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Sociétés humaines et territoires dans un climat qui change. Du réchauffement climatique global aux politiques climatiques

Publié le 24/04/2023
Auteur(s) : Magali Reghezza-Zitt, maîtresse de conférences HDR en géographie - École normale supérieure de Paris

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Ce texte fait le point sur l’état des connaissances scientifiques actuelles sur le réchauffement climatique. Il s’appuie principalement sur une analyse minutieuse du 6e rapport du GIEC et présente les faits sans les noircir, mais sans occulter non plus l’ampleur du défi : il est encore possible d’éviter des conséquences graves et irréversibles pour l’humanité à moyen terme, mais seulement avec des décisions politiques rapides, globales et systémiques, impliquant notamment une meilleure distribution des richesses.

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Le climat, qu’il ne faut pas confondre avec le temps qu’il fait (la « météo »), est une description statistique de l’état du « système climatique ». Celui-ci comprend l’atmosphère, l’hydrosphère, la cryosphère, la lithosphère et la biosphère. Cette description est fondée sur les moyennes et les écarts à cette moyenne (la variabilité) d’un certain nombre de paramètres (température, hauteur des précipitations, vent), qui sont établis sur des périodes allant de quelques mois, à des milliers, voire des millions d’années.

Depuis 1850–1900, le climat de la Terre s’est réchauffé à une vitesse inédite depuis au moins 2000 ans. La montée du niveau de la mer est inédite depuis 3000 ans et le recul généralisé des glaciers depuis 2000 ans. La perte de glace du Groenland et de l’Antarctique a été multipliée par 4 depuis 30 ans. Ces chiffres indiquent tous des ruptures brutales à l’échelle des dynamiques planétaires, qui se répercutent sur l’ensemble des composantes, biotiques et abiotiques, du système Terre, avec des conséquences, et donc des risques, importants pour les sociétés humaines, quel que soit le territoire qu’elles habitent.

 

1.Le climat de la Terre se réchauffe rapidement du fait des activités humaines

Selon le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), le changement climatique désigne « la variation de l’état du climat, qu’on peut déceler par des modifications de la moyenne et/ou de la variabilité de ses propriétés, et qui persiste pendant une longue période, généralement des décennies ou plus ». Depuis la fin de la période dite « pré-industrielle » (après 1850), on observe un réchauffement rapide et important du climat de la Terre. Le climat de la Planète change rapidement : c’est un fait scientifiquement observé et démontré.

1.1. Pourquoi le climat se réchauffe-t-il ?

Le changement climatique actuel est lié à une modification de la composition de l’atmosphère qui se traduit par un réchauffement global. Il correspond à un déséquilibre du bilan radiatif de la Terre (document 1).

Document 1. Bilan radiatif de la Terre et effet de serre

Bilan radiatif et effet de serre

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Le bilan radiatif désigne l’ensemble des rayonnements (avec les énergies associées) qui partent et qui arrivent sur la Terre. On parle aussi d’effet de serre. Celui-ci joue un rôle essentiel pour l’équilibre thermique de la planète, puisque sans lui, la température moyenne du globe serait d’environ -18°C, au lieu de 15°C actuellement. L’effet de serre est produit par des gaz présents dans l’atmosphère (les gaz à effets de serre ou GES), qui absorbent une partie du rayonnement infrarouge et le réémettent en direction de la Terre, en la réchauffant à nouveau avant de repartir vers l'espace.

Les GES qui pèsent le plus dans le réchauffement actuel sont le CO2 (dioxyde de carbone) et le méthane. Ils créent un forçage radiatif positif (réchauffement). S’ajoutent des gaz à courte durée de vie, considérés comme des polluants (monoxyde de carbone (CO), azote) issus de la combustion d’énergies fossiles ou de certains procédés industriels (fabrication d’engrais, raffinage), qui, sans être des GES, forment ou détruisent des composants atmosphériques et accentuent le forçage positif.

À l’inverse, les aérosols, qui sont de fines particules en suspension dans l’atmosphère, ont un effet refroidissant qui masque la tendance structurelle au réchauffement. Ils peuvent être d’origine humaine (pollution) ou naturelle (volcanisme, sables, poussières, etc.). En Europe et en Méditerranée, la mise en œuvre de politiques d’amélioration de la qualité de l’air ont significativement réduit la présence de ces aérosols dans l’atmosphère. En revanche, lorsque les particules se déposent sur la neige ou la glace et la noircissent, elles réduisent le potentiel de réflexion de la surface (albédo), ce qui renforce l’absorption solaire. Le changement d’albedo provoque donc non seulement une accélération de la fonte des glaces, mais contribue au réchauffement. C’est ce qui explique en partie que les régions froides sont celles qui se réchauffent le plus vite.

1.2. Le réchauffement actuel est à 100 % d’origine humaine

La science est aujourd’hui capable de démontrer que le réchauffement actuel est à 100 % d’origine humaine.

Le système climatique est un système complexe, qui évolue dans le temps, sous l’effet de sa propre dynamique interne (les interactions et rétroactions entre les cinq composantes) et de « forçages externes » (éruptions volcaniques, variations de l’activité solaire ou de l’orbite terrestre). Il existe donc une variabilité naturelle du climat, qui fait intervenir différentes échelles temporelles et spatiales. Ainsi, en 1991, suite à l’éruption du Mont Pinatubo, la présence des aérosols s'est traduite par un refroidissement de l'atmosphère d'environ 0,2 à 0,7°C dans l’hémisphère nord. Lors du crétacé supérieur (il y a environ 80 millions d'années), la température était par exemple de 6°C supérieure à l’actuelle. On parle souvent du petit âge glaciaire qu'a connu l'Europe entre les XVe et XIXe siècles.

Le réchauffement actuel est différent, tant par sa vitesse que son amplitude thermique et spatiale. Les évolutions observées (et non simplement modélisées) par les scientifiques sont sans équivalent depuis des milliers d'années, voire pour certaines, jamais mesurées auparavant (y compris dans des paléo-climats).

Pour comprendre les causes du réchauffement actuel, les scientifiques comparent les niveaux effectivement observés depuis 1850-1900 et ceux simulés en faisant uniquement intervenir des facteurs naturels (solaires et volcaniques), comme sur le document 2 ci-dessous. Le changement climatique actuel dépasse les seuils de variabilité naturelle. On peut ainsi démontrer l’influence humaine sur le climat.

Document 2. Changements de la température de surface globale par rapport à 1850–1900

Changements de la température de surface globale par rapport à 1850–1900

Source : GIEC, groupe 1, 6e rapport d’évaluation, traduction de Yann Rozier, 2021.

 

La science peut aujourd’hui montrer que c’est le cumul de CO₂ qui détermine le niveau de réchauffement. Le méthane, GES puissant mais à durée de vie plus courte (une dizaine d'années), joue aussi un rôle important. L’effet cumulatif du CO2 signifie que plus on continue à ajouter du CO2 dans l’atmosphère, plus le climat de la Terre se réchauffe. Par conséquent, pour stopper le réchauffement, il faut, non pas arrêter totalement d’en émettre (c’est impossible), mais viser un « net zéro émission », c’est-à-dire un bilan nul entre ce qui est émis et ce qui est recapté. L’atteinte du « net zéro » conduira à une stabilisation rapide de la température globale. Pour revenir en arrière, il faudra ensuite « retirer » le CO2 excédentaire accumulé.

 
Encadré 1 : Qu’est-ce que le GIEC ?

Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) a été créé en 1988 et a publié son premier rapport dit d’évaluation (AR1) en 1990. Outre les rapports d’évaluation, le GIEC publie des rapports spéciaux sur des thèmes précis (à ce jour, 3 rapports : réchauffement planétaire de 1,5 °C (dit rapport 1.5) ; terres émergées ; océan & cryosphère). Une équipe spéciale du GIEC, dédiée, produit enfin des méthodologies et des lignes directrices pour les inventaires nationaux de gaz à effet de serre.

Le GIEC n’est pas un laboratoire de recherche, ni même une association de personnes physiques. Il regroupe des pays. Les personnes qui siègent aux assemblées sont des représentants des pays membres.

Le GIEC n'est pas prescriptif : les rapports n’émettent aucune recommandation. Il ne mène aucune recherche. Chaque rapport du GIEC évalue « sans parti pris et de manière méthodique et objective », à un temps t, l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique, ses causes, ses impacts potentiels et les réponses en matière d’atténuation et d’adaptation. Par connaissances scientifiques, on entend toute connaissance publiée dans une revue après évaluation par les pairs. Par exemple, pour le premier tome du 6e rapport d’évaluation, 234 auteurs de 65 pays ont examiné plus de 14 000 études.

Chaque gouvernement dispose d’un point focal national. En France, c’est l’ONERC (Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique) qui joue ce rôle.

Le GIEC fonctionne sur la base d’une assemblée générale plénière qui se réunit une ou deux fois par an et dans laquelle chaque membre dispose d’une voix. Les décisions se prennent par consensus. Il existe aussi un bureau, qui est élu pour sept ans, soit la durée de l’établissement d’un rapport d’évaluation.

L’expertise scientifique collective est conduite par trois groupes de travail

  • le groupe de travail 1 évalue l’état des connaissances sur le système climatique et de l’évolution du climat ;
  • le groupe de travail 2 concentre son travail sur les « impacts » (conséquences négatives et positives) et l’adaptation ;
  • le groupe de travail 3 se consacre à l’atténuation, c’est-à-dire les solutions envisageables pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.

Le périmètre de ces groupes évolue au fil des rapports, en fonction là encore de l’avancée des connaissances scientifiques. Par exemple, pour l’AR6 (le sixième rapport), la question de l’adaptation a pris plus de place, avec une ouverture plus large aux disciplines de sciences humaines et sociales.

Le processus de rédaction comporte trois phases de relecture par la communauté scientifique et les gouvernements. Tous les commentaires d'experts et de gouvernements sont pris en compte, soit plus de 78 000 commentaires pour le dernier rapport d'évaluation (dit « ARS6 ») du seul groupe 1.

Une fois la rédaction achevée, les gouvernements membres du GIEC doivent entériner le rapport, à l’issue d’un échange entre ceux qui l’ont rédigé (les scientifiques) et les représentants de ces gouvernements. Les gouvernements valident les résumés des rapports (résumé technique et résumé aux décideurs, SPM). En revanche les rapports sont de la responsabilité des auteurs. Ces auteurs sont des scientifiques, bénévoles. Les seules personnes rémunérées sont celles des unités d’appui technique qui existent dans chaque groupe de travail et aident auteurs et coordinateurs.

MRZ. Cet encadré a en partie inspiré la mise à jour de l’entrée « GIEC » du glossaire de Géoconfluences. Sources : https://www.ecologie.gouv.fr/publication-du-6e-rapport-synthese-du-giec et https://www.ipcc.ch.


 

2. Les impacts actuels du changement climatique d’origine anthropique

Le climat de la Terre s’est déjà réchauffé de +1,1°C par rapport à l’ère pré-industrielle (1850-1900). Ce chiffre signifie que la température annuelle moyenne, à l’échelle mondiale, enregistrée entre 2011 et 2020 a été supérieure de 1,1°C à celle enregistrée entre 1850 et 1900. L'augmentation apparaît après les années 1975 avec un taux de 0,15 à 0,20 °C par décennie. Selon le rapport, « les changements sont désormais généralisés, rapides » et surtout, « s'intensifient ». Le niveau de la mer s'est ainsi élevé à un rythme plus rapide en cent ans qu’au cours des derniers 3 000 ans. Les quatre dernières décennies ont été successivement « décennie la plus chaude » depuis la fin des années 1800.

2.1. Des conséquences déjà irréversibles à l’échelle mondiale

Le changement climatique affecte déjà toutes les régions de la Terre, avec certes des différences régionales. Le réchauffement est intensifié au-dessus des continents et les extrêmes chauds sont exacerbés par l'effet d'îlot de chaleur dans les villes (ICU). Il entraîne des effets chroniques (remontée du niveau marin, pression sur la ressource en eau, atteintes à la biodiversité) et des stress aigus (extrêmes hydro-climatiques). On observe aussi des records de température partout dans le monde, en particulier au niveau des pôles. Certains extrêmes chauds de la dernière décennie auraient été extrêmement improbables sans l'influence humaine sur le système climatique. Enfin, la proportion de cyclones tropicaux les plus intenses (catégorie 3 à 5) a augmenté (aR61 ; Cassou et Masson-Delmotte, 2022).

Document 3. Ampleur des changements par type et degré de fiabilité de la connaissance

Ampleur des changements par type et degré de fiabilité de la connaissance

Source : GIEC, 2022. Traduction : Géoconfluences, 2023.

 

Certaines conséquences sont déjà irréversibles, c’est-à-dire sans retour en arrière possible à moyen ou long terme. L’irréversibilité se compte en décennies pour les glaciers, en siècles pour l'océan profond, en millénaires pour le Groenland et l'Antarctique. La montée du niveau des mers se poursuivra à l'échelle de siècles, voire de millénaires.

De plus, le changement climatique a des effets très importants sur l’érosion de la biodiversité, qui est également menacée par des facteurs non climatiques. Pour un réchauffement à 3°C additionnel, on estime à 20 % la perte de biodiversité à l’échelle planétaire. Par ailleurs, les milieux ont d’ores et déjà commencé à se modifier, de l’échelle des écosystèmes à celle des biomes. La moitié des espèces marines et terrestres étudiées (plantes et animaux) migrent déjà pour préserver leurs conditions de survie, avec par exemple une baisse du potentiel de prises de pêches dans les océans tropicaux.

Ces évolutions ont des conséquences directes et indirectes sur les sociétés humaines. Les stress thermiques et hydriques menacent la sécurité en eau, la sécurité alimentaire, affectent la santé (santé au travail, mortalité associée aux vagues de chaleur, certaines maladies, santé mentale) et, au-delà, toutes les dimensions de la vie sociale (emploi, éducation, mobilités, logement, culture, égalité homme-femme, etc.). Tous les secteurs économiques sont concernés.

3,3 à 3,6 milliards de personnes sont déjà très vulnérables aux conséquences du changement climatique. Elles habitent majoritairement dans les petites îles, les régions de montagne, l'Arctique, le pourtour de la Méditerranée, et les pays les moins avancés – où se conjuguent des impacts ((Impact, dans le sens de « conséquence effet », est un anglicisme. Toutefois, c’est le terme utilisé dans les traductions officielles des textes du GIEC en français. Le terme est aujourd’hui stabilisé dans la littérature scientifique sur le réchauffement climatique.)) majeurs et une forte vulnérabilité liée à la précarité des conditions de vie. Même dans les pays développés, individus, entreprises et territoires, sont extrêmement sensibles au climat qui change.

 
Encadré 2. À l’échelle intra-urbaine, l’îlot de chaleur urbain (ICU)

L’augmentation et l’intensification des extrêmes chauds revêt une dimension particulière lorsque les vagues de chaleur se produisent dans des espaces urbanisés. C’est le phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU). Il s’agit de la différence de température entre l’espace urbain, plus chaud, et sa périphérie, plus fraîche.

La température en ville dépend de la température ambiante de la région, mais elle est augmentée à cause de la forme urbaine, l’architecture, les matériaux utilisés, l’absence de végétalisation. Ainsi, les immeubles bloquent la circulation de l'air, les matériaux de construction emmagasinent la chaleur, que la climatisation rejette dans la rue. Interviennent aussi la circulation automobile, l'industrie, etc. L’ICU est plus important la nuit, car alors que la périphérie se refroidit, constructions et voirie rejettent la chaleur stockée pendant la journée.

L’ICU a des conséquences majeures en matière de santé publique, car il empêche les organismes de récupérer. Une étude portant sur 42 villes a montré que plus la commune est peuplée, plus elle est sujette à l’îlot de chaleur. Toutefois, de petites villes comme Belfort ou Beauvais sont également concernées. En effet, la densité du bâti n’est pas le seul facteur explicatif de l’ICU. À Paris, le phénomène est très marqué, du fait de la continuité urbaine, avec en outre une hauteur des bâtiments très importante qui freine la circulation de l’air. Inversement, Montpellier est la seule agglomération de plus de 400 000 habitants où l’ICU est négligeable.

L’étude montre aussi que pour les communes-centre des agglomérations, la majorité de la population est exposée à un ICU fort ou très fort : Paris a 100 % de sa population concernée, Lille 88 %, Lyon 83 %.

Cartes à retrouver sur https://www.francetvinfo.fr/meteo/canicule/carte-paris-lille-toulouse-lyon-grenoble-bordeaux-visualisez-l-ilot-de-chaleur-dans-votre-zone-urbaine_4719121.html


 

2.2. Des risques composites et systémiques

Les perturbations provoquées par le réchauffement climatique interagissent, ce qui en amplifie les effets. Elles peuvent se produire simultanément, de manière successive ou se combiner avec d’autres aléas climatiques ou non-climatiques (document 4). Par exemple, des températures élevées, ajoutées au vent et à une faible humidité créent des « sécheresses éclairs ». Contrairement à la sécheresse agricole qui met plusieurs semaines à s’installer, ce type de sécheresse est courte, mais très violente, à cause de l’évapotranspiration accélérée par la température élevée et l’aridité de l’air. Il n’existe pour l’heure aucun système d’alerte adapté.

On peut aussi évoquer le radoucissement des températures hivernales, qui provoque un débourrage précoce des bourgeons, qui deviennent alors sensibles aux gelées tardives, entraînant des pertes massives pour l’arboriculture et la viticulture.

Document 4. Les effets en cascade

Les effets en cascade

Source : GIEC, groupe 3, 6e rapport d’évaluation, traduction de Géoconfluences, 2023.

 

Le GIEC met l’accent sur les interdépendances, les rétroactions, les processus d’amplification et les effets de seuil qui créent des risques systémiques. L’agriculture est un bon exemple de ces effets « cascade ». Les risques de calamité agricole sont accrus par la multiplication et l’intensification des extrêmes chauds, secs et humides, qui affectent la production, diminuant le rendement et donc, le revenu agricole. Cela peut pousser les producteurs soit à intensifier, soit à augmenter les surfaces, avec de nouvelles pressions sur le milieu et des boucles de rétroaction négatives sur le climat. La baisse de la production conduit à une augmentation des prix, rendant difficile l’accès à l’alimentation pour les plus pauvres. Parallèlement, la forte teneur en CO2 réduit la valeur nutritive des aliments. Le risque de malnutrition s’accroît.

2.3. Une inégale vulnérabilité

L’ampleur des impacts du réchauffement climatique est corrélée aux vulnérabilités, actuelles et héritées, qui limitent les capacités d’adaptation. La vulnérabilité est « exacerbée » par des inégalités de différente nature, qui interagissent (document 5).

Document 5. Intersectionnalité et vulnérabilité multidimensionnelle face aux risques

Intersectionnalité et vulnérabilité multidimensionnelle face aux risques

Source : GIEC, groupe 2, 5e rapport d’évaluation, traduction de Géoconfluences, 2023. Certains termes contenus dans l'illustration sont définis dans le glossaire de Géoconfluences : assignation raciale, ethnicité, genre, intersectionnalité...

 

Le problème est que les politiques climatiques entraînent à leur tour des coûts de transition qui pèsent généralement plus fortement sur les plus vulnérables aux effets du réchauffement. Sans répartition équitable de l’effort et prise en compte des inégalités, sans redéfinition de la solidarité, sans accompagnement des effets possiblement régressifs, autrement dit sans transition juste, aucune « acceptabilité » sociale n’est possible et l’efficacité des mesures est compromise.

Dans les textes du GIEC et de l’ONU, la « transition juste » désigne la garantie des moyens de subsistance et la lutte contre les inégalités tout en s'orientant vers un avenir à faible émission de carbone. Elle est « essentielle pour réduire les risques climatiques et répondre aux priorités du développement durable ».

Une transition juste exige « l'élimination des facteurs sous-jacents de vulnérabilité et d'émissions élevées » et la prise en compte des intérêts des différentes communautés et cultures. Les politiques climatiques ne doivent pas « perpétuer les asymétries entre les États et les populations plus riches et plus pauvres », ni « remplacer les anciennes formes d'injustice par de nouvelles ».

 
Encadré 3. Conséquences du réchauffement climatique pour la France

Depuis la période 1901–1930, le climat de la France s’est réchauffé de +1,7°C. La température annuelle moyennée sur le pays a atteint 14,1 °C, dépassant la normale (période référence 1961-1990) de 2,3 °C. Selon Météo-France, le climat d'aujourd'hui à Lyon est le même que celui observé à Montélimar il y a trente ans.

On observe depuis plusieurs années un recul des glaciers qui va jusqu’à leur disparition et une tendance à la précocité des vendanges depuis 1980, alors que les dates sont relativement stables depuis le Moyen Âge. À Beaune par exemple, en cinquante ans, elles ont avancé de 20-25 jours. Le recul du littoral est net : près de 20 % du trait de côte naturel est en recul et environ 30 km² de terre ont disparu sur une période de 50 ans (source). À la variabilité naturelle s’ajoute l’action anthropique et les effets de la remontée du niveau marin.

À horizon 2030–2040, même pour un scénario de réchauffement moyen, les modélisations font état de modifications très importantes des températures, de la sécheresse et des vagues de chaleur (document 6).

Document 6. Effets du réchauffement climatique en France

6a. Sécheresse des sols

sécheresse des sols

6b. Températures saisonnières

températures moyennes par saison

6c. Aléas et risques

aleas climatiques

Source : Haut Conseil au Climat, rapport annuel, 2021. Les cartes sont à retrouver sur cette page (PDF).

De plus, on observe déjà une perturbation du cycle de l’eau, avec des précipitations hivernales légèrement plus importantes sur le Nord de la France (en moyenne) et des précipitations estivales plus faibles (en moyenne) sur l’ensemble du pays, avec un déficit plus marqué pour le Sud de l’hexagone et la Bretagne. La saisonnalité des précipitations augmente. Le niveau de réchauffement accroît les changements, sans modifier la répartition spatiale. La pluviométrie aura des conséquences sur le débit des cours d’eaux, essentiellement en été, avec une baisse des débits d’étiage. Ainsi, le débit d’étiage de la Garonne baissera d’environ 30 % d’ici 2030, quel que soit le scénario. La baisse de l’enneigement se traduira par une baisse du débit des cours d’eaux alimentés par la fonte de printemps. La saisonnalité des crues torrentielles de montagne sera aussi modifiée. Enfin, avec l’augmentation du nombre de jours chauds, l’évaporation et l’évapotranspiration augmentent, avec des conséquences sur la disponibilité de la ressource.

Le changement climatique a aussi des conséquences démontrées sur la fréquence et l’intensité des extrêmes secs, chauds et humides. On est aujourd’hui capable de faire le lien entre le niveau de réchauffement et l’augmentation de la probabilité d’occurrence de certains événements. Ainsi, la vague de chaleur de septembre 2019 avait 150 fois plus de chance de se produire qu’au début du siècle.

60 % des Français sont d’ores et déjà exposés à des risques climatiques sur le territoire national, avec toutefois une répartition très inégale selon le type d’aléa. Ainsi, en 2016, 64 % des communes étaient exposées à un aléa inondation (débordement, remontée de nappe, submersion marine, pluvial), 19 % au feu de forêts. 36 % des communes étaient exposées à deux aléas, 10 % à trois. Les territoires ultramarins exposés aux cyclones présentaient une forte vulnérabilité du fait de la densité de la population et des bâtiments sans étages dans les zones inondables (source).

Ces risques sont majeurs : entre 1900 et 2017, sur les 180 événements recensés, 9/10 relevaient du climat, 2/3 des inondations, 1/5 d’aléas atmosphériques (tempêtes, cyclones). 85 % des décès sont imputables aux vagues de chaleur. En augmentant les risques de sécheresse, le réchauffement a également un impact accru sur le retrait-gonflement des argiles, responsable de la fissuration des bâtiments.

Les conséquences immédiates seront une augmentation des taux de sinistralité. L’association française des assureurs prévoit par exemple un doublement du coût des sinistres d’origine climatique à horizon 2050 (de 69 milliards d’euros pour la période 1989-2019 à 143 milliards d’euros en cumulé entre 2020 et 2050). Certains tablent même sur une augmentation de la sinistralité de +60 % à la même échéance à cause d’inondations, sécheresses et grêles plus fréquentes et plus sévères. Seul le taux de sinistralité relative aux tempêtes devrait rester inchangé. Le changement climatique serait responsable d'environ 35 % de ces évolutions, le reste étant liés à des dynamiques économiques et démographiques.

MRZ


 

3. Les effets projetés du changement climatique en fonction du niveau de réchauffement

Le réchauffement de l’atmosphère entraînera des perturbations majeures sur les paramètres hydro-climatiques : températures moyennes, précipitations, humidité des sols, extrêmes chauds, secs et humides. L’intensification du cycle de l’eau conduira à des pluies plus intenses et une intensification des saisons sèches et des sécheresses. Si l’on s’attend à une augmentation, à l’échelle mondiale, des précipitations annuelles moyennes sur les terres émergées, la variabilité au cours de chaque saison et d'une année à l'autre augmentera (document 7). Le recul, voire la disparition des glaciers et de la banquise arctique se poursuivra pendant au moins plusieurs décennies, et l’arrêt ou le ralentissement dépendront des trajectoires d’émissions.

Les multiples conséquences deviendront de plus en plus difficiles à gérer du fait des risques composites et des effets cascades (voir partie 2 ci-dessus). Des extrêmes simultanés à la surface du globe pourront interagir avec des pandémies ou des conflits. Les conséquences économiques pourraient se propager très rapidement du fait de la mondialisation.

Document 7. Scénarios d'évolution des précipitations et de l'humidité à 1,5°C, à 2°C et à 4°C

scénarios températures

Source : GIEC, groupe 1, 6e rapport d’évaluation, traduction de Yann Rozier.

 

3.1. Chaque dixième de degré compte

Les perturbations à venir sont étroitement corrélées au niveau de réchauffement. Chaque +0,5°C supplémentaire augmentera d'un tiers le risque climatique mondial. Toujours à l'échelle mondiale, les épisodes de précipitations quotidiennes extrêmes s'intensifieront d'environ 7 % pour chaque degré Celsius supplémentaire de réchauffement climatique (document 8).

À +2°C, les régions dépendant de la fonte de la neige pourraient faire face à une diminution de 20 % de la disponibilité en eau pour l'agriculture. Les extrêmes chauds dépasseraient fréquemment les seuils de tolérance connus pour les activités agricoles et la santé humaine. Une canicule comme celle que la France a connu en juin 2019 a actuellement une chance sur 50 par an de se produire. À 1,5°C, ce sera 1 chance sur 10. À 2°C une chance sur 4.

Document 8. Augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes extrêmes

Augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes extrêmes

Source : GIEC, groupe 1, 6e rapport d’évaluation, traduction de Yann Rozier.

 

3.2. Des écosystèmes poussés à la limite de leurs capacités d’adaptation

Le risque d'extinctions dans les points chauds de biodiversité est multiplié par 10 entre 1,5°C et 3°C de réchauffement. Au-delà de +2°C, les écosystèmes seront poussés au-delà de leurs capacités d’adaptation naturelles. L’érosion de la biodiversité va plus généralement s’accroître, avec la disparition des coraux d'eau chaude dès +1,5°C, et des atteintes majeures aux autres écosystèmes côtiers et aux forêts. Les conditions propices aux incendies vont augmenter, y compris dans des territoires jusque-là pas ou peu exposés, comme c’est déjà le cas dans les forêts boréales.

Les températures influencent la répartition des biomes. En France, des espèces méditerranéennes comme le chêne vert ou le chêne liège pourront s’acclimater dans la partie septentrionale de l’hexagone (Bretagne, région parisienne), tandis que le hêtre vert devrait disparaître progressivement pour migrer vers le nord de l’Europe. Sapins collinéens des Vosges ou du Jura devraient également disparaître. La garrigue pourrait s’étendre vers Lyon et Toulouse (INRAE, projet Carbofor). La moitié des régions viticoles actuelles pourraient cesser d’être aptes à la culture de la vigne.

La perte de biodiversité signifie aussi une perte d'efficacité des solutions d'adaptation fondée sur les écosystèmes. Les risques de déstockage de carbone (forêts, tourbières, zones humides ou sols gelés) sont importants et leurs effets aggraveront le réchauffement. Environ la moitié des émissions de CO2 sont absorbées et stockées par les océans, les sols, les plantes. Plus le cumul de CO2 augmente, moins ces puits de carbone naturels auront la capacité d’absorber les émissions futures.

3.3. Un risque d’atteinte des points de bascule sociaux : effondrement, déplacements, conflits

D'ici 2050, 1 milliard de personnes subiront les conséquences de la montée du niveau des mers. D’ici 2100, entre 50 % et 75 % de la population mondiale pourrait être exposée à des périodes de « conditions climatiques potentiellement mortelles ».

L’ampleur du réchauffement peut conduire à l’atteinte de « social tipping points » ou « points de bascule sociaux ». Il s’agit de seuils critiques à partir desquels les effets de déstabilisation sur les sociétés humaines sont tels que le groupe social dans son ensemble ne peut plus faire face. La dégradation des moyens de subsistance et des conditions de vie conduirait alors à des crises humanitaires sévères, des déplacements forcés, des conflits violents.

Ces points de bascule peuvent se produire à de multiples échelles et ne sont pas fixes. Ils varient dans le temps, en fonction des contextes politiques, socio-économiques, culturels. Autrement dit, les crises, les migrations ou les conflits n’ont jamais une cause unique et sont évitables. Ils s’enracinent dans des causes structurelles profondes et systémiques, en parties héritées. Le changement climatique n’est à cet égard qu’un déclencheur, un facteur aggravant ou un accélérateur : il augmente la pression sur des socio-écosystèmes déjà fortement perturbés et en révèle les vulnérabilités, tout en les renforçant.

Document 9. Effets du réchauffement climatique sur la biodiversité

Effets du réchauffement climatique sur la biodiversité

Source : GIEC, groupe 2, 6e rapport d’évaluation, traduction de Bonpote.com (source).

 

4. Quelles politiques climatiques ?

Depuis 1850, la concentration de CO2 atmosphérique a augmenté de 42 %. Le cumul d’émissions résulte de plus d'un siècle de recours à des énergies fossiles, mais aussi de l'utilisation des terres et de l’urbanisation, des structures de production et consommation, des modes d’organisation sociale et spatiale.

Face au changement climatique, il faut à la fois agir sur les causes en réduisant les émissions – c’est l’atténuation – et sur les impacts en limitant l’exposition, la sensibilité physique et en développant les capacités de réponse – c’est l’adaptation (document 10).

Document 10. Stratégies à adopter face au changement climatique : atténuation et adaptation

stratégies

Source : Haut Conseil pour le Climat, 2021, rapport annuel.

 

Les conclusions du GIEC indiquent qu’à moins d'une réduction immédiate, rapide et mondiale des émissions de GES, il sera impossible de limiter le réchauffement à un niveau proche de +1,5°C, ou même, sous +2°C (objectifs de l'Accord de Paris). Si les émissions stagnaient au niveau actuel, nous dépasserions 2°C d'ici 2050 et pourrions atteindre 3°C en 2100.

4.1. Des trajectoires d’atténuation actuellement très insuffisantes

Pour rester autour de +1,5°C, les émissions de GES doivent diminuer de 43 % d'ici 2030 (34 % pour le méthane) et 84 % en 2050, le zéro CO2 net devant être atteint d'ici 2050. Pour +2°C, c'est –27% d'émissions de GES d'ici 2030, et zéro CO2 net d'ici 2070 (document 11).

Document 11. Les climats futurs, par trajectoire d’émissions

Les climats futurs, par trajectoire d’émissions

Source : GIEC, groupe 1, 6e rapport d’évaluation, traduction de Yann Rozier.

 

Malgré des progrès, la trajectoire actuelle n’est pas bonne. Les émissions mondiales nettes de GES ont été plus élevées au cours de la dernière décennie (2010-2019) qu'à n'importe quel moment de l'histoire humaine. En dix ans, elles ont continué à augmenter en valeur absolue, certes à un rythme plus lent. Le CO2 ajouté dans l’atmosphère par les activités humaines a été à peu près égal au budget carbone, c’est-à-dire le plafond maximal d'émissions qui restent pour limiter le réchauffement autour de +1,5°C : une décennie similaire épuisera ce budget. Les engagements déposés par les États avant la COP26 pourraient engager une baisse pour 2030, mais trop lente, même pour +2°C.

Le ralentissement de la croissance des émissions mondiales « a été principalement déclenché par des réductions substantielles » de la croissance des émissions en Chine. Les émissions dues aux combustibles fossiles dans les trois « régions en développement » d'Asie et du Pacifique, d'Afrique et d'Amérique latine ont augmenté de 26 % au cours de la dernière décennie, contre une croissance de 260 % au cours des deux décennies précédentes. Dans les pays développés, elles ont diminué d'environ 10 % au cours de ces deux périodes.

Il est important de souligner l’inégale répartition géographique. 41 % de la population mondiale vit déjà dans des pays où les émissions moyennes/hab. sont inférieures à 3 tonnes CO2-éq/an. Les pays « développés » ont des niveaux par habitant de plus du double de ceux d'Asie, du Pacifique, de l'Afrique et de l'Amérique latine. Cela vaut également pour les émissions du passé.

Le clivage Nord-Sud est cependant réducteur, a fortiori quand on prend en compte les émissions importées (on parle aussi d’empreinte), et pas simplement les émissions dites territoriales (produites sur un territoire donné). Les 10 % des ménages les plus riches à l'échelle mondiale, c’est-à-dire répartis sur tous les continents, causent 34 à 45 % des émissions des ménages. Mais le revenu n'est pas le « principal, voire unique facteur expliquant l’impact écologique ». À revenu fixé, la variabilité des émissions est très forte, par exemple à cause du type de chauffage ou du lieu de résidence.

En France, à l’échelle nationale, deux tiers des émissions territoriales viennent des espaces urbains. Les ménages urbains ont en moyenne des émissions légèrement supérieures aux ménages ruraux, lesquelles ont pourtant des émissions contraintes liées au transport et à l'alimentation.

Les modes de consommation et les émissions qui en découlent sont finalement influencés par de nombreux facteurs : statut socio-économique, accès aux services publics et privés, choix individuels, valeurs. Dans les « pays occidentaux », les transports, le logement et la consommation alimentaire combinés apportent la « plus grande contribution à l'empreinte carbone des ménages ». Aux États-Unis, la consommation de viande représente à elle seule 5,2 % de l'empreinte des ménages.

Enfin, il ne faut pas raisonner uniquement à l’échelle individuelle. Les émissions proviennent également des secteurs productifs et des entreprises.

4.2. Des émissions réparties par secteurs productifs

Les émissions mondiales annuelles sont de l'ordre de 40 milliards de tonnes. En comparaison, les 1 500 volcans terrestres et sous-marins émettent 360 millions de tonnes par an (111 fois moins). Le budget carbone résiduel est de 500 milliards de tonnes à partir de 2020. Si les infrastructures fossiles actuelles fonctionnaient selon leur durée de vie attendue, leurs seules émissions totales dépasseraient le budget carbone résiduel pour 1,5°C.

En 2019, les principaux secteurs d’activité qui émettaient des GES étaient (document 12) :

  • l’énergie : 34 %
  • l’industrie : 24 % (34 % si on compte la production d’électricité et de chaleur)
  • l’agriculture (dont bétail et engrais), la forêt et l’utilisation des terres : 22 %
  • le transport : 15 %
  • les bâtiments : 6 % (16 % avec électricité et chaleur)
Document 12. Tendances des émissions globales de GES par secteur économique

Tendances des émissions globales de GES par secteur économique

Source : GIEC, groupe 1, 6e rapport d’évaluation, 2022. Traduction de Géoconfluences, 2023.

 

L'approvisionnement en énergie étant la plus grande source mondiale d'émissions, on assimile souvent les politiques d’atténuation à une transition énergétique. Les émissions sont effectivement liées à l'utilisation des énergies fossiles, mais aussi à la déforestation, et à la production alimentaire (en particulier l'élevage mondial de ruminants). Autrement dit, la transition énergétique seule ne permet pas l’atteinte des objectifs, même si elle est essentielle.

>>> Lire aussi : Alexis Gonin, « Transition », glossaire de Géoconfluences, mai 2021.

Le secteur de l'agriculture, de l'élevage et de la foresterie pourrait fournir 20 à 30 % des réductions mondiales de GES nécessaires pour une trajectoire de 1,5 °C ou 2 °C d'ici 2050. D'ici 2050, les plus gros potentiels résident dans la protection et la restauration des forêts, tourbières, zones humides côtières, savanes et prairies ; la gestion du carbone dans les sols et l’amélioration de l'élevage ; l’adoption de régimes alimentaires à base de plantes et la baisse du gaspillage.

 
Encadré 4. Systèmes productifs alimentaires et gaz à effets de serre

La viande provenant de ruminants tels que les moutons et les vaches cause les plus fortes émissions de GES. Toutefois, la viande de bœuf issue de systèmes laitiers produit moins d'émissions que celle issue de troupeaux élevés uniquement pour la viande. Les estimations varient considérablement, à cause de la différence entre les systèmes de production : l'élevage intensif où le bétail est essentiellement nourri de céréales ; les pratiques pastorales, où les bergers déplacent le bétail des pâturages d'été aux pâturages d'hiver ou l'élèvent sur des parcours.

Environ 20 à 40 % des denrées alimentaires produites dans le monde sont gaspillées avant d'atteindre le marché ou les foyers. Le rapport estime que les pertes et gaspillages alimentaires à l'échelle mondiale ont représenté 8 à 10 % des émissions totales de GES entre 2010 et 2016.

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Les villes sont aussi des points d’attention, car elles produisent environ 70 % des émissions mondiales avec 50 % de la population. La croissance urbaine a « des conséquences fortes sur le verrouillage futur du carbone », surtout si l’étalement et la périurbanisation s’opèrent au détriment des terres agricoles et des forêts, qui détiennent d'importants stocks de carbone. En outre, construire de nouvelles infrastructures pour répondre à la croissance urbaine et mettre à niveau les systèmes actuels produira des émissions fortes.

4.3. De nombreuses solutions existent et permettent d’atteindre les objectifs climatiques

Les émissions ont des causes structurelles : organisation sociale et territoriale, stratégies des entreprises, politiques des États. Ni l’innovation technologique, ni les changements de comportement ne suffiront. Pour atteindre les objectifs climatiques, il faut agir conjointement selon trois directions : développer les alternatives décarbonées, augmenter l’efficacité (on émet moins de GES pour la faire même chose) et diminuer la demande.

Document 13. Les leviers d’atténuation et leur coût

Les leviers d’atténuation et leur coût

Source : GIEC, rapport de synthèse AR6, 2023, traduction de Géoconfluences. Accéder à l'original.

 

La première nécessité est de se passer des énergies fossiles, qu’il s’agisse de sources d’énergie primaires, secondaires (vecteurs énergétiques) ou finales. Outre l’extraction, la part la plus importante des émissions provient de la production d'électricité et de chaleur.

Le bouquet énergétique repose majoritairement sur les énergies tirées du pétrole, du charbon et du gaz. L’atténuation passe par une transition énergétique complète (et pas juste un nouveau bouquet électrique). Tout le système énergétique doit être décarboné, ce qui implique le déploiement d’alternatives aux fossiles faiblement émettrices. Éolien et solaire sont la meilleure option pour décarboner rapidement le système à l’échelle mondiale. Elles représentent environ 60 % du potentiel de réduction des émissions mondiales à 2030. Ces énergies carbonées deviennent même « plus coûteuses » que les alternatives décarbonées. Pourtant, dans le monde, les subventions aux énergies fossiles sont environ 2 fois supérieures à celles accordées aux renouvelables.

En outre, tous les scénarios qui conduisent un réchauffement inférieur à +2° impliquant une électrification des bâtiments, des transports et de l’industrie, la part de l'électricité dans l'énergie finale passerait du 20 % actuel à minimum 42 % en 2050 (60 % en 2100 pour un scénario à 2°C). Il faut par conséquent décarboner aussi le bouquet électrique.

 
Encadré 5. Captage et séquestration du carbone

Le net zéro ne peut être atteint que si l'élimination du CO2 est utilisée pour équilibrer les émissions résiduelles des secteurs qui auront plus de mal à réduire leur impact sur le climat, (aviation, agriculture, certains processus industriels). Le GIEC indique avec une confiance moyenne que « l'élimination du CO2 pourrait conduire à des émissions nettes de CO2 négatives au niveau mondial », ce qui permettrait « d'inverser le réchauffement de la planète ».

Les méthodes d'élimination du CO2 (document 14) vont du biologique, comme la plantation d'arbres et le BECCS (bioénergies avec captage et stockage de dioxyde de carbone), au chimique, comme l'utilisation de machines pour aspirer le CO2 de l'air (captage et stockage direct), indique le rapport. Beaucoup restent expérimentales à ce stade. La capacité de chaque méthode à stocker le CO2 varie de « quelques décennies à plus de 10 000 ans ». Actuellement, la plantation d'arbres et la restauration des écosystèmes sont les seules formes « largement déployées » d'élimination du CO2.

Environ 20 % des pays signataires de l'accord de Paris sur le changement climatique font référence au « carbone bleu » dans leurs plans climatiques nationaux. Environ 40 % de ces pays se sont engagés à gérer les écosystèmes côtiers peu profonds dans le cadre des efforts d'adaptation au changement climatique. La gestion du carbone bleu permet de réduire les émissions tout en fournissant un habitat à la faune et à la flore sauvages. Mais les écosystèmes côtiers peu profonds sont extrêmement vulnérables aux impacts climatiques, notamment à l'élévation du niveau de la mer, ainsi qu'à d'autres types de dégradation humaine.

Document 14. Les solutions de stockage de carbone

Les solutions de stockage de carbone

Source : d’après Carbon Brief (lien), 2022. Traduction : Géoconfluences, 2023.

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Encadré 6. Les co-bénéfices de l’atténuation

Certaines politiques d'atténuation rigoureuses peuvent avoir un effet négatif. Ainsi, les politiques visant l’usage des sols pourraient avoir des conséquences négatives sur la sécurité alimentaire en faisant augmenter les prix des terres et des aliments, avec un accroissement des risques de malnutrition et de pénuries alimentaires. Mais il est établi avec certitude que l'atténuation peut réduire l'insécurité alimentaire en atténuant certains des effets négatifs du changement climatique sur l'agriculture.

L'utilisation accrue des terres peut aller à l'encontre de la lutte contre la perte de biodiversité et de préservation des écosystèmes. Le passage à des formes d'agriculture plus durables (agroécologie, agroforesterie) permet alors de répondre aux préoccupations climatiques, sociales et de biodiversité.

L'atténuation sera également « bénéfique » pour la santé humaine. L’« amélioration de la qualité de l'air » pourrait à elle seule compenser les coûts de l’atteinte des objectifs climatiques. Le passage à 1,5°C pourrait ainsi entraîner une diminution de plus de 150 millions (avec une fourchette de ± 43 millions) du nombre de décès prématurés entre aujourd'hui et 2100 par rapport à un « scénario de statu quo », grâce à la diminution de l'exposition aux particules et aux investissements dans les infrastructures de base telles que l'assainissement, les régimes alimentaires sains et abordables et l'accès à l'eau potable.


 

L’atteinte du « net zéro émissions »  n’est pas un simple changement de comportement individuel, mais une transformation systémique des modes de vie, qui combine des changements socioculturels, infrastructurels et technologiques. Elle implique une action sur la demande, qui combine l’efficacité (améliorer et optimiser l’utilisation des ressources) et la sobriété (éviter d’utiliser les ressources – énergie, eau, sol, minéraux, etc. – pour des besoins non essentiels). Les scénarios de faible demande impliquent par exemple une offre alternative accessible socialement et économiquement.

Le GIEC met en avant le triptyque « éviter, substituer, améliorer » pour explorer les options de réduction de la demande, tout en rappelant que ces mesures s'accompagnent généralement de multiples co-bénéfices, en matière de nutrition, de santé ou de qualité de vie. L’évitement consiste par exemple à ne pas utiliser de voiture et à réduire les trajets en avion, la substitution à adopter un régime alimentaire à base de plantes et à utiliser les transports publics, l’amélioration à acheter une voiture électrique ou une pompe à chaleur.

L’aménagement, à toutes les échelles, apparaît comme un instrument transversal essentiel. Il permet en effet d’agir sur la répartition des populations, infrastructures, activités, donc, l’offre alternative, les incitations, les compensations.

 
Encadré 7. Croissance, décroissance, découplage

Le GIEC revient sur le débat crucial, et encore non tranché, du découplage des émissions et de la croissance. Se pose en effet la question de la possibilité de maintenir la croissance économique sans augmenter les émissions de carbone ou l'utilisation des ressources naturelles. S’il semble que certains pays soient parvenus à ce découplage, sur une courte période d’observation, le scepticisme demeure sur la possibilité de ce découplage à l’échelle mondiale. Le GIEC insiste aussi sur la nécessité de poursuivre les recherches sur les facteurs d'émissions liés à la consommation, afin de savoir s’ils peuvent être atténués par la gestion de la demande, des modèles économiques alternatifs, le contrôle démographique et une transition technologique rapide.

L’avantage à limiter le réchauffement climatique à 2° serait, du point de vue de l’économie mondiale, supérieur au coût de l'atténuation dans la plupart des publications évaluées par le GIEC. De plus, le rapport indique qu’il est fort probable que « l'éradication de l'extrême pauvreté, de la pauvreté énergétique et la garantie d'un niveau de vie décent... peuvent être réalisées sans augmentation significative des émissions mondiales ».

Enfin, le 6e rapport du GIEC le démontre, la transition vers un monde à faibles émissions aura peu d’impacts sur le PIB mondial. Il y a en outre assez de capitaux et de liquidités pour combler les écarts d'investissement, y compris pour aider les pays dont les capacités institutionnelles, technologiques et financières sont limitées.


 

5. L’adaptation : de l’ajustement réactionnel à la bifurcation systémique

L’adaptation désigne à la fois un processus et le résultat d’une transformation permettant à un système de répondre à un stimulus et à ses conséquences. Dans le cas du climat, elle est forcément palliative. Il y a adaptation parce que l’atténuation a en partie échoué, mais qu’elle a quand même suffisamment réussi pour ne pas dépasser des limites au-delà desquelles les dommages deviennent insoutenables.

Il existe de nombreuses synergies entre adaptation et atténuation. Moins le réchauffement est contenu, plus les options d’adaptation se réduisent. Ces synergies ne sont cependant pas systématiques, quels que soient l’action et l’horizon temporel. Il existe en effet des antagonismes possibles : par exemple, la climatisation est une réponse aux vagues de chaleur, mais elle augmente la température extérieure tout en émettant des GES par un surcroît de production d’électricité.

5.1. Les différentes formes d’adaptation

Face à un risque, on peut d’abord répondre de façon ponctuelle, souvent réactive. C’est un ajustement. La somme des ajustements permet des transformations incrémentales. Mais si on veut vraiment résoudre le problème, il faut s’attaquer à la racine, aux causes profondes. L’adaptation devient alors transformationnelle : elle change la nature du système dans sa globalité (Reghezza et Rufat, 2019). C’est une bifurcation, au sens systémique du terme (document 15).

Les ajustements ponctuels, essentiels fondés sur des solutions technologiques, peuvent éventuellement permettre de gagner du temps pour atténuer les coûts de transition, mais repoussent les transformations structurelles et conduisent à des mal-adaptations coûteuses. L’adaptation incrémentale découle des retours d’expériences et des processus d’apprentissage, mais elle peut se révéler rapidement insuffisante au regard de la vitesse des perturbations en cours.

Document 15. L’adaptation, de l’ajustement au changement structurel

L’adaptation, de l’ajustement au changement structurel

Source : d’après Cornelius, Béné et Howland, 2018, repris in Reghezza-Zitt et Rufat, 2019. Traduction : M. Reghezza-Zitt et S. Rufat.

 

L’adaptation a pour objectif la résilience du système considéré. Pourtant, la résilience n’est pas toujours synonyme d’amélioration : le système peut perdurer au prix de la détérioration (document 15), voire la disparition, d’une partie de ses composantes. L’adaptation devient alors une question « fondamentalement éthique, car son but est de protéger ce à quoi nous accordons de la valeur » (Hartzell-Nichols, 2011, p. 690).

Enfin, l’adaptation ne peut pas reposer sur une solution unique. Il est nécessaire de combiner un ensemble de leviers. Ces combinaisons vont varier dans le temps et en fonction des territoires, des besoins, des ressources, du niveau de menace.

5.2. Limites faibles et limites dures

Le potentiel d'adaptation des sociétés humaines est important, mais reste conditionné par la faisabilité des solutions, le risque de mal-adaptation et des limites dites « dures ».

Les conditions de faisabilité peuvent être de différente nature : technologiques, économiques, juridiques, financières, culturelles, politiques, environnementales, etc. Une partie de ces obstacles sont sous-tendus par des inégalités sociales et territoriales, qui entravent l’accès à l’innovation, aux financements, à l’opérationnalisation. Le GIEC parle ici de « limite faible » : les difficultés d’accès et de mise en œuvre sont surmontables à condition de pallier les déficits de moyens humains, techniques, financiers et juridiques. La question de l’« acceptabilité sociale » est souvent mise en avant. La faible acceptabilité reflète souvent l’insupportabilité des coûts de transition. L’augmentation de l’« acceptabilité sociale » repose ainsi sur la capacité à conduire une transition perçue comme juste et à répartir équitablement les efforts, l’accompagnement et les compensations.

Le GIEC insiste sur la mal-adaptation, qui accroît les risques à moyen ou long terme, au lieu de les réduire. La mal-adaptation découle souvent des diagnostics en silo, monosectoriels, de mesures purement réactives et incrémentales, ou de solutions uniquement fondées sur l’innovation technique. Celles-ci retardent les changements structurels et ignorent les effets rétroactifs négatifs sur d’autres composantes du milieu (sols, eau, biodiversité) ou le creusement des inégalités sociales et territoriales. La mal-adaptation affecte particulièrement les groupes et individus marginalisés et augmente la résistance au changement.

Le GIEC conclut enfin à l’existence de limites fortes à l’adaptation. Ces limites surviennent dans des situations où la contrainte est telle, qu'elle empêche de rester sous des niveaux de risque acceptable. Le niveau de réchauffement, l’effondrement de la biodiversité, mais aussi le niveau des inégalités sociales sont des limites dures.

Document 16. Les générations actuelles dans le monde futur selon plusieurs scénarios de réchauffement

Générations actuelles et futures

Source : GIEC, rapport de synthèse AR6, 2023, traduction de Géoconfluences. Accéder à l'original.

 

Conclusion : Politiques climatiques et développement humain

La science montre qu’il sera impossible de rester bien en dessous de +2°C sans une action climatique plus forte au cours de la décennie qui vient. Si nous réduisons rapidement les émissions de gaz à effet de serre, il est extrêmement probable que le réchauffement climatique se maintienne en deçà de +2°C. Si nous y parvenons, il est probable que la température baisse progressivement, pour atteindre +1,5 °C ou moins d'ici la fin du siècle, avec un dépassement temporaire de +0,1 °C au maximum.

Au-delà de +2°C, les écosystèmes, mais aussi les sociétés humaines seront poussées aux limites de leur capacité d’adaptation. La poursuite du développement humain dépend par conséquent de notre capacité à atténuer le réchauffement climatique et à préserver la biodiversité.

Pour l’ONU, « les politiques et une planification intersectorielles coordonnées peuvent jouer un rôle majeur pour catalyser les synergies, réduire les compromis, et assurer une transition juste qui améliore la vie de milliards de gens et ne laisse personne de côté ». Pour le GIEC, le financement du climat par les pays les plus riches « sera probablement la clé de la réussite d'une transition à faible émission de carbone au niveau mondial ». Le rapport appelle à se concentrer sur le financement climatique à tous les niveaux : pour remédier aux inégalités mondiales, pour cibler les politiques nationales et pour soutenir les communautés locales.

Dans un climat qui change au-delà des limites de l’accord de Paris, l’atteinte des 17 objectifs de développement durable (ODD) est impossible. Il n’est ainsi pas de développement durable qui ne soit aussi résilient au climat. Inversement, la protection de la biodiversité et la réduction des inégalités socio-économiques sont des conditions sine qua non à l’atteinte des objectifs climatiques et d’une résilience des sociétés humaines qui ne s’accompagne pas d’une dégradation sévère du bien-être des individus.

 


Bibliographie

Références citées
Pour aller plus loin

Une sélection de ressources scientifiquement rigoureuses mais accessibles, pour enseigner le changement climatique et se documenter.

Rapports
Ouvrages généraux
  • Anne Bres, Claire Marc, Bonpote, 2022, Tout comprendre (ou presque) sur le climat, CNRS Éditions
  • Romain Felli, 2016, La Grande Adaptation. Climat, capitalisme et catastrophe. Média Diffusion.
Sitographie
Podcast

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : Accord de Paris | adaptation | albédo | atténuation | bifurcation | biodiversité | climat | effet de serre et GES | forçage | GIEC | inégalités | ODD | réchauffement climatique | résilience | risques climatiques | transition | vulnérabilité

 

 

Magali REGHEZZA-ZITT

Maîtresse de conférences HDR en géographie, École normale supérieure de Paris

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Magali Reghezza-Zitt, « Sociétés humaines et territoires dans un climat qui change. Du réchauffement climatique global aux politiques climatiques », Géoconfluences, avril 2023.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/changement-global/articles-scientifiques/rechauffement-climatique-politiques-climatiques