette suspension du mouvement, lequel produit habituellement l’espace, était perceptible dans le silence et la relative clarté de l’air. La parenthèse refermée, le ballet des trains et des trams a repris, la foule des navetteurs désormais masqués se presse à nouveau, et les lapins sont retournés à leurs galeries.
Pour compléter
- « Une géographie du confinement au niveau collège », brève du 21 avril 2020.
- Laurent Carroué, « Mondialisation et démondialisation au prisme de la pandémie de Covid-19. Le grand retour de l’espace, des territoires et du fait politique », Géoconfluences, mai 2020.
- Mairie du 7e, « Halle SERNAM : un bâtiment remarquable », site de la mairie du 7e arrondissement de Lyon », 17 décembre 2018.
- Adrien Naselli, « À Lyon, le nouveau Gerland est-il « un quartier à vivre ou un quartier à vendre ? », Le Monde, blog « Cities », 9 mai 2018.
- Geoffrey Mollé, « Un changement de regard sur la verticalité urbaine, de nouvelles tours d’habitation dans le paysage de la métropole de Lyon », Géoconfluences, septembre 2019. Sur le retour des tours d’habitation en France et particulièrement à Lyon.
- Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Christian Bourgois, 1975.
- SYTRAL, « Le métro lyonnais tisse sa toile depuis 40 ans », Dossier de presse, 2018 [pdf]
Sitographie
À propos des bâtiments visibles sur la carte de localisation ou sur les images :
- Les Halles du Faubourg
- ZAC des Girondins
- Grande halle de Gerland (PUP – Projet urbain partenarial – EDF / Gecina)
- La Tannerie, campus de l’ECEMA et Sup de Log
- Territoires, friche SNCF reconvertie en guinguette
Mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :Géoconfluences, « Le temps suspendu. Regard sur un paysage urbain lyonnais pendant le confinement », image à la une, juin 2020. |
Pour citer cet article :
La rédaction, « Image à la une : le temps suspendu. Regard sur un paysage urbain lyonnais pendant le confinement », Géoconfluences, juin 2020.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/paysage-urbain-confinement-lyon