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Alimentation

Publié le 16/11/2023
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L’alimentation désigne généralement, en géographie, la nourriture et la boisson destinée aux humains, dans leur dimension tant matérielle (la nécessité de se nourrir) que symbolique (l’alimentation comme marqueur culturel).

L’alimentation est intrinsèquement liée à l’agriculture et à l’élevage, qui peuvent être complétés par la pêche, de la chasse ou la cueillette, même si les produits agricoles peuvent aussi servir à d’autres usages (plantes textiles, fleurs coupées, agrocarburants…). Dans les systèmes agraires traditionnels, l’alimentation est fortement liée aux conditions agronomiques du territoire, avec lequel elle fait système, le contenu de l’assiette pouvant refléter le paysage rural. Elle était également façonnée par des marqueurs culturels forgé par la religion (tabous alimentaires) ou par la tradition (ce qui est bon ou mauvais, sain ou malsain, varie d’une culture à l’autre). La mimolette a ainsi été interdite à l’importation aux États-Unis par la Food & drugs administration comme produit « impropre à la consommation » en raison de sa teneur en acariens (source).

Sans avoir aboli le lien entre le champ et l’assiette, les mutations connues par les systèmes de production agricole au XXe siècle ont profondément bouleversé ce lien en ajoutant des étapes entre les deux : une partie croissante de l’alimentation de l’humanité est désormais le produit de l’industrie, commercialisé par des systèmes de distribution. La distance moyenne parcourue par les produits s’est considérablement allongée en un siècle, avec l’amélioration des moyens de conservation (conserves, réfrigération, surgélation…) et de transport (bateau à vapeur, navires bananiers, transport par avion…). Le secteur de l’agroalimentaire est aujourd’hui dominé par quelques grandes groupes (Nestlé, Mondelēz, Danone, Unilever, Coca Cola, Pepsico…) qui possèdent chacun des dizaines de marques. L’alimentation de l’humanité est aujourd’hui prisonnière d’un « sablier » dans lequel les deux parties les plus larges (la masse des producteurs et celle, encore plus grande, des consommateurs) sont tributaires d’un nombre très réduit d’intermédiaires qui contrôlent la transformation et la distribution. « Se nourrir n’est pas qu’une question agricole » (Fumey, 2018), et l’alimentation a acquis une dimension géopolitique. En effet, les relations entre acteurs institutionnels (États, ONU...) et entre acteurs transnationaux (multinationales, ONG…) influent sur la sécurité alimentaire des personnes et des États, à travers les conflits armés, l’aide humanitaire, l’accaparement des terres et des mers ou encore la question de l’eau et la gestion des grands fleuves. La pression sur la sécurité alimentaire des personnes dans le cadre d’un conflit est appelée l’arme alimentaire.

Industrialisation et mondialisation des systèmes alimentaires n’ont aboli ni la sous-alimentation, ni la malnutrition. La sous-alimentation se définit par la difficulté à se procurer une ration calorique journalière fixée par l’OMS et variable selon les individus en fonction de leur âge, de leur sexe et de leur activité. Elle peut être chronique ou survenir lors de crises alimentaires, disettes ou famines, ces dernières se distinguant par leur létalité. L’objectif « faim zéro » n’a pas été atteint et, depuis 2014, sous l’effet conjugué de plusieurs crises et avant même la pandémie de covid-19, le nombre et la part de la population mondiale sous-alimentée ont recommencé à augmenter. La réduction de ce nombre reste un OMD, un objectif du millénaire pour le développement. Parallèlement, la malnutrition, autrement dit la difficulté à consommer une nourriture saine même lorsque la ration calorique est atteinte, reste un défi majeur du siècle. La nourriture peut manquer de variété (chez des populations pauvres où l’essentiel de la ration est constitué de féculents ou de légumineuses) mais aussi, pour une part croissante de l’humanité, être trop grasse, trop riche, trop sucrée ou trop salée. La « malbouffe », qui concernait autrefois surtout les pays riches, est devenue la maladie des pays émergents, et de plus en plus, des pays les moins avancés. Elle entraîne des risques de mortalité accrue. Les liens sont de plus en plus mis en évidence entre la malnutrition et l’environnement alimentaire, par exemple à travers les politiques de prévention ou au contraire les publicités pour des produits malsains (Pech, 2021), ou le fait de résider dans un désert alimentaire (Baffico, 2016). La prévalence de l’obésité est telle aujourd’hui qu’on parle désormais d’une épidémie, et que ses conséquences sur l’espérance de vie préoccupent l’OMS.

Depuis les « grandes Découvertes » qui ont contribué à diffuser le sucre, le chocolat ou le café, et même depuis les premières domestications néolithiques, l’alimentation est une question mondiale (Grataloup, 2007). C’est évident à travers l’internationalisation des systèmes agricoles évoquée plus haut, mais aussi à travers l’uniformisation relative des habitudes alimentaires. Comme dans les autres aspects de la mondialisation culturelle, cette uniformisation est ambivalente : dans le sens aller, certains produits deviennent mondialisés et sont présents sur toutes les tables, de l’Alaska à Jakarta : ketchup, cola, pizzas, burger, kebab, sushis, tartiflette (Bourgeat et Bras, 2021). Dans le sens retour, ils connaissent une infinité de déclinaisons locales et d’adaptations aux normes culturelles locales et aux tabous religieux (pizza hawaïenne, sushis au fromage, tartiflette halal…). Les recettes circulent, se transforment et leurs noms mêmes finissent par désigner des réalités très différente, à l’image de l’écart entre le « tacos » mexicain et le sandwich du même nom, probablement inventé dans la banlieue lyonnaise, en fait une variante du kebab. 

Depuis le tournant du XXIe siècle (Plet, 2013), une très forte demande sociale émerge pour une alimentation de qualité, appelant progressivement à la mise en place d’un système opposé pied à pied à celui mis en place au XXe siècle. Face à l’internationalisation des systèmes agricoles, producteurs et consommateurs réclament une reterritorialisation de l’agriculture et accordent un regain d’intérêt à la notion, très géographique, de « terroir ». Face à l’uniformisation des pratiques alimentaires, une demande importante de typicité entraîne un essor des labels et des appellations, qui ne concernent plus seulement vins et fromages mais une gamme croissante de produits. Dans son sillage on retrouve la patrimonialisation de la gastronomie et l'inscription de plats comme le couscous à la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Face aux crises sanitaires et à la « malbouffe », les autorités imposent des normes plus sévères, particulièrement dans l’Union européenne, et insistent sur la traçabilité des produits. Enfin, face à l’impossibilité d’appliquer à l’humanité entière les standards alimentaires de sa fraction la plus riche, et face surtout au contraste entre sous-alimentation et excès alimentaires, les comportements individuels tendent à se modifier rapidement. Parmi les consommateurs, ceux qui peuvent se le permettre cherchent à transformer leurs pratiques alimentaires en fonction de leurs convictions. Les deux citations suivantes résument les bouleversements accomplis et les défis à relever :

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« En quelques décennies, nos assiettes ont connu des bouleversements d'une importance et d'une rapidité sans précédent. Qu'on les considère comme une simple étape dans l'histoire plurimillénaire de l'alimentation humaine ou comme les secousses annonciatrices d'une refonte totale de nos pratiques de consommation, le constat est aujourd'hui celui de systèmes alimentaires qui, pour nombre d'entre eux, n'ont plus grand chose à voir avec les précédents. »

Pierre Raffard, Géopolitique de l'alimentation. De la fourche à la FoodTech. Le Cavalier bleu, 2021.

« L’humanité est engagée actuellement dans de multiples mutations radicales dont l’une a des répercussions directes sur son alimentation. Les systèmes alimentaires mis en place pendant l’ère extractiviste sont amenés à évoluer rapidement. Les ressources de la Terre ne sont pas inépuisables et les humains ne sont pas sûrs d’avoir accès à des nourritures saines pour eux et bonnes pour l’environnement. »

Jean-Pierre Williot et Gilles Fumey, Histoire de l’alimentation, PUF, 2021.

»

(JBB), décembre 2021.


Références citées
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