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La révolution du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis : enjeux technologiques, territoriaux et géostratégiques

Publié le 28/06/2022
Auteur(s) : Laurent Carroué, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, directeur de Recherche à l’IFG - université Paris VIII

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Berceau de l'industrie pétrolière, les États-Unis sont devenus au cours du XXe siècle un importateur net, dépendant de fournisseurs extérieurs, avec des conséquences majeures sur l'ordre géopolitique mondial. Depuis la mise au point de procédés techniques permettant d'extraire le pétrole et le gaz de schiste, ils sont devenus le premier producteur mondial, ce qui assure leur autosuffisance. Les conséquences sur leur territoire sont majeures à toutes les échelles.

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En vingt ans, les États-Unis ont connu une révolution énergétique avec l’essor du gaz et du pétrole de schiste, des hydrocarbures dits non-conventionnels ou « unconventional oil and gas » (UOG), faisant d’eux le premier producteur mondial de pétrole. Cette révolution a mis fin à un déclin structurel grâce à deux innovations technologiques majeures, la fracturation hydraulique et les forages horizontaux. L’espace, l’économie et les équilibres interrégionaux du pays en sortent transformés. Dans cet ancien Nouveau Monde, ce cycle minier spéculatif porté par le culte du dollar va pourtant totalement à l’encontre d’un développement plus durable, tant ses conséquences environnementales sont considérables (rejets de C02, pollutions, microséismes liés à la fracturation hydraulique...).

Surtout, les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial devant la Russie et l’Arabie saoudite et sont dorénavant totalement indépendants, en particulier vis-à-vis du Moyen-Orient et de l’OPEP. Les équilibres géopolitiques et géostratégiques mondiaux en sont bouleversés. C’est dans ce contexte qu’intervient au printemps 2022 l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui débouche sur des sanctions visant en particulier le secteur des hydrocarbures. À moyen terme, le retrait – au moins partiel – de la Russie du marché énergétique mondial d’un côté, le désancrage énergétique de l’Union européenne d’avec la Russie de l’autre ouvrent aux États-Unis de nouvelles perspectives d’affirmation énergétique mondiale, en rénovant en particulier sur des bases nouvelles le vieux lien géostratégique, géopolitique et géoéconomique transatlantique.

L’objet de cet article est d’analyser les conséquences spatiales de cette révolution technologique à l’échelle des États-Unis et à celle des équilibres internationaux. Il est complété par un second article qui développe l’exemple du principal bassin de production d’hydrocarbures non conventionnels aux États-Unis : « Le boom des hydrocarbures non conventionnels dans le Bassin permien (Texas et Nouveau-Mexique, États-Unis) »

 

1. Les États-Unis : le renouveau d’un géant énergétique mondial

Le boom actuel s’insère dans une histoire longue du rapport entre le pétrole et les États-Unis, qui a vu cette ressource permettre au pays de devenir une puissance économique et militaire au XXe siècle, et son contrôle devenir un enjeu majeur de politique intérieure et extérieure. La politique n’est jamais loin dans l’exploitation de cette ressource stratégique, organisée par un puissant secteur capable d’un intensif lobbying, organisé en particulier par de puissantes firmes transnationales dès la fin du XIXe siècle comme Gulf Oil, Standard Oil of California, Standard Oil of New Jersey, Standard Oil of New York et Texaco, regroupées en cartel dans les années 1940 à 1970 (les « sept sœurs ») et dont les fusions successives donnent aujourd’hui les groupes ExxonMobil et Chevron. L’essor des hydrocarbures non conventionnels poursuit cette histoire dans laquelle les questions environnementales sont reléguées loin derrière les priorités stratégiques.

1.1. Trois grands cycles historiques et géostratégiques

Pour comprendre le caractère structurel des mutations actuelles, il convient de les réinscrire dans la longue durée en partant du début du XXe siècle. Apparaissent alors trois périodes historiques successives qui répondent à trois cycles spécifiques – associant technologies, économie, géopolitique et géostratégique – participant de l’intégration des États-Unis dans la mondialisation.

Entre 1900 et 1970 se déploie le grand boom initial durant lequel la production étatsunienne d’hydrocarbures connaît une envolée spectaculaire (pétrole : ×55, gaz : ×171). Il est le socle du développement économique et social exceptionnel du pays et de son affirmation de puissance impériale. Rappelons ainsi qu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale les États-Unis produisent encore plus de 60 % du pétrole mondial et que l’embargo décrété le 26 juillet 1941 sur le pétrole et l’acier étrangle le Japon et sa Marine de guerre, qui y répondent en retour par l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941. Lorsqu’on étudie la valorisation d’une ressource non-renouvelable, il importe de garder à l’esprit certains ordres de grandeur : ce sont 259 millions de barils par jour qui sont extraits en 70 ans des gisements conventionnels (les plus accessibles et les moins chers du pays).

Document 1. La production de pétrole et de gaz des États-Unis
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Production de pétrole brut en milliers de barils par jour   1900;1901;1902;1903;1904;1905;1906;1907;1908;1909;1910;1911;1912;1913;1914;1915;1916;1917;1918;1919;1920;1921;1922;1923;1924;1925;1926;1927;1928;1929;1930;1931;1932;1933;1934;1935;1936;1937;1938;1939;1940;1941;1942;1943;1944;1945;1946;1947;1948;1949;1950;1951;1952;1953;1954;1955;1956;1957;1958;1959;1960;1961;1962;1963;1964;1965;1966;1967;1968;1969;1970;1971;1972;1973;1974;1975;1976;1977;1978;1979;1980;1981;1982;1983;1984;1985;1986;1987;1988;1989;1990;1991;1992;1993;1994;1995;1996;1997;1998;1999;2000;2001;2002;2003;2004;2005;2006;2007;2008;2009;2010;2011;2012;2013;2014;2015;2016;2017;2018;2019;2020;2021 Production;Année  
  Production 174;190;243;275;320;369;347;455;488;502;574;604;609;681;728;770;822;919;920;1037;1210;1294;1527;2007;1951;1700;2112;2469;2463;2760;2460;2332;2145;2481;2488;2723;3001;3500;3324;3464;4107;3847;3796;4125;4584;4695;4749;5088;5520;5046;5407;6158;6256;6458;6342;6807;7151;7170;6710;7054;7035;7183;7332;7542;7614;7804;8295;8810;9096;9238;9637;9463;9441;9208;8774;8375;8132;8245;8707;8552;8597;8572;8649;8688;8879;8971;8680;8349;8140;7613;7355;7417;7171;6847;6662;6560;6465;6452;6252;5881;5822;5801;5744;5649;5441;5184;5086;5074;5000;5357;5484;5674;6523;7498;8792;9441;8844;9357;10941;12289;11283;11186   #E61570

Source : Agence d'information sur l'énergie des États-Unis (U.S. EIA)

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Production de gaz en millions de pieds cubes par mois (MMcf)   1900;1901;1902;1903;1904;1905;1906;1907;1908;1909;1910;1911;1912;1913;1914;1915;1916;1917;1918;1919;1920;1921;1922;1923;1924;1925;1926;1927;1928;1929;1930;1931;1932;1933;1934;1935;1936;1937;1938;1939;1940;1941;1942;1943;1944;1945;1946;1947;1948;1949;1950;1951;1952;1953;1954;1955;1956;1957;1958;1959;1960;1961;1962;1963;1964;1965;1966;1967;1968;1969;1970;1971;1972;1973;1974;1975;1976;1977;1978;1979;1980;1981;1982;1983;1984;1985;1986;1987;1988;1989;1990;1991;1992;1993;1994;1995;1996;1997;1998;1999;2000;2001;2002;2003;2004;2005;2006;2007;2008;2009;2010;2011;2012;2013;2014;2015;2016;2017;2018;2019;2020;2021 Production;Année  
  Production 128000;180000;206000;239000;257000;320000;389000;407000;402000;481000;509000;513000;562000;582000;592000;629000;753000;795000;721000;746000;812000;674000;776000;1025000;1162000;1210000;1336000;1471000;1596000;1952000;1978911;1721902;1593798;1596673;1815796;1968963;2225477;2473483;2358201;2538383;2733819;2893525;3145694;3515531;3815024;4042002;4152762;4582173;5148020;5419736;6282060;7457359;8013457;8396916;8742546;9405351;10081923;10680258;11030248;12046115;12771038;13254025;13876622;14746663;15546592;16039753;17206628;18171325;19322400;20698240;21920642;22493012;22531698;22647549;21600522;20108661;19952438;20025463;19974033;20471260;20179724;19955823;18582001;16884095;18304340;17270223;16858675;17432901;17918465;18095147;18593792;18532439;18711808;18981915;19709525;19506474;19812241;19866093;19961348;19804848;20197511;20570295;19884780;19974360;19517491;18927095;19409674;20196346;21112053;21647936;22381873;24036352;25283278;25562232;27497754;28772044;28400049;29237825;33008867;36446918;36202446;37020213   #47B9B5

Source : Agence d'information sur l'énergie des États-Unis (U.S. EIA)

Entre 1970 et 2008 vient le temps du recul et de la dépendance. Le pays bascule dans un nouveau système énergétique avec l’effondrement, à hauteur de 47 %, de sa production de pétrole. Le prélèvement de 280 millions de barils par jour en seulement 38 ans accélère en effet d’autant l’épuisement des ressources conventionnelles disponibles. Face aux énormes besoins d’une économie particulièrement énergétivore, le pays importe de plus en plus, en particulier du Proche et Moyen-Orient. Son taux de dépendance énergétique passe de 5 % en 1960 à 30 % en 2006. Sa puissance et ses capacités hégémoniques en sortent fragilisées, comme en témoigne l’embargo pétrolier arabe de 1973-1974 décidé à la suite de la Guerre du Kippour. Washington prend alors conscience de sa dépendance énergétique et ouvre en urgence à l’exploitation des champs conventionnels toujours plus difficiles d’accès alors que les prix mondiaux explosent (c’est le « choc pétrolier ») : Prudhoe Bay en Alaska via le « Project Independance » de Richard Nixon de novembre 1973, les eaux du Golfe du Mexique grâce aux progrès technologiques dans l’offshore profond (comme en Mer du Nord en Europe à la même époque).

Depuis 2009 prévaut le retour à l’autonomie puis à l’indépendance grâce cette fois à une innovation de rupture majeure : le boom spectaculaire du gaz et du pétrole de schiste. Entre 2009 et 2021, la production de pétrole est multipliée par 2,2 et celle de gaz augmente de 71 % : jamais dans son histoire la 1re puissance mondiale n’a produit autant d’énergie. Ces hydrocarbures non-conventionnels réalisent dorénavant plus 60 % de la production nationale de pétrole et 70 % de la production de gaz naturel. Cet essor a un impact certain sur le mix énergétique étasunien : en 2020, le pétrole (37 %) et le gaz (34 %) jouent un rôle majeur dans la consommation énergétique (71 %), largement devant le charbon en déclin (10,4 %), le nucléaire en difficulté (8,4 %) et des énergies renouvelables encore bien confidentielles.

Document 2. Les mutations du système pétrolier étatsunien : la conquête de l’autonomie
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Millions de barils par jour   1950;1951;1952;1953;1954;1955;1956;1957;1958;1959;1960;1961;1962;1963;1964;1965;1966;1967;1968;1969;1970;1971;1972;1973;1974;1975;1976;1977;1978;1979;1980;1981;1982;1983;1984;1985;1986;1987;1988;1989;1990;1991;1992;1993;1994;1995;1996;1997;1998;1999;2000;2001;2002;2003;2004;2005;2006;2007;2008;2009;2010;2011;2012;2013;2014;2015;2016;2017;2018;2019;2020 Valeur;Année true
  Consommation 6.458;7.016;7.270;7.600;7.756;8.455;8.775;8.809;9.118;9.527;9.797;9.976;10.400;10.743;11.023;11.512;12.084;12.560;13.393;14.137;14.697;15.212;16.367;17.308;16.653;16.322;17.461;18.431;18.847;18.513;17.056;16.058;15.296;15.231;15.726;15.726;16.281;16.665;17.283;17.325;16.988;16.714;17.033;17.237;17.718;17.725;18.309;18.620;18.917;19.519;19.701;19.649;19.761;20.034;20.731;20.802;20.687;20.680;19.498;18.771;19.180;18.887;18.487;18.967;19.100;19.534;19.687;19.958;20.504;20.543;18.120 false #F8B900
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  Importations 0.850;0.844;0.952;1.034;1.052;1.248;1.436;1.574;1.700;1.780;1.815;1.917;2.082;2.123;2.259;2.468;2.573;2.537;2.840;3.166;3.419;3.926;4.741;6.256;6.112;6.056;7.313;8.807;8.363;8.456;6.909;5.996;5.113;5.051;5.437;5.067;6.224;6.678;7.402;8.061;8.018;7.627;7.888;8.620;8.996;8.835;9.478;10.162;10.708;10.852;11.459;11.871;11.530;12.264;13.145;13.714;13.707;13.468;12.915;11.691;11.793;11.436;10.598;9.859;9.241;9.449;10.055;10.144;9.943;9.141;7.857 false #E61570
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Source : Agence d'information sur l'énergie des États-Unis (U.S. EIA)

1.2. L’affirmation d’un nouveau géant énergétique autonome

Depuis 2017 les États-Unis sont ainsi devenus le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Avec 712,7 millions de tonnes de pétrole en 2020 (17 % de la production mondiale), ils arrivent largement en tête en produisant 36 % de plus que la Russie (524,4 Mt, 12,6 %) et 70 % de plus que l’Arabie saoudite (419,6 Mt, 12,5 %), et marginalisent l’Irak (4e rang, 6 %) ou le Canada (5e rang, 5 %). Pour le gaz, le choc est encore plus net puisque le pays réalise 23,7 % de la production mondiale en 2020, largement devant la Russie (2e).

Document 3. Les six principaux producteurs mondiaux de pétrole et de gaz
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Production de pétrole en millions de tonnes   1985;1986;1987;1988;1989;1990;1991;1992;1993;1994;1995;1996;1997;1998;1999;2000;2001;2002;2003;2004;2005;2006;2007;2008;2009;2010;2011;2012;2013;2014;2015;2016;2017;2018;2019;2020 Production;Année true
  États-Unis 498.7;482.3;467.3;459.1;429;416.6;422.9;413;397;387.5;383.6;382.1;380;368.1;352.6;347.6;344.5;341.9;332.6;325.4;309;304.5;305;302.2;322.6;333.1;346.1;395.1;448.5;524.5;567.4;542.9;574.9;670.2;747.8;712.7 false #32A9E1
  Russie 542.3;561.2;569.5;568.8;552.2;515.9;461.9;398.8;354.9;317.6;310.7;302.9;307.4;304.3;304.8;326.7;351.7;383.7;425.7;463.3;474.8;486.3;497.3;494.3;501.4;512.3;519.5;526.7;532.2;537.4;544.6;558.5;558.5;567.9;573.4;524.4 false #7C6756
  Arabie saoudite 172.1;252.6;213.6;273.3;271.2;342.6;428.3;442.1;429.3;432.2;431.3;437.4;432;445.3;408.5;438.5;427.7;390.1;460.5;492.8;516.6;508.9;488.9;510;459;463.3;522.7;549.2;538.4;543.8;568;586.7;559.3;576.8;556.6;519.6 false #CACA00
  Canada 85.7;85.7;90.3;95.1;92.6;92.8;93.2;97.2;102.3;106.7;111.9;115.5;120.7;125.1;121;125.1;126.2;133;140.6;145.2;142.7;151;155.7;153.2;153.2;160.6;170.1;182.9;195.4;209.8;216.1;218.8;236.6;257.7;263.5;252.2 false #F39400
  Irak 69.8;93.2;117.3;136.7;139;105.3;13.9;26.1;22.3;24.8;26;28.6;57.1;104.2;128.3;128.8;123.9;103.9;66;99.9;89.9;98;105.1;119.3;119.7;120.8;135.8;151.3;151.9;158.8;195.6;217.6;222.4;227;234.2;202.0 false #029F7E
  Chine 124.9;130.7;134.1;137.1;137.6;138.3;141;142;144;146.1;149;158.5;160.1;160.2;160.2;162.6;164.8;166.9;169.6;174.1;181.4;184.8;186.3;190.4;189.5;203;202.9;207.5;210;211.4;214.6;199.7;191.5;189.1;191;194.8 false #E61570

Source : British Petroleum (BP).

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Production de gaz en milliards de m3   1985;1986;1987;1988;1989;1990;1991;1992;1993;1994;1995;1996;1997;1998;1999;2000;2001;2002;2003;2004;2005;2006;2007;2008;2009;2010;2011;2012;2013;2014;2015;2016;2017;2018;2019;2020 Production;Année true
  États-Unis 447.9;436.3;452;464.2;470.7;483.4;480.8;484.7;490.2;510.3;503.3;510.2;511.5;517.3;510.1;518.6;531.9;511.2;517.9;503.1;489.4;501.7;521.9;546.1;557.6;575.2;617.4;649.1;655.7;704.7;740.3;727.4;746.2;840.9;930;914.6 false #32A9E1
  Russie 424.9;462.6;500.5;542.4;566.3;599.6;591.3;592.2;568.6;558.5;541.2;552.3;523.5;541.3;544.4;537.1;534.8;547.5;570.6;582.6;589.5;604.8;601.6;611.5;536.2;598.4;616.8;601.9;614.5;591.2;584.4;589.3;635.6;669.1;679;638.5 false #7C6756
  Iran 9.7;9.3;11.4;12.4;15.6;24.7;29.2;30.9;16.5;26.2;31.9;37.5;39.4;44.5;53;56.3;62.6;74.4;78.1;91;96.6;105.3;118;123.6;135.7;143.9;151;156.9;157.5;175.5;183.5;199.3;213.8;232;241.4;250.8 false #00662F
  Chine 13;13.9;14;14.4;15.2;15.4;15.6;15.9;16.9;17.7;18.1;20.3;22.9;23.5;25.4;27.4;30.6;32.9;35.3;41.8;49.7;59;69.8;80.9;85.9;96.5;106.2;111.5;121.8;131.2;135.7;137.9;149.2;161.4;177.6;194.0 false #E61570
  Qatar 5.7;6;5.8;6.1;6.4;6.5;7.9;8.2;8.6;8.9;9.3;9.7;13.4;16.2;21.4;25.8;27.9;30.5;32.5;40.5;47.4;52.5;65.4;79.7;92.4;123.1;150.4;162.5;167.9;169.4;175.8;174.5;170.5;169.1;172.1;171.3 false #EADCBE
  Canada 80.5;75.5;81.9;94.5;100.4;103.4;108.9;120;132.1;142.9;152.7;153.9;159.7;165.6;170.5;176.3;179.4;180.7;176;176.7;179.2;179.4;174.7;166.5;155.1;149.6;151.1;150.3;151.9;159;160.8;172;173.9;176.8;169;165.2 false #F39400

Source : British Petroleum (BP).

Cet essor a des conséquences géopolitiques et géostratégiques considérables. Non seulement les États-Unis sont devenus indépendants car autosuffisants, une clé majeure de leur sécurité nationale à l’intérieur et de leur indépendance d’action à l’extérieur ; mais ils sont devenus exportateurs nets. En 2020, pour la 1re fois depuis 1949, les États-Unis ont en effet exporté plus de produits pétroliers (pétrole, essence, mazout, diesel...) qu'ils n'en ont importé. De plus, afin de compléter sa sécurité d’approvisionnement, le pays s’est recontinentalisé autour de l’ACEUM (ex-ALENA) : le Canada lui fournit 52 % de ses importations de pétrole, et le Mexique 11 %. Ses autres fournisseurs, parmi lesquels l’Arabie saoudite (7 %), la Colombie (4 %) ou la Russie (7 %), sont marginaux, alors que de timides tentatives d’ouverture sont faites vers le Venezuela, aux énormes ressources potentielles dans les pétroles lourds mais toujours sous embargo.

C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer l’évolution des prix mondiaux qui sont le résultat d’un rapport entre l’offre et la demande, lui-même conditionné par les équilibres instables entre les besoins, les technologies disponibles, le marché et les rivalités géopolitiques entre puissances. Ainsi, entre 2015 et 2020, les prix baissent fortement du fait de la bataille pour les parts de marché et la fixation des prix mondiaux entre puissances rivales : le duopôle Russie/Arabie saoudite cherche alors à briser l’essor du gaz et du pétrole de schiste étasunien en tentant d’amener les prix sous le seuil de rentabilité (40 à 50 $/baril). Puis le marché mondial est ensuite profondément bouleversé par l’effondrement de la demande avec la pandémie de covid 19 de 2020-2021.

Puis la relance post-covid et l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 viennent à nouveau bouleverser les équilibres mondiaux. Globalement, de nombreux acteurs économiques et politiques dans les pays producteurs de matières premières minérales, énergétiques ou agricoles profitent à nouveau de l’envolée des prix mondiaux. Malgré les fortes pressions des États-Unis et des pays occidentaux, la Russie bénéficie ainsi au printemps 2022 d’une certaine compréhension – relative et indirecte, mais réelle – de l’Arabie saoudite et des pays de l’OPEP.

Document 4. Les prix du pétrole sur le marché libre (ou Spot ) aux États-Unis : le rapport demande/offre entre besoins, technologie, marché, rivalités
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Prix du baril de pétrole aux États-Unis (spot)   janv-1986;févr-1986;mars-1986;avr-1986;mai-1986;juin-1986;juil-1986;août-1986;sept-1986;oct-1986;nov-1986;déc-1986;janv-1987;févr-1987;mars-1987;avr-1987;mai-1987;juin-1987;juil-1987;août-1987;sept-1987;oct-1987;nov-1987;déc-1987;janv-1988;févr-1988;mars-1988;avr-1988;mai-1988;juin-1988;juil-1988;août-1988;sept-1988;oct-1988;nov-1988;déc-1988;janv-1989;févr-1989;mars-1989;avr-1989;mai-1989;juin-1989;juil-1989;août-1989;sept-1989;oct-1989;nov-1989;déc-1989;janv-1990;févr-1990;mars-1990;avr-1990;mai-1990;juin-1990;juil-1990;août-1990;sept-1990;oct-1990;nov-1990;déc-1990;janv-1991;févr-1991;mars-1991;avr-1991;mai-1991;juin-1991;juil-1991;août-1991;sept-1991;oct-1991;nov-1991;déc-1991;janv-1992;févr-1992;mars-1992;avr-1992;mai-1992;juin-1992;juil-1992;août-1992;sept-1992;oct-1992;nov-1992;déc-1992;janv-1993;févr-1993;mars-1993;avr-1993;mai-1993;juin-1993;juil-1993;août-1993;sept-1993;oct-1993;nov-1993;déc-1993;janv-1994;févr-1994;mars-1994;avr-1994;mai-1994;juin-1994;juil-1994;août-1994;sept-1994;oct-1994;nov-1994;déc-1994;janv-1995;févr-1995;mars-1995;avr-1995;mai-1995;juin-1995;juil-1995;août-1995;sept-1995;oct-1995;nov-1995;déc-1995;janv-1996;févr-1996;mars-1996;avr-1996;mai-1996;juin-1996;juil-1996;août-1996;sept-1996;oct-1996;nov-1996;déc-1996;janv-1997;févr-1997;mars-1997;avr-1997;mai-1997;juin-1997;juil-1997;août-1997;sept-1997;oct-1997;nov-1997;déc-1997;janv-1998;févr-1998;mars-1998;avr-1998;mai-1998;juin-1998;juil-1998;août-1998;sept-1998;oct-1998;nov-1998;déc-1998;janv-1999;févr-1999;mars-1999;avr-1999;mai-1999;juin-1999;juil-1999;août-1999;sept-1999;oct-1999;nov-1999;déc-1999;janv-2000;févr-2000;mars-2000;avr-2000;mai-2000;juin-2000;juil-2000;août-2000;sept-2000;oct-2000;nov-2000;déc-2000;janv-2001;févr-2001;mars-2001;avr-2001;mai-2001;juin-2001;juil-2001;août-2001;sept-2001;oct-2001;nov-2001;déc-2001;janv-2002;févr-2002;mars-2002;avr-2002;mai-2002;juin-2002;juil-2002;août-2002;sept-2002;oct-2002;nov-2002;déc-2002;janv-2003;févr-2003;mars-2003;avr-2003;mai-2003;juin-2003;juil-2003;août-2003;sept-2003;oct-2003;nov-2003;déc-2003;janv-2004;févr-2004;mars-2004;avr-2004;mai-2004;juin-2004;juil-2004;août-2004;sept-2004;oct-2004;nov-2004;déc-2004;janv-2005;févr-2005;mars-2005;avr-2005;mai-2005;juin-2005;juil-2005;août-2005;sept-2005;oct-2005;nov-2005;déc-2005;janv-2006;févr-2006;mars-2006;avr-2006;mai-2006;juin-2006;juil-2006;août-2006;sept-2006;oct-2006;nov-2006;déc-2006;janv-2007;févr-2007;mars-2007;avr-2007;mai-2007;juin-2007;juil-2007;août-2007;sept-2007;oct-2007;nov-2007;déc-2007;janv-2008;févr-2008;mars-2008;avr-2008;mai-2008;juin-2008;juil-2008;août-2008;sept-2008;oct-2008;nov-2008;déc-2008;janv-2009;févr-2009;mars-2009;avr-2009;mai-2009;juin-2009;juil-2009;août-2009;sept-2009;oct-2009;nov-2009;déc-2009;janv-2010;févr-2010;mars-2010;avr-2010;mai-2010;juin-2010;juil-2010;août-2010;sept-2010;oct-2010;nov-2010;déc-2010;janv-2011;févr-2011;mars-2011;avr-2011;mai-2011;juin-2011;juil-2011;août-2011;sept-2011;oct-2011;nov-2011;déc-2011;janv-2012;févr-2012;mars-2012;avr-2012;mai-2012;juin-2012;juil-2012;août-2012;sept-2012;oct-2012;nov-2012;déc-2012;janv-2013;févr-2013;mars-2013;avr-2013;mai-2013;juin-2013;juil-2013;août-2013;sept-2013;oct-2013;nov-2013;déc-2013;janv-2014;févr-2014;mars-2014;avr-2014;mai-2014;juin-2014;juil-2014;août-2014;sept-2014;oct-2014;nov-2014;déc-2014;janv-2015;févr-2015;mars-2015;avr-2015;mai-2015;juin-2015;juil-2015;août-2015;sept-2015;oct-2015;nov-2015;déc-2015;janv-2016;févr-2016;mars-2016;avr-2016;mai-2016;juin-2016;juil-2016;août-2016;sept-2016;oct-2016;nov-2016;déc-2016;janv-2017;févr-2017;mars-2017;avr-2017;mai-2017;juin-2017;juil-2017;août-2017;sept-2017;oct-2017;nov-2017;déc-2017;janv-2018;févr-2018;mars-2018;avr-2018;mai-2018;juin-2018;juil-2018;août-2018;sept-2018;oct-2018;nov-2018;déc-2018;janv-2019;févr-2019;mars-2019;avr-2019;mai-2019;juin-2019;juil-2019;août-2019;sept-2019;oct-2019;nov-2019;déc-2019;janv-2020;févr-2020;mars-2020;avr-2020;mai-2020;juin-2020;juil-2020;août-2020;sept-2020;oct-2020;nov-2020;déc-2020;janv-2021;févr-2021;mars-2021;avr-2021;mai-2021;juin-2021;juil-2021;août-2021;sept-2021;oct-2021;nov-2021;déc-2021;janv-2022;févr-2022;mars-2022 Prix;Année  
  Prix 22.93;15.46;12.61;12.84;15.38;13.43;11.59;15.1;14.87;14.9;15.22;16.11;18.65;17.75;18.3;18.68;19.44;20.07;21.34;20.31;19.53;19.86;18.85;17.28;17.13;16.8;16.2;17.86;17.42;16.53;15.5;15.52;14.54;13.77;14.14;16.38;18.02;17.94;19.48;21.07;20.12;20.05;19.78;18.58;19.59;20.1;19.86;21.1;22.86;22.11;20.39;18.43;18.2;16.7;18.45;27.31;33.51;36.04;32.33;27.28;25.23;20.48;19.9;20.83;21.23;20.19;21.4;21.69;21.89;23.23;22.46;19.5;18.79;19.01;18.92;20.23;20.98;22.39;21.78;21.34;21.88;21.69;20.34;19.41;19.03;20.09;20.32;20.25;19.95;19.09;17.89;18.01;17.5;18.15;16.61;14.52;15.03;14.78;14.68;16.42;17.89;19.06;19.66;18.38;17.45;17.72;18.07;17.16;18.04;18.57;18.54;19.9;19.74;18.45;17.33;18.02;18.23;17.43;17.99;19.03;18.86;19.09;21.33;23.5;21.17;20.42;21.3;21.9;23.97;24.88;23.71;25.23;25.13;22.18;20.97;19.7;20.82;19.26;19.66;19.95;19.8;21.33;20.19;18.33;16.72;16.06;15.12;15.35;14.91;13.72;14.17;13.47;15.03;14.46;13;11.35;12.52;12.01;14.68;17.31;17.72;17.92;20.1;21.28;23.8;22.69;25;26.1;27.26;29.37;29.84;25.72;28.79;31.82;29.7;31.26;33.88;33.11;34.42;28.44;29.59;29.61;27.25;27.49;28.63;27.6;26.43;27.37;26.2;22.17;19.64;19.39;19.72;20.72;24.53;26.18;27.04;25.52;26.97;28.39;29.66;28.84;26.35;29.46;32.95;35.83;33.51;28.17;28.11;30.66;30.76;31.57;28.31;30.34;31.11;32.13;34.31;34.69;36.74;36.75;40.28;38.03;40.78;44.9;45.94;53.28;48.47;43.15;46.84;48.15;54.19;52.98;49.83;56.35;59;64.99;65.59;62.26;58.32;59.41;65.49;61.63;62.69;69.44;70.84;70.95;74.41;73.04;63.8;58.89;59.08;61.96;54.51;59.28;60.44;63.98;63.46;67.49;74.12;72.36;79.92;85.8;94.77;91.69;92.97;95.39;105.45;112.58;125.4;133.88;133.37;116.67;104.11;76.61;57.31;41.12;41.71;39.09;47.94;49.65;59.03;69.64;64.15;71.05;69.41;75.72;77.99;74.47;78.33;76.39;81.2;84.29;73.74;75.34;76.32;76.6;75.24;81.89;84.25;89.15;89.17;88.58;102.86;109.53;100.9;96.26;97.3;86.33;85.52;86.32;97.16;98.56;100.27;102.2;106.16;103.32;94.66;82.3;87.9;94.13;94.51;89.49;86.53;87.86;94.76;95.31;92.94;92.02;94.51;95.77;104.67;106.57;106.29;100.54;93.86;97.63;94.62;100.82;100.8;102.07;102.18;105.79;103.59;96.54;93.21;84.4;75.79;59.29;47.22;50.58;47.82;54.45;59.27;59.82;50.9;42.87;45.48;46.22;42.44;37.19;31.68;30.32;37.55;40.75;46.71;48.76;44.65;44.72;45.18;49.78;45.66;51.97;52.5;53.47;49.33;51.06;48.48;45.18;46.63;48.04;49.82;51.58;56.64;57.88;63.7;62.23;62.73;66.25;69.98;67.87;70.98;68.06;70.23;70.75;56.96;49.52;51.38;54.95;58.15;63.86;60.83;54.66;57.35;54.81;56.95;53.96;57.03;59.88;57.52;50.54;29.21;16.55;28.56;38.31;40.71;42.34;39.63;39.4;40.94;47.02;52;59.04;62.33;61.72;65.17;71.38;72.49;67.73;71.65;81.48;79.15;71.71;83.22;91.64;108.5 true #E61570

Source : Agence d'information sur l'énergie des États-Unis (U.S. EIA)

1.3. La guerre en Ukraine : une occasion inespérée pour le réancrage transatlantique États-Unis — Europe occidentale 

La guerre en Ukraine bouleverse la géographie énergétique, tout particulièrement gazière, du continent européen et au-delà, du monde. Moscou se heurte en effet en réaction à une série de sanctions politiques, économiques et financières, en particulier dans l’énergie qui constitue un des vecteurs majeurs d’intégration et d’interdépendance entre les différentes parties du continent européen depuis des décennies. Le 21 mars 2022, un mois après le début de l’invasion russe et en lien avec le sommet européen, les États-Unis et l'Union européenne annoncent ainsi symboliquement un vaste accord énergétique sur le gaz naturel liquéfié (GNL).

Or la Russie demeure une économie rentière, largement financée par l’exportation de matières premières ou de produits semi-finis ; elle est essentiellement tournée vers l’Europe centrale et occidentale qui arrive sensiblement devant la Chine (gaz : 10 % des exportations, charbon : 25 %, pétrole : 31 %), à comparer avec les chiffres pour l’Europe ci-dessous.

Document 5. Le poids de l’Europe dans les exportations russes d’énergie
  Volumes totaux exportés par la Russie en 2021 % part de la production nationale exportée Dont :
% vers OCDE et Europe % vers Asie et Océanie % vers reste du monde

Pétrole

4,7 millions barils/jour 45 % 49 % 38 % 13 %

Gaz naturel

8,9 milliards pied cube/an

36 %

74 %

13 %

13 %

Charbon 262 millions de tonnes 50 % 32 % 53 % >15 %

Source : Agence d'information sur l'énergie des États-Unis (U.S. EIA), mars 2022.

Pour autant, la dépendance énergétique de l’Europe à la Russie, bien que fort variable selon les pays, est telle que ce découplage est difficile à réaliser dans l’immédiat, c’est-à-dire avant trois à quatre ans, sous peine de dislocation complète du marché. En 2021, Moscou a fourni 40 % des importations européennes de gaz, soit 10 % de la consommation totale d'énergie. Dans ce contexte tendu dont la résolution prendra des années, l’Union européenne se tourne vers la Norvège, l'Algérie, l’Azerbaïdjan ou les États-Unis… Mais beaucoup de ces fournisseurs sont déjà aux limites de leurs capacités productives. Face à la saturation des gazoducs existants, l’Europe est contrainte de se tourner vers le gaz naturel liquéfié (GNL) livré à travers les océans par les navires méthaniers, mais il coûte sensiblement plus cher.

 
Encadré 1. Le poids croissant des États-Unis dans les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) : le Texas va-t-il remplacer à terme la Sibérie sur le marché européen ?

Quasi-inexistantes jusqu’en 2015, les exportations étasuniennes de GNL (gaz naturel liquéfié, transporté par bateau) ont explosé depuis, pour atteindre 2,7 millions de m3 par jour en 2021 (+ 50 % en un an) et dépasser les exportations de gaz par pipeline vers le Canada et le Mexique, témoignant ainsi de la mondialisation des acteurs au-delà des mers et du voisinage continental immédiat. En 2021, trois États fournissent à l’Europe 70 % de ses importations de GNL : au 1er rang les États-Unis (26 %), devant le Qatar (24 %) et la Russie (20 %) ; l’Australie étant tournée vers l’Asie. Alors que l’administration Biden fait pression sur les producteurs étatsuniens privés pour qu’ils accélèrent leurs investissements afin de fournir l’Europe, le département de l’Énergie estime que les États-Unis vont produire 12 millions de barils par jour (b/j) en 2022 et 13 millions de b/j en 2023. Pour autant, il sera bien difficile à court terme de remplacer la Russie et ses 15 milliards de m3 annuels de GNL. Face à la saturation des infrastructures, on assiste par exemple à la multiplication à partir du hub de Waha , dans l’ouest du Texas, des ouvertures de nouveaux oléoducs et gazoducs comme le Permian Highway Pipeline - PHP, le Gulf Coast Express, le Whistler...

Du fait de ce goulet d’étranglement logistique, les hydrocarbures du bassin permien – qui s’étend sur l’est du Nouveau-Mexique et l’ouest du Texas – se vendent d’ailleurs un peu moins cher que le WTI (West Texas Intermediate) produit dans la région de Houston en position littorale, qui sert de référence étatsunienne sur le marché national et mondial. De même, si l’équipement portuaire des façades du Golfe du Mexique et de l’Atlantique en nouveaux terminaux s’accélère (Calcasieu Pass en Louisiane, Sabine Pass, Corpus Christi, Golden Pass...) faisant dorénavant des États-Unis le premier pôle mondial du gaz naturel liquéfié, il faudra sans doute des mois – voire deux à trois ans – avant de disposer de nouveaux équipements. Sans compter les délais de construction de nouveaux méthaniers dans les chantiers navals sud-coréens.

En définitif, les cycles d’investissements dans les énergies sont si considérables sur les plans financiers et techniques qu’ils se mesurent en années. Car il s’agit bien de maîtriser, de mettre en valeur et de connecter des territoires – gisements et bassins productifs ; marchés de consommation... – dans des échelles spatiales immenses. Une temporalité donc bien différente des crises politiques ou géopolitiques. C’est ce hiatus « spatio-temporel » qui s’affirme aujourd’hui sous nos yeux.  


 

Comme l’illustre le cas du Texas (encadré ci-dessus), il faudra plusieurs années avant que les États-Unis, s’ils y arrivent un jour, remplacent la Russie sur le marché européen. En effet, si elles sont attirées par la forte hausse des prix en Europe, les compagnies étatsuniennes doivent d’abord réinvestir massivement sur leur territoire : dans la production, dans la suppression des goulets d’étranglement logistiques due à l’insuffisance des réseaux de gazoducs vers les terminaux portuaires, dans le renforcement des capacités des systèmes techniques d’exportation (usines de liquéfaction et terminaux maritimes) dans le Golfe du Mexique et en Europe (terminaux méthaniers flottants de GNL à Klaïpeda en Lituanie, au Havre...)... Pour l’Europe, ces tensions s’accompagnent d’une forte hausse des prix, bien évidemment sur les marchés libres dits Spot, mais tout autant lors des (re)négociations de contrats de fournitures pluriannuels qui dominent sur le marché mondial du gaz. L’Europe entre en effet en concurrence frontale sur un marché mondial déjà très tendu avec les grands pays asiatiques comme le Japon, la Corée du Sud et Chine qui sont les plus grands consommateurs de GNL au monde.

Document 6. L'essor du gaz naturel liquéfié

Importations et exportations de gaz des États-Unis

graphique

Source : U.S. EIA, 2022.

L'essor foudroyant du GNL face au gazoduc


Source : U.S. EIA, 2022.

Le boom des exportations de GNL étasunien : vers un duel Asie/Europe ?

graphique

Source : U.S. EIA, 2022.

2. Le gaz et le pétrole de schiste : conséquences spatiales d'une innovation technologique

Alors que, progressivement, les gisements conventionnels d’hydrocarbures terrestres s’épuisent aux États-Unis, deux innovations technologiques majeures bouleversent les rapports à la ressource en permettant la mise en valeur de gisements géologiques jusqu’ici inexploités, longtemps dits « non-conventionnels » : les forages dirigés ou horizontaux et la fracturation hydraulique.

2.1. Les forages dirigés ou horizontaux

Si les gisements classiques sont historiquement mis en valeur par des puits verticaux et s’ils font eux aussi dorénavant largement appel aux forages dirigés (en Alaska par exemple), la technique de la fracturation hydraulique repose par contre sur le développement de forages inclinés ou dirigés. Une fois la couche de la roche-réservoir atteinte à la bonne profondeur, ces forages vont déployer des tubes horizontaux, pouvant atteindre parfois jusqu’à 10 à 12 kilomètres dans la couche riche en méthane. Cette technique est beaucoup plus économe puisqu’elle permet à un seul puits d'exploiter une couche géologique sur une surface beaucoup plus importante. Une fois le forage des puits et la mise en place des réseaux de tubes terminés, les opérations de fracturation vont disloquer la roche puis drainer par refoulement et pompage les hydrocarbures ainsi libérés.

 
Encadré 2. La grande différence entre ressources conventionnelles et non conventionnelles

La ressource conventionnelle peut être produite facilement dans les conditions économiques et techniques du moment, sans nécessité de technologie innovante, contrairement à une ressource non conventionnelle. Dans les gisements conventionnels, la ressource est – toute chose égale par ailleurs (taille, forme, profondeur, épaisseur...) – très concentrée sous forme de poches de fluides, gazeux ou liquides, présentes dans des roches sédimentaires relativement facilement exploitables. C’est le puits de forage pétrolier vertical classique.

Le gaz et le pétrole de schiste présentent de toutes autres caractéristiques. Les hydrocarbures y sont piégés sous forme de microbulles totalement dispersées dans une roche-réservoir compacte plus ou moins dure d’origine sédimentaire (schistes, grès, calcaires). À volume géologique égal, le degré de présence et de concentration des hydrocarbures dans les deux systèmes – conventionnels (intensif) et non-conventionnels (très extensif) – est très différent ; donc le rapport à l’espace, horizontal et vertical, de l’exploitation aussi.

La notion est évolutive et une ressource non conventionnelle peut devenir conventionnelle si son exploitation devient la norme, comme cela a été le cas pour les forages offshore à faible profondeur, non conventionnels dans les années 1970 et banals aujourd’hui.


 

2.2. La fracturation hydraulique ou fracking

Cette technologie est historiquement récente puisqu’elle est développée seulement entre 1980 et 1990 par la petite compagnie de George Mitchell, ingénieur dans le pétrole, dans le Barnett Shale du Texas, avant de se diffuser rapidement dans le monde pétrolier. L’opération de fracturation, ou « fracking », vise à pulvériser la roche-réservoir afin de libérer localement les hydrocarbures emprisonnés en injectant de l’eau à très haute pression, par exemple 300 bars à 2 500 mètres de profondeur.

Mais il faut ensuite pouvoir récupérer les produits libérés. Il faut pour cela créer puis entretenir de multiples micro-fractures rendant la roche poreuse afin de permettre aux hydrocarbures de rejoindre par migration des fluides un puit de pompage. L’eau injectée est donc complétée d’additifs – produits chimiques, sable et autres agents de soutènement pour maintenir les voies ouvertes, vapeur d’eau ou dioxyde de carbone – améliorant la fracturation puis la circulation et l’écoulement des hydrocarbures vers les puits de récupération. On doit ainsi bien distinguer et hiérarchiser deux types de puits : les puits de pompage, le « production well », et les puits d’injection, beaucoup plus nombreux. Afin de limiter les emprises au sol, les têtes de puits sont souvent regroupées sur un site central pouvant juxtaposer plusieurs dizaines de puits.

Document 7. La présence des bassins d’eau pour la fracturation hydraulique dans le Bassin permien

bassin permien

Source : CNES / Géoimage

 

2.3. Un système technique, un paysage et une organisation spatiale très reconnaissables

Chaque bassin sédimentaire – et à l’intérieur chaque champ spécifique – présente ses propres caractéristiques géologiques, tectoniques et géophysiques. Aux États-Unis, le Bassin permien comprend ainsi très majoritairement du pétrole alors que le gaz domine largement dans le bassin de Marcellus (Pennsylvanie, Virginie occidentale). De même, le Bassin permien occupe une place exceptionnelle, car c’est une véritable « éponge » du fait de la superposition de nombreuses couches-mères potentielles sur des milliers de mètres de profondeur, alors que dans d’autres bassins, le nombre de couches est sensiblement plus réduit.

 
Encadré 3. Système technique, marché, capitaux et rentabilité : un secteur bien spécifique

Depuis son apparition, l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste a connu d’importantes améliorations techniques, permettant d’abaisser sensiblement le seuil de rentabilité des opérations de 80 à 50 $/baril. Mais le schiste restant hypersensible au yoyo des prix, les firmes adaptent en permanence leurs opérations : on tombe ainsi par exemple de 900 puits (rigs) actifs en 2018 à 400 en 2020 pour remonter à plus de 600 en 2022. Dans les années 2000, ce système a été peu rentable. Entre 2014 et 2019, le prix du pétrole brut aux États-Unis a chuté de –40 % alors que la production augmentait de +67 %, le baril tombant mécaniquement à 30 $ en 2016. Dans ce contexte déprimé, beaucoup de compagnies ont réussi à survivre en se surendettant grâce aux taux d’intérêts quasiment nuls octroyés par la Banque centrale, la FED, afin de soutenir l’économie. Ainsi, entre 2005 et 2015, la dette des producteurs étatsuniens triple, pour atteindre les 200 milliards de dollars. Le choc de la pandémie de covid 19 en 2020 débouche sur une catastrophe économique et financière avec de nombreuses faillites au profit des acteurs déjà les plus puissants. Au printemps 2022, la hausse des prix consécutive à l’invasion de l’Ukraine ouvre de nouvelles perspectives.

Le secteur repose en effet sur un système technique léger et souple, contrairement aux productions conventionnelles. Premièrement, il faut seulement quelques mois pour ouvrir un nouveau champ dans le schiste, contre 5 à 7 ans dans le conventionnel. Cela explique l’importance du parc de puits potentiellement en « attente », c’est-à-dire existants mais gelés : on en compte ainsi 7 300 en novembre 2020 du fait de l’effondrement des prix alors que la mobilisation de 1 000 puits produit environ 0,2 Mb/j. la première année. Deuxièmement, les cycles d’exploitation sont très courts du fait d’un épuisement rapide de la ressource. En effet, contrairement aux champs conventionnels, un puit de pétrole de schiste voit sa production se réduire de –70 % en seulement un an et de –85 % en trois ans. Cette particularité nécessite de réaliser en permanence de nouveaux forages afin de maintenir une production constante. Cette contrainte et ces cycles économiques se traduisent dans l’espace par le déploiement sous forme de poches locales dynamiques d’une sorte de front pionnier laissant derrière lui des territoires ravagés, abandonnés ou en déshérence.


 

Chaque territoire présente ses propres logiques techniques d’organisation à l’échelle locale et régionale : profondeur des puits, longueurs des canalisations latérales, nombre d’étages géologiques traités et espacement des étages de fracturation, intensités des agents de soutènement nécessaires lors des injections... Enfin, le nombre de puits, l’organisation spatiale des systèmes techniques, l’équilibre entre puits d’injection et puits de pompage dépendent étroitement des structures du champs exploité. Elles sont donc très variables dans l’espace comme dans le temps au cours de la durée de vie de l'opération de production.

Dans tous les cas, le paysage et l’organisation de l’espace – aux échelles locales et régionales – sortent profondément transformés par de telles opérations comme l’illustre, par exemple, une vue satellite du Wasson Oil Field autour de Denver City au Texas dans le bassin permien où s’alignent en gigantesques grappes les puits et la trame dense des pistes et des routes d’accès. Le contraste avec les espaces agricoles alentour (visible par la forme circulaires des champs irrigués par pivot) est saisissant. L’agriculture a cédé le pas à la production énergétique, inaugurant un nouveau cycle et impliquant peut-être autant de bouleversements que lorsque l’agriculture avait remplacé ici l’élevage extensif au XIXe siècle.

Document 8. L’organisation géométrique et hiérarchisée du Wasson Oil Field autour de Denver City (Texas) dans le Bassin permien

denver city organisation espace

Source : CNES / Géoimage. Denver City est une petite ville du Texas d'environ 5 000 habitants, sans lien avec Denver, la capitale du Colorado.

 

Les images parlent d'elles-mêmes pour décrire l'ampleur de l'emprise spatiale du cyle pétrolier dans la plaine agricole texane et néo-mexicaine (documents 7 et 8). Spatialement, le motif est celui du front pionnier. Économiquement, le modèle est celui du boom économique avec ses faillites, ses enrichissements rapides, et une concentration rapide de la production d'un grand nombre de petits acteurs vers un nombre restreint de grands groupes qui accaparent la production et qui peuvent financer de puissants lobbies politiques à toutes les échelles de la prise de décision. Sur le plan environnemental, le paradigme est celui de l'extractivisme : le milieu est une réserve de ressources qu'on prélève pour produire, dans une recherche continue de croissance économique. Les espaces ainsi exploités deviendront des wastelands, des espaces-déchets, inexploitables pour toute autre activité. Les conséquences écologiques des techniques non conventionnelles sont développées dans l'article consacré au Bassin permien.

>>> Pour compléter, lire l'article associé : Laurent Carroué, « Le boom des hydrocarbures non conventionnels dans le Bassin permien (Texas et Nouveau-Mexique, États-Unis) », Géoconfluences, juin 2022.

 

3. La transformation des équilibres interrégionaux des États-Unis : les energy states et l’affirmation du Texas

Aux États-Unis, la production d’hydrocarbures est particulièrement concentrée, le boom des dernières décennies remaniant sensiblement les équilibres régionaux du pays. Seulement quatre États polarisent ainsi 79 % de la production nationale de pétrole en 2021 : avec 43 % du total, le Texas domine largement devant les exploitations offshore du Golfe du Mexique (15 %), le Nouveau-Mexique (11 %) et le Nord Dakota (10 %) ; l’Alaska, le Colorado et l’Oklahoma avec 4 % chacun venant loin derrière. Cette dynamique productive renforce sensiblement dans les équilibres régionaux le poids politique et économique du South Central - Texas, Nouveau-Mexique, Oklahoma, Louisiane - largement conservateur et républicain.

Document 9. La montée en puissance des sept grands bassins producteurs

Production de pétrole de schiste par bassin

Production pétrole de schiste par bassin

Production de gaz de schiste par bassin

Production gaz de schiste par bassin

Source des deux graphiques : Agence d'information sur l'énergie des États-Unis (U.S. EIA), 2022.

À cheval sur le Texas et le Nouveau-Mexique, le Bassin permien est en particulier devenu aujourd’hui l'une des plus grandes régions productrices d’hydrocarbures au monde et le 1er des grands gisements étasuniens. En 2021, la production du seul bassin permien (55,1 millions de barils) talonne celle du Canada et dépasse de très loin celle de l’Irak, de la Chine ou des Émirats Arabes Unis. On trouve ensuite les gisements de Bakken (Nord Dakota), Marcellus (Pennsylvanie, Virginie occidentale), Fayetteville (Arkansas), Haynesville (Louisiane, Texas), Barnett ou Eagle Ford (Texas), représentés sur le document 9.

Document 10. La production de pétrole et de gaz aux États-Unis en 2021

Carte production de gaz et de pétrole aux états-unis

Pour voir ou télécharger la carte en grand format, cliquez ici.

 

La mise en valeur de ces gisements d’hydrocarbures bouleverse les économies régionales – hausse de la population et des emplois directs et indirects, attractivité migratoire, boom du logement, hausse des salaires, recettes fiscales – aboutissant à identifier les « Energy States », ces États fédérés dont les économies et les territoires sont dépendants des hydrocarbures. Ces derniers fournissent, par exemple, 74 % des recettes fiscales de l’Alaska, 43 % du Dakota du Nord, 34 % du Wyoming et 15 % du Nouveau-Mexique. Si le Texas tombe à seulement 4,4 % du fait d’une économie plus diversifiée et plus puissante, il arrive cependant au 2e rang national pour les volumes financiers versés. Il a donc à la fois une plus faible dépendance que d’autres États aux produits pétroliers au sein de ses recettes fiscales, et un volume très important de recettes fiscales liées au pétrole.

Les conséquences du poids économique et fiscal du pétrole dans le fonctionnement systémique de l’économie étatsunienne sont très lourdes. Elles s’observent à différentes échelles. Au niveau local, les entreprises du secteur font la pluie et le beau temps, financent des campagnes de communication favorables aux énergies thermiques et pèsent de tout leur poids sur les élus pour leur rappeler le poids du pétrole en matière d’emplois. À l’échelle des États-Unis, le secteur pétrolier dispose d’appuis suffisamment puissants dans l’administration et dans les chambres parlementaires, Sénat et Congrès, pour être épargné par toute remise en cause de l’énergie thermique dans le pays. Si les energy states sont des bastions sur lesquels les lobbies peuvent compter pour défendre le pétrole et le gaz, l’influence du secteur dépasse largement ces États. Les énergies fossiles représentent encore (en 2021) 61 % de la production électrique du pays (presque uniquement du gaz et du charbon), le nucléaire 20 % et le renouvelable 20 %. Et encore ne s’agit-il ici que du mix électrique : dans le mix énergétique total (incluant par exemple les transports), pétrole et gaz représentent 69 % du total (en 2020), nucléaire et charbon 19 %, et les énergies renouvelables 12 %. L’accès en apparence illimité à un pétrole et à un gaz relativement bon marché n’est pas pour accélérer la transition énergétique, dans un pays déjà en retard dans le domaine. À l’échelle mondiale, les États-Unis justifient le discours consistant à rejeter l’idée d’une transition énergétique dans les pays émergents ou en développement, tant que les pays riches, ayant bénéficié pour leur développent passé d’une énergie bon marché, n’auront pas montré l’exemple en matière de réduction des émissions de GES. Au-delà des conséquences écologiques locales, l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste permet donc l’enrichissement d’un petit nombre à un prix payé par l’ensemble de l’humanité.

 

Conclusion

En conclusion, l’essor du gaz et du pétrole de schiste de la dernière décennie ouvre un nouveau cycle énergétique dans les hydrocarbures, après le boom de l’offshore dans les décennies 1970 et 1980. Une nouvelle fois, cette révolution oblige à réfléchir au concept de « ressource » en articulation avec les techniques et les technologies disponibles d’un côté, les rapports aux marchés et à une demande solvable de l’autre. Le boom du schiste s’accompagne aussi d’une véritable révolution territoriale, aux échelles nationale et mondiale.

Aux États-Unis, on assiste au net renforcement dans les équilibres régionaux du poids politique et économique du South Central, qui comprend les États fédérés du Texas, du Nouveau-Mexique, de l’Oklahoma et de la Louisiane qui sont largement conservateurs et républicains. À l’échelle mondiale, les États-Unis sont devenus non seulement indépendants au plan énergétique, ce qui constitue un tournant géostratégique majeur, mais ils peuvent même à l’occasion de la crise ukrainienne se présenter comme un recours possible à moyen terme pour l’Europe face à la Russie.

Combien de décennies ce nouveau cycle peut-il durer ? Difficile à dire car les gisements s’épuisent vite et les ressources connues sont estimées à quelques décennies. À ceci s’ajoutent de graves questions environnementales aux échelles locales et régionales dans des régions cependant largement désertiques ainsi que d’importants enjeux climatiques à l’échelle mondiale. Dans tous les cas, ce boom du schiste accompagne la réaffirmation de la puissance étasunienne dans un monde multipolaire instable et sous tension.

 


Bibliographie et ressources

>>> Un autre article du même auteur traite le sujet à l'échelle du Bassin permien du Texas et du Nouveau-Mexique : Laurent Carroué, « Le boom des hydrocarbures non conventionnels dans le Bassin permien (Texas et Nouveau-Mexique, États-Unis) », Géoconfluences, juin 2022.

Ouvrages généraux
  • Gérard Dorel : « Les États-Unis », in volume États-Unis, Canada, Géographie universelle, Hachette Reclus, Montpellier, 1992. Pour comprendre la façon dont était abordée la question énergétique aux États-Unis par les géographes il y a trente ans.
  • Laurent Carroué. Atlas de la mondialisation. Une seule terre, des mondes. Coll. Atlas, Autrement, Paris, 2020.  
  • Laurent Carroué, Géographie de la mondialisation. Crises et basculements du monde, coll. U, Armand Colin. 2019.
  • Jean-Louis Fellous et Catherine Gauthier, 2013. Les gaz de schiste. Nouvel eldorado ou impasse ?, Odile Jacob Éd., 256 p.
  • Bernadette Mérenne-Schoumaker : Atlas mondial des matières premières. Des ressources stratégiques, coll. Atlas, Autrement, 2020.
Enjeux énergétiques aux États-Unis
Conséquences de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels
À l’échelle du Texas et du Bassin permien
Film
  • Josh Fox, Gasland, 2010, version courte 46 minutes.

 

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : brent et autres cours du pétrole | cycle minier | dépendance énergétique | energy statesextractivisme | firmes transnationales | fracturation hydrauliquefront pionnier | gaz naturel | géopolitique des énergieshydrocarbures conventionnels et non conventionnels | lobbying | mix énergétique | puissance.

 

 

Laurent CARROUÉ
Inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), directeur de recherche à l’IFG, Université Paris VIII

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Laurent Carroué, « La révolution du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis : enjeux technologiques, territoriaux et géostratégiques », Géoconfluences, juin 2022.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-critique-des-ressources/articles/gaz-et-petrole-de-schiste-États-Unis

Pour citer cet article :  

Laurent Carroué, « La révolution du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis : enjeux technologiques, territoriaux et géostratégiques », Géoconfluences, juin 2022.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-critique-des-ressources/articles/gaz-et-petrole-de-schiste-etats-unis