Image à la une. Le Cros-de-Cagnes : permanences et mutations d'un paysage littoral ordinaire azuréen
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Document 1a. Le littoral de Cagnes-sur-Mer au niveau du quartier du Cros-de-Cagnes, photographié le dimanche 9 mars 2025.
- Autrice du cliché : Clara Loïzzo
- Lieu de prise de vue : promenade de la plage, au niveau de l’église Saint-Pierre, en direction du sud-ouest, 43°65’N, 7°485’E.
- Date : dimanche 9 mars 2025.
- Droits d’usage : CC-BY-NC-SA (licence Creative Commons non commerciale) ; photographie libre de droits pour l’usage pédagogique dans la classe.

Document 1b. Croquis d'interprétation
Prise hors saison touristique, cette photographie prend le contre-pied de l’imagerie scolaire habituelle du littoral méditerranéen : dense, estival, intensément fréquenté. Située sur la Côte d’Azur entre Nice et Antibes, cette portion de promenade littorale aménagée n’en est pas moins représentative des usages habitants du littoral. Fortement et anciennement anthropisée, elle se prête à la fréquentation des habitants comme à celle des touristes, plus rares qu’en été mais pas absents. Elle est aussi une portion d’une bande littorale entièrement urbanisée de Beaulieu-sur-Mer jusqu’à Mandelieu-la-Napoule, comprise dans la conurbation formée par Cannes, Grasse et Nice. Le contre-pied est renforcé par le temps gris en ce jour de fin d’hiver, qui contraste avec l’azur habituel des ciels méditerranéens dans les représentations.


Document 2. Carte postale de 1915 « Cros de Cagnes. — Le Boulevard de la Plage » et vue Google Street de 2025 : déceler permanences et mutations à un siècle d’écart. Source de la carte postale : Geneanet.
Le regard de la géographe
Le littoral du Cros-de-Cagnes est ici photographié lors d’un dimanche d’hiver. La photographie est l’occasion d’observer les aménagements et les pratiques d’un littoral méditerranéen à l’écart de la haute saison touristique, et montre que l’on a affaire à un territoire « habité », au sens géographique, toute l’année, mais de façon différenciée. Dans la partie occidentale de la Baie des Anges, délimitée quelques kilomètres plus loin par le Cap d’Antibes, le trait de côte se présente ici comme un littoral d’accumulation, avec une plage dont les galets sont des sédiments pour partie transportés par le Var, à l’embouchure toute proche. L’aménagement d’épis rocheux perpendiculaires au rivage rappelle qu’il est soumis à une importante érosion, l’amaigrissement hivernal de la plage rendant également nécessaires des opérations saisonnières de recharge sédimentaire. La préservation de la plage est devenue, à partir des années 1950, un impératif pour préserver une ressource littorale essentielle, mobilisée aussi bien par les habitants locaux que par les touristes.
Un littoral inséré dans l’histoire des représentations
Cette portion du littoral méditerranéen est très marquée par les fonctions touristiques et récréatives. Celle-ci est ancienne, comme le montre la fréquentation du bord de mer dès le début du XXe siècle. La proximité des prestigieuses stations de villégiature de Nice et Cannes et l’installation sur la Côte d’Azur du peintre Auguste Renoir, qui acquiert en 1908 le domaine des Collettes à Cagnes où il résidera jusqu’à sa mort, attirent artistes et élites sociales dans le « Montmartre azuréen ». On aperçoit, au centre et sur la gauche de la photographie ancienne, certains de ces premiers touristes – ou excursionnistes ? – à leur tenue distincte de celle des pêcheurs, plus proches de la mer. La comparaison des deux photographies met en évidence la persistance de la fonction touristique, mais au simple café présent en 1915 se sont ajoutés des restaurants et même des bars de plage visibles vers le fond du document 1 (bâtiment blanc), aménagés au plus près du rivage mais saisonniers puisque la loi Littoral oblige à les démonter une partie de l’année, et représentatifs de la balnéarisation du tourisme. Apparue surtout après la Seconde Guerre mondiale sur la Côte d’Azur, elle est devenue très largement dominante aujourd’hui.
Encore peu aménagé au début du XXe siècle, le littoral s’apparente alors plutôt à une grève. Il s’organise autour d’un bourg de pêcheurs d’ampleur modeste, accolé à l’église Saint-Pierre qui constitue un repère facilement identifiable. Le quartier du Cros-de-Cagnes représente alors l’un des prémices de la littoralisation du peuplement sur cette portion du rivage méditerranéen dont les dangers (piraterie, insalubrité) ont cantonné le peuplement plus à l’intérieur des terres. C’est le cas à Cagnes, dont le centre historique (le Haut-de-Cagnes) est caractérisé par son site défensif, éloigné de la frange littorale et surélevé, autour du château des Grimaldi (XIVe s.), poste-frontière stratégique à proximité du Var, longtemps fleuve frontalier.

Document 3. George-Émile Lebacq, À Cros-de-Cagnes, 1914, huile sur toile, 69,5 × 74,5 cm. L’absence de feuilles sur les arbres indique que le tableau a été peint en hiver ou au printemps, comme la photographie du document 1. La fréquentation touristique, aristocratique et bourgeoise, du littoral méditerranéen, a longtemps été une villégiature hivernale. Source : Wikimedia Commons.
Le tourisme naissant s’ajoute alors à une fonction productive plus ancienne centrée sur la pêche. Le quartier du Cros-de-Cagnes a d’ailleurs été créé par des pêcheurs italiens au début du XIXe siècle. Pratiquée à bord des « pointus », ces petites embarcations de pêche colorées que l’on retrouve au centre de la photographie récente (la ville en a compté jusqu’à deux centaines à l’apogée de cette activité autour des années 1920), elle est particulièrement réputée pour ses prises de poutine, la désignation locale des alevins de sardines et de gobies pratiquée à la fin de l’hiver et au début du printemps.

Document 4. Extrait de la carte d’état-major (milieu du XIXe s.) numérisée. Source : Géoportail IGN adapté par Géoconfluences, 2025. La ligne blanche représente le trait de côte actuel.
Le retournement démographique amorcé ne cesse ensuite de s’accentuer avec l’accélération de la mise en valeur touristique, l’un des facteurs majeurs de l’urbanisation de la Côte d’Azur. Prenant une forme anisotropique le long des axes (routiers et ferroviaire) principaux, l’urbanisation se structure en une conurbation allongée sur cinquante kilomètres de littoral, du nord de Nice au sud de Cannes. La photographie récente met toutefois en évidence ses contrastes et la complexité de ses paysages : densité moyenne au premier plan avec des bâtiments bas (maisons ou petits immeubles n’excédant pas un ou deux étages), plus forte à l’arrière-plan où l’on devine des immeubles plus hauts ou encore les bâtiments massifs de Marina-Baie-des-Anges, desserrement fonctionnel (l’hippodrome construit en 1951 pour remplacer l’hippodrome de Nice sur le site duquel a été construit l’aéroport Nice-Côte-d’Azur au niveau de l’embouchure du fleuve du Var, en grande partie sur un terre-plein), périurbain résidentiel plus lâche et même mitage sur les collines du fond (localisation recherchée mais à l’aménagement plus contraint).
La promenade de front de mer, un paysage ordinaire ?
La promenade de front de mer, composante classique des stations touristiques anciennes, dont la Promenade des Anglais à Nice fournit un exemple archétypal (voir Clément, 2025), a été progressivement aménagée. La présence d’un alignement de palmiers témoigne de l’invention relativement récente d’un paysage littoral méditerranéen : la photographie ancienne ne montre que des micocouliers. Les arbres tropicaux ou venus de la rive sud de la Méditerranée y sont devenus des éléments incontournables, alors que leur utilisation ornementale dans les jardins d’agrément, les parcs et les promenades ne s’est diffusée qu’à partir des années 1880. La promenade a fait au début des années 2000 l’objet d’un coûteux chantier de requalification, avec pour objectif le développement de la piétonnisation (trottoir élargi) et des mobilités douces, ce qui oblige à organiser la cohabitation des différentes usages et usagers dans une perspective de régulation, comme le montre le panneau sur la droite de la photographie récente (« amis cyclistes (…), merci de rouler au pas sur cet espace vélo familial et ludique »). La mise en scène de quelques pointus, ainsi que la conservation des treuils (en noir sur la gauche) qui servaient à hisser les embarcations sur le rivage au retour de la pêche (aujourd’hui résiduelle) s’inscrit pour sa part dans une logique de patrimonialisation voire de folklorisation, confortée par l’installation de panneaux explicatifs mettant en avant une forme d’authenticité, elle-même support de mise en valeur touristique. Le renforcement de la végétalisation s’inscrit aussi dans les mêmes grandes tendances contemporaines de l’urbanisme.
Une piste à bosses (pumptrack) devrait prochainement compléter un dispositif qui ne répond pas aux besoins des seuls touristes, mais bien des locaux. La photographie principale, prise en fin de matinée un dimanche, montre que le littoral est largement investi, même si les conditions météorologiques (temps frais, ciel couvert) limitent un peu sa fréquentation. Même en dehors de la haute saison touristique estivale, la promenade est appropriée par différents usages, principalement récréatifs et sportifs (promenade, fréquentation des commerces du bord de mer, course à pied). Ils sont, hors de la haute saison touristique estivale, habités et appropriés par différents acteurs. Certains sont locaux (le littoral est densément peuplé à l’année avec une importante population permanente), d’autres ont un ancrage local (les résidents secondaires, les retraités qui s’inscrivent dans des pratiques spatiales polytopiques). Elle apparaît ici non plus comme un paysage remarquable, mais comme un paysage ordinaire, cadre de pratiques quotidiennes et locales.
Mots-clés
Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : front de mer | paysages | littoralisation | mobilités douces | touristes | ville ordinaire.
Clara LOÏZZO
Professeure en classes préparatoires aux grandes écoles, lycée Masséna, Nice
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Clara Loïzzo, « Image à la une. Le Cros-de-Cagnes : permanences et mutations d'un paysage littoral ordinaire azuréen », Géoconfluences, novembre 2025.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/le-cros-de-cagnes-permanences-et-mutations-dun-paysage-littoral-ordinaire-azureen



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