Agriculture et changements globaux (ENS Lyon 2023) : ressources sur Géoconfluences

Agriculture et changements globaux

L’expression « changements globaux » désigne les changements environnementaux résultant de l’intensification des activités humaines et de l'avènement de l’Anthropocène. L'usage du pluriel permet d'insister sur l'aspect multiforme de ces changements et de ne pas les réduire au seul changement climatique. On fait ainsi principalement référence au réchauffement climatique global, à l’érosion de la biodiversité ainsi qu’aux changements d’usage des terres. Les premiers articles scientifiques de géographie francophone employant l'expression au pluriel dans leur titre datent de la décennie 2010. C’est dans ce sens large que l’expression global change a acquis en français que le jury entend le terme (voir https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/changements-globaux), d’ailleurs entré officiellement dans les programmes scolaires français en 2015.

Chaque changement global fait l’objet de diagnostics scientifiques à l’échelle mondiale, principalement par le GIEC [1] pour le changement climatique, le MEA [2] puis l’IPBES [3] pour la biodiversité et l’IAASTD [4] pour l’agriculture.

Les changements globaux invitent par essence à une approche systémique et multiscalaire. Les pressions et les réponses des sociétés diffèrent en fonction des structures et des spécificités régionales voire locales des contextes et des pratiques agricoles. Les questions climatiques et environnementales sont globales et appellent des réponses collectives à l'échelle de l'humanité, illustrées par les accords et protocoles signés dans le cadre de la Convention Cadre des Nations unies sur les changements Climatiques ou dans celui de la Convention sur la diversité biologique. Mais les changements s’expriment de manière différenciée selon les espaces et les sociétés qui les habitent. Ils se traduisent dans les territoires par des facultés de résilience et des stratégies d'adaptations et de transitions variables.

La notion de changements globaux engage à redéfinir la manière dont la géographie pose la question de l’agriculture. Il s’agit donc d’étudier l’agriculture ET les changements globaux, à toutes les échelles, en explorant toute la richesse signifiante de la conjonction de coordination, à commencer par la possible rétroaction (les changements globaux ont un impact sur les productions agricoles mais cellesci sont aussi à l’origine, au moins pour partie, des changements globaux). À l’échelle mondiale, selon le rapport 2020 du GIEC, l’agriculture occupe environ 5 milliards d’hectares, dont environ un tiers sont des terres agricoles (1,6 milliard d’hectares, 12 % des terres émergées) et deux tiers des superficies vouées à l’élevage (3,4 milliards d’hectares, soit 37 % des terres émergées), dans un contexte où la planète devra bientôt nourrir près de 9 milliards de personnes. La moitié de notre planète est donc un géo-agrosystème : en aménageant la terre pour en tirer sa nourriture, les sociétés humaines modifient les écosystèmes et exercent une influence sur le climat, la gestion de l’eau (l’irrigation concerne 18 % seulement des terres cultivées mais assure plus du tiers de la production agricole), les sols, la végétation, les paysages…

Les formes sociales, politiques, économiques et spatiales de l’organisation agricole sont désormais pensées via trois principaux filtres environnementaux qui sont le changement climatique, l’érosion de la biodiversité et les changements d’utilisation des sols et des ressources. Se pose donc la question des modèles agricoles de demain et de leur contribution aux changements globaux via leur rôle dans l’émission des gaz à effet de serre, la modification des habitats naturels d’espèces, la transformation des paysages. Alors que les agricultures intensives, répondant à la nécessité d’accroître la production agricole pour vaincre l’insécurité alimentaire chronique de l’humanité, ont vaincu les grandes famines passées, elles ont aussi forgé, dans les Nords mais aussi dans les Suds, des paysages à la structure simplifiée, fondée sur des critères de performance pour un marché standardisé et mondialisé. Par ailleurs, les agricultures paysannes dans les pays du Sud mais également dans certaines régions du Nord font face à d’autres défis (pauvreté rurale, développement, relations asymétriques avec la filière agro-industrielle, prise de contrôle extérieur ou land grabbing) mais peuvent être aussi porteuses de modèles alternatifs (agro-écologie, commerce équitable, équilibre entre justice spatiale et développement).

Les performances productives des agricultures intensives, dans les Nords mais aussi dans les Suds, ont un coût environnemental (destruction d’habitats naturels, émissions de gaz à effet de serre, usage massif d’intrants chimiques, fertilisants et produits de traitement),sociétal (banalisation des paysages, nourriture standardisée posant parfois des questions de santé publique, telles l’obésité, inégalités d’accès à la terre et à l’alimentation…) mais également politique, culturel et bien évidemment économique. Mais la question de la disponibilité et de l’accessibilité à la nourriture reste entière dans un monde de plus en plus urbain, où la faim concerne environ 800 millions de personnes, dont deux tiers environ de petits producteurs ruraux. Les agriculteurs sont aussi l’une des professions dont le métier s’est le plus métamorphosé, et qui suscite les plus fortes attentions sociétales autour de la question du traitement du vivant et de la gestion de l’environnement. Comment répond-elle à ses attentes multiples ? Comment s’inscrit-elle dans les politiques de lutte contre le changement climatique et l’érosion de la biodiversité ?

Appuyée sur une littérature abondante, cette question renouvelle donc le regard sur l’étude géographique des questions agricoles. Les principaux écueils contre lesquels le jury souhaite mettre en garde les préparateurs et les candidats sont de trois ordres. Le premier écueil consisterait à faire de l’étude du changement climatique une fin en soi. Les modèles mathématiques de prévision utilisés par les experts du climat ne font pas partie du bagage intellectuel attendu d’un étudiant en géographie à bac+2. Le deuxième écueil consisterait à traiter la question sous un angle exclusivement prospectif et prescriptif. Enfin, si les changements globaux invitent bien évidemment à la présentation de scenarii, on ne négligera pas l’analyse des processus et des situations actuelles, afin d'être en mesure de les mettre en lien avec les enjeux sociétaux, politiques, économiques, environnementaux, culturels, etc. qu'ils engagent.

L’analyse des relations réciproques entre changements globaux et agriculture amène donc à interroger les problèmes environnementaux en mettant l’accent, par des démarches systémiques et multiscalaires, sur les relations entre nature et sociétés.

Notes

[1] Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ; https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/
[2] Millennium Ecosystem Assessment ; https://www.millenniumassessment.org/
[3] Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services ; https://ipbes.net/fr
[4] International Assessment of Agricultural Knowledge Science and Technology for Development ; https://wedocs.unep.org/handle/20.500.11822/7862)

Éléments bibliographiques

• Étienne Cossart, « Le changement global : un champ scientifique fécond pour le géographe », Géoconfluences, octobre 2018.
• François-Marie Bréon, Gilles Luneau, Atlas du climat : Face aux défis du réchauffement, Autrement, 2018
• Denis Mercier (dir.), Les impacts spatiaux du changement climatique, ISTE, 2021
• Xavier Arnauld de Sartre, Agriculture et changements globaux : expertises globales et situations locales. Bruxelles, Peter Lang, coll. EcoPolis, 2016, 204 p.
• Collectif, Les défis de l’agriculture mondiale au XXI^e siècle, Angers : ESA (École supérieure d’agriculture d’Angers), octobre 2009, 319 p.
• Yves Poinsot, Comment l’agriculture fabrique les paysages, Karthala, 2008
• Laurence Roudart et Marcel Mazoyer, Histoire des agricultures du monde, Du néolithique à la crise contemporaine, Seuil, 1997, 2002.
• Henri Mendras, La fin des paysans, Babel essais, 1967 et 1984
• François Purseigle, Geneviève Nguyen, Pierre Blanc (dir.), Le nouveau capitalisme agricole, de la ferme à la firme, Presses de Sciences Po, 2017
• Sylvie Brunel, Pourquoi les paysans vont sauver le monde, Buchet-Chastel, 2020
• Sylvie Brunel, Plaidoyer pour nos agriculteurs, il faudra demain nourrir le monde, Buchet-Chastel, 2017
• Jean-Paul Charvet, Atlas de l'agriculture : Mieux nourrir le monde, Autrement, 2018
• Danielle Galliano, Benoît Lallau, Jean-Marc Touzard, « Coexistences et transitions dans l’agriculture », Revue Française de Socio-Économie, 2017/1 (n° 18), p. 23-30.

Source : Lettre de cadrage du jury.