[Sur Géoconfluences] Mondes indiens (ENS de Lyon 2026). Ressources classées
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Image de couverture : Vue du chantier de la Mumbai Coastal Road depuis Haji Ali Dargah. Cliché de Noé Parot, 2023. Extrait de : Noé Parot, « Regard géographique. Paysages en chantier de l’urbanisation dans le Sud global », Géoconfluences, mars 2024. |
Le texte de cadrage du jury de l'ENS de Lyon, avec liens vers le glossaire de Géoconfluences
Lettre de cadrage – Concours BEL – Géographie – Session 2026
Question au programme : Mondes indiens
- Expert sollicité par le jury : Frédéric Landy, Professeur de géographie à l’Université Paris Nanterre et chercheur membre de l’UMR LAVUE.
Le nouveau programme porte sur une question de géographie des territoires intitulée « Mondes indiens ».
Au programme de la BEL en 2008, la question revient aujourd’hui au pluriel, marquant ainsi une volonté de souligner la diversité des dynamiques territoriales à l’œuvre dans cet espace. Urbanisation rapide, mutations économiques, enjeux environnementaux, tensions géopolitiques et inégalités sociales sont autant de questions traitées par de nouveaux travaux de géographie francophone invitant à renouveler l’analyse de la région. Fréquemment mobilisés dans les programmes scolaires, les mondes indiens offrent une entrée riche pour penser les articulations entre sociétés, territoires et pouvoirs à différentes échelles.
La question engage une réflexion géographique sur une vaste région située entre l’Himalaya et l’océan Indien, regroupant environ un quart de la population mondiale. Parfois qualifiée de « quasi-continent » (Durand-Dastès, 1995), cette aire géographique englobe cinq états continentaux – l’Union indienne, le Pakistan, le Bangladesh, le Népal et le Bouthan – ainsi que les territoires insulaires du Sri Lanka et des Maldives. Le terme « mondes indiens » ici privilégié vise à rendre compte à la fois de la centralité de l’Inde dans cet espace – qui représente près des trois quarts de sa superficie, de sa population et de sa production – et de l’existence de dynamiques communes à l’ensemble de cette macro-région. Il introduit également une perspective géohistorique entre empire-monde et polycentrisme. Cependant, il est important de noter que l’appellation « Asie du Sud » s’est aujourd’hui largement imposée dans les usages académiques et institutionnels. Bien que l’expression « mondes indiens » puisse également désigner les diasporas sud-asiatiques, présentes bien au-delà des frontières de la région, ces dernières n’entrent pas dans la question. De même, la Birmanie, « pays-passerelle » entre Chine et mondes indiens, Asie du Sud et Asie du Sud-Est, ne sera pas au programme cette année.
Unité géographique, hiérarchies et inégalités sociales
L’unité de cet espace repose sur divers éléments, parmi lesquels des densités démographiques élevées et continues, notamment rurales, une structuration territoriale autour de la plaque indienne et des systèmes fluviaux majeurs tels que ceux du Gange, de l'Indus et du Brahmapoutre, ainsi qu’une large dépendance aux régimes de mousson. La colonisation britannique a également laissé une empreinte durable dans l’organisation de la région, les infrastructures et les hiérarchies sociales. Cependant, cette unité apparente masque une profonde diversité linguistique, religieuse et sociale. La région abrite une multitude de langues appartenant à différentes familles linguistiques. Sur le plan religieux, les mondes indiens sont le berceau de l'hindouisme, du bouddhisme, du sikhisme, et accueille également l'islam et le christianisme, créant ainsi une mosaïque confessionnelle complexe. Le système des castes, bien que principalement associé à l'hindouisme, influence également les hiérarchies sociales qui se maintiennent, malgré les politiques de discrimination positives, grâce à leur paradoxale adaptation à la modernité.
Ruralités et urbanités en recomposition
Les mondes indiens se caractérisent par des dynamiques démographiques intenses et contrastées. Si une part importante de la population est encore rurale, l’urbanisation rapide et différenciée des territoires transforme profondément les structures territoriales. Des couloirs urbains et des systèmes métropolitains régionaux émergent, modifiant les hiérarchies urbaines traditionnelles et redéfinissant les axes de circulation et d’échanges. Plus récemment, des travaux en géographie urbaine, ancrés dans les approches postcoloniales et critiques, se sont penchés sur des objets spécifiques, tels que les usages différenciés des espaces publics, la place des animaux ou encore les multiples formes d’habiter en ville, depuis les marges des « subalternes » jusqu’aux quartiers de la middle class.
Les espaces ruraux restent centraux dans l’organisation territoriale des mondes indiens, en raison de leur poids démographique et de leur rôle dans les dynamiques de mobilité. Ils sont traversés par d’importants mouvements de populations, de l’exode rural aux migrations saisonnières, qui recomposent les liens entre ville et campagne. Au-delà des approches classiques centrées sur les systèmes agraires ou les politiques de développement, de nouveaux travaux, croisant échelle locale et processus globaux, s’intéressent à des thématiques telles que les migrations circulaires, la multifonctionnalité des campagnes, les questions de justice environnementale ou les effets des politiques d’adaptation climatique des territoires ruraux.
Ces évolutions, qui résultent également de choix politiques et de rapports sociaux inégalitaires, accentuent la pression sur les ressources, les services et les infrastructures et génèrent des vulnérabilités multiples, tant dans les espaces urbains que ruraux : insécurité foncière, accès inégal aux soins, à l’éducation ou à l’eau potable, exposition accrue aux risques environnementaux et climatiques. Les travaux récents s’intéressent à la manière dont les populations s’adaptent à ces contraintes : retrait glaciaire dans l’Himalaya, stress hydrique au Pakistan et en Inde, inondations au Bangladesh, risques cycloniques dans le golfe du Bengale ou de submersion des atolls dans l’océan indien, gestion des déchets dans les villes ou pollution agricole.
Diversité et complémentarité des systèmes productifs
Depuis les années 1990, les mondes indiens connaissent des recompositions productives majeures sous l’effet de la libéralisation économique et de la mondialisation. La région, et l’Inde en particulier, s’est affirmée comme un pôle émergent dans des secteurs stratégiques : technologies de l’information et services numériques, industrie pharmaceutique ou industries culturelles. Ces activités, fortement territorialisées, se situent principalement dans les grandes métropoles – Delhi, Mumbai, Karachi, Dhaka ou Bangalore – qui concentrent les flux économiques, les fonctions stratégiques et les investissements. Elles sont aussi les lieux d’inégalités territoriales importantes, marquées par l'étalement urbain, la ségrégation socio-spatiale et les différences d’accès aux services urbains.
Cette dynamique économique s’inscrit dans des territoires caractérisés par une forte hétérogénéité des systèmes productifs. Les espaces intégrés – notamment les corridors métropolitains, les zones franches ou les technopôles – coexistent avec des territoires plus périphériques, où dominent des activités faiblement capitalisées, comme certaines agricultures vivrières, des industries manufacturières informelles ou artisanales, ou encore des économies extraverties mais vulnérables (textile, pêche, tourisme). Cette juxtaposition de logiques productives traduit une géographie économique à la fois fragmentée et complémentaire. De plus, malgré leur intégration progressive à l’économie mondiale, les mondes indiens restent encore très tournés vers leur marché intérieur.
L’agriculture, qui structure toujours l’occupation du sol et l’emploi rural, reflète aussi cette diversité. Tandis que certaines zones bénéficient d’une intensification permise par la Révolution verte, l’irrigation ou la mécanisation, d’autres restent marquées par une faible productivité, une dépendance à la mousson, et presque toutes connaissent une forte vulnérabilité socio-économique. Les politiques agricoles oscillent entre soutien aux filières d’exportation, programmes de sécurité alimentaire, subventions ciblées et expérimentations locales en agroécologie. Dans certains cas, des initiatives communautaires ou étatiques ont permis une amélioration des revenus, une gestion plus durable des ressources ou une meilleure organisation des producteurs. Toutefois, les défis restent importants.
Territoires politiques et circulations
Les mondes indiens forment un espace politique fragmenté, hérité des décolonisations du XXe siècle, en particulier de la Partition de 1947 sur des bases religieuses. On interrogera la construction et l’évolution des frontières dans la région, tout comme les mobilités pour comprendre la complexité des interactions transfrontalières dans cette macro-région. Aux côtés de l’Union indienne, vaste démocratie fédérale dont les 28 États sont très autonomes, coexistent des régimes politiques contrastés : monarchie constitutionnelle au Bhoutan, républiques islamiques au Pakistan et au Bangladesh, ou régime présidentiel aux Maldives.
Malgré cette diversité, les États de la région partagent des trajectoires de construction territoriale comparables : affirmation d’identités plurielles, déploiement d’un maillage administratif, gestion de tensions interethniques, religieuses et politiques (révoltes maoïstes au Népal ou chez les « naxalites » de l’Inde), rapports parfois conflictuels entre centres et périphéries, et politiques de développement territorial.
L’étude de ces recompositions politiques doit s’envisager aux échelles locales, à celle des États fédérés et des provinces, à celle des pays, mais aussi à l’échelle régionale. L’espace sud-asiatique constitue un ensemble marqué par des relations ambivalentes entre les États : les logiques de bon voisinage – fondées sur les échanges culturels, linguistiques, migratoires ou économiques – tendent à laisser la place à des tensions géopolitiques parfois vives. Les rivalités historiques entre l’Inde et le Pakistan, les revendications frontalières et l’enjeu des Nouvelles routes de la soie avec la Chine, les différends territoriaux ou fluviaux avec le Népal, le Bangladesh ou Sri Lanka, les contentieux liés aux minorités transfrontalières, ou encore la présence des États-Unis qui ont fait de la région un pivot de leur stratégie indopacifique, freinent toute tentative d’intégration régionale forte, malgré la création d’instances de coopération.
Enfin, les candidates et candidats devront se garder d’une approche misérabiliste des mondes indiens. Si l’analyse des vulnérabilités sociales, des inégalités ou des risques environnementaux est essentielle, il serait réducteur d’en faire l’unique prisme de lecture. Adopter une perspective nuancée permet de restituer la complexité de cet ensemble régional et d’appréhender un espace-monde en pleine mutation, dont l’importance ne cesse de croître dans le monde actuel.
Bibliographie indicative
- Voir le dossier « Le monde indien : populations et espaces » sur Géoconfluences
- Voir également le dossier « Mondes urbains indiens » dans la revue en ligne Urbanités
- Cadène P., Dumortier, B., Bautès, N. et Boillot, J.-J. (2015). L’Inde : une géographie, Armand Colin.
- Landy, F. et Varrel, A. (2015). L’Inde. Du développement à l’émergence, Armand Colin.
- Saint-Mézard, I. (2016). Atlas de l’Inde, une nouvelle puissance mondiale, Atlas Autrement.
Outils de travail
- Bibliographie indicative
- Banque d’images (avec le mot-clé : Inde) | glossaire | carte interactive
- Dossier : Le monde indien : populations et espaces
- Glossaire du dossier
- Un fond de carte réalisé avec Graticule, muet et en noir et blanc, en trois formats : png | svg | pdf
Généralités
- Vincent Capdepuy, « Monde(s) indien(s), géohistoire d’une expression géographique », juin 2025.
- Jean-Benoît Bouron, Laurent Carroué et Hélène Mathian, « Représenter et découper le monde : dépasser la limite Nord-Sud pour penser les inégalités de richesse et le développement », décembre 2022.
- Sébastien Oliveau, Pascal Boyries et Marie-Christine Doceul, « Monde indien : cadrage général », mars 2015.
- Marie-Christine Doceul et Hervé Parmentier, « Découvrir Bhuvan, le portail d'information géographique indien », mars 2015.
Géohistoire
- Vincent Capdepuy, « Monde(s) indien(s), géohistoire d’une expression géographique », juin 2025.
- Sébastien Oliveau et Anne Buisson, « Le quasi-continent indien à l'épreuve du modèle de l'empire-monde », mars 2015.
- Joël Querci et Sébastien Oliveau, « Le système urbain indien : une construction ancienne en changement rapide », mai 2015.
Espaces productifs, agriculture, insertion dans la mondialisation
- Yves-Marie Rault-Chodankar, « L’Inde dans la mondialisation pharmaceutique Sud-Sud », mai 2025.
- Jérémy Denieulle, « Géopolitique du blé : une céréale dans la mondialisation », novembre 2023.
- Guillaume Baÿ et Marie-Christine Doceul, « Acteurs, pratiques et territoires du sport en Inde, entre traditions sportives et adaptation aux pratiques mondialisées », octobre 2015.
- Aurélie Varrel et Hortense Rouanet, « De Bangalore à Whitefield : trajectoire et paysages d’une région urbaine en Inde », mars 2015.
- [Népal] Blandine Ripert, « Un processus de mondialisation observé à l'échelle locale au Népal central : transformations agricoles, économiques, politiques et sociales au bout du monde », mars 2015.
- Martin Michalon, « Image à la une : au Ladakh, « une route dans le ciel » », janvier 2014.
Fait urbain, démographie
- Noé Parot, « Regard géographique. Paysages en chantier de l’urbanisation dans le Sud global », mars 2024.
- L’Inde, État le plus peuplé du monde devant la Chine, brève de Géoconfluences
- Joël Querci et Sébastien Oliveau, « Le système urbain indien : une construction ancienne en changement rapide », mai 2015.
- François Durand-Dastès, « Les hautes densités démographiques de l'Inde », mars 2015.
Place des femmes
- Kamala Marius, « Les inégalités de genre en Inde », novembre 2016.
- Bénédicte Manier, « Les femmes en Inde : une position sociale fragile, dans une société en transition », mars 2015.
Stratification sociale
- Bertrand Lefebvre, « Les minorités tribales dans les territoires de l'Union indienne », mars 2015.
- Sylviane Tabarly, « Les castes en Inde, un millefeuille social entre mythes et réalités », octobre 2007.
Fait religieux
- [Birmanie] Martin Michalon, « Religions, politique et espace(s) : « la question rohingya » en Birmanie (Myanmar) », octobre 2016.
- Philippe Cadène, « Les liens entre dieux, société et nature en Inde », octobre 2016.
- Perrine Vincent, « Image à la une : eau pure, eau polluée, le Gange à Varanasi (Inde) », février 2015.
- [Népal] Marie Gibert, « Les territoires du sacré, le sacre du territoire. Religion, urbanité, société : l’exemple de Katmandou », décembre 2008.
Santé
- Yves-Marie Rault-Chodankar, « L’Inde dans la mondialisation pharmaceutique Sud-Sud », mai 2025.
- Virginie Chasles, « Les inégalités de santé dans les pays émergents, le cas de l’Inde », septembre 2022.
- Virginie Chasles, « Les flux internationaux de personnel de santé, une illustration des inégalités de développement », juin 2012.
- Virginie Chasles, « Se déplacer pour se faire soigner : une mobilité en expansion, généralement appelée "tourisme médical" », février 2011.
Environnement
- [Maldives] Virginie Duvat, « La crise climatique crée-t-elle une situation d’urgence dans les atolls ? », mai 2024.
- Virginie Chasles, « Les inégalités de santé dans les pays émergents, le cas de l’Inde », septembre 2022.
- Perrine Vincent, « Image à la une : eau pure, eau polluée, le Gange à Varanasi (Inde) », février 2015.
Politique et démocratie
- Marie Dougnac, « Les élections législatives 2024 en Inde : l'instrumentalisation de la religion par un pouvoir nationaliste hindou », juillet 2024.
- « L’Inde, une démocratie en (dys)fonctionnement », brève de Géoconfluences, avril 2024.
- Ingrid Therwath, « La démocratie indienne est-elle représentative ? », mars 2015.
L’Inde dans la géopolitique mondiale
- Jean-Benoît Bouron, « La course à l'espace extra-atmosphérique entre défis scientifiques, compétition économique et rivalités de puissance », septembre 2024.
- Vincent Capdepuy, « Le Sud global, un nouvel acteur de la géopolitique mondiale ? », septembre 2023.
- Catherine Biaggi et Laurent Carroué, « Affirmer sa puissance : forces sous-marines et dissuasion nucléaire, enjeux géographiques et géostratégiques », septembre 2020, dernière mise à jour en septembre 2023.
- Vaimiti Goin, « L’espace indopacifique, un concept géopolitique à géométrie variable face aux rivalités de puissance », octobre 2021.
- Vincent Doumerc, « Les bases spatiales dans le monde : les interfaces Terre-espace », mars 2021.
Deux articles sur les diasporas (hors de la question au programme de l’ENS)
- Pierre-Yves Trouillet, « Les populations d'origine indienne hors de l'Inde : fabrique et enjeux d'une "diaspora" », septembre 2015.
- Philippe Venier, « L'émigration indienne vers le golfe Persique », septembre 2015.
Pour citer cet article :
Jean-Benoît Bouron, « [Sur Géoconfluences] Mondes indiens (ENS de Lyon 2026). Ressources classées », Géoconfluences, mai 2025.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/programmes/concours/mondes-indiens-ens-lyon-2026-ressources