Vous êtes ici : Accueil / Articles scientifiques / À la une / Image à la une / Image à la une. Kiruna (Suède). Quand la mine creuse sous la ville

Image à la une. Kiruna (Suède). Quand la mine creuse sous la ville

Publié le 15/12/2025
Auteur(s) : Lætitia Balaresque, agrégée de géographie, doctorante - Université Grenoble Alpes

Mode zen

Kiruna est une petite ville de l’extrême nord de la Suède, née de l’extraction de fer. L’activité minière est omniprésente dans le paysage, par son emprise visuelle et sonore et par son importance économique. Elle condamne aussi certains bâtiments à s’effondrer, et une partie de la ville a dû être abandonnée et reconstruite plus loin. Malgré les discours d’acteurs assurant la durabilité du projet, l’extraction minière pose la question des coûts externes qu’elle engendre.

Bibliographie | mots-clésciter cet article

Kiruna

Document 1. La mine de fer sur la montagne Kirunavaara. La photo a été prise en février 2025, à 15h30, durant la période d’enneigement, qui s’étend d’octobre à mai.

  • Autrice du cliché : Lætitia Balaresque
  • Lieu de prise de vue : Depuis la Luossavaara en direction du sud-ouest, 67°52'28.7"N 20°13'15.1"E
  • Date : 23 février 2025, à 15h30.
  • Droits d’usage : CC-BY-NC-SA (licence Creative Commons non commerciale) ; photographie libre de droits pour l’usage pédagogique dans la classe.

schéma

Document 2. Éléments d’interprétation de la photographie

Le regard de la géographe

Située à 200 km au nord du cercle polaire arctique, dans le comté de Norrbotten, en Suède, la mine de Kiruna est la plus grande mine de fer souterraine du monde. En 2023, 22,3 millions de tonnes de minerai ont été extraits de cette mine fonctionnant toute l’année 24 heures sur 24. Le fer de Kiruna représente 11% des exportations suédoises et la mine occupe une place majeure dans l’économie du pays : elle est détenue par la LKAB (Luossavaara-Kiirunavaara Aktiebolag), société sous contrôle de l’État suédois depuis 1976. Luossavaara et Kiirunavaara sont les deux montagnes où se trouvent les gisements (celui de Luossavaara a fermé en 1961), et Aktiebolag signifie société. 80 % de la production de fer européenne provient des mines suédoises de la LKAB, toutes situées dans le Norrland, le « pays du Nord ». La mine a fait naître la ville de Kiruna, isolat minier et ville-usine à 900 km au nord de la capitale, Stockholm. Cette proximité génère des risques, au premier rang desquels les tassements et les effondrements de terrain, qui se multiplient depuis la fin des années 1990 en raison de l’expansion de la mine sous la ville. En 2004, la LKAB annonce le déménagement de la ville afin de poursuivre l’exploitation du gisement, qui s’étend sous des bâtiments et habitations. Très médiatisée, cette relocalisation commencée en 2014 se poursuit encore aujourd’hui.

image satellite

Document 3. Image satellite interprétée

Un extractivisme du Nord

L’exploitation du minerai de fer débute à la fin du XIXe siècle, menant à la création de la ville et à la construction d’une route et d’un chemin de fer, achevés en 1903. La LKAB possède une filiale ferroviaire (LKAB Malmtrafik AB) qui lui permet d’expédier le minerai en train-bloc vers le port de Narvik, en Norvège, libre de glace toute l’année. Jusqu’en 1965, l’exploitation se fait à ciel ouvert, avant de devenir souterraine quand le gisement de surface commence à s’épuiser. Aujourd’hui, 500 km de routes goudronnées s’enfoncent jusqu’à 1 365 m de profondeur. Le minerai non raffiné est encore particulièrement pur, avec une concentration de 60 % de fer.

Au cours du XXe siècle, l’exploitation des ressources naturelles (minières, mais aussi forestières, et hydroélectriques) du comté de Norrbotten permet d’intégrer ce territoire, habité par un peuple autochtone, les Samis, et considéré jusque-là comme une marge lointaine et enclavée (Carroué, non daté). La ville de Kiruna fonctionne alors comme un front pionnier qui fait de cette marge une périphérie exploitée, au service de l’industrialisation du pays. Les Samis ne sont pas intégrés à ce processus qui affecte leur mode de vie : les infrastructures telles que le chemin de fer et la route perturbent la transhumance des troupeaux de rennes, qui se déplacent entre les montagnes norvégiennes l’été et les vallées suédoises l’hiver, et la consommation massive d’eau pour l’exploitation minière assèche les rivières.

Une ville (re)construite par et pour la mine

La ville minière est un modèle d’urbanisation classique en Arctique : de nombreuses villes arctiques sont nées de l’exploitation des ressources naturelles reposant sur une seule société, « villes-entreprises » telles que Norilsk (Russie) pour le nickel avec la compagnie Norilsk Nickel, ou Fermont (Canada) pour le fer avec ArcelorMittal Mines Canada. Hjalmar Lundbohm, premier directeur de la LKAB et fondateur de la ville, s’était inspiré de villes industrielles qu’il avait visitées, notamment Pullman, aux États-Unis, bâtie par la Pullman Railway Car Company, ou encore New Lanark, en Écosse, construite par le socialiste utopiste Robert Owen (López, 2024). Kiruna a été créée sur le modèle paternaliste de la cité-jardin, avec un quartier spécial pour les employés de l’entreprise, comprenant des maisons pour les hommes célibataires d’un côté, pour les familles de 2 à 6 personnes de l’autre, et des villas pour les administrateurs. Un tramway gratuit permettait aux employés et à leurs familles de se déplacer.

 

 

tramway old

population

Document 4. ← À gauche, Kiruna, le tramway électrique transportant les mineurs dans les années 1920. Domaine public. Source : GetArchive.net. ↑ Ci-dessus, évolution de la population de la ville.

La ville et la mine sont encore interdépendantes, et le développement urbain est soumis au développement minier. Aujourd’hui, la LKAB emploie environ 2 200 personnes, soit environ 20 % des actifs, mais apporte aussi de nombreux emplois indirects. Elle finance des clubs de sport, sponsorise l’enseignement et fournit des logements à ses employés. L’entreprise recrute localement, au travers d’un enseignement spécialisé, et comme souvent dans les villes minières, les salaires sont élevés (Stihl, 2022). La LKAB demeure le premier employeur et le premier contributeur malgré une modeste diversification des activités : l’aéroport est utilisé par Boeing et Airbus pour tester des avions en conditions climatiques extrêmes, le centre spatial créé par le Conseil Européen de recherches spatiales sert de base européenne pour le lancement de satellites et de fusées-sondes, et le tourisme est un peu développé, avec une petite station de sports d’hiver sur un site abandonné par l’extraction. La ville concentre aussi des services comme un hôpital, desservant un territoire très vaste. La municipalité, la plus septentrionale de Suède, s’étend en effet sur 20 551 km2, soit quasiment la superficie de la Slovénie, même si 18 000 des 22 000 habitants sont regroupés dans la ville.

Ville arctique, Kiruna est caractérisée par un bâti typique de ces régions (bâtiments en bois, colorés, peu élevés, adaptés aux conditions climatiques), et entièrement tournée vers la mine. Celle-ci est très présente dans le paysage urbain. Directement visible depuis de nombreux points de la ville, elle est aussi perceptible au travers des instruments de mesure des mouvements de terrain, disséminés un peu partout dans les rues. L’activité minière se fait également ressentir dans le paysage sonore : chaque nuit, peu après une heure du matin, au moment où les risques d’accident sont les plus limités, une explosion a lieu dans la mine, audible depuis la ville et bien visibles sur l’image satellite (document 3).

paysage urbain arctique

Document 5. Paysage de petite ville arctique : maisons en bois, peu élevées, colorées. Cliché de Carine de Saint-Remy, avec l'aimable autorisation de l'autrice.

La relocalisation, mise en œuvre depuis une dizaine d’années, ne semble pas avoir rencontré d’opposition tant Kiruna dépend de la LKAB, et tant les conditions de relogement sont avantageuses. En 2012, la municipalité et l’entreprise organisent un concours international d’architecture pour imaginer le nouveau centre-ville, avec comme objectif de faire de la nouvelle Kiruna un « carrefour urbain vibrant, respectueux de l’environnement, et fidèle à l’histoire et l’identité sociale de la ville ». Le nouveau centre-ville est inauguré en 2022, mais le déménagement doit se poursuivre jusqu’en 2035. De nombreuses maisons vont encore être détruites. Une quarantaine de bâtiments, désignés comme « patrimoine culturel national », échappent à la destruction et sont déménagés par camion, parmi lesquels le beffroi (document 8) et, pendant l'été 2025, l’église de 600 tonnes. Construite en 1912 dans une architecture censée rappeler l’habitat sami, décorée par des artistes célèbres comme le sculpteur Christian Eriksson (López, 2024), cette église avait été « offerte » par la LKAB à la ville. La nouvelle ville est par ailleurs présentée par les autorités et l’entreprise comme un modèle de durabilité, grâce à des bâtiments économes en énergie, utilisant des énergies renouvelables et des matériaux locaux. L’objectif est de (re)créer une ville mixte et compacte, moins dépendante de l’activité minière. Pourtant, sa construction conduit non seulement à l’artificialisation de pâturages et de forêts, mais est surtout au service du développement d’une industrie extractive polluante. Commencé dans un relatif consensus, le déménagement, qui va concerner plus d'habitants que prévu, commence à faire naître des tensions entre la compagnie minière et la municipalité (Hivert, 2025).

maisons en cours de démolition

Document 6. Kiruna, maisons en cours de démolition. Cliché de Lætitia Balaresque, février 2025.

Logements de mineurs

Document 7. Logements de mineurs à proximité de la mine voués à être détruits dans les prochains mois. Cliché de Lætitia Balaresque, février 2025.

beffroi et nouvel hôtel de ville

Document 8. Le beffroi, vestige de l’ancienne mairie, a été déplacé à côté du nouvel hôtel de ville, le « Kristallen », premier bâtiment du nouveau centre-ville, construit à l’image d’un cristal. La forme ronde est censée représenter l’unité et la solidarité de la communauté, et la couleur blanche sa résilience. Cliché de Lætitia Balaresque, février 2025.

La montagne Luossavaara

Document 9. La montagne Luossavaara, où se trouvait la première mine à ciel ouvert, a été aménagée en piste de ski. On aperçoit un effondrement de terrain au milieu. L’exploitation pourrait recommencer puisqu’un gisement de phosphore y a été récemment découvert. Cliché de Lætitia Balaresque, février 2025.

Une importance grandissante dans un contexte européen de sécurisation des approvisionnements en « matériaux critiques »

Alors que l’Union européenne cherche à relocaliser la production de métaux dits critiques pour renforcer sa souveraineté, la mine de Kiruna apparaît comme une réserve stratégique, en particulier depuis l’identification en 2023 d’un gisement très concentré de phosphore et de terres rares à l’emplacement de la première mine, qui serait l’un des plus grands d’Europe. Cette découverte suscite l’intérêt du gouvernement suédois et de l’UE mais soulève le mécontentement des Samis, déjà dépossédés par l’extraction minière, et dont les activités pastorales pourraient encore être affectées. Pour exploiter le gisement, la LKAB vise à devenir une « nouvelle référence en matière d’exploitation minière souterraine durable », et prétend pouvoir rendre l’exploitation minière neutre en carbone grâce à l’utilisation de l’hydrogène. Ce discours met en lumière un paradoxe : l’extraction minière, polluante et génératrice de CO2, est nécessaire pour mettre en œuvre la transition énergétique, et donc présentée par ses promoteurs comme indispensable au nom de la protection de l’environnement.


Bibliographie

  • Aykut Stefan C. et Lucile Maertens, « The climatization of global politics: introduction to the special issue », International Politics, vol. 58, no 4, 1er août 2021, p. 501–518.
  • Buu-Sao Doris, Sébastien Chailleux et Sylvain Le Berre, « Ecological crisis and green capitalism: toward a climatization of extractive industries? », Review of Agricultural, Food and Environmental Studies, vol. 105, no 1, 1er août 2024, p. 17–43.
  • Carroué Laurent, « Kiruna : mine de fer et ville minière des marges suédoises, entre contraintes naturelles et dynamiques des marchés mondiaux », Géoimage, CNES, sans date (consulté le 20 mars 2025).
  • Hivert Anne-Françoise (2023), « Suède : la découverte d’un gisement de terres rares suscite l’inquiétude des populations autochtones », Le Monde, 17 janvier 2023 (consulté le 28 avril 2025).
  • Hivert Anne-Françoise (2025) « Le centre historique de la ville suédoise de Kiruna « déménagé » pour continuer à exploiter la mine voisine », Le Monde, 10 septembre 2025 (consulté le 24 novembre 2025).
  • Izoard Célia, La ruée minière au XXIe siècle. Enquête sur les métaux à l’ère de la transition., Paris, Seuil, coll. « Écocène », 2024.
  • Liljenstolpe Carolina, Jerry Hedström, Daniel Larsson, Helena Kjellson et Roger Hamberg, « Statistics of the Swedish Mining Industry 2023 », 2024.
  • López Elisa Maria, « Tears of blood for the cracking city: Urban infrastructure of extraction and everyday life in Kiruna, Sweden », Swedish Journal of Anthropology, 2024.
  • Stihl Linda, « Challenging the set mining path: Agency and diversification in the case of Kiruna », The Extractive Industries and Society, vol. 11, 1er septembre 2022, p. 101064.
  • Tourdot Léa, « À l’ère de l’anthropocène, la Suède déplace une ville », Le Grand Continent, 31 août 2021 (consulté le 21 mars 2025).
  • Vaguet Yvette, « Les formes et les enjeux de l’urbanisation en Arctique », in Daniel Joly. L’Arctique en mutation, 46, éditions de l’EHPE, p. 125–134, 2016, Les Mémoires du Laboratoire de Géomorphologie, 978-2-900111-23-9. ffhalshs-01779914f.

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : autochtonie | cité-jardin | extractivisme | front pionnier | métaux stratégiques | ville-usine.

 

Lætitia BALARESQUE

Agrégée de géographie, doctorante à l'Université Grenoble Alpes, laboratoire Pacte.

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Lætitia Balaresque, « Image à la une. Kiruna (Suède). Quand la mine creuse sous la ville », Géoconfluences, décembre 2025.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/kiruna-suede-quand-la-mine-creuse-sous-la-ville

Navigation