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Carte à la une. Les territoires du cinéma à Malte

Publié le 17/09/2025
Auteur(s) : Nicolas Marichez, docteur en géographie, professeur d’histoire-géographie au lycée et professeur de géographie en CPGE - lycée Anatole France de Lillers et lycée Faidherbe de Lille

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Malte dispose de plusieurs atouts pour devenir un centre secondaire dans la chaîne de valeur mondiale de la production cinématographique : des paysages offrant des décors grandeur réelle, des équipements spécialisés et une main d’œuvre anglophone bon marché dans un État membre de l’Union européenne. L’État maltais mise sur ces atouts et sur de fortes exemptions fiscales pour attirer investissements et touristes, comptant sur le cinéma pour promouvoir l’image de l’île.

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Les territoires du cinéma à Malte

Document 1. Un territoire du cinéma en périphérie de La Valette. Conception : Nicolas Marichez. Réalisation : Jean-Benoît Bouron, Géoconfluences, 2025.

Lire aussi : Nicolas Marichez, « Image à la une. De l’espace fictionnel à l’espace touristique : Sweethaven à Malte », Géoconfluences, juillet 2025.

La valorisation du décor de Popeye évoquée dans l’image à la une de juillet 2025 s’inscrit dans un contexte d’attractivité accrue de Malte pour les cinéastes, qui est l’objet de cette carte à la une. Le site est volontiers cité en exemple dans la communication vantant la cinégénie nouvelle du pays et promouvant une forme de ciné-tourisme dont Popeye Village fait figure de pionnier (Gold, 2012). En accueillant, particulièrement depuis le tournant des années 2000 ((Si le premier film recensé tourné à Malte est Sons of the Seas en 1925 et si l’archipel fut ponctuellement utilisé comme décor – pour des films évoquant l’empire britannique ou la Seconde Guerre mondiale –, les années 2000 marquent une intensification des tournages étrangers et une diversification des récits (péplums hollywoodiens, épopées historiques, films d’heroic fantasy ou de science-fiction…).)), les tournages de grandes productions étrangères qui lui offrent une image filmique et une visibilité nouvelles, Malte s'affirme comme l’un des nouveaux centres de production satellites de l'industrie du cinéma. Celle-ci n’échappe pas, en effet, à la division internationale des processus de production, et un nombre croissant de pays (Croatie, Nouvelle-Zélande, Mexique, Europe centrale et orientale) cherchent à attirer des tournages délocalisés pour des raisons économiques ou créatives (Scott et Pope, 2007). Dans ce contexte très concurrentiel, une stratégie visant à renforcer l’attractivité du territoire est menée par la Malta Film Commission, organisme gouvernemental créé en 2000 pour assurer la promotion de la terre de tournage et soutenir l’industrie audiovisuelle nationale. Ce soutien passe par une stratégie de moins-disant fiscal, Malte se vantant de proposer l’un des crédits d’impôts les plus généreux au monde (jusqu’à 40% des dépenses éligibles peuvent être remboursées).

Document 2. La promotion de Malte comme « terre de tournage »

Si l’argument financier tend à primer, Malte communique sur d’autres avantages comparatifs résumés dans un clip à destination des professionnels. Clip vidéo diffusé sur YouTube.

Outre ses infrastructures ou sa main d’œuvre anglophone peu chère, les aménités propres au pays sont mises en avant (document 2), notamment son climat méditerranéen et la qualité de sa lumière créant sur les constructions en calcaire à globigérine des couleurs miel, jaunes ou brunes. En raison de son histoire mouvementée ((Malte fut successivement occupée par les Phéniciens, les Romains, les Carthaginois, les Ostrogoths, les Byzantins, les Arabes, les Normands, confiée par Charles Quint à l’ordre des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, occupée par la France, puis britannique jusqu’en 1964.)), l’archipel bénéficie d’une richesse patrimoniale qui lui assure un « exotisme » et lui permet d’évoquer, dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres (limitant ainsi les coûts de production) ((Avec une superficie de 316 km², Malte est le plus petit État de l’Union européenne.)), l’Europe méditerranéenne, l’Afrique du Nord ou le Proche-Orient. Dans Munich de Steven Spielberg (2005), Malte permet ainsi d’évoquer six pays différents : la Grèce, le Liban, Chypre, l’Italie, Israël et la Cisjordanie.

Malte dispose surtout de studios de cinéma situés à Il-Kalkara, à l’est de la capitale (document 1). Créés en 1963 et modernisés en 2021, les Malta Film Studios, gérés par la Malta Film Commission, offrent des équipements convoités pour le tournage de scènes maritimes ou sous-marines. Les bassins, une fois remplis, donnent l’illusion d’un tournage en pleine mer et permettent d’y simuler tempêtes ou batailles. Ces studios, près desquels est implantée la Commission du film, constituent un territoire du cinéma maltais et une nouvelle centralité périphérique de La Valette. Dans leur prolongement, le fort Ricasoli est un décor apprécié des productions, utilisé dans Gladiator I et II, Troie ou dans Napoléon de Ridley Scott ; fermé au public, il tend à devenir un décor permanent et fait l’objet d’un projet d’aménagement pour en faire une « Cinecittà maltaise ». Après le tournage de Gladiator II, le ministère du tourisme a ainsi annoncé vouloir conserver des éléments de décor (Tihn, 2023).

Ces tournages nourrissent une industrie cinématographique qui aurait généré 85 millions d’euros en 2022, année pendant laquelle Malte a accueilli 24 productions internationales. L’accumulation de tournages étrangers entraîne toutefois un accès plus difficile et coûteux aux lieux de tournage prisés et une pénurie de main d’œuvre (privilégiant les projets les plus ambitieux) qui pénalisent les productions locales ; en réponse, Screen Malta, lancé par la commission du film en 2020, propose un fonds destiné à créer, au sein de la population (563 000 hab.), des vocations dans le secteur de l’image en mouvement. Outre les entreprises de location de matériel, de catering (alimentation des équipes de tournage), cela inclut par exemple les professions de la coiffure et du maquillage.

La succession de tournages hollywoodiens offre à Malte une visibilité internationale nouvelle, même si l’identité du pays est le plus souvent masquée à l’écran. L’enjeu est donc de valoriser ces apparitions filmiques. L’Autorité du tourisme de Malte offre une incitation financière aux productions présentant « Malte en tant que Malte », étant entendu que cela pourrait être bénéfique pour le tourisme. Ce fut effectivement le cas dans le blockbuster Jurassic World : Dominion – le pays y est dépeint comme la plaque tournante du trafic international de dinosaures, ce qu'on peut appeler un « placement filmique territorial formulé » (Le Nozach, 2019).

La promotion des lieux de tournage maltais échappe en partie aux acteurs institutionnels du tourisme et est assurée par des communautés de passionnés qui partagent des données sur les traces du Trône de fer (Game of Thrones) par exemple – en vue d’un pèlerinage en autonomie ou piloté par des habitants – ou par la littérature touristique (qui propose des développements sur le cinéma) et des guides qui, sur place, convoquent presque systématiquement ces références fictives pour favoriser le « regard touristique » porté sur les lieux. Sur le terrain, en dehors du cas exceptionnel de Popeye Village, les allusions explicites aux tournages restent rares dans la signalétique touristique ; l’exploitation est ponctuelle ou événementielle, comme à la sortie de Jurassic World Dominion quand des statues de dinosaures ont été installées dans la ville.

Il existe pourtant bien une stratégie institutionnelle visant à tirer profit des retombées des tournages sur la valorisation du patrimoine et sur le tourisme, qui passe notamment par un partenariat entre l’Autorité du tourisme de Malte, la Commission du film et les agences de tourisme. En contrepartie des aides financières, la Commission du film exige ainsi la présence sur les lieux du tournage d’un photographe chargé de garder des traces qui pourront être exploitées après la sortie de l’œuvre (Månsson et Eskilsson, 2013). Le site Internet VisitMalta présente aussi une rubrique spécifique destinée à la fois aux touristes et aux cinéastes tentés par un tournage dans l’archipel. La « movie map » Valetta Film Trail, disponible en ligne, est une carte pensée pour permettre aux ciné-touristes une découverte originale de la ville par un circuit reliant des lieux de tournage de 13 œuvres célèbres. Si elle intègre des grands sites touristiques (Triton Fountain, Republic Square) et patrimoniaux (Upper Saint-Elmo) que le film permet d’aborder différemment, elle invite aussi à sortir des sentiers battus en explorant de petites rues (East Street, Eagle Street) ou des marges (Lower Fort Saint-Elmo) ignorées par le tourisme de masse mais qui, en raison de leur apparition à l’écran, deviennent pittoresques ; en cela, cette offre permet de séduire une nouvelle clientèle, d’étendre l’espace touristique, de sillonner et découvrir la ville (et l’île) autrement. Les agences de voyage jouent aussi leur rôle, à l’exemple de l’agence Envol Espace qui propose, en 2025, un séjour à Malte à destination des groupes scolaires entièrement centré sur le cinéma et les lieux de tournage, dont le Village Popeye.

Comme souvent, il n’est pas facile de mesurer le poids spécifique du ciné-tourisme. Mais il est évident que le cinéma, au-delà de ses retombées économiques, influe sur la visibilité de Malte et de son patrimoine, sur le désir de visiter, sur les offres touristiques proposées et qu’il est, comme à Anchor Bay, un créateur de nouveaux lieux touristiques voire un accélérateur de patrimonialisation (document 3).

Document 3. Les territoires du cinéma à Malte

Le cinéma et le ciné-tourisme à Malte


Bibliographie

Références citées
Ressources complémentaires

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : chaîne de valeur | espace diégétique | espace productif | exotisme | Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO | patrimoine | tourisme.

 

Nicolas MARICHEZ

Docteur en géographie, professeur d’histoire-géographie au lycée Anatole France de Lillers et de géographie en CPGE au lycée Faidherbe de Lille.

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Nicolas Marichez, « Carte à la une. Les territoires du cinéma à Malte », Géoconfluences, septembre 2025.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/les-territoires-du-cinema-a-malte

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